20 pas en avant, 220 pas en arrière, voici le « Bessac-Cha-Cha-Cha »

, par  Jean-Claude Delaunay , popularité : 6%

Le fond du rapport Bessac, contrairement à ce que son auteur affirme, n’a rien de personnel, évidemment. Et comment pourrait-il en être autrement ? Oui, il faut lire ce rapport, cela pour quatre raisons [1].

La première est d’ordre thérapeutique. Sa lecture fait circuler le sang. C’est aussi efficace que l’ail, c’est gratuit et ça sent moins fort.

La deuxième est d’ordre informatif. On se dit « Bon Dieu ! Comment est-il possible d’en arriver là ? ». Ce rapport fournit un encéphalogramme de la pensée des dirigeants communistes actuels, et c’est plutôt plat.

La troisième est d’ordre éducatif. La lecture de ce rapport permet de rationaliser le passé proche. Il devrait nous aider, ne fût-ce que de manière négative, à clarifier les questions à débattre pour le prochain Congrès.

Enfin, la quatrième est d’ordre prospectif et militant. Il nous revient, à nous aussi, dans la dispersion de nos réflexions, d’analyser la société, d’analyser sa structure, d’en comprendre le mouvement pour tenter de l’orienter ou de le modifier radicalement au bénéfice d’abord des exploités. Mais cette démarche, il nous faut la conduire aussi, selon moi, avec le souci de convaincre d’autres militants, avec le souci de l’éducation de ces jeunes gens qui adhèrent nombreux, paraît-il, au PCF, mais qu’il faut former, et ce n’est pas une mince affaire.

Il nous faut également avoir le souci de mener la bataille idéologique et politique contre un groupe de communistes, issus de classes salariées moyennes sans doute en cours de radicalisation, mais ignorantes de la condition ouvrière, ignorantes du marxisme, ignorantes de la lutte des classes et de l’histoire du Parti communiste français. Ce groupe est porteur d’une idéologie hostile au marxisme comme à l’idéal du socialisme et du communisme. Il est par conséquent hostile à l’organisation révolutionnaire qui en est l’instrument.

Je propose que soit envisagée la publication d’un ouvrage compilant les contributions que le site « Faire Vivre le PCF » aura stimulées et rassemblées à l’occasion de la préparation du prochain Congrès.


Première partie du rapport : la thèse de « l’ethnoculturalisme » et la fragmentation de la société française

La première partie du rapport est insupportable, car Bessac y « fait le beau ». Il veut prendre personnellement place au côté des élites du CERI, des Sciences politiques et de l’anthropologie. En citant divers noms, il amorce la mise en place d’une coopérative de travail de recherche dont je parlerai par la suite.
Certes, un dirigeant communiste n’a pas pour mission d’écrire des textes à ce point polis et repolis qu’ils font dormir tout le monde.

Il n’a cependant pas, non plus, pour vocation, d’écrire « pour plaire », « pour être dans le vent » ou « pour ne rien dire ». Ce qu’on attend d’elle ou de lui, c’est un contenu, prenant appui sur une théorie connue et acceptée, ayant la densité de l’époque et de ses contradictions, un contenu documenté et des conclusions ayant la clarté nécessaire à leur discussion comme à leur transmission la plus large. Si la théorie de référence est changée, ce changement doit être justifié. Les idées en débat doivent être soulignées avec force. Les différences entre les points de vue et leurs conclusions pratiques doivent être mises en évidence.

 a) Généralités sur les idées

D’abord, de ma part, quelques idées sur les idées. Les représentations, la théorie, les idéologies, la culture, sont des termes qui, dans « le langage du marxisme », désignent des aspects distincts de la réalité des idées. On peut penser ce qu’on veut de ce vocabulaire. Du moins faut-il en respecter l’existence, au moins comme point de départ.

La thèse de base du marxisme est celle selon laquelle il existe des réalités indépendantes de la conscience que nous en avons (réalité physique, réalité sociale, réalité économique, réalité culturelle, etc.). Nous les appréhendons à l’aide de représentations. La primauté de la matière sur les idées est le b.a. ba du marxisme.

Le concept de représentation est donc un concept visant à désigner de manière très générale la façon dont les hommes, les sociétés, les groupes, les individus, les entreprises, etc. s’approprient cette réalité à la fois extérieure et première.

Le concept d’idéologie vise, le plus souvent, à désigner les représentations erronées de cette réalité. On dira, par exemple, que le propos selon lequel « il faut travailler plus pour gagner plus » est, dans la structure capitaliste, une approche (une représentation) idéologique du travail salarié.

Le concept de théorie peut être compris comme le contraire absolu de l’idéologie. On connaît l’expérience du bâton droit trempé dans l’eau. Vu de l’extérieur, le bâton paraît brisé. Ce n’est pas une ligne droite. Nous avons une approche idéologique du bâton trempé dans l’eau. La théorie est l’ensemble structuré des idées nous permettant de comprendre pourquoi nous avons une vue tronquée du bâton dans l’eau et de confirmer notre expérience première, savoir que le bâton est droit.

Le dernier concept utilisé par Bessac est celui de culture. Comme les précédents concepts, celui-là est difficile à définir. On peut considérer que dans toute société, il existe un ensemble de représentations plus importantes et plus stables que les autres, que j’appelle « la culture ». D’autres l’appelleront peut-être « la morale ». Il me semble que cette dernière est partie intégrante de la culture.

Ces représentations particulières ne sont pas d’origine mystérieuse. Mais elles ont une pesanteur spécifique et tendent à s’imposer aux individus pour régler leurs comportements comme leurs interprétations du monde et de la société. On peut dire que la culture forme une matière particulière. Elle intervient fortement dans la formation de la morale collective comme des représentations individuelles.

Le rappel que je viens de faire est certainement très simplifié. Je crois, cependant, que ce vocabulaire est utile au plan politique. Par exemple dans ses rapports avec la Chine, la direction du PCF est, selon moi, trop ignorante du contenu de nos différences culturelles avec ce pays et de la pesanteur de ces différences.

Pour Bessac, « ce qui caractérise les cultures, ce n’est pas leur permanence, c’est leur capacité de dialogue et de transmutation ». Mais si un responsable du PCF fait part à ses interlocuteurs Chinois de ses inquiétudes sur la démocratie en Chine, on peut être assuré que, pour ses vis-à-vis, ce qu’il dit, « c’est du chinois ». Et cela, en toute bonne foi. Inversement, ce responsable ne se rend pas compte de ce que sa conception de la démocratie est fortement dépendante de sa culture européenne.

Il en est de même de la religion, qui est la forme d’expression massive et spontanée de la culture de tout un ensemble de populations. Elle fait preuve, aujourd’hui, d’une matérialité offensive. Certes, la religion peut être un véhicule d’expression d’autres problèmes. Mais on aurait tort, à mon avis, à la réduire au seul rang de véhicule d’autres problèmes politiques. Quoiqu’il en soit, elles ne sont pas aussi aisément transformables que le prétend Bessac.

A l’époque de la mondialisation, les cultures font partie des faits que les communistes doivent étudier et comprendre. Ils se doivent de comprendre aussi bien la culture de leur pays que celle des autres, ne serait-ce que pour mieux conduire leur action internationaliste.

 b) La thèse de la première partie du rapport

Ces aspects ne sont toutefois pas les plus importants. La défaillance principale du rapport Bessac, dans sa première partie, ne réside pas dans les insuffisances ou dans les obscurités que l’on peut relever sur tel ou tel point de langage. Je ne crois pas, par exemple, qu’il soit équivalent de parler d’ethnoculturalisme et de racialisation. Mais passons.

Je crois que la défaillance grave de cette partie tient à l’oubli de la thèse principale du marxisme auquel la culture communiste attache encore une grande importance. Les idées, aussi durables et matérielles soient-elles, ont une base matérielle externe dont l’économie et l’histoire peuvent nous livrer le secret.

Pour analyser une situation, surtout avec la perspective d’une compréhension sur 20 ans, il est scientifiquement correct de partir de l’idéologie, qui reprend les idées de tout le monde. Mais il faut procéder ainsi pour aller vers la théorie, en passant principalement par les faits économiques et sociologiques, dont l’idéologie est le reflet déformé. Ce passage, aussi difficile et délicat soit-il à accomplir, est indispensable. La diffusion des idéologies est un moyen de la lutte des classes dans un contexte économique, politique et culturel donné. Il convient donc d’analyser ce contexte avec précision et dans sa globalité pour « sortir des idées de tout le monde ».

Bessac ne procède pas ainsi. Il explique l’idéologie par les idées, c’est-à-dire, finalement par l’idéologie. En effet, sa thèse est celle du fractionnement continu et croissant de la société française depuis 40 ans dans le but de « chosifier » les individus dans des identités. Or ce qui, selon lui, à l’origine de ce processus de « chosification », ce sont des idées, des volontés, des paroles. Ce ne sont pas les structures économiques. Ce sont les institutions politiques et leurs modes d’expression.

Qui est, selon Bessac, à l’origine de ce fractionnement ? Ce sont des volontés, et d’abord, de manière peu différenciée, la droite et la gauche. Je suis surpris, car ces catégories relèvent de l’analyse politique superficielle. « A droite, dit-il, on "ethnoculturalise" la francité autour de la blancheur et de la chrétienté ; à gauche, comme dans un miroir, on procède à la même ethnoculturalisation… mais cette fois en positif ». Un peu plus loin, c’est même la gauche qui commence : « Cette reformulation du social par la gauche puis par la droite a eu comme effet de laisser en déshérence la question du social ». L’emploi de ce vocabulaire est significatif. Les classes sociales ne sont pas, pour le rapporteur, des agents de l’histoire. La structure économique n’intervient pas dans la formation des problèmes et des contradictions.

Quant au Parti communiste, il a quasiment disparu dans « la gauche ». La seule fois où il en est fait mention, c’est comme vecteur de domination des plus pauvres dans les mairies de plus de 30.000 habitants. J’aimerais bien que les responsables communistes de ces municipalités, dont je serais tenté a priori de croire « qu’ils se crèvent le cul pour le bien commun » nous disent ce qu’ils pensent du propos du rapporteur.

Comment ces volontés (la gauche, la droite) interviennent-elles dans la vie politique française ? Réponse de Bessac : par des procédés intellectuels. Ainsi, après 1981, serait-on passé « …d’une lecture de classe de la société française… à une lecture autour d’une seul bloc intégré ». Il n’y a pas eu conflits, échecs, abondons, lutte, etc., il y a eu lecture. Outre la lecture, il y a le mode de classement. « A chaque fois que l’on crée des manières de classer les individus, ils y entrent ! ». Un autre procédé intellectuel est constitué par les politiques, « les politiques identitaires », qui sont des paroles, même si ce sont des paroles d’Etat.

Ce texte repose sur la croyance en la toute-puissance de l’intellect et de la parole hors de toute confrontation avec la matérialité. Cela correspond bien, d’ailleurs, à l’évocation des Lumières dans ce rapport. Car à la raison des Lumières, celle de l’individu et de l’esprit, Marx avait mis en regard la raison de la société. C’est en quoi, notamment, Marx dépasse les Lumières.

Accomplissant un curieux retour en arrière, vers les Lumières, vers la révolution française, estimant peut-être que Marx est dépassé, Bessac considère que « la reconnaissance des individus libres, souverains et égaux dans la République est un axe majeur de reconquête ». Et qu’en est-il du socialisme ?

J’y trouve aussi un écho des conceptions de Bourdieu sur le capital culturel. La démarche de Bessac me semble foncièrement idéaliste. Avec lui, la matérialité des structures économiques capitalistes et de la lutte des classes n’a plus de sens. La production des processus identitaires les remplace.

On peut distinguer la production des « petites identités » (sexuelle, genre, lieu d’habitation, origine ethnique, etc.) et celle de « La Grande Identité », l’identité nationale. En réalité, pour Bessac, cette distinction est formelle, car le résultat est le même. La Grande Identité elle-même, n’engendrerait qu’un individualisme impérial (l’intégration de quelques-uns excuserait le rejet du plus grand nombre), alors que les communistes devraient promouvoir, dit-il, un individualisme abouti, l’intégration de tous ceux arrivant sur le sol de France.

 c) La conséquences des productions identitaires, selon Bessac

En effet, quelles sont les conséquences, recherchées ou non, de ces interventions de la parole de gauche ou de droite dans la société française ? Réponse de Bessac : elles ont pour conséquence de produire des identités (la grande ou les petites). Or dès lors qu’il y a identité, il y a fractionnement. Dès lors qu’il y a fractionnement, il y a affaiblissement politique. Dès lors qu’il y a affaiblissement politique, le social est anéanti. Voici le raisonnement implicite sous-tendant ces idées.

Dans la société contemporaine, où les identités seraient devenues si importantes, la lutte des classes aurait été remplacée par la lutte des identités, ou, selon la formule bien connue, par la lutte des places. Cette forme de la lutte évacuerait de son propre mouvement toute référence au travail. « Cela répond à un besoin profond du capitalisme dans la situation actuelle, reformuler le social pour le désintégrer… ».

C’est de la pénétration en profondeur de la société française par ces processus d’identification que viendrait tout le mal de la politique, toute son impuissance. Il ne viendrait pas de la mondialisation et de la financiarisation simultanée du capitalisme contemporain et de leurs effets sur la structure économique et sociale. Il ne viendrait pas des changements profonds traversant et traumatisant le tissu productif et social français. Non, il viendrait de ces satanées pratiques d’identification. Tout le monde serait tombé dans le piège de l’identification. Et cela, je le répète, dans le piège de la petite comme de la grande identification. Quand un certain nombre d’enseignants, dont moi-même, votions pour l’intégration de tel ou tel de nos compatriotes comme maître-assistant ou comme professeur bien qu’ils (elles) eussent un nom à consonance évidemment maghrébine, nous étions dans l’erreur ? Moi, je suis très content d’avoir voté pour eux. La pratique montre le bien-fondé de ce choix. Ils, elles ont sans doute ramé plus que d’autres. Au moins ces personnes ont-elles certainement la fierté de ne pas avoir été promues par quota et sont-elles des exemples pour d’autres.

Il y a quelques années, en 2009, il y a eu un débat en France, impulsé par Guéant, sur l’identité nationale. Mais la réponse de certains dirigeants communistes fut : « Il faut arrêter ce débat, il faut arrêter ce débat ». Personnellement, j’avais été estomaqué par cette réaction. Comment des responsables communistes pouvaient-ils demander d’arrêter un débat autrement qu’en prenant part à ce débat de manière offensive et argumentée ? J’avais donc proposé à l’Humanité un article visant à montrer tout à la fois la fourberie de Guéant et la rationalité de ce débat, en argumentant que les concepts d’identité nationale et d’affectif national avaient un contenu scientifique. L’article a été publié.

Mais j’avais tout faux. Je comprends maintenant que je participais alors de la pratique de l’individualisme impérial et que, si j’avais compris, au contraire, ce qu’était l’individualisme abouti, j’aurais crié à mon tour : « Arrêtez le débat, arrêtez le débat ». Pour résoudre les problèmes de l’identité nationale, c’est en effet, pour suivre le raisonnement de nos dirigeants, au niveau du débat qu’il fallait intervenir. Les problèmes d’identité nationale, c’est bien connu, sont des problèmes de parole.

On l’aura compris, j’éprouve quelques réserves à l’égard de la première partie de ce rapport. Si j’avais été Bessac, à Dieu ne plaise, j’aurais commencé par l’économie. Mais là, je dois dire que c’est « la cata ». Voici ce que raconte mon camarade Bessac : « C’est fini. C’est fini. Le cycle de la crise des mouvements du capitalisme est fini…Trente ans de domination… tout cela est fini… Le fait majeur est la crise du capitalisme mondialisé… C’est fini. Il ne s’agit plus de tenir. Il s’agit d’avancer… ». C’est peut-être la conviction que le capitalisme est fini qui le conduit à s’enfoncer dans les marécages de l’identité comme cause première de tous nos problèmes. A quoi bon traiter des structures économiques du capitalisme mondialisé puisque « c’est fini ».

Je crois, malheureusement, que ce n’est pas fini. Plus exactement que ça ne finira pas comme ça. Ce qui est sans doute fini, et encore, c’est la domination absolue de l’impérialisme américain sur l’économie du monde. Car les entreprises de nouveaux pays émergents, également capitalistes, cherchent à évincer les entreprises du Grand Sam pour prendre leur place. Les entreprises brésiliennes de la viande, par exemple, font désormais partie des « global players ». Le groupe Doux et surtout les salariés de ce groupe en savent quelque chose.

La crise n’est pas seulement lutte politique de la part des représentants de la classe capitaliste mondialisée contre les populations de Grèce ou d’Espagne. C’est l’occasion d’une vaste recomposition et concentration des entreprises géantes pour le repartage des marchés mondiaux, comme c’est la recherche d’une recomposition du paysage politique mondial. L’entreprise PSA est prise dans cette tourmente, et d’abord ses salariés. Donc ce n’est pas fini.

Le PS, de toute évidence, est favorable à ce vaste mouvement de concentration mondiale. Car eux, ils sont pour l’accomplissement de la compétitivité mondiale. C’est de là que leurs dirigeants peuvent attendre une embellie économique. En effet, la concentration capitaliste engendre la réduction du capital en excès et permet le redémarrage du processus de production du profit et donc l’emploi. Mais il y a tant de capital en excès (tant de suraccumulation) que l’embellie sera inévitablement passagère. Ils crieront cependant victoire, n’en doutons pas.

Fût-ce en tenant compte des idéologies, c’est de l’économie, selon moi, que Bessac devrait partir pour comprendre le monde, le rôle des communistes et de leur parti dans ce monde.

A sa place, je développerais l’idée que, à l’égard des grandes entreprises en difficulté, en France, nous devrions, nous, communistes, proposer une vaste démarche de conquête des esprits et des cœurs en faveur du socialisme, pour la mise en œuvre d’une politique globale et socialiste, au sens de Jaurès, envers ces entreprises et les autres. Réfléchir au socialisme, cela suppose de s’attaquer aux rapports de production et non aux rapports de marché, comme le préconise actuellement le PCF.

Ensuite, pour la raison précisément qu’une fraction importante de la classe ouvrière pense que c’est le problème fondamental, alors que ce n’est pas le problème fondamental, j’aborderais clairement, sans détour, les problèmes soulevés par l’immigration et j’inviterais les militants à le faire dans le détail, dans la clarté et dans le respect mutuel. Car je suis absolument étranger aux propos et déclarations de l’extrême-droite. Mais, en même temps, j’ai la conviction que les propos convenus n’apportent que du désordre, tout comme les idéologies terra-novistes, complaisamment véhiculées par les dirigeants communistes actuels.

Enfin, je vais terminer mon examen de l’argumentation de Bessac, centrée sur les processus identitaires, en indiquant que cette argumentation trouve déjà une traduction opérationnelle dans les propositions des communistes. Il s’agit de ce que j’appellerai "la forme aboutie" de la proposition de la sécurité emploi et formation.

Le rapport d’Isabelle De Almeida porte le témoignage que la SEF est devenue "la proposition" par excellence des communistes. Les entreprises ont des problèmes. Ah ! s’il y avait la SEF, cela se passerait autrement. Plus besoin de parler et d’argumenter sur le socialisme, la SEF en tient lieu. Cela dit, même avec ses insuffisances et ses limites, la proposition de la SEF peut revêtir diverses formes. Elle peut avoir plus ou moins d’ampleur.

La forme aboutie de la SEF est que toute personne arrivant en France et n’ayant pas de travail en soit bénéficiaire. Je trouve que la proposition de la SEF présente bien des insuffisances et mériterait des discussions qui n’ont pas lieu. Mais quand elle est, en plus, assortie de dispositions aussi généreuses,qui sont la conséquence logique du discours sur les identités, je crois qu’elle devient à la fois totalement irréaliste et totalement démagogique.

Je ne suis pas favorable, personnellement, à dépenser la richesse, c’est-à-dire le fruit du travail, sans la consultation attentive de celles et ceux qui travaillent. Or je crois que, contrairement à ce que prétendent les prophètes de la Section économique et les dirigeants communistes qui les écoutent, nous ne sommes pas encore dans une société d’abondance. Puiser dans les fortunes existantes, ce qu’il sera possible d’en capter, ne procurera pas la ressource inépuisable. Il faudra donc travailler et donc il faudra compter.

Deuxième et troisième parties du rapport : l’antithèse unificatrice et la synthèse politique

Le rapport Bessac contient des passages que je n’ai pas compris. Cependant, dans un écrit ou dans une parole, il y a toujours du sens. En partant de cette hypothèse, on arrive à trouver ce que le rapporteur a voulu dire. Pour la préparation d’un Congrès qui doit révolutionner le PCF, je trouve quand même que Bessac exagère. Je vais m’efforcer, ci-après, d’expliciter un point que je crois important. L’énoncé de ce point ne me semble pas tout à fait nouveau. Mais sa reprise dans ce rapport, même faite de manière obscure, confirme l’analyse que l’on pouvait déjà avoir de la perception par les dirigeants du PCF de la sociologie de la France et de leur sociologie politique.

 a) La sphère économique et sociale, la classe salariée, le peuple

Il est clair que l’antithèse de la première partie, c’est, dans la deuxième partie, l’unification. Car « la racialisation du débat public… a contribué profondément aux divisions du corps social ». Il faut donc trouver « des représentations alternatives qui rassemblent la classe salariée  ». Il faut que « nos discours… cessent d’agir… de manière autonome pour résonner en écosystème, en ensemble unificateur… ». Jusqu’ici, rien que de très normal. Il y avait la thèse. Il y a maintenant l’antithèse.

Vient ensuite une affirmation de même nature, décrivant ce qu’il convient d’unifier : « Nous avons besoin d’un écosystème culturel qui travaille les trois grandes questions : la nation, le peuple, la démocratie ». On peut estimer que cette phrase explicite l’écosystème dont parle Bessac. Il en précise les trois composantes. Un détail apparaît cependant. Ici, il est fait mention du peuple et là, de la classe salariée.

Enfin, un peu plus loin, il écrit : « Le rapport avec le Congrès est le suivant : comment nos discours, s’agissant des trois grandes sphères de la société -la sphère nationale en liaison nouvelle avec l’Europe et le monde, la sphère économique et sociale et la sphère démocratique- cessent d’agir chacun de manière autonome… ». Toutes ces citations proviennent de la page V, haut de la troisième colonne.

Je dois dire que tout cela m’est d’abord apparu comme un propos étrange. Dans un premier temps, "la classe salariée" se transforme en "peuple". Est-ce la même chose ? Ensuite viennent "les grandes questions" bientôt présentées comme de "grandes sphères" et qui, en devenant des sphères, changent de contenu (le "peuple" devient "la sphère économique et sociale"). Au début de ma lecture, le sens de ce texte a eu tendance à m’échapper. Mais finalement, je crois qu’il repose sur la correspondance suivante (j’ai mis les éléments de cette équation en gras, dans les citations) :

Sphère économique et sociale = Classe salariée = Peuple

Or cette correspondance est fondamentale dans la pensée socialiste contemporaine et il me semble qu’elle fait partie des "idées théoriques" des dirigeants communistes depuis quelque temps déjà. C’est, à mon avis, l’une des clés de compréhension de la stratégie du Front de gauche en même temps qu’un révélateur, au plan des idées, des problèmes soulevés. Il y en a au moins deux.

Le premier est celui résultant de la dilution de la classe ouvrière dans la classe salariée. Le deuxième est celui de la transsubstantiation de la classe salariée dans la catégorie du peuple.

Bessac cherche donc à décrypter le contenu sociologique de « la sphère économique et sociale ». Quels sont les agents de cette sphère auxquels les communistes doivent, selon lui, prêter attention ?

Première question : s’agit-il de la classe ouvrière, comme le veut la tradition communiste ? Réponse implicite de Bessac : Non, et cela pour deux raisons.

D’abord la classe ouvrière n’est qu’une partie de la population sur laquelle le PCF doit prendre appui. Ce qui est important, ce sont « les travailleurs », « la classes salariée ». En effet la révolution informationnelle serait en train d’unifier le salariat. Telle est, me semble-t-il, la justification théorique de fond que Bessac peut apporter à sa réponse, sur le fondement des travaux de Boccara, auquel il rend, d’ailleurs, un hommage appuyé.

Ensuite la classe ouvrière « nous » a quittés parce que « la gauche s’est désaffiliée de sa relation aux travailleurs ». Les ouvriers, rappelle-t-il, ont voté pour 29% en faveur du Front national, pour 27% en faveur du PS et pour 11% seulement en faveur du FdeG. C’est donc par une action globale en direction des « travailleurs » que la classe ouvrière pourra être reconquise.

La deuxième question à laquelle je vais imaginer une réponse "à la Bessac" est la suivante : pourquoi privilégier la catégorie du peuple relativement à celle de classe salariée ? A mon avis, la réponse "à la Bessac" comprend trois éléments.

D’abord un élément externe : Bessac est, de toute évidence, influencé par ses lectures des auteurs de sciences-politiques tels que Bouvet (« un grand esprit de synthèse ») et Lefebvre. Or ces chercheurs, qui réfléchissent et travaillent principalement sur le PS, ont été eux-mêmes formés par l’idéologie socialiste. Ils n’utilisent certainement pas la catégorie de classe sociale, marquée par Marx dont ils estiment, me semble-t-il, qu’il est dépassé. Ils utilisent celle de peuple (cf., par exemple, la théorie des "trois peuples" ou les analyses de la signification du peuple pour le PS).

Viendrait ensuite, un élément factuel : la classe salariée représente 90% à 95% de la population active française. Il paraîtrait donc justifié, au plan empirique, de passer de la classe salariée au peuple et réciproquement.

Enfin, un élément de méthodologie politique. Ce que cherche Bessac est « une forme rassembleuse » et alternative des formes identitaires, dont il a montré, en première partie, qu’elles étaient propices à la division. Mais une telle forme ne peut avoir de sens, pour lui, qu’au niveau politique. La catégorie qui lui paraît adéquate pour réfléchir à ces problèmes est donc une catégorie politique, et c’est celle du « peuple », le point d’aboutissement de sa réflexion politique.

 b) Les conséquences intellectuelles de cette théorisation

Comme cette théorisation n’est pas tout à fait nouvelle, il faut distinguer les conséquences antérieures aux élections présidentielles ainsi que législatives et les conséquences postérieures à ces élections.

Avant les élections, tout se passe comme si, par un retour inopiné de l’Histoire sur elle-même, la France était revenue plus de 200 ans en arrière. Au cours des deux siècles écoulés, on aurait vu apparaître plusieurs peuples, qui, finalement, auraient été divisés, anéantis, rendus totalement inoffensifs. Aujourd’hui, on se trouverait au même point de départ philosophico-politique qu’au milieu ou dans la deuxième moitié du 18e siècle, d’où l’évocation des Lumières.

Mais de la même façon que, quand on fait le tour d’un stade en courant, on se retrouve au même point qu’avant mais avec plus ou moins de kilomètres dans les jambes, le mouvement social français serait situé plus haut dans l’échelle du temps. L’histoire suivrait une spirale conformément à l’image déjà proposée par Lénine.

Puisqu’ils ont fait le tour du stade, les communistes n’auraient plus pour vocation d’établir le socialisme et le communisme mais « d’établir l’égalité des citoyens de la République sans considération d’origine ou d’appartenance supposée », comme au bon vieux temps. Mais situés plus haut dans l’échelle du temps, ils auraient pour mission d’établir cette égalité dans les conditions nouvelles de la révolution informationnelle.

Bien entendu, la classe ouvrière disparaît lors de ce retour au peuple, mais cela serait dû au fait que l’Histoire a tourné sur elle-même de 360 degrés. Désormais, la classe potentiellement révolutionnaire serait la classe salariée et plus précisément « le peuple ». La classe ouvrière n’aurait plus de volonté révolutionnaire. Marx serait vraiment dépassé. Comme l’écrivait André Gorz en 1980, il faudrait dire Adieu au prolétariat.

Le rôle de la classe ouvrière serait nul et non avenu dès lors que cette classe serait devenue minoritaire (mais fût-elle jamais majoritaire ?) et xénophobe (mais la CGT, syndicat à forte composante populaire, et dans lequel militent les communistes, n’est-il pas l’un de ceux qui défendent le mieux les travailleurs immigrés sur le lieu de travail ?).

Pour Bessac, j’ai l’impression que le marxisme n’est pas, simultanément, l’analyse d’une époque et la théorisation d’une méthode pouvant être généralisée au-delà de son époque d’élaboration. Ce serait une construction défunte dès lors que l’époque ne serait plus la même. Mais notre époque n’est-elle pas, encore, celle du capitalisme ? Bref, il a beau faire de grands gestes en direction de Boccara, de Sève et même d’Althusser (qui a de plus en plus de mal à intervenir dans le débat), le marxisme lui est, me semble-t-il, profondément étranger. Si ce que je dis est vrai, c’est dommage. Car le concept de classe est encore aujourd’hui le concept d’un antagonisme avec le Capital, alors que le concept de peuple, beaucoup plus flou, est spontanément celui d’une situation d’harmonie sociale, d’unité.

C’est pourtant sur la base politique du « peuple » que nos dirigeants avaient construit leur stratégie récente. Celle-ci a échoué. Bessac a beau déclarer que « nous sommes de retour, nous sommes de nouveau dans le match », je pense que c’est de la poudre jetée à ses propres yeux comme aux yeux des communistes pour éviter de parler d’un échec.

C’est pourquoi, ayant peut-être mesuré après ces élections, que le réformisme gauchiste auquel ils s’étaient livrés « pour faire bouger le parti socialiste » conduisait vers une impasse, c’est vers une autre modalité du réformisme qu’ils se tournent. « C’est la question d’un Front populaire de type nouveau ». Au lieu de chercher à être « la mouche du coche » de la gauche par l’intermédiaire du Front de gauche, les communistes sont invités à participer à un Front populaire de type nouveau, reposant sur les trois piliers suivants : 1) un pilier politique venant en prolongement et en élargissement du pilier que serait le Front de gauche, 2) un pilier « des luttes sociales, syndicales, et populaires », 3) un pilier de type « think-tank », à la Terra-Nova, destiné à « faire coopérer et participer les intellectuels ». Je mettrais ma main au feu que, pour ce qui concerne ce dernier pilier, des contacts ont déjà été pris avec les personnes citées dans ce rapport (sauf peut-être avec Althusser).

La notion de Front populaire du 21e siècle a été avancée par ces dirigeants depuis plusieurs années déjà. Je crois que leur apport actuel, ce sont « les piliers », en particulier le deuxième et le troisième.

Je n’envisage pas de commenter ces propositions dans la mesure où, selon moi, elles relèvent "du rêve en papier". Certaines me semblent très douteuses. D’autres pourraient être considérées comme acceptables. Je pense que d’autres que moi en feront le commentaire critique. Mais de toute façon, elles souffrent de deux grandes défaillances.

La première est que Bessac ne fait pas état des oppositions vives et multiples qui existent au sein du PCF contre la stratégie du Front de gauche. Il pourrait en discuter, montrer "l’erreur". Il dira peut-être que ces critiques sont le fait d’une minorité. Sans doute. Mais la démocratie consiste à respecter les minorités, à les convaincre et non à les vaincre en les écrasant.

La deuxième est qu’il manque à ces propositions le point d’appui de l’analyse de la société française. Bessac est parti de « la racialisation de la politique ». Mais jamais son rapport n’est revenu sur les contradictions réelles, autres qu’idéologiques, de cette société.

 c) Une analyse rapide de la société française et conclusions sur le PCF

Je vais être extrêmement bref et parler à la première personne, car je n’engage que moi-même.

Mon premier point est que je ne me reconnais pas du tout dans l’analyse de Bessac, ou si peu. La société française est une société de classes et non une société de groupes rivaux dans l’identité. La classe qui domine est celle du capital mondialisé et financiarisé. Après les récentes élections, les intérêts économiques de cette classe sont toujours en place même si son personnel politique a été changé. Le problème majeur que doivent résoudre les communistes sur les 20 ans à venir est de chasser cette classe du pouvoir économique et politique. C’est de cela dont il faut parler.

Une remarque, au passage, la représentation politique de cette classe est-elle toujours « la droite » ? Je dirai plutôt "l’extrême-droite parlementaire" en soulignant son évolution avec Sarkozy. Sarkozy a représenté une nouvelle étape politique.

Le mot d’ordre du « combat de l’austérité contre le développement » est donc, selon moi, un mot d’ordre superficiel, en dessous de ce que j’interprète comme les exigences du moment. Mais il est vrai que pour Bessac, suivant en cela les indications de Lefebvre, il faut élaborer des mots d’ordre rassemblant des demandes sociales hétérogènes.

Je ne crois pas qu’une recommandation de ce genre soit juste. En tout cas, cela devrait être débattu à fond. Car la démarche de Lefebvre est électorale. En adoptant le mot d’ordre "rivière propre", par exemple, je vais rassembler les demandes sociales des jeunes prolos (qui veulent nager gratis dans la rivière sans avoir, ensuite, à se nettoyer à l’eau de javel), des écolos (qui veulent que les petits oiseaux se reproduisent ailleurs que dans des pneus pourris), des capitalistes (qui vont vendre des produits et des machines pour rendre la rivière propre). Mais l’action des communistes est-elle prioritairement une action à destination électorale ?

Moi, je crois que le mot d’ordre actuel est celui du "socialisme". Je n’ai pas l’impression que cela puisse satisfaire une demande sociale hétérogène. Mais j’ai la conviction qu’il est possible de le faire comprendre de plus en plus.

Deux forces majeures puissantes traversent notre société et le monde.

La première est celle de la base objective de la production et de la vie sociale. Jusqu’à ces dernières décennies, la production matérielle (la production d’objets) était dominante et déterminait le fonctionnement de l’ensemble. Aujourd’hui, la production non matérielle tend à devenir dominante et déterminante. La production d’objets est toujours indispensable mais elle devient subordonnée à d’autres activités, en particulier à la production scientifique. Or la production non matérielle, au premier rang de laquelle se trouve la production scientifique, mais aussi la formation, la santé, l’administration générale, c’est une autre façon de produire, de travailler, de consommer. Tout un ensemble de métiers nouveaux se développent avec elle.

La deuxième est celle de la mondialisation et de la financiarisation du capitalisme. Au cours des années 1970-1980, les capitalistes ont adopté la stratégie suivante : d’une part externaliser, concentrer, rentabiliser la production matérielle, éventuellement la déplacer dans les pays émergents, d’autre part, développer sur place la production non matérielle. Pour mettre en œuvre cette nouvelle division du travail, ils ont réussi à mater la classe ouvrière et d’autres salariés dans l’ensemble du monde. La révolution de la base objective s’est donc trouvée en phase avec la révolution géographique et le repartage planétaire des pouvoirs, processus toujours à l’œuvre aujourd’hui.

Ce double mouvement a engendré un très grand désordre. La revendication du socialisme vise à mettre de l’ordre dans la confusion engendrée par la gestion capitaliste de ces deux forces.

En ce qui concerne la production matérielle, la mondialisation capitaliste, nécessairement faite sous conduite financière, engendre des crises financières graves et répétées auxquelles un terme doit être mis.

Toujours en ce qui concerne la production matérielle, les entreprises fonctionnent désormais en rapport avec une demande mondiale alors que la consommation qui nous concerne, nous, communistes, est prioritairement nationale. Pour développer leurs objectifs mondiaux, les grandes entreprises ont privatisé les nations. Le but du socialisme est de socialiser les entreprises et de réajuster production et consommation, soit dans le cadre d’une nation, soit dans le cadre négocié de plusieurs nations. Il est aussi de rétablir des formes de gestion de ces entreprises qui ne mettent pas en cause leur savoir-faire par suite d’un morcellement infini et d’une sous-traitance démesurée de leurs activités. Les entreprises se construisent autour de produits et non autour de contrats.

En ce qui concerne maintenant la production non matérielle, je dirai que les entreprises capitalistes ne sont pas en mesure d’en assurer le développement rationnel. La concentration de la richesse nationale sur leurs propres besoins mondiaux privés réduit les capacités nationales de développement de ces activités, pourtant indispensables. J’ai plusieurs fois défendu la thèse que le capitalisme est le système dont la mission historique fut d’assurer le développement de la production matérielle. Je ne pense pas qu’il soit en mesure de développer la production non matérielle car les modalités du développement de ces activités ne sont plus les mêmes.

Enfin, je dirai que si le socialisme a pour finalité de mettre la production au service des consommateurs et de faire en sorte que ceux qui travaillent bénéficient de cette correspondance, cela signifie que la production doit être effectuée "pour le service" du plus grand nombre. Le socialisme est une société dans laquelle la notion de service (rapport d’usage) doit tendre à l’emporter sur celle de la valeur marchande (donnant-donnant).

Évidemment, tout cela soulève d’énormes problèmes, théoriques, et surtout politiques.

Théoriques : Par exemple, la notion de socialisme. Certains diront : c’est un mode de production. Ce choix a des conséquences. D’autres diront : c’est un système transitoire qui ne peut évoluer vers le communisme que s’il est dirigé par des gouvernements d’orientation effectivement socialiste, périodiquement renouvelé par des élections. C’est ce que je crois. Ce choix a d’autres conséquences que le précédent. A mon avis, c’est de cela dont il faudrait débattre dans un Congrès.

Politiques : En particulier 1) Le capitalisme n’est pas fini. 2) Même si le vote ouvrier de droite ne date pas d’aujourd’hui (Pompidou rassemblait déjà 23% des votes ouvriers), la classe ouvrière est politiquement fractionnée et aujourd’hui de plus en plus "stockée" par les forces réactionnaires. 3) La classe ouvrière se bat pour sa survie. Elle a l’expérience des luttes mais elle est sur la défensive. 4) Les nouvelles classes engendrées par la production non matérielle n’ont pas l’expérience des luttes. 5) Le capitalisme pervertit les mentalités et survalorise les formes irresponsables de l’individualisme.

Pour ces diverses raisons, il me semble que toute pensée révolutionnaire doit envisager de prendre appui sur une organisation révolutionnaire 1) plus conforme à la culture communiste classique, 2) pour mettre en place, agir, développer une stratégie d’alliance au sein du peuple de France a) contre le capitalisme financier mondialisé, b) pour le socialisme.

Je vais, pour donner mon avis, terminer ce texte par quelques mots sur l’organisation. Le Parti n’est qu’un moyen mais c’est un moyen de première importance. Je vais seulement évoquer deux points à ce propos.

 1) La finalité. Le Parti communiste perdrait toute raison d’être s’il n’était qu’un parti électoral. Il ne peut pas davantage viser à être un parti d’administration. Dans la société française actuelle, il doit être un parti reposant sur l’engagement personnel et militant de ses membres pour contribuer, avec d’autres, à la transformation profonde du système capitaliste et, en attendant, à la défense de toutes les populations que ce système menace et met en difficultés. La reprise des cellules (ou d’une organisation de ce type) paraît une urgence, notamment dans les entreprises.

Sa finalité de lutte révolutionnaire contre le capitalisme le distingue absolument de toute organisation syndicale mais aussi de toute organisation politique qui ne partagerait pas l’objectif de révolution de la société. C’est pourquoi, à mon avis, une organisation de type "Front", tout en étant concevable et souhaitable pour la réalisation d’objectifs momentanés, n’est pas adéquate à l’existence d’un Parti communiste en tant que tel. Je ne parle pas du fait que puissent exister diverses conceptions de la révolution et donc diverses formes de "partis révolutionnaires". Ce problème, à mon avis, est à part. Je parle du fait que le parti révolutionnaire puisse s’associer durablement avec d’autres forces certes radicales mais dont la révolution sociale ne serait pas l’objectif ultime.

En effet, l’hypothèse sous-jacente à cette forme "Front", que je vais appeler ici "Front durable" est que les opposants aux systèmes capitalistes ne sont pas en mesure, chacun dans son coin, d’avoir une perception globale suffisante des objectifs de la lutte transformatrice.

Il y aurait un système, le système capitaliste, et ses représentants capitalistes auraient une vue complète du champ de bataille. Mais il y aurait en face une force, par exemple le Parti communiste, qui, par nature, serait partiellement aveugle.

C’est en raison de cet aveuglement,que Bessac semble considérer comme inévitable, nécessaire, intrinsèque, consubstantiel, que se poserait l’exigence d’un Front durable.

Ensuite, vient l’idée que la transformation révolutionnaire résulterait de l’addition des perceptions fractionnées constitutives d’un Front durable. Car il n’y aurait pas de modèle et il ne pourrait y en avoir puisque chaque groupe est, par nature, partiellement aveugle.

Pour conclure sur ce premier point, j’énonce mon désaccord profond et, si je puis dire, philosophique, avec la conception qui nous est à nouveau proposée par Bessac. Je veux dire que je me situe au niveau fondamental du raisonnement et des principes. En me situant à ce niveau, je prétends que s’il existe "un système capitaliste" il ne peut exister "qu’un parti révolutionnaire".

Il faut donc distinguer, selon moi, les exigences découlant du "principe révolutionnaire" et celles découlant du fait que nous sommes des hommes, que nous commettons des erreurs, ou encore que nous avons besoin d’unir nos forces pour gagner telle ou telle bataille.

 2) La composition sociologique d’une organisation révolutionnaire moderne. Dans une récente contribution (21/09/2012, 1917 % PCF), Jean-Jacques Karman a indiqué que, selon lui, il faudrait que toutes les directions communistes soient constituées de 25% au moins d’ouvriers et d’ouvrières. Pour sa défense, Bessac pourrait avancer que la promotion de la catégorie ouvrière dans les directions communistes n’est pas une idée nouvelle, mais que c’est extrêmement difficile et que, malheureusement, cela ne se règle pas comme ça, en trois coups de cuillère à pot. Ce en quoi il aurait raison. Mais on doit quand même débattre. Sur ce point, je vais énoncer 4 remarques.

  • a) Le Parti communiste devrait redonner confiance aux ouvriers quant à sa capacité à prendre leurs problèmes en charge. La progression du Front national dans le vote de cette catégorie sociale montre que cette confiance a été fortement ébranlée. Or les ouvriers, les ouvrières sont en première ligne de la bataille menée par le capital financier mondialisé contre le salariat de ce pays. Même s’ils se battent en défense, ils sont aux premières loges de l’exploitation capitaliste. Ces personnes sont donc les mieux à même de comprendre le besoin du socialisme même si elles ne sont pas prêtes, pour autant, « à obéir en ayant les doigts sur la couture du pantalon ». Ce que, personnellement, j’approuve totalement.
  • b) La classe ouvrière française n’a pas été unifiée et organisée dès les débuts du capitalisme industriel. Mais elle a fait l’expérience douloureuse de luttes multiples. Elle dispose donc d’une expérience irremplaçable. Elle a une culture de la lutte. Elle en a acquis les méthodes et les concepts. Des ouvriers ou des ouvrières issus de ses rangs sont donc capables de conduire le mouvement général. Je crois que cela se prépare et que c’est aujourd’hui, l’une des urgences du combat politique, au moins autant que la lecture des œuvres de Bouvet.
  • c) En raison des changements qui se produisent dans le corps même du système productif (rôle de plus en plus important de la production non matérielle), d’autres classes sociales que les ouvriers doivent être intégrées dans les directions communistes. Le parti communiste ne peut pas être un parti replié sur les ouvriers. Les autres classes sociales engendrées par la "production non matérielle" doivent devenir des alliés complets de la construction du socialisme. Ils, elles, ont certainement des idées pour accomplir ce but. Même si, dans leur masse, les médecins, les enseignants, les chanteurs, les savants, les fonctionnaires, etc. n’ont pas une conscience révolutionnaire aussi développée et aguerrie que les ouvriers, et de loin, ils peuvent s’approprier l’héritage ouvrier et apporter leur propre contribution à la construction du socialisme. C’est dans la combinaison harmonieuse de cette diversité salariale au sein du Parti communiste que se reconnaîtra "la classe salariée".
  • d) Ma dernière remarque est relative à la notion d’intérêt général, évoquée par Bessac. Le Parti communiste est-il un Parti défendant l’intérêt général ? Je suis évidemment incité à répondre "oui". Mais je crois qu’il y a une réflexion à mener à ce propos. J’ai tendance à croire, de manière abrupte, que plus la mondialisation capitaliste s’est installée et plus les communistes ont continué de raisonner dans les termes de l’intérêt général, comme avant. Car c’est leur culture. Dans le même temps, cependant, plus nous avons été conduits à raisonner dans ces termes et moins l’intérêt général a correspondu aux déterminations nationales. C’est pourquoi il nous faut revenir aux raisons premières qui ont conduit les communistes à être tout à la fois "un parti ouvrier" et "un parti d’intérêt général". Marx montre que la libération de la classe ouvrière est en même temps libération de toute la société. Dans le cadre national, cette identification a bien fonctionné, en sorte que l’on pouvait servir d’abord l’intérêt général en étant (à peu près) assuré de servir ensuite l’intérêt de la classe ouvrière. Je crois que dans le contexte du capitalisme mondialisé, le contenu de ces termes s’est modifié. La relation ne peut plus fonctionner, selon le point de vue communiste, de manière biunivoque. De cela résulte, selon moi, que le Parti communiste doit être d’abord défini par son "contenu de classe" avant de l’être par son rapport à l’intérêt général.

Ainsi, selon ma propre réflexion, le Parti communiste devrait se comprendre désormais comme un parti salarial à hégémonie ouvrière, la satisfaction des intérêts du salariat ainsi appréhendé correspondant à l’intérêt général. C’est pourquoi il me paraît justifié que le Parti communiste adopte un "point de vue de classe" et non "un point de vue de peuple".

Par contraste, le Parti socialiste prétendrait défendre directement l’intérêt général. Mais il serait, en réalité, un parti hors classe, un parti "du peuple", un parti "attrape tout", un parti épousant les contraintes de la mondialisation et ne voyant qu’elles comme horizon indépassable de l’intérêt général.

Jean-Claude Delaunay, le 2 octobre 2012

[1Je remercie chaleureusement Paule Lanta-Ménahem (Section du PCF, Pau) pour avoir pris le temps de lire ce texte et pour m’avoir transmis d’importantes remarques, que j’ai intégrées. Il reste que, selon la formule consacrée, ce texte ne l’engage pas.

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