Les digues ont sauté par Danielle Bleitrach

, par  Danielle Bleitrach , popularité : 2%

Il a beaucoup été question de “vagues” durant cette étrange campagne électorale, mais ce qu’il apparaît, c’est que face à la vague de la crise, toutes les digues politiques sont en train de sauter…

Restons dans le microcosme français qui pourtant n’a de sens que dans un contexte mondial et européen et contemplons stupéfaits, du moins pour certains d’entre nous, la manière dont le barrage qu’avait érigé avec un certain courage Jacques Chirac, a sauté, volé en éclat. Jacques Chirac avait institué un cordon sanitaire à l’intérieur de la droite, l’isolement du Front national, le remugle pétainiste qui remontait du vieux pays quel qu’en soit le prix électoral. Osons dire que celui qui avait ouvert les vannes par pure tactique politicienne avait été François Mitterrand, l’homme de toutes les ambiguïtés, celui qui s’était lui-même présenté comme la digue face à l’influence communiste.

A partir de ce moment nous avons vu se multiplier d’étranges manœuvres, la confusion la plus totale a régné et dans la dernière période, Internet a reflété cette imbrication des forces et des thèmes qui caractérise le simulacre révolutionnaire fasciste.

Sarkozy a tout fait pour favoriser cette confusion, pour assurer à sa classe, celle dont il a défendu les intérêts sans la moindre faille, une hégémonie totale au prix d’une terrible aggravation des conditions de vie de la majorité de la population française. Mais nous venons d’assister à l’ultime acte comparable à celui qui jadis en Allemagne a fait que les forces conservatrices "respectables" ont fait appel à un histrion plein de haine. Sarkozy a fait tomber le fragile cordon sanitaire que Chirac avait institué autour de l’extrême-droite pour répondre à la stratégie de Mitterrand : voter Front National était un vote inutile, un coup d’épée de rage dans l’eau, il est devenu, grâce à la volonté de Sarkozy d’occuper le terrain de l’extrême-droite, un vote d’adhésion ; la prochaine étape se dessine déjà, il sera dès les législatives un vote utile pour une droite en déshérence…

Nous avons donc la construction d’une nouvelle respectabilité du Front national, désormais devenu "compatible avec la République" et qui va peut-être changer de nom sans pour autant renoncer à la nébuleuse qui forme son socle. A la base, l’Histoire de France, la haine des "partageux", des impies de la Révolution française, monsieur Thiers nous protégeant des communards, le colonialisme, là-dessus ce vieux pétainisme qui saluait Montoire et livrait les juifs sans qu’on le lui demande et avait intériorisé le slogan "plutôt Hitler que le Front Populaire". Ces gens-là ont fait jonction avec toute une nébuleuse anti-impérialiste dans laquelle l’extrême-droite négationniste utilisait, instrumentalisait ce qui se passait en Israël-Palestine, dans tout le Moyen-Orient, pour ratisser large. Y compris dans les cercles du fondamentalisme fasciste islamiste et qui relayaient les thèmes du complot judéo-maçonnique, la haine des élites, du cosmopolitisme devenu mondialisation, rejoignant le négationnisme cher au père Le Pen. Rien n’était abandonné. Toutes les peurs, les haines sont recyclées de telle sorte que Marine Le Pen peut même recruter dans les milieux extrémistes sionistes, ceux à qui la haine des arabes tient lieu de stratégie alors même que les identitaires lyonnais pouvaient défiler avec des croix blanches et revendiquer à la fois Pétain et Fidel Castro, Chavez… Comme en Italie, Casapound revendiquait l’underground… Ne croyez pas qu’il s’agisse d’une nouveauté, ce qui a toujours caractérisé le fascisme et le nazisme est sa capacité à fédérer l’hétérogénéité et à parodier les Révolutions tout en utilisant au maximum une petite bourgeoisie prise de haine mais refusant tout changement véritable.

Donc Sarkozy ouvre les portes à toute cette haine, toute cette racaille et déclare qu’il n’y a plus de différence entre eux et la droite, celle à qui, aux lendemains de la deuxième guerre mondiale, De Gaulle avait offert une nouvelle respectabilité en effaçant les traces de toutes les collaborations, celles-ci avaient ressurgi à l’occasion des guerres coloniales, celle d’Algérie en particulier, mais De Gaulle avait étendu un pieux manteau sur ce qu’était cette France là, celle qui déjà avait préféré Hitler.

Et pour que le symbole de la réconciliation soit total, Sarkozy organise un premier mai pétainiste autour du "vrai travail". Le cynisme est tel qu’après une telle débâcle si elle est suivie d’une défaite électorale, l’UMP qui n’est plus qu’un appareil soumis à un tel chef sera dans sa majorité prête à toutes les aventures. C’est là-dessus que table la nouvelle "force" qui naîtra et qui aura – peut-être – le soutien patronal pour imposer une politique d’exploitation, de destruction des protections sociales dont le peuple français ne veut pas.

Jamais les camps n’auront été aussi confus en apparence, les anciens adversaires se rallient à la cause commune, celle de la recherche de boucs émissaires pour préserver les intérêts du capital. Le paradoxe est que jamais les oppositions n’ont plus été marquée par des choix de classe et jamais il y eut aussi peu d’expression politique de la lutte des classes et dévoiement vers les affrontements racistes de toutes sortes. Même lors de la montée d’Hitler, les forces conservatrices furent confrontées à un fort parti communiste allemand qui se battit jusqu’au bout ; en France il n’en est rien. Celui-ci avait déjà été réduit à sa plus simple expression groupusculaire et là encore on retrouve la stratégie de Mitterrand autant que les fautes et l’autodestruction des dirigeants communistes usant jusqu’au bout du légitimisme stalinien pour s’imposer. Le problème essentiel a été la manière dont l’organisation de masse du parti s’est peu à peu transformée en appareil électoral, dont avec la mutation, il a été coupé des couches populaires dans la quotidienneté et s’est appuyé sur un personnel politicien autour d’élus, la manière dont a été organisée la rupture avec le syndicalisme…

La campagne électorale de Mélenchon a eu le mérite d’utiliser au maximum la situation existante en mettant dans un homme de talent tribunicien, le soin de lui assurer un meilleur pourcentage et arriver à mobiliser ce qui restait d’organisation communiste. Opération réussie certes et qui ne doit pas être sous estimée, mais qu’en est-il exactement de la force de résistance au fascisme qu’a pu représenter dans d’autres temps le PCF ? Est-ce qu’une offensive vers les couches populaires, vers les jeunes est possible ou s’agit-il d’un dernier baroud d’honneur sans lendemain faute d’organisation, faute d’avoir su remobiliser autour des enjeux de classe et pas seulement dans une lutte de valeurs autour du Front national faisant monter le vote utile ?

C’est la question que je ne cesse de poser… Et à laquelle je n’obtiens aucune réponse.

Mais nous sommes dans un processus, les digues ont sauté. Que faire ?

D’abord il ne doit pas manquer une voix à François Hollande. la campagne de Mélenchon n’a que trop joué avec les rancœurs des militants communistes, voire de certains socialistes déçus. Pour mieux aboutir à cet appel sans exigence, on se croirait devant la stratégie habituelle des trotskistes. C’est sans doute une erreur, mais il faut faire avec et reconstruire une vision politique au-delà des pulsions et des rancunes. Oui il est vrai, comme je viens de le décrire, que Mitterrand porte une lourde responsabilité dans la situation actuelle, et pas seulement pour avoir fait monter le Front national et détruit le PCF, mais parce que sa politique de "nationalisations"- privatisations a inauguré une nouvelle classe de capitalistes qui aujourd’hui est derrière Sarkozy, un capitalisme financier.

La seule chose que j’attende de Hollande n’est pas la Révolution mais bien d’abord le retour à la digue chiraquienne radicale, un certain légalisme, le refus des aventures bellicistes et surtout le fait que son élection est gonflée désormais du rejet de ce que représente ce Sarkozy allié de l’extrême-droite, porteur de toutes nos peurs et nos haines.

L’élection de Hollande ne résoudra rien et il faudra dès maintenant donner à notre choix un sens de lutte et de construction d’un autre avenir. Pourtant ce choix est essentiel parce qu’il marque une volonté de rupture avec la haine et la peur. Il est insuffisant parce que, qui parle du fascisme sans montrer son fondement capitaliste, sa volonté de renforcer l’exploitation, ne dit rien, mais il est un préalable. Je ne sais pas encore qui sera apte à reconstituer une résistance à la hauteur des enjeux, mais je sais qui il faut combattre, dénoncer et surtout ne pas manifester la moindre complaisance face à l’hydre fasciste, jamais terme fut plus approprié, nous sommes effectivement devant un monstre à plusieurs têtes.

On ne comprend pas le fascisme, on le combat en éradiquant ses causes et en affrontant quel qu’en soit le prix ceux qui l’ont choisi.

Danielle Bleitrach

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