Les communistes français ont suivi avec beaucoup d’intérêt la situation de la Grèce depuis l’arrivée au pouvoir de Syriza. Si l’on connaissait les critiques du KKE par rapport à Syriza, il n’en est pas moins vrai que l’arrivée au pouvoir d’une force politique se réclamant de la gauche de rupture à la tête d’un pays épuisé par des années de politique d’austérité, constituait une expérience politique intéressante sur laquelle il fallait se garder de tout à priori et porter un regard communiste solidaire des luttes de ce peuple.
Le référendum du 5 juillet en Grèce, son résultat sans appel – 61% de votes hostiles aux politiques d’austérité que voulait imposer l’Union européenne – permettait à Alexis Tsipras d’être en position de force face aux créanciers de la Grèce. Or, Syriza a signé un accord léonin qui foule aux pieds la souveraineté du peuple grec.
Tout en étant d’accord avec les constats sur la « brutalité de la méthode » de l’Eurogroupe et de la BCE, sur la pression politique et financière exercée à l’encontre de la Grèce, et sur les « violations extrêmement graves de la souveraineté du pays », nous ne partageons pas de nombreuses autres affirmations de la note de la direction. Nous souhaitons, par les questionnements qui suivent, ouvrir le débat et la réflexion collective sur des questions jusqu’ici balayées d’un revers de main lors de nos conseils nationaux, à savoir l’appréciation que nous portons sur l’Union européenne au stade actuel de la crise, sur le rôle de la monnaie unique, sur la pertinence d’une sortie progressiste de la zone euro, sans nous interdire de poser la question de la nature de l’Union européenne.
Que nous le voulions ou non, la crise grecque a lancé ce débat au sein des formations politiques françaises, dans les milieux intellectuels et universitaires, mais aussi chez les salariés et dans les milieux populaires.
Refuser d’aborder le débat, nous replier sur le postulat que seule l’extrême droite conteste l’euro et l’Union européenne, serait suicidaire à l’heure où la contestation de la construction européenne est partagée par une fraction toujours plus importante de la population. Pire, laisser la contestation de l’UE à l’extrême droite est une erreur politique qui pourrait se révéler lourde de conséquences.
Alors que faire ? Rester dans la posture que nous avons adoptée au début des années 90, à savoir que l’UE est une construction démocratique que l’on peut réorienter de l’intérieur ? Ou l’analyser pour ce qu’elle est, à savoir un outil de domination du capitalisme contre les peuples, une superstructure politique dont les dirigeants n’hésitent pas à broyer la souveraineté populaire lorsqu’elle ne va pas dans le sens qui leur convient ?
Premier constat largement partagé, l’accord signé entre la Grèce et ses créanciers ne règle rien sur le fonds. Certes, Alexis Tsipras a obtenu l’engagement du déblocage de nouveaux crédits, ce qui évite pour le moment à la Grèce de quitter la zone euro.
Mais plusieurs questions se posent suite à cet accord.
1 - Sur l’appréciation de la situation politique en Grèce :
• les Grecs, qui ont voté en connaissance de cause le refus de nouveaux plans d’austérité, vont-ils accepter les "réformes" imposées par l’UE, dont tout le monde s’accorde à penser qu’elles vont aggraver la situation déjà dramatique des couches les plus précaires de la société ?
• en politique intérieure, Tsipras a fait passer les nouvelles mesures d’austérité avec les voix de l’opposition. Quel crédit politique a-t-il à l’issue de cette séquence ?
• au sein de Syriza, le CC a voté majoritairement contre l’accord et les mesures qui l’accompagnaient. A la Chambre, l’unité de Syriza s’est fissurée puisque 30 députés ont refusé de voter en faveur de l’accord. Et pour faire bonne mesure, Tsipras a chassé du gouvernement plusieurs ministres contestataires. Comment Syriza peut-elle concilier ces contradictions ? A-t-elle la capacité à surmonter ses divisions internes ?
• pourquoi les positions du KKE et du mouvement syndical ne sont-elles pas prises en compte dans notre analyse ?
2 - Sur l’accord lui-même
Le « renflouement » de la Grèce par de l’argent prêté par la BCE et le FMI règle-t-il quoi que ce soit sur le long terme ? Tout le monde fait le même constat : non. Il va seulement approfondir l’endettement de l’État grec, et sa dépendance à l’égard des bailleurs de fonds. Tout cela pour rester au sein de la zone euro.
• le jeu en vaut-il la chandelle ? Sans se substituer à Syriza, pourquoi n’avons-nous pas d’appréciation sur cette question ?
• Varoufakis a expliqué publiquement que ses désaccords avec Tsipras portaient sur le manque de préparation d’un scénario alternatif en cas d’impossibilité à trouver un accord. Ce fameux « plan B » aurait nécessité de préparer la sortie de la Grèce de la zone euro. Si le ministre des finances lui-même a exploré cette possibilité et y était favorable, pourquoi la sortie de l’euro de la Grèce n’est-elle présentée que comme l’option jusqu’au-boutiste allemande ? N’est-ce pas la sous-évaluation de l’intransigeance de l’UE et le manque de préparation d’une sortie éventuelle de la zone euro dans des conditions correctes qui a fait que Tsipras a accepté le diktat de l’UE ?
• la mise sous tutelle de la Grèce par l’imposition de deux mesures qui s’attaquent directement à sa souveraineté – l’obligation de soumettre à l’UE toute réforme avant qu’elle soit présentée au Parlement grec, et la création d’un fonds alimenté par la privatisation des actifs publics directement soumis à la gestion de l’UE – ne sont-ils pas l’expression d’un véritable diktat, révélateur de la nature réelle de l’UE ?
3 - Sur le rôle de la France
La France a pesé de tout son poids pour soumettre la Grèce aux exigences de l’UE.
• nos réactions face à la posture de François Hollande ont-elles été à la hauteur de la situation ? Ne devrions-nous pas montrer la cohérence entre la politique européenne de François Hollande et celle qu’il mène en France ? Pourquoi ne pas faire le lien entre l’austérité imposée en France au nom du redressement des comptes publics et la politique de l’UE, menée dans toute sa logique implacable, face à la Grèce ?
• comment expliquer les cafouillages dans notre expression publique entre le « soutien à Syriza » et la tentation d’un vote en faveur de l’accord avec la Grèce ?
4 - Sur les conséquences politiques dans et hors de Grèce
L’arrivée de Syriza a été unanimement saluée en Europe par la majorité de forces progressistes européennes comme un événement positif. Tsipras avait promis durant sa campagne électorale que s’il était élu, il s’opposerait à de nouveaux plans d’austérité. A peine arrivé aux affaires, il cède face à l’UE et fait passer aux forceps des mesures antisociales d’une exceptionnelle gravité. Le message délivré par l’épisode que nous venons de vivre renforce la démoralisation et la démobilisation.
• dans les pays européens, cette séquence politique démontre l’incapacité des forces progressistes à respecter leurs engagements et à mener les politiques pour lesquelles elles ont été élues. N’est-ce pas la porte ouverte à un recours à l’extrême droite, surtout si le discours que nous portons sur ce qui vient de se passer se limite à défendre la réorientation de l’EU en « Europe sociale » ?
• le poids de l’OTAN n’est pas abordé. Cette question est en arrière-plan de par le rôle de la Grèce dans cette coalition. Qui plus est, il y a quelques semaines, un accord a été conclu entre la Grèce et l’OTAN sur l’implantation d’une nouvelle base de l’OTAN en Grèce, et ces derniers jours l’accord entre la Grèce et Israël pour des manœuvres militaires communes. Quel rôle ont joué les États-Unis dans les négociations entre l’UE et la Grèce ?
5 - Sur les perspectives
La note du CEN nous engage à renforcer la lutte contre l’austérité. Ces dernières semaines nous invitent à réfléchir aux conditions d’efficacité de cette bataille. Comment peut-on lutter contre l’austérité si on considère que la construction européenne est plus importante encore et que les luttes contre l’austérité doivent s’y soumettre ? Au degré de crise actuel du capitalisme, l’austérité est une des solutions mises en œuvre pour maintenir les taux de profit du capitalisme. L’expérience grecque témoigne qu’on ne peut pas à la fois combattre l’austérité et s’inscrire dans les règles de l’euro.
• la proposition de « refonder l’Europe » est totalement coupée du contexte. Comment peut-on proposer une telle perspective politique quand on voit que la souveraineté d’un peuple qui s’exprime à plus de 60% contre une politique voulue par l’UE est foulée aux pieds ? Sur quelles forces politiques s’appuyer au sein du Parlement européen par exemple, pour y parvenir (si tant est que le Parlement européen soit autre chose qu’une simple chambre d’enregistrement) ?
• la proposition de la création d’un « fonds européen destiné au développement des services publics et de l’emploi dans les pays membres » est-elle autre chose qu’un vœu pieux ? Quand on réalise la violence de l’appropriation des biens publics grecs organisée par la troika au profit de puissances privées ou publiques européennes, qui peut encore croire à une politique européenne de l’intérêt général ?
Conclusion
Après Chypre, ce qui s’est passé avec la Grèce ces dernières semaines démontre que l’Union européenne est une machine de guerre en faveur du capitalisme contre les peuples. Affirmer que l’on peut réorienter la construction européenne, après une telle démonstration de force de l’Eurogroupe est une position difficilement tenable, pour ne pas dire sans aucune crédibilité.
Ne confondons pas la nécessaire coopération entre les peuples et des Etats souverains avec ce qui n’est ni plus ni moins que l’expression sans fard d’une forme à peine atténuée de dictature.
L’UE vient de nous démontrer qu’elle ne laissera aucune marge de manœuvre aux « forces anti-austérité ». Et même si les plus lucides affirment que la dette n’est pas soutenable et qu’il faudra bien, peu ou prou, tirer un trait sur une partie de la dette, nous ne pouvons pas ignorer que cela se fera au détriment d’un peuple qui a déjà beaucoup souffert. Après la Grèce, l’UE ne s’arrêtera pas. Ses dirigeants viennent de faire un exemple. Ils poursuivront dans les mêmes termes partout ailleurs.
A moins que... A moins qu’il y ait une véritable révolte populaire pour les faire reculer. A moins que certains pays, mesurant les avantages comparés du maintien dans la zone euro et d’une sortie, ne viennent gripper la machine. A moins que des forces politiques véritablement progressistes, des forces de rupture avec le système, en un mot des forces communistes ne se lèvent.
Pour le moment, les propositions qui sont faites par la direction du PCF, si louables soient-elles, sont loin de ces enjeux.
Réfléchissons collectivement, nous les communistes, pour envisager la rupture avec les logiques austéritaires européennes, même si cela conduit à une sortie progressiste de la zone euro et de l’UE, et la reconquête de la souveraineté populaire, débat actuellement refusé. Si nous, les communistes, ne nous emparons pas de ces questions centrales pour leur donner une réponse et une perspective politique, nous prenons la responsabilité de les laisser à l’extrême droite. Prenons nos responsabilités.
Le réseau "Faire vivre et renforcer le PCF"
Le 28 juillet 2015