En 1901, Lénine donne à la logistique nécessaire à la construction et la diffusion du journal un rôle essentiel dans la construction de l’organisation politique. Un siècle après, nous constatons que le site web ne joue pas ce rôle. Est-ce que l’outil moderne qui pousse à l’organisation peut être un « réseau social communiste » ?.
Je pourrais justifier les raisons techniques qui me font considérer l’hypothèse d’un réseau social "communiste", alternatif aux Facebooket consors existants comme réaliste [2]. Cet article n’évoquera donc que les questions politiques et d’organisation qui pourrait justifier une telle ambition.
L’histoire récente de l’émiettement communiste et des tentatives de convergence nous donne quelques leçons.
– aucune reconstruction ex nihilo sous la forme d’un nouveau parti n’a démontré sa pertinence, quelque soit la validité des efforts théoriques, des mobilisations sociales de chacun. Cela dit, ce n’est pas propre au mouvement communiste, les difficultés du MPEP pour prendre un exemple sont éclairantes.
– aucune reconstruction ne peut se construire sans, encore moins contre, les bases militantes locales qui existent dans des situations très variées, dans et hors du PCF.
– aucune reconstruction ne peut se faire en chambre, sur le seul débat théorique ou idéologique, même si celui-ci est indispensable. L’apport de personnalités comme Danielle Bleitrach, d’association d’éducation populaire comme Germinal est important, mais on ne peut pas séparer organisation et action.
Bien sûr, des organisations peuvent se renforcer, le débat théorique sur la crise, les conditions de l’unité du peuple, de la reconstruction d’un point de vue communiste va continuer, et des obstacles politiques à l’unité des communistes peuvent se lever et tant mieux, mais pour un certain temps, d’au moins quelques années, le fait dominant reste la diversité des situations politiques et des formes d’organisation des bases militantes communistes, et pour l’instant, l’affaiblissement relatif de tous face à la violence des luttes de classes et de la guerre idéologique.
C’est pourtant dans cette situation qu’il faut faire des progrès d’organisation et cesser de reproduire sans cesse ce qui a échoué plusieurs fois. C’est vrai bien sûr du PCF dont les directions continuent de s’enfoncer dans le renoncement à l’organisation et la fuite en avant dans des alliances de soumission au système. Mais c’est vrai aussi de tous ceux qui depuis des décennies répètent qu’il faut un parti, mais font vivre de fait autre chose, chacun ayant toujours tendance à chercher le rassemblement sous son drapeau, où à se limiter à son terrain d’action [3].
Car nous butons toujours sur ce qui est au cœur de toute organisation, et que les communistes avaient historiquement formulé comme le "centralisme démocratique". Mais construire démocratiquement un centre alors que le centre historique a laissé se déliter l’organisation, c’est un défi.
Le résultat est que nous n’avons pas de direction capable de porter l’intellectuel collectif de tous les communistes, d’organiser avec tous un centralisme démocratique renouvelé, pour faire progresser partout l’organisation dans sa capacité de résistance qui est la clé de son renforcement.
Mais ce n’est pas en prenant le problème "par en haut" qu’on va le résoudre, et si l’expérience des assises du communisme est difficile, elle a le mérite de tenter de faire vivre une coordination dans le respect de chacune des forces militantes, même si elle se heurte à une difficulté, une certaine lenteur pesant sur son dynamisme. Cela ne vient pas d’un mauvais fonctionnement du collectif de liaison, mais de la difficulté réelle d’être à la fois plus en lien avec les actions militantes, donc dans la diversité des situations politiques, tout en faisant progresser le partage, la connaissance et la coordination. La réunion annuelle quelle qu’en soit la forme est insuffisante, la conférence téléphonique mensuelle aussi... C’est le serpent qui se mord la queue... pour s’organiser, il faut être organisé...
Pourtant, quand Lénine écrit Que Faire, quelques années avant que la 3e internationale communiste ne définisse les 21 conditions d’adhésion, les "sociaux-démocrates", qui ne s’appelaient pas encore communistes, ne sont qu’une poignée... Et c’est dans le contexte du tsarisme, puis de la guerre que Lénine et d’autres construisent l’organisation qui deviendra le parti communiste. On ne peut pas considérer que la situation serait plus difficile aujourd’hui... Mais elle est bien sûr différente :
– pas pour la lutte nécessaire contre le réformisme,
– pas pour la nature de la rupture avec le capitalisme et l’impérialisme
– mais parce que nous avons un siècle d’expériences socialistes, et que nous savons mieux que la construction du socialisme est un processus national long et difficile [4].
– parce que nous savons aussi que le centralisme démocratique peut se transformer en dictature bureaucratique ou en centralisme technocratique,et que beaucoup de militants se méfient avec raison des chefs auto-déclarés...
– parce que nous avons cet émiettement communiste avec un potentiel militant qui reste important mais ancré dans des histoires politiques communistes diverses [5].
– et aussi parce que la société a changé dans ses relations sociales, ses moyens de communication, son niveau d’éducation, sa mobilité...
Or reprenons la 12e condition de 1920 et interrogeons-nous sur ce que peut être un centralisme démocratique au XXIe siècle.
12. Les Partis appartenant à l’Internationale Communiste doivent être édifiés sur le principe de la centralisation démocratique. À l’époque actuelle de guerre civile acharnée, le Parti Communiste ne pourra remplir son rôle que s’il est organisé de la façon la plus centralisée, si une discipline de fer confinant à la discipline militaire y est admise et si son organisme central est muni de larges pouvoirs, exerce une autorité incontestée, bénéficie de la confiance unanime des militants.
Ce que presque toutes les bases communistes dans leur diversité disent, c’est que nous avons besoin d’une visibilité nationale, donc d’une « représentation » dont on peut dire qu’elle doit avoir une « autorité incontestée », qu’elle doit « bénéficier de la confiance unanime des militants »... Et c’est bien ce que nous n’avons pas... Mais pouvons-nous dire qu’il faut « une discipline de fer confinant à la discipline militaire » ? Il ne faut certes pas sous-estimer l’enjeu de la discipline dans le combat de classe exacerbé et de plus en plus violent. Par exemple, la question de la protection des organisations et des militants redevient bien un enjeu, autant pour les fichiers (!) que pour les services d’ordre. Mais chacun sent bien que cette discipline ne peut être de forme militaire, d’une obéissance aveugle...
Alors, au-delà des formulations de 1920 comment se pose aujourd’hui cet enjeu de centralisation démocratique ?
– centralisation ? oui, mais elle n’existe pas, faut-il attendre qu’apparaissent des dirigeants capables de la faire vivre avec l’autorité et la confiance nécessaire, ou devons-nous considérer que toute « recentralisation » doit être un processus progressif ? Personne n’a aujourd’hui de réponse à cette question de l’efficacité et de la cohérence. Il faut donc une organisation capable d’évoluer par étapes successives vers un niveau d’organisation plus « efficace » dans un sens moderne que nous ne connaissons pas encore. Il faut « faire avec » l’émiettement, mais en mettant en place des outils qui poussent à organiser...
– démocratique ? oui, mais pour l ’instant, si chacun diffuse sur son site préféré ses « thèses », peu de travail collectif de convergence, de reformulation pour produire cet intellectuel collectif nécessaire n’est réalisé. Pour une grande part, les idées s’expriment sur des sites, des blogs, des pages facebook... dont le nombre augmente sans cesse, et... que le capitalisme a tout loisir d’observer et d’évaluer. [6]
Le rôle que Lénine donne au journal dans Que Faire est essentiel sur trois aspects de l’organisation :
– en assurant la diffusion partout d’une position politique, le journal est par nature un outil centralisé permettant au « centre » de jouer son rôle, il « centralise »
– la nécessité de sa diffusion suppose un effort d’organisation formateur pour les militants, il « organise »
– pour faire connaitre les batailles de terrain, le journal doit être alimenté par les militants et il contribue alors à la construction de cet intellectuel collectif qui permet la confiance et la légitimé... il « unit »
Nous répondrons au défi de la recentralisation et de la démocratie en inventant le nouveau « journal » qui, au contraire des sites internets et pages de réseau social actuel, contribue à la fois à organiser, centraliser et unir... Or en 2016, l’immense majorité des jeunes, ceux qui feront ou qui ne feront pas le parti communiste demain, ne lisent pas vraiment de journaux, mais lisent chaque jour des messages, des twits, des notifications, des pages...
Ces pratiques numériques répandues peuvent-elle contribuer à l’expansion d’un réseau social spécifique qui deviendrait l’outil militant de base pour faire passer les informations, suivre des discussions, donner son avis, gérer ses contacts militants dans une organisation de base, se réunir pour une action, un évènement, se fédérer pour faire vivre une ou des organisations nationales ?
Un tel réseau social aurait un avantage décisif dans notre situation d’émiettement. L’effort pour le construire au plan technique est à notre portée [7], et il ne suppose pas d’avoir résolu au préalable la question du centralisme démocratique.
Au contraire de la centralisation à la facebook ou google, les techniques existantes permettent de concevoir un réseau « distribué », qui ne suppose pas un centre hébergeant les données, mais qui se construit point par point quand un militant décide de créer un « serveur » sur son propre ordinateur, ou sur l’hébergeur de son site web, serveur qui sert à faire vivre un bout du réseau social, se mettant en lien avec tous ceux qui font la même chose de leur coté.
Chaque nœud ainsi créé localement, peut inscrire un certain nombre de militants. Les inscrits à ce réseau peuvent être de simples contacts, ou devenir « adhérents » d’une base militante... Les nœuds peuvent se « fédérer » au rythme des progrès de la recentralisation de l’organisation
Chaque nœud peut être connu de tous, présent publiquement sur internet, avec une partie privée sur le réseau social, une partie privée à la base militante locale...
Chaque inscrit peut porter des inscriptions de personnes qui ne souhaitent pas s’inscrire elle-même parce qu’elles n’ont pas d’accès ou de pratiques internet. En quelque sorte, il devient le responsable à l’organisation d’une cellule et gère son carnet d’adhérent...
Il faut noter que c’est bien pour accompagner sa mutation réformiste que le parti communiste a laisser dépérir une organisation historiquement distribuée (les cellules, les sections, le carnet du trésorier, les timbres...) pour choisir une informatisation totalement centralisée (lire Le logiciel communiste COCIEL : l’outil du centralisme technocratique...
Un tel réseau social peut présenter un avantage évident au plan de la sécurité des données personnelles et collectives. Elles peuvent être cryptées à un niveau élevé, rendant très difficile les « écoutes » ou les « grandes oreilles », et surtout son caractère distribué fait qu’il peut être naturellement redondant, et que la perte d’un serveur peut être sans effet... [8]
Un tel réseau social, permettrait avec souplesse de faire progresser l’organisation par les relations qui se construisent entre les bases militantes d’une même organisation, mais aussi entre organisations. Il peut accueillir des réseaux propres des organisations existantes qui peuvent alors s’appuyer sur ce réseau pour leur propre activité, tout en étant mieux en lien avec d’autres pour faciliter les rapprochements... Ce réseau pousserait ainsi à la convergence en aidant à poser la question de la centralisation démocratique au service de la reconstruction du parti.
Par rapport à l’usage que chacun fait aujourd’hui des sites et autres facebook, il se distingue
– parce qu’il n’est pas centralisé
– parce qu’il peut être fortement sécurisé
– parce qu’il se construit de bas en haut, d’abord au service d’une organisation locale, de cellules...
– parce qu’il évolue dans les liens entre nœuds au fil des progrès de l’organisation
– parce que ces règles de fonctionnement peuvent évoluer au fil de l’émergence d’un nouveau centralisme démocratique
Cet article esquisse une démarche qui supposerait que plusieurs bases militantes s’intéresse à la production d’une première version de cet outil. Les commentaires sont donc espérés pour en évaluer la pertinence...