Mariage homosexuel : constats sociologiques et choix politiques - par Pierre Baracca, docteur en sociologie, chercheur au CERLIS (Paris 5-3)

, par  auteurs à lire , popularité : 2%

Qu’il existe mille et une formes de la famille à l’échelle de la planète et de l’histoire n’a pas de quoi étonner un sociologue ou un historien. « L’humanité n’a cessé d’inventer de nouvelles formes de mariage et de descendance », vient de rappeler l’anthropologue Maurice Godelier [1].

Légaliser le mariage homosexuel participe à cette inventivité humaine et introduira un nouveau type de famille dans le Code civil français. Mais ce projet fait débat. Deux argumentaires s’affrontent. Les « pro » s’appuient sur « le principe d’égalité » pour « le mariage pour tous » et les « anti » avancent la dérégulation d’une institution ouvrant à des revendications ultérieures comme la légalisation de la polygamie, voire de l’inceste. Les « pro » parlent de fantasmes. Les « anti » crient à l’apprenti sorcier. Pour sortir des polémiques émotionnelles, il est nécessaire de cerner les notions en circulation.

La polémique dépasse le poids statistique des homosexuels.

Selon l’Enquête INSERM-INED sur la « Sexualité en France » (2006) [2], « 4,0% des femmes et 4,1% des hommes de 18 à 69 ans déclarent avoir déjà eu des pratiques sexuelles avec un partenaire du même sexe » et « seuls 0,3% des femmes et des hommes n’ont eu au cours de leur vie que des pratiques sexuelles avec des personnes du même sexe » [3]. C’est au sein de ces 0,3%, environ 160.000 personnes [4], que se pose donc la question du mariage. Ce pourcentage ne devrait pas générer une telle effervescence. Sauf si un autre constat de l’enquête est pris en considération : la préférence homosexuelle n’est pas répartie de façon homogène sur le territoire français, mais concerne davantage des personnes habitant l’agglomération parisienne et ayant un niveau d’étude supérieur à Bac+2. Ce constat invite à le corréler à d’autres disparités du territoire français. En effet ce n’est qu’en croisant la variable « vie sexuelle » avec celles du niveau de formation, du rapport au religieux, de la situation socio-économique, du lieu d’habitat, de la ségrégation culturelle inter- et intra-urbaine [5], de l’histoire locale, de la préférence politique, qu’il devient possible de comprendre la construction des regards sur la famille homosexuelle, donc les fractures sociales et géographiques qui en découlent ainsi que les réactions contradictoires.

Pourquoi cette émotion autour de la famille traditionnelle ?

Parce que la légalisation du mariage entre des personnes de même sexe touche à la forme plurimillénaire de la famille monogame hétérosexuelle (H+F), qu’elle soit en union légale (mariage) ou en union libre (concubinage) et que la famille soit nucléaire (couple avec ou sans enfants), recomposée ou monoparentale (divorce ou non).

Cette famille monogame hétérosexuelle n’est pas une invention des religions chrétiennes, mais leur préexistait dans les sociétés romaines, grecques et, d’une façon générale, chez les Indo-Européens. La déchristianisation avec ses 33% d’incroyants n’a pas signifié pour autant le dépérissement de la structure monogamique hétérosexuelle en France puisqu’il y a 96% d’hétérosexuels. On constate ainsi que l’adhésion à ce type de famille peut se déconnecter de sa justification religieuse. D’où le rejet de la famille monogame homosexuelle par des athées de gauche non homophobes. On peut toujours les stigmatiser en disant que chaque individu véhicule du « vieil homme en lui » (Durkheim), subit du « passé agi agissant » (Bourdieu) ou que ce sont des « athées de culture chrétienne » (Comte-Sponville). Ou en les qualifiant de 2
réactionnaires. Mais peut-on traiter aussi simplement la socialisation de l’individu et l’intime symbolique pour voter une loi ?

La question de « l’égalité pour tous »

Les défenseurs du « mariage pour tous » postulent que les couples homosexuels ont droit d’avoir des droits qui sont en fait les mêmes droits que tous les citoyens et que c’est cela le principe d’égalité. L’argument de « l’égalité pour tous » mérite un détour de réflexion. Est-il judicieux ? En effet qu’est-ce que l’égalité pour tous ? Depuis la Révolution, les citoyens français sont égaux en droits, ce qui signifie qu’ils sont égaux devant les lois. Cela ne signifie nullement que toute revendication se trouve à égalité avec une autre. Si tel était le cas, cela signifierait-il qu’il suffirait de vouloir pour avoir le droit et qu’il suffirait de s’organiser en communauté pour revendiquer et obtenir une légalisation de la revendication ? Si oui, d’autres modifications du Code civil semblent concevables. En vertu de quel principe pourrait-on alors refuser la demande de mariage à trois ? En érigeant en tabou le nombre « 2 » constitutif de la famille monogame hétérosexuelle ou homosexuelle ?

La polygamie, un fantasme ?

Il existe en France des familles polygames hétérosexuelles, bien que proscrites par la loi (article 147 du Code civil) : ce sont des familles polygyniques (H+F+F+F…). Combien sont-elles ? En 1992, l’INED les a évaluées à 8 000, soit 90 000 personnes concernées (11 à 12 personnes par famille). C’est la résultante de conventions autorisant la polygamie dans l’hexagone, signées entre 1965 et 1990 par la France et 13 pays (cf. la Caisse Nationale de l’Assurance Vieillesse [6]). La loi Pasqua de 1993 y a mis fin.

Toutefois, en novembre 2009, Sonia Imloul [7] a rédigé une note sur la polygamie pour l’Institut Montaigne [8] en y incluant l’estimation de la Commission nationale consultative des Droits de l’Homme (2006) : 16 à 20 000 familles, soit 200 000 personnes. Faute d’enquête, il est difficile de savoir si l’incitation à la « décohabitation » pour le régime monogamique a réellement atteint son objectif : éradiquer la polygamie en France. Par ailleurs, comment appréhender l’impact sociétal du bouddhisme qui admet le mariage monogame, polygynique ou polyandrique (F+H+H+…), comme le mentionne le site du Centre bouddhiste Titratna de Paris [9] ? Or, selon l’Union bouddhiste de France, 770.000 personnes, dont les 3/4 sont d’origine asiatique, se réclament du bouddhisme en France. Pour l’enquête TNS-Sofres (mars 2007), ce serait 1% de la population française âgée de 15 ans et plus, soit quelque 600 000 personnes.

L’insuffisance de l’information, articulée aux déclarations de groupuscules islamistes radicaux, n’aide pas l’opinion publique à démêler fantasmes et réalité et, par conséquent, à mesurer la validité ou non de l’argument d’une dérive possible invoquée par les « antimariage homosexuel ».

La question du choix politique

Là s’arrête la parole du sociologue, car il n’est pas dans ses fonctions de transformer le relativisme méthodologique en relativisme normatif, donc de prendre parti. L’affaire est nécessairement politique. Elle est dans le camp des élus politiques qui ne sont pas sans ignorer la diversité sociale et géographique des territoires, le croisement des variables construisant les représentations et les regards des électeurs. Elle est aussi dans le camp des citoyens qui ont à faire des choix de valeurs et de normes. Quelle société veulent-ils ?

A ne pas aborder sereinement et rationnellement ce débat, ne risque-t-on pas d’alimenter la montée des populismes ?

Sites favoris Tous les sites

7 sites référencés dans ce secteur

Brèves Toutes les brèves

Navigation

Annonces

  • (2002) Lenin (requiem), texte de B. Brecht, musique de H. Eisler

    Un film
    Sur une musique de Hans Eisler, le requiem Lenin, écrit sur commande du PCUS pour le 20ème anniversaire de la mort de Illytch, mais jamais joué en URSS... avec un texte de Bertold Brecht, et des images d’hier et aujourd’hui de ces luttes de classes qui font l’histoire encore et toujours...

  • (2009) Déclaration de Malakoff

    Le 21 mars 2009, 155 militants, de 29 départements réunis à Malakoff signataires du texte alternatif du 34ème congrès « Faire vivre et renforcer le PCF, une exigence de notre temps ». lire la déclaration complète et les signataires

  • (2011) Communistes de cœur, de raison et de combat !

    La déclaration complète

    Les résultats de la consultation des 16, 17 et 18 juin sont maintenant connus. Les enjeux sont importants et il nous faut donc les examiner pour en tirer les enseignements qui nous seront utiles pour l’avenir.

    Un peu plus d’un tiers des adhérents a participé à cette consultation, soit une participation en hausse par rapport aux précédents votes, dans un contexte de baisse des cotisants.
    ... lire la suite

  • (2016) 37eme congrès du PCF

    Texte nr 3, Unir les communistes, le défi renouvelé du PCF et son résumé.

    Signé par 626 communistes de 66 départements, dont 15 départements avec plus de 10 signataires, présenté au 37eme congrès du PCF comme base de discussion. Il a obtenu 3.755 voix à la consultation interne pour le choix de la base commune (sur 24.376 exprimés).