« Nous vivons une situation révolutionnaire ! »

, par  Pascal Brula , popularité : 100%

Rassurez-vous, ce titre est une boutade, mais mon expérience de militant me la remet souvent en tête. Je vous explique...

Au milieu des années soixante dix, le rapport de force n’était pas le même qu’aujourd’hui ; étudiants, nous nous mettions régulièrement en grève pour combattre la sélection sociale, améliorer nos conditions d’études, ainsi que pour sauvegarder l’accès à l’université, encore relativement démocratique à l’époque. Cette année-là, 1976 je crois, le mouvement battait son plein : une AG par jour, plus une coordination nationale tous les dix ou quinze jours. Les étudiants communistes étaient relativement bien implantés et tenaient une des deux UNEF que R.Hue livrera bien plus tard, sans conditions, ni décision démocratique de ses adhérents, au PS. L’autre UNEF était tenue par les trotskistes de l’OCI - AJS, les lambertistes auxquels appartenait Mélenchon [1].

Notre adversaire principal était bien sûr le gouvernement giscardien représentant les intérêts du capital, mais les trotskistes étaient la cinquième colonne dans les rangs étudiants. Leur anticommunisme haineux et violent en faisait l’équivalent d’une sorte de secte fascisante dont il fallait toujours se méfier.

Mais revenons à 1976. En marge d’une coordination nationale du mouvement, qui se tenait à Bron en banlieue lyonnaise, j’avais surpris l’interview d’un gauchiste de l’OCI et ses propos me sont restés gravés : « Nous vivons une situation révolutionnaire ! » disait-il au journaliste. Alors que la majorité des étudiants mettait en avant leurs revendications syndicales, ce qui était un facteur de rassemblement et de force que nous, communistes, nous attachions à construire, les gauchistes pensaient, eux, faire la "révolution". Cette attitude, typiquement petite-bourgeoise, m’était apparu tellement cocasse et ridicule, tellement en décalage, que cette phrase est restée ancrée en moi comme une leçon politique. J’avais eu la confirmation que le gauchisme était bien la maladie infantile du communisme. Par la suite, la majeure partie de ces trotskistes se retrouvera au PS, mais plutôt au service de la "contre-révolution" ; l’un d’eux en a même été élu secrétaire national, JC Cambadelis.

Et ce que nous vivons aujourd’hui avec le NFP (Nouveau Front Populaire) ressemble comme deux gouttes d’eau à un tel déni de réalité. Pour tout communiste qui se respecte, tout au long de sa vie militante, la société qui fait l’objet de notre combat, le socialisme et comment y parvenir, a été discutée, disséquée, argumentée, entre militants à tous les niveaux d’organisation du parti, et même et surtout, en tête à tête, entre camarades autour d’un verre ; enfin ça, c’était hier… Parce qu’aujourd’hui, et depuis au moins trente ans, on n’en parle plus, et pour cause. Il y a maintenant une "visée communiste", une sorte d’horizon assez vague, pas ou peu défini, et entre, il y a tout ce qu’on veut ou qu’on peut : « l’évolution révolutionnaire ». Ce concept, qui est un vieux concept réformiste, symbolise une sorte de capitulation devant le capitalisme qu’il suffirait de gérer à la petite semaine avec quelques strapontins dans un gouvernement social-démocrate, comme par exemple avec le ministère des sports dans le gouvernement Jospin… et puis après, cela se fera tout seul !

La manière actuelle de s’investir dans cette bataille puérile pour le poste de 1er ministre est une conséquence de cet électoralisme du parti poussé à son paroxysme ("crétinisme parlementaire" disait Marx) et du déni de la réalité du rapport de force dans le pays. Rendez-vous compte : j’ai reçu un message de la fédération du Rhône, m’invitant à participer ce jeudi 18 juillet à un rassemblement devant la préfecture « pour exiger le respect des urnes » ! Cette armée mexicaine qu’est le NFP, s’est-elle rendu compte que le 1er parti de France était le RN et que respecter le verdict des urnes revenait à lui donner le pouvoir ? Ce fameux NFP a même « mis solennellement en garde le président de la République contre toute tentative de détournement des institutions » ! De quelles institutions s’agit-il ? Des institutions bourgeoises ! « Macron doit nous laisser gouverner » tempête Fabien Roussel : mais il rêve ! Pense-t-il que le capitalisme va lui céder sur un claquement de doigts ? On a l’impression que tout ce qui avait été difficilement gagné et décidé aux 38ème et 39ème congrès, comme par exemple de reconstruire marche par marche le parti avec la volonté de l’ancrer de nouveau dans les entreprises ou encore d’inscrire la référence à Marx dans les statuts avec l’espoir de réinstaller une conscience de classe chez les travailleurs, vient de s’effondrer comme un château de carte après cet épisode électoraliste. Comment peut-on penser qu’avec 19% des inscrits au 1er tour [2], nous pourrions exiger quoique ce soit ; il y a un vrai problème de conception de la société que nous voulons : suffit-il d’appuyer sur un bouton électoral ? ou doit-on construire un rassemblement majoritaire et conscient du peuple de France pour participer activement au renversement de la société capitaliste ?

Alors que la gauche est tiraillée par ses différentes composantes et qu’elle est dans une période d’étiage, cette démarche est incompréhensible et catastrophique. Le NFP montre aux yeux de tous qu’il est incapable de se rendre compte de la gravité de la situation. D’autant plus qu’il y a un point majeur d’achoppement dans son programme : la soumission à l’OTAN avec cette volonté de continuer à armer l’Ukraine, alors qu’il s’agit d’une des sources majeures de l’inflation et de la crise énergétique, et que cela peut nous entrainer dans une troisième guerre mondiale. De tout cela, les français ne sont pas dupes, et notre parti, en se fondant de manière régressive dans cette masse social-démocrate, ne peut que continuer à y perdre des plumes.

Enfin, cette référence au Front Populaire n’a aucun sens. En 1936, le Front Populaire a pu avoir lieu grâce à la dynamique du PCF contre les forces réformistes. Et ce sont les grèves ouvrières lancées avant la constitution du gouvernement du Front populaire qui ont imposé les accords de Matignon, l’instauration des congés payés et la semaine des 40 heures. Aujourd’hui, ce sont les forces réformistes, dans lesquelles le PCF cherche à se fondre, qui se disputent un morceau de gâteau électoral minoritaire pour lequel il n’y a aucune dynamique sociale. Et rappelons-nous qu’un an après 1936, en février 1937, Blum agitait déjà le drapeau blanc aux forces capitalistes, en mettant un coup d’arrêt aux réformes en faveur des travailleurs. Ne parlons pas de la suite qui a vu l’interdiction du parti communiste et l’envoi de ses députés en prison…

La seule solution est de repartir à la bataille en interne. Appuyons-nous sur les décisions du dernier congrès, notamment notre volonté d’organiser la lutte de classe dans les entreprises, de combattre l’OTAN et d’en faire sortir la France, ainsi que de lancer le débat sur la société que nous voulons, en retrouvant notre place aux côtés des autres partis communistes, en mettant en avant le socialisme aux couleurs de la France.

Pascal Brula

[1Leur UNEF était même subventionnés par le gouvernement giscardien, alors que nous ne l’étions pas.

[2Le second tour ne compte pas, car sont inclus des suffrages de tous bords pour barrer la route au RN.

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