Pourquoi ne sommes nous pas tous dans le même parti ?

, par  Gilles Questiaux , popularité : 5%

Cet article publié en mars a été rediffusé en cette rentrée et peut être utile pour éclairer la différence de point de vue qui existe sur la question essentielle du parti. Comment faire pour « unir les communistes » ?

Question faussement naïve... mais peut être mal posée au fond, la vraie question ne serait-elle pas plutôt : « pourquoi n’y-a-il pas de parti du prolétariat ? » (remarque de juillet 2015)

Cuba, sans doute en 1961

Il y a foule de communistes en France ! Mais pourquoi ne les entend-on pas ?

L’ennemi de classe les boycotte dans ses médias ? Mais il l’a toujours fait ! Pourquoi leur langage parait-il souvent anachronique et sectaire ? Alors que leur analyse de la situation est simple, partagée et fondamentalement juste !

Il y a de nombreux groupes d’importance diverse (mais il faut bien dire qu’ils sont en général petits), qui se revendiquent du communisme, et plus précisément du socialisme réel, celui que des partis communistes puissants et déterminés ont tenté de concrétiser, soit au pouvoir, en Union soviétique, en Chine, à Cuba, au Viet Nam, en Yougoslavie, en Corée, au Yémen, etc., soit dans l’opposition légale en revendiquant la participation au pouvoir dans le cadre d’un jeu pseudo-démocratique toujours menacé d’interruption violente, mais qui était plus ouvert au milieu du XXe siècle que maintenant : Chili, France, Italie, Indonésie, Inde… soit en pratiquant une lutte clandestine de longue durée (Espagne, Colombie, Afrique du Sud) contre des dictatures fascistes ou racistes.

Ces partis ont tous pratiqués le centralisme démocratique, mais il ne faut pas oublier qu’ils ont fortement différé entre eux dans la détermination de la bonne "ligne". Ce qui les rassemblait, ce n’était donc pas une orthodoxie, mais un style pratiqué dans le rapport au pouvoir. Les partis de la tradition de la IIIe internationale ont tous revendiqué à un moment ou à un autre la participation au pouvoir gouvernemental et l’hégémonie, voire la dictature du prolétariat, sans atténuation. Ils ont tous aussi partagé une tendance à vouloir apparaitre comme des monolithes. Pour que l’ennemi ne trouve pas de faille (mais pourtant il en a trouvé...).

Cette culture politique du pouvoir et de l’acceptation des contradictions qu’impliquent la pratique du pouvoir, ou l’existence institutionnelle et le jeu électoral, opposent complètement les partis issus de la matrice de la IIIe internationale (1919-1943) à celle de la "Quatrième Internationale" fondée par Trotsky en 1938. Sauf exception, les trotskystes ne font donc pas partie des courants communistes dont il est question ici. Mais il s’agit d’une différence objective qui ne doit pas servir de base à des condamnations ad hominem anachroniques et ridicules. Rejeter le trotskysme, d’ailleurs multiforme et éclaté en multiples courants contradictoires, ne suffit certainement pas pour donner un sens à l’unification des communistes.

Tous les mouvements communistes authentiques sont d’ailleurs entrés en crise après 1991, y compris les maoïstes qui n’ont pas profité longtemps de l’effacement des partis pro-soviétiques "révisionnistes", et dont l’isolement s’est paradoxalement trouvé renforcé, notamment par la nouvelle politique économique d’ouverture au capital, menée en Chine sous l’impulsion de Deng Xsiao Ping.

Aujourd’hui, en France, il y a sans doute des dizaines de groupes, souvent d’implantation locale, parfois thématiques, qui se réclament de la traditions politique du PCF : et qui ont commencé à s’en séparer, parce qu’il est parti dérive social-démocrate, puis sociale libérale, certains dès le début des années 1960, en refusant de soutenir avec le PCF la première candidature Mitterrand en 1965, tandis que d’autres à l’autre extrémité du spectre de la dispersion en font encore partie, dans une opposition interne de moins en moins audible (malgré le récent remarquable succès des communistes de Vénissieux, exception qui confirme la règle).

On peut se poser la question : cet éparpillement des forces communistes ne serait-elle pas le symptôme d’une maladie mortelle qui annoncerait la disparition prochaine du courant communiste ? Ou bien dans le meilleur des cas son maintien, à titre de particularisme culturel et identitaire résiduel dans une société qu’il ne pourrait plus influencer en rien ? Ou bien cette atomisation pourrait-elle au contraire, la crise du capitalisme aidant, être surmontée dans un avenir proche ?

Les communistes partagent des idées forces assez simples :

 Ils sont marxistes dans l’analyse de la société capitaliste.
 Ils sont partisans de la propriété collective des grands moyens de production (ils ont pour la plupart abandonné l’idée de collectiviser commerce, agriculture et artisanat). Ils proposent la renationalisation des entreprises privatisées depuis 1985, et le développement de puissants services publics universels.
 Ils luttent pour la paix, et sont anti impérialistes, ce qui signifie qu’ils interprètent la politique mondiale comme le champ de lutte des impérialismes, et dans la conjoncture actuelle, il n’y en a qu’un à l’offensive : l’impérialisme Occidental (non pas « américain » mais l’impérialisme global de l’Occident de ses multinationales et de ses satellites comme Israël et le Japon). Ils veulent en conséquence que la France quitte l’OTAN, l’alliance impérialiste.
 Ils sont fermement opposés à l’Union européenne, irréformable, qui n’a pour fonction que d’imposer le libéralisme économique partout. Ils veulent la sortie de l’euro et de l’UE.
 Ils veulent l’unité du prolétariat, ce qui signifie qu’ils veulent combler la fracture politique, culturelle, ethnique, religieuse et géographique entre prolétaires immigrés et autochtones, ce qui n’implique pas le choix libéral-gauchiste de l’ouverture des frontières.
 Ils sont partisans d’un politique de réindustrialisation et de suppression du chômage (à l’instar de ce qui existait de meilleur en Europe de l’Est socialiste).
 Ils soutiennent dans les syndicats ceux qui défendent un syndicalisme de lutte des classes et de combat.
 Ils pensent que le bilan du socialisme réel (en URSS, RDA, etc.) est « globalement positif », comme disait Georges Marchais.
 Ils sont patriotes, au sens du patriotisme populaire et de défense nationale, de l’an II de la Révolution (1793), de la Commune de Paris, et de la Résistance.
 Ils sont internationalistes, et cultivent des relations et des actions de solidarité avec des partis communistes, ouvriers, anti-impérialistes du monde entier.
 Ils restent anticolonialistes et opposés aux ingérences néocoloniales dans le monde africain ou musulman. La décolonisation est loin d’être terminée.
 Ils exigent la création immédiate d’un État palestinien complètement souverain à Gaza et dans les Territoires Occupés, y compris à Jérusalem Est.
 Ils sont opposés à toute alliance avec le parti dit "socialiste" et avec les "Verts", mais ils ne sont pas opposés à des alliances tactiques ou stratégiques avec des partenaires sociaux-démocrates, souverainistes, écologistes, gauchistes, s’ils sont, contrairement à ces deux exemples, animés par des cadres honnêtes et non des libéraux à faux-nez.
 Dans la situation actuelle, ils soutiennent Cuba socialiste, le Venezuela progressiste, la lutte des Ukrainiens russophones du Donbass contre le régime fasciste de Kiev, et l’armée nationale syrienne contre l’agression polymorphe terroriste-impérialiste que subit son pays. Ils s’opposent absolument aux projets de guerre contre l’Iran ou la Corée.

Il y a de nombreux militants qui peuvent se reconnaitre dans ce tableau, militants partagés entre plusieurs organisations, et notamment dans celles qui participent aux Assises du communisme, le réseau créé en juin 2013 à la rencontre nationale Gémenos, près de Marseille. Mais aussi dans d’autres formations, qu’elles soient maoïstes, ou issues du refus de la mutation du PCF, comme l’URCF ou "Communistes", ainsi que dans diverses organisations de base du PCF un peu partout en France.

Rester au PCF ?

Ceux qui militent encore aujourd’hui au PCF ont longtemps pensé que la solution simple à l’unité était dans l’adhésion ou la réadhésion au PCF, que les conditions objectives de la lutte des classes aboutiraient à réorienter correctement par une sorte d’inertie des forces structurelles. Mais il faut renoncer à cette idée qui ne résiste pas à plusieurs années d’expérience de pratique interne au PCF, dans les congrès successifs depuis sa "mutation" (2000, 2003, 2006, 2008, 2010, 2013).

Dans les élections, dans l’activité du Front de Gauche (et auparavant la campagne du « non » au TCE, victorieuse mais sabotée dès le soir du 29 mai 2005), dans les grandes mobilisations militantes (contre le CPE, contre la privatisation de la poste), les communistes bien trop souvent servent d’alibi à une évolution d’appareil carrément contraire à leurs aspirations, et de plus en plus clairement sont cantonnés dans un rôle de figuration aux côtés des sociaux-libéraux. Ils sont entrainés à leur corps défendant dans des débats de société concernant les mœurs, contreproductifs et anachroniques, qui tournent le dos à la lutte des classes.

On peut craindre que le PCF, en situation d’allégeance permanente envers le PS et les institutions européennes, assoiffé de respectabilité, dont l’activité se limite de plus en plus à la participation aux élections où il obtient des résultats de plus en plus faibles ne peut plus être le creuset de l’unité des communistes. Il a attaché sa survie, et celle de sa presse, aux institutions et aux subventions européennes. Sa direction, mais aussi sa base ne sont plus ni révolutionnaires ni socialistes. Ce qui reste de la culture communiste se résume à un suivisme légitimiste creux, qui recherche toujours l’assentiment des chefs avant d’émettre le moindre avis. Le signifiant "communiste" n’est pas le mot magique qui va transformer le plomb en or.

L’organisation la plus apte ?

L’unité pourrait-elle venir alors de la croissance d’un des nombreux groupes qui se proclame communiste ? Par un processus en quelque sorte darwinien, l’organisation la plus apte à survivre deviendrait graduellement hégémonique. Il faudrait alors adhérer à l’organisation que l’on préfère, sur les critères les plus contingents et les plus variables, et à espérer avoir fait le bon choix. C’est un peu ce qui s’est passé en Belgique, où le PTB a fini par sortir du lot. Reste à savoir à quoi exactement est adaptée l’organisation la plus apte : à l’opposition de sa majesté, ou à la préparation d’une nouvelle révolution ?

Un tel processus est toujours lent et pendant longtemps l’ennemi principalement combattu d’un groupe en bagarre pour l’hégémonie dans son propre courant ne serait pas le capital, ou son gouvernement, mais les autres groupes communistes concurrents dans la compétition pour occuper la niche idéologique convoitée. Sans parler des luttes de préséance et des fausses querelles des vrais égos. Le courant communiste n’est pas assez fort pour se payer le luxe d’ajouter les divisions aux divisions. Refonder un parti à partir de rien, en passant par pertes et profits un siècle et demi d’expérience historique accumulée, serait une forme de fuite, loin de la hauteur de l’enjeu.

Posons la vraie question : qu’attendons-nous pour nous réunir en un seul parti ?

Il y a des difficultés connues et classiques : pour s’unifier, il faut convenir de statuts, d’un programme (ce qui au semblerait assez facile) et d’une direction. Bien d’autres les ont résolus dans le passé, pourquoi pas nous ?

Dans le microcosme communiste français, il y a consensus pour ne pas revendiquer la place de "chef à plume". Fort bien. Mais il y a aussi un certain confort à se débrouiller pour n’avoir pas de chef, pas de direction responsable pour pouvoir continuer à s’écouter parler bien tranquillement dans des réunions prolongées autant qu’inutiles. Et à ne pas vouloir faire l’effort de sélectionner, comme l’ont fait Lénine en Russie et Gramsci en Italie un groupe dirigeant doté des qualités exceptionnelles que l’histoire exigera de lui. Et qui risquerait d’être moins tolérant avec les sempiternelles manifestations de l’amateurisme en politique.

Mais il y a encore un autre obstacle à lever : le poids écrasant de la défaite du socialisme à la fin des années 1980 n’est pas encore surmonté psychologiquement. Une intense propagande culpabilisatrice et mensongère a diabolisé l’idée même de révolution. La rupture de la continuité légale bourgeoise n’est même plus envisagée concrètement, et les organisations de masse baissent pavillon, ou se réfugient dans le maximalisme dogmatique dès qu’une perspective révolutionnaire se dessine. Et les militants communistes éparpillés sont marqués par une approche purement théorique, ou sentimentale, mais toujours essentiellement intellectuelle, avec une tendance au jargon ésotérique à usage interne. Des questions symboliques accessoires (par exemple la bataille dans le PCF pour conserver "les outils" faucille et marteau, ou la question du "nom du parti") prennent une importance démesurée dans des discussions qui tournent le dos au peuple.

Nous sommes fiers de l’histoire de l’URSS et du PCF de la grande époque, mais nous ne devons pas passer notre temps à la rabâcher. Nous devons employer un langage actuel et un style, à la portée des classes populaires et des jeunes. Et nous devons regarder en avant, extraire du passé ce qui peut parler aux masses aujourd’hui, et le leur dire dans leur langage d’aujourd’hui.

Rien ne justifie la dispersion des communistes

Donc, pour nous atteler à cette tâche qui ne sera pas réalisée sans peine nous devons évidemment nous unir dans un même parti ! Nous donner des tâches concrètes, raisonnables mais ambitieuses, et nous ouvrir largement au peuple de France, faire confiance aux masses, et attaquer le capitalisme à la racine, là où il ne s’y attend pas, dans une de ses métropoles. L’histoire ne demande qu’à reprendre en France, dans la patrie de la révolution, qui d’ailleurs à défaut de s’y engager disparaîtra purement et simplement dans le marécage euro-atlantique, avant le milieu du XXIe siècle.

GQ, 18 mars 2015, revu et discuté par Pasquale Noizet, Jean Lévy, Michel El Diablo, sur une idée de Jean Lévy

Voir en ligne : Sur le site Réveil communiste

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