La guerre et les buts de guerre, la terreur et la politique

, par  pam , popularité : 6%

Les massacres de civils le 7 octobre dans le sud d’Israël par des commandos du Hamas, doivent être condamnés, et ils le sont. Mais l’horreur et sa médiatisation a masqué jusqu’à aujourd’hui le fait historique principal de cette journée. Ces commandos venaient d’obtenir une victoire militaire surprenante, traversant la frontière la plus surveillée et la plus technologique, prenant des bases militaires et des otages d’une armée présentée comme la plus puissante et la mieux entrainée de toute la région.

Pour les amis de la Palestine, une question taraude. Pourquoi le Hamas n’en est pas resté à sa victoire militaire ? pourquoi avoir décidé d’organiser des actes de terreur contre des civils ?

Il faut pour cela mettre nos émotions de coté pour tenter de comprendre rationnellement ce choix tactique du Hamas, en commençant par le resituer dans l’histoire de la violence dans les conflits, notamment de décolonisation, car le contexte géopolitique est bien celui d’une colonisation qui n’en finit pas.

Et les buts de guerre de la terreur éclairent sans doute mieux les raisons fondamentales qui conduisent à la condamner, non par humanisme, qui peut toujours faire face aux critiques du "deux poids-deux mesures", mais pour ses objectifs eux-mêmes, pour la stratégie qu’ils révèlent et qui ne répond pas à l’urgence des droits des palestiniens.

Une tentative de raisonnement qui mérite certainement des critiques, mais qui tente de comprendre ce qui se passe pour ne pas être victime du piège des émotions contradictoires.

Les attentats dans l’histoire des mouvements anti-coloniaux

Car le Hamas n’est pas le premier a choisir la violence terroriste comme mode d’action. Les principaux mouvements de l’OLP ont utilisés des attentats, des détournements d’avions, considérés comme terroristes par les pays occidentaux, et ce, jusqu’aux accords d’Oslo en 1993. Mais l’explosion d’un avion en vol en 1969 n’empêche pas l’ONU de reconnaitre le droit du peuple palestinien un an après. La prise d’otages et le massacre aux jeux olympiques de Munich en 1972 n’empêchent pas l’adoption de la résolution 388 en octobre 1973, pendant la guerre du Kipour.

Le terrorisme a pris une place médiatique particulière après les attentats de 2001 à New-York, et les séries d’attentats islamistes de Al Qaida puis de Daech. Mais il n’a au fonds rien de nouveau, et il n’est pas une originalité des mouvements islamistes...

l’état d’Israel lui-même s’est construit après des années d’attentats de groupes sionistes, dont le massacre de Deir Yassine, le 9 avril 1948, avec un commandant qui deviendra premier ministre, Menahem Begin, massacre de même importance que celui de Be’eri en 2023, une centaine de morts. Et les années 40, comme les années d’avant-guerre voient se succéder des attentats terroristes sionistes et anti-sionistes.

On pourrait aussi rappeler les débuts de la guerre d’Algérie, marquée par de nombreux attentats et victimes civiles, sans oublier les massacres du 8 mai 1945 à Setif. A chaque fois, on trouve des attentats et des représailles qui sont le plus souvent beaucoup plus sanglantes encore. Les victimes civiles sont une caractéristique des guerres, plus de 4 millions pour les guerres du Vietnam, et entre 2 et 4000 pour l’intervention "chirurgicale" des USA dans le petit Panama.

N’oublions pas que l’ANC de Nelson Mandela a organisé de nombreux attentats et était classée comme terroriste par les USA jusqu’en .. 2008, 17 ans après la fin de l’apartheid !

On doit donc reconnaitre que la violence terroriste est une arme répandue dans les mouvements de résistance anti-coloniale, même si l’ampleur des crimes du Hamas le 7 et 8 octobre dernier semble exceptionnelle.

Le parti bolchevik en Russie s’est cependant construit entre autres en opposition au terrorisme populiste de "Volonté du Peuple". Lénine lui-même a vécu cette impasse du terrorisme individuel avec son frère aîné exécuté en 1887 pour sa participation à une tentative d’attentat contre l’empereur, même s’il a bien considéré que la violence contre les civils était nécessaire dans certaines situations de la guerre civile notamment.

On peut aussi dire que de l’Algérie à l’Afrique du Sud, plus le mouvement anti-colonial est fort, moins il utilise le terrorisme, et plus il cherche des solutions politiques. On sait que la France coloniale avait gagné la bataille d’Alger mais que De Gaulle était furieux devant l’immense haie d’honneur organisée par Mao pour accueillir le gouvernement provisoire algérien.

Et il faut aussi reconnaitre que cette violence terroriste est une arme "légère" en terme de victimes civiles par rapport aux répressions coloniales qui sont encore plus sanguinaires. Le cas de Setif est représentatif de l’emballement de la violence. Un policier français tue un scout algérien, des émeutes suivent qui tueront une centaine d’européens, mais la répression sanglante fera des milliers de morts civils algériens...

Le mythe de l’occident défenseur des valeurs humaines

L’horreur des crimes provoque d’abord des réactions d’empathie sur lesquelles les médias construisent un discours occidental des valeurs, de la défense de "notre" civilisation qui serait bienveillante, humaine, et n’utiliserait la guerre que contrainte face aux "méchants" et en tentant d’éviter les drames "collatéraux". C’est ce que tous les dirigeant occidentaux disent à Netanyahu. Vous avez le droit de vous défendre, donc de faire la guerre, mais il faut tout faire pour éviter les morts civiles.

Comme à Mossoul ? Dans cette bataille de 10 mois pour prendre une ville de plus d’un million de civils, les USA reconnaissent un millier de morts civils, mais les témoignages sur place évoquent une centaine de morts par jour, et le dirigeant kurde Hoshiyar Zebari évoque 40 000 morts parmi la population civile.

Netanyahu a de la marge, il vient "seulement" de dépasser les 5000 morts civils à Gaza. Et personne ne parle des 248 palestiniens tués dans l’indifférence en Cisjordanie en 2023 (avant le 7 octobre) par l’armée ou les colons. Le site Statista publie un graphique sur les victimes israéliennes et palestiniennes depuis 2008, 251 israéliennes pour 5590 palestiniennes.

On ne peut pas aborder rationnellement ces violences dans les guerres sans refuser de s’inscrire dans ce discours des valeurs occidentales. L’occident, les puissances coloniales, les états-unis dans leur création même, l’OTAN, sont responsables de millions de morts civils au fil des décennies. La colonisation a connu de véritables génocides, les "valeurs" anglaises se sont exprimées avec une violence extrême dans toute l’Asie, jusqu’aux pires crimes en Inde ou en Chine. Les "valeurs" françaises aussi, plongeant l’Afrique de l’ouest dans l’horreur que décrira Sven Lindqvist dans "exterminez toutes ces brutes", [1], un livre qui montre la théorisation du racisme par les intellectuels de la colonisation, comme prélude à la solution finale nazie.

Non, le conflit israélo-palestinien n’est pas un conflit de valeurs, et certainement pas des valeurs occidentales. C’est un conflit de décolonisation, un des derniers sur Terre, avec la situation des kurdes comme le montre l’excellente analyse de l’écrivain Joseph Andras qui fait un parallèle entre les deux situations, ce qui permet de mieux situer les différents acteurs...

Quel but de guerre du Hamas ?

Les médias ne répondent jamais à cette question, préférant affirmer que le seul objectif du Hamas est la destruction de l’état d’Israël. Vraiment ? Si le Hamas refuse effectivement de reconnaitre l’état d’Israël, son dirigeant expliquait dans une interview en 2008 que le Hamas partageait la plateforme politique palestinienne de 2006 impliquant l’acceptation des frontières de 1967 pour la Palestine...

Dans cet entretien, on comprend cependant que la seule préoccupation du Hamas est de construire un rapport de forces qui oblige Israël à négocier vraiment, donc à accepter des reculs, alors même que la situation issue des accords d’Oslo donne le sentiment aux Israéliens même qu’ils peuvent faire reculer sans cesse les palestiniens. La dernière élection israélienne, conduisant à un gouvernement d’extrême-droite confirme que le mouvement pacifiste israélien est totalement étouffé par la certitude que Israël peut tout coloniser.

Et coté palestinien, de nombreux témoignages confirment que les démocrates, les progressistes, ne peuvent que constater que les batailles pacifiques, politiques, citoyennes, culturelles... n’ont aucun effet sur la politique israélienne, et même pas sur les diplomaties occidentales. "Nous avons tout tenté pacifiquement".

Le Hamas apporte une double réponse, la violence militaire et la violence terroriste, dans un contexte où les forces démocratiques palestiniennes sont en échec, le FATAH gangrené par la gestion de l’occupation, son dirigeant de 88 ans isolé, ses meilleurs dirigeants potentiels en prison comme Marwan Barghouti. Israël a objectivement fait place au Hamas en quittant Gaza pour affaiblir l’autorité palestinienne, assumant le risque de plus de violences. Bernard Ravenel écrivait déja en 2005 :

A court terme on peut penser que l’intérêt du gouvernement Sharon était plutôt de provoquer la chute d’Arafat et son remplacement par une oligarchie palestinienne formée de composantes de l’ANP considérées comme plus pragmatiques, plus accommodantes. Mais à moyen terme, et peut-être même à plus brève échéance, il est clair qu’Israël n’exclut pas et peut-être souhaite l’écroulement définitif de l’actuel establishment palestinien laïque et nationaliste et la montée en force du Hamas. A ce moment-là un affrontement direct avec les islamistes présente certes le risque d’une violence accrue y compris en Israël mais offre au gouvernement Sharon l’avantage évident d’un large consensus international. Les Etats-Unis et surtout l’Europe considéreront comme négative la destruction de l’Autorité palestinienne, nationaliste et laïque, mais ils justifieront selon toute probabilité une guerre d’Israël contre l’islamisme politique. Les attaques israéliennes contre les activistes du Hamas augmentent la popularité du Hamas, et Sharon le sait comme il sait qu’elles provoqueront tôt ou tard de nouveaux attentats. L’enjeu est la délégitimation de l’Autorité palestinienne pour annuler les accords d’Oslo et le début d’une confrontation militaire ouverte avec la nouvelle force dominant dans les Territoires occupés, le Hamas. A ce stade, toute action d’Israël contre l’islamisme serait considérée comme licite en Occident, aux dépens comme toujours des droits du peuple palestinien.

De fait, les attaques terroristes ont toujours joué en faveur des forces les plus militaristes et les plus opposées à tout processus politique, des deux cotés !

Alors, pourquoi la violence militaire et la violence terroriste ?

Personne ne doit prendre le Hamas pour des gens stupides. Ses dirigeants connaissent bien les conséquences de leurs décisions, la guerre totale que Israel mènera contre Gaza et donc les milliers de morts civils palestiniens. Ils savent bien qu’ils ne peuvent tenir militairement face à une armée très puissante, mais ils se sont certainement préparés pour faire payer le prix maximum à Tsahal, continuer à démontrer leur capacité militaire sous des formes qu’on ne peut sans doute imaginer, et les otages sont évidemment leur première arme.

Il y a certainement des objectifs secondaires du Hamas dans la vie politique palestinienne, la volonté d’affirmer leur rôle comme représentant de tous les palestiniens, mais la question décisive reste le but de guerre.

Démontrer la capacité militaire permettait de dire à tous les pays que la cause palestinienne restait d’actualité, que tous ceux qui répétaient que l’état palestinien était désormais impossible avaient tort, que la cause palestinienne restait une question première pour Israël. La violence militaire rend plus difficile le soutien occidental à Israël, qui devient le soutien à l’occupation face à la résistance. C’est bien le rapport de forces sur le terrain qui pose la question de l’issue politique et donc conditionne l’action internationale pour les droits des palestiniens.

La violence terroriste poursuit un autre but, presque contraire, car elle conduit automatiquement à resserrer les liens de nombreux pays avec Israël, à conforter le soutien des pays occidentaux. On le voit notamment en France ou la dérive anti-palestinienne médiatique atteint des sommets, comme l’ont montré les rassemblements de samedi et dimanche, qui étaient menacés d’interdiction pour risques de troubles à l’ordre public, troubles qui se sont révélés totalement infondés.

Mais si la violence terroriste vient ainsi affaiblir la démonstration militaire, elle a un autre effet, son effet premier, la terreur. C’est un message destiné non pas aux dirigeants israéliens ou occidentaux, mais aux israéliens eux-mêmes. « Ne croyez pas que nous serons les gentils de l’histoire, vous allez souffrir et vous êtes menacés, ne venez pas faire la fête à nos portes, ne venez pas habiter à nos cotés ! »

Et on peut craindre une suite à ce message de terreur. « Vous allez constater que votre gouvernement peut tuer le maximum de palestiniens sans supprimer notre capacité à vous terroriser ». Israël dit vouloir mener une guerre d’extermination du Hamas, mais celui-ci s’est évidemment préparé depuis longtemps pour contraindre Israël a mener une guerre d’extermination de palestiniens, et il y a déjà aujourd’hui beaucoup plus de morts palestiniens civils que d’israéliens civils depuis le 7 octobre.

Et, même s’il faudra des milliers de morts civils, Israël ne pourra pas raser toute la bande de Gaza et en expulser tous les palestiniens sans apparaitre plus que jamais comme un pays extrémiste, sans compter que d’autres fronts peuvent s’ouvrir. La violence militaire Israélienne exacerbée par la réaction au terrorisme deviendra de plus en plus terroriste elle-même. C’est sans doute le premier but de guerre du Hamas.

Le but de guerre du Hamas n’est pas de créer les conditions de la justice et la paix !

Autrement dit, le Hamas veut faire la démonstration que palestiniens et israéliens ne peuvent pas vivre cote à cote, encore moins ensemble. Il veut conforter les réactions de racisme anti-arabe en Israël, faire monter la pression contre les arabes israéliens, et justifier le cercle vicieux des violences réciproques, attirer Tsahal dans une situation de guerre contre les civils encore plus féroce que dans le passé.

Il veut contrer tous les efforts culturels, sportifs, économiques, citoyens qui organisent des coopérations entre israéliens et palestiniens pour sortir des logiques racistes qui fondent la colonisation.

Comme le dit l’historien israélien Tom Seguev  : « L’occupation engendre le terrorisme qui suscite la répression qui fabrique encore plus de candidats aux attentats-suicide ». Ajoutons que cela fait grandir le racisme qui justifie l’occupation... Que la violence militaire justifie et organise la violence de la colonisation. Les colons n’ont jamais eu peur de la violence, au contraire ! Oui, les extrêmes se confortent de chaque coté.

C’est la raison fondamentale qui doit conduire à condamner la violence terroriste du Hamas, plus que l’émotion devant l’horreur, et donc à séparer la violence militaire légitime de la violence terroriste condamnée. En cherchant à terroriser les israéliens, le Hamas pousse à la guerre, une guerre inégale et meurtrière pour les palestiniens, une guerre qui isole les pacifistes israéliens, fait reculer le mouvement contre la colonisation, alors que dans de nombreux pays comme les USA, des mouvements juifs contre la colonisation se développent, une guerre qui rend irréaliste toute perspective de solution politique impliquant la vie cote à cote, la vie ensemble à l’échelle de la région.

[1une phrase du roman de Joseph Conrad, Au cœur des ténèbres, dont a été tiré le fim "apocalypse Now"

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