1) La crise politique que traverse la France n’est pas spécifiquement française, elle est le développement dans les conditions spécifiques de la France de la crise internationale de l’impérialisme globalisé dominant. La crispation de Macron au pouvoir est le pendant d’une crispation plus générale de cet impérialisme qui se sent menacé. Cette crispation est donc comparable au refus absolu de négocier avec la Russie l’arrêt de l’extension vers l’Est de l’Otan, au refus de négocier la création d’un État Palestinien, qui sont les causes fondamentales des deux principales guerres actuelles, dans lesquelles l’impérialisme jette de manière de plus en plus directe et massive ses forces.
2) Le PCF a analysé, avec justesse dès les années 1970, la crise du capitalisme comme découlant de la loi générale de la baisse tendancielle du taux de profit et la politique néo-libérale (et néo-coloniale) dans leurs diverses dimensions, comme une dernière tentative pour circonvenir cette crise. Cette politique a rencontré ses limites internes et externes à partir de 2008, et l’élite impérialiste globalisée est engagée depuis dans une fuite en avant guerrière et fascisante pour se maintenir. Cette fuite en avant ne cesse de s’accélérer, d’approfondir et d’élargir la crise qu’elle prétend résoudre. Cette crise fondamentale domine et accélère toutes les autres (crise environnementale, résurgences des discriminations sexistes, racistes...), le capitalisme entraînant le monde avec lui dans sa chute.
3) En tant que marxistes, nous savons que la classe dominante ne lâche jamais réellement le pouvoir avant d’avoir épuisé tous les leviers possibles, légaux et illégaux si nécessaires pour le conserver et que la classe dominante se considère toujours comme plus ou moins au dessus des lois, faites avant tout pour assurer sa domination. Nous ne sommes donc en rien surpris par la situation actuelle, qui va nécessairement continuer à se développer dans les mêmes directions, avec notamment la montée en puissance de la solution fascisante et guerrière au sein des classes dominantes.
4) La crise internationale du capitalisme atteint désormais le seuil où la puissance dominante, les USA, dévore désormais ses plus proches alliés et les jette dans le feu. Ayant perdu en grande partie l’indispensable gaz bon marché en provenance de la Russie, l’Allemagne est à son tour touchée par la désindustrialisation. A ce niveau de crise, ce qui paraissait hier intangible ou sacré (les constitutions, les états, les frontières...) peut être abandonné quasiment du jour au lendemain dès lors que la situation l’exige. L’UE elle-même saisit chaque étape pour sortir du cadre jugé trop contraignant des traités et s’attribuer sans aucun contrôle de nouvelles compétences. Ainsi, la crise du Covid a servi de prétexte à placer sous la responsabilité directe de la commission les achats de vaccins. La guerre ukrainienne a servi de prétexte pour que la commission gère désormais les achats de gaz et créée la Facilité Européenne pour la Paix, qui n’est rien d’autre qu’un budget militaire commun, totalement hors traité, géré directement par le cercle le plus étroit du pouvoir bruxellois, en lien direct avec l’OTAN. A chaque fois, des dizaines de milliards sont en jeu, transféré directement des budgets des ministères nationaux à des structures opaques, sans réel contrôle démocratique et parlementaire. Dans ces conditions, la question du maintien de la France (et de chaque nation) dans l’UE devient une question concrète et pressante de sauvegarde de la souveraineté nationale et donc de la démocratie.
5) Les spécificités de la France dans ce schéma assez général se sont nouées dans son histoire et sa géographie. La grande bourgeoisie française a choisi dès 1947, face à la forte implantation communiste dans notre pays, d’abandonner progressivement la souveraineté nationale pour se placer sous la protection militaire, politique et économique des USA. Cette situation historique de la France explique d’une part, la résistance plus forte que d’autre pays à la politique néo-libérale, mais aussi la désindustrialisation et les attaques plus fortes que nous avons subi. D’emblée, priorité à été donnée à l’industrie allemande sur l’industrie française et des moyens considérables ont été mis en place pour affaiblir et réduire l’influence communiste dans notre pays. Ce choix du plan Marshall, de l’OTAN et de la CECA n’a cessé de s’accentuer depuis : Acte Unique Européen, traité de Maastricht et perte de la souveraineté monétaire, retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN, accord d’association entre l’OTAN et l’UE. Et de manière toute aussi constante, la France a été la sacrifiée de l’UE dans les choix industriels.
6) La situation politique française est déterminée a) par la tentative Mitterrandienne de constituer une « gauche » réformiste acceptable pour le capital et les USA, de marginaliser le PCF et b) par la crise de cette gauche qui se développe depuis 40 ans. Une fois parvenue au pouvoir, cette gauche réformiste a dû appliquer la politique néo-libérale décidée à Washington, qui était le contraire de son programme. Cela a eu deux principales conséquences politiques : 1) la désindustrialisation massive, qui a détruit les bases de l’influence communiste et - dans un premier temps - renforcé l’influence réformiste, 2) la crise de la petite-bourgeoisie, base du PS, progressivement touchée et prolétarisée (notamment les jeunes générations) par cette politique, ce qui a engendré la crise actuelle de la social-démocratie, les scissions multiples de ce courant et la confusion actuelle. Le PCF a subi dans cette longue et difficile période une double attaque, matérielle par la destruction de ses principales bases dans la classe ouvrière et idéologique par le développement en son sein de l’influence réformiste, dont l’apogée fut la « mutation » de Robert Hue. Cela aurait pu mener à la destruction pure et simple du parti, comme en Italie.
7) Le PCF a mené plusieurs étapes en vue de son redressement, mais reste encore dans un positionnement contradictoire, dans le souci compréhensible de maintenir ses positions, son groupe parlementaire (ce qu’il en reste), sa visibilité médiatique. Pour cela, nous nous sommes obligés à rester globalement dans la place de partenaire minoritaire et loyal de cette gauche. Nous nous sommes empêchés de tracer, pour les classes populaires et les classes moyennes en crise, une nouvelle voie, la seule voie de solution possible, cette du renversement du capitalisme et de la transition vers une société socialiste. Nous nous sommes empêchés surtout de répondre avec cohérence aux attentes et à la colère de millions de travailleurs, qui considèrent (non sans raison) que la « gauche » réformiste les a trahi. Par exemple, la tentative de campagne autonome du Parti pour la présidentielle de 2022 avait suscité un large intérêt, autour de la perspective d’un parti communiste retrouvé et du programme des Jours Heureux, mais la conclusion de l’accord de la NUPES sitôt après a complètement brouillé ce message.
8) Alors que faire ? Il y a toujours place et nécessité de s’unir pour résister aux attaques du capital, pour mener les luttes sur le terrain, au quotidien et pourquoi pas, pour commencer à créer des dynamiques d’action plus larges. L’unité d’action doit avoir un contenu et un objectif précis, contrôlable et s’accompagner dans notre propagande d’une mise en perspective correcte des enjeux et des limites. Il s’agit d’entreprendre de sortir les classes populaires de l’impasse du réformisme en faillite, de reformuler la perspective du socialisme dans les conditions de la France au 21e siècle. Il s’agit de dire la vérité avec clarté sur les causes réelles des crises, des guerres et de la montée du fascisme que nous traversons. Dans les circonstances actuelles, il n’existe pas de formule magique de gouvernement, pas de raccourci à la construction patiente de la conscience et de l’unité des classes travailleuses, ouvriers, employés, techniciens et professions intermédiaires, autour d’un programme de rupture avec le capitalisme et de construction des bases socialistes. Le parti communiste, fort de son histoire, de ses traditions, de son implantation, malgré tout ce qu’il a subi et son affaiblissement quantitatif et qualitatif, a un rôle indispensable à jouer dans ce processus de construction. Pour cela, il doit préserver son autonomie et sa liberté de parole, sa liberté d’aller au devant des travailleurs, que ce soit sur les lieux de travail, les quartiers, les villes et les villages et au cours des élections.
9) Inversement, la nécessaire mise en avant de l’autonomie du parti n’a de sens que si nous faisons le travail nécessaire d’auto-critique de nos dernières décennies, le travail de nettoyage de l’influence réformiste et électoraliste, et si nous mettons à jour par rapport à la profondeur de la crise actuelle du capitalisme notre compréhension de la situation actuelle et des tâches qui en découlent. La campagne des dernières élections européennes a montré cette difficulté : campagne autonome, avec un bon candidat, mais orientations politiques floues et manque de ligne directrice, du fait d’une non remise en question par exemple de notre analyse de l’UE. La politique claire et dure du capital renvoie aux calendes grecques la perspective d’un gouvernement réformiste du NFP. Il s’agit maintenant de bâtir les conditions de la résistance. Le PCF peut garder une approche ouverte et unifiante par rapport à toutes les couches sociales prêtes à entrer en lutte. Mais sa priorité doit être de se réimplanter dans le monde du travail, dans les catégories les plus populaires, chez les prolos, chez ceux qui n’ont déjà plus rien à perdre dans une lutte difficile. Cette réimplantation ne peut se faire que par un double travail politique et organisationnel, portant sur le contenu de ce que nous disons, la manière et les outils avec lesquels nous le disons et l’organisation pour les mettre en œuvre, avec une priorité financière et organisationnelle (permanents, investissements) claire. Un immense travail nous attend. Mais les perspectives d’un changement global des rapports de force mondiaux sont là. Le monde change. L’impérialisme est prêt à vaciller. La France, forte de son histoire, de ses traditions, et aussi de sa jeunesse, a toute sa place à prendre dans ces changements pour construire les jours heureux.