Le discours officiel nous présente l’intervention militaire comme une opération contre des terroristes, de petits groupes dangereux mais qui seraient en quelque sorte « extérieur » au peuple malien. L’intervention a simplement pour but de les détruire [1] pour retrouver une situation « normale » ou le peuple malien pourrait retrouver la démocratie et résoudre ses problèmes.
Quels objectifs politiques légitiment une intervention militaire ?
L’expérience récente montre que cette approche de l’intervention militaire comme d’une « opération de police » permettant une guerre de courte durée qui pourrait résoudre des problèmes nationaux est toujours démentie par les faits qui suivent les premiers succès. En Yougoslavie, en Irak, en Afghanistan, les guerres se sont révélées longues, très couteuses en vie humaine, tactiquement complexe avec des alliances changeantes... En Libye, si la guerre a semblé courte, la période d’instabilité actuelle semble tout aussi longue que celle connue en Irak et nous n’en connaissons sans doute encore pas la réalité, le niveau de violence, ni bien sûr la fin. En Syrie, l’intervention militaire se fait pour l’instant par mercenaires interposés, mais tout le monde en connait le prix terrible pour les Syriens. On sait que le chemin d’une reconstruction nationale sera très très long. Tout montre ainsi que, dans la diversité des situations évoquées, la guerre ne crée pas de solutions politiques. Elle peut détruire des pouvoirs, des armées, des institutions, mais laisse sans réponses le chantier de la construction d’une société, de la réponse aux défis de l’unité du peuple, de l’indépendance nationale, de la démocratie, des intérêts populaires.
On sait depuis Clausewitz que « la guerre c’est la continuation de la politique par d’autres moyens », elle n’est donc qu’un moyen, pour quelle politique ? c’est toute la question à propos du Mali. Personne ne peut croire que le seul objectif politique est d’éliminer quelques groupes de mercenaires...
Car quel est l’ennemi ?
Il est constitué d’une alliance de différentes forces, dont plusieurs mouvements de Touaregs, peuple historique du Sahel et du Sahara, dont les revendications à l’indépendance ne sont pas moins légitimes que celles des Saharouis ! Si certains des mouvements qui les représentent se sont « islamisés » et ont fait alliance avec des groupes qui font vivre la « guerre des civilisations » souhaitée par Georges Bush, il n’en reste pas moins qu’il n’y a pas d’issue politique au Mali sans réponse politique pour les Touaregs.
Si l’intervention Française peut sembler dans un premier temps être une intervention de libérateurs, chassant l’occupant, que se passera-t-il quand elle sera confrontée à des populations qui soutiennent les « rebelles »... Or, ces populations, principalement nomades, existent et sont fortement présentes dans le Nord du Mali...
D’ailleurs, s’il ne s’agissait que d’éliminer quelques milliers de mercenaires, il aurait suffi de leur couper tout soutien logistique, ce qui devrait être facile pour l’OTAN. Nous avons installé un pouvoir ami au Nord, en Libye. Nous sommes les alliés stratégiques du Qatar (pour la France), de l’Arabie Saoudite (pour les USA), sans lesquels aucun groupe djihadiste ne peut vivre plus de quelques mois. Il aurait donc suffit d’un voyage de Hollande à Daho... Mais nous n’avons entendu aucun gouvernement occidental s’adresser à ses alliés des monarchies pétrolières pour leur dire « STOP », plus aucun financement à des groupes armés, par touche au Mali !
Par contre, les enjeux géopolitiques de la région sont importants et connus, ses minerais, l’uranium notamment, stratégique pour la France, et le jeu géopolitique dans la concurrence entre la FranceAfrique et les USA qui travaillent depuis de nombreuses années pour la création d’une base militaire pour l’Afrique au coeur du Sahara. La prise d’otage en Algérie souligne l’enjeu essentiel du gaz dans toute la région... Ces questions sont-elles oui ou non présentes dans les décisions militaires de la France ?
Le piège s’est refermé ?
Mais si la France a des objectifs géopolitiques à défendre dans la région, a-t-elle fait le bon choix ? Il était certes contraint devant la pression militaire des forces touaregs et islamistes sur le sud du Mali. Mais il n’est que la conséquence d’une stratégie antérieure incapable de considérer l’indépendance et la souveraineté nationale des pays africains comme une chance pour la France. La destruction de l’état Libyen a ouvert la boite de Pandore des conflits tribaux, transformé la situation politique des touaregs, et le refus de laisser le Mali s’armer [2] a laissé le champ libre... La tentative de coup d’état qui voulait bousculer l’attentisme de ATT a conduit à de laborieuses négociations maintenant le Mali dans une situation d’assisté... Quel rôle jouait la France dans cet attentisme, pendant que de l’autre coté, de Libye en Syrie, elle continuait de faire ami ami avec les financiers des djihadistes...
Les USA peuvent laisser la France en première ligne, avec sans doute l’arrière pensée, qu’elle ne s’en sortira pas seule. Les différences de commentaires sur l’intervention militaire algérienne contre la prise d’otages sont éclairants. Les enjeux géopolitiques sont énormes pour la France dans cette région historique de colonisation, et notamment en Algérie avec les efforts importants d’implantation des USA, et plus récemment l a présence chinoise croissante...
Toute la question pour la France est de savoir ce que deviendra la situation militaire. Les premiers succès, qui étaient attendus compte tenu des moyens militaires mis en œuvre, ne nous disent rien sur la suite de la guerre, et personne ne sait quels sont les objectifs des forces françaises face aux touaregs.
L’état malien qui souhaitait une aide militaire n’a sans doute pas eu beaucoup de liberté dans la définition des conditions de l’intervention Française. En acceptant la solution militaire occidentale, pourra-t-il garder sa souveraineté sur la solution politique dans un an, deux ans ? En tout cas, les négociations que tentaient d’organiser l’Algérie entre le Mali et les touaregs et qui devaient commencer... le jour de l’intervention Française, seront évidemment plus difficiles à relancer.
Par contre, comme en Irak ou en Afghanistan, les djihadistes peuvent se frotter les mains... Ils ont la guerre qu’ils ont cherché, ils peuvent renforcer leur choc de civilisations, s’implanter dans de nouvelles zones ou les relais islamiques ont les moyens de prendre la direction des mosquées, dénoncer le diable occidental avec des arguments sur les inévitables « dommages collatéraux », tout en imposant une régression moyenâgeuse de la société, qui peut paraitre comme la seule issue de société, en l’absence d’un projet libérateur et progressiste.
L’honneur des communistes se joue à leur congrès...
Dans ce contexte, l’unanimité des parlementaires au sénat et à l’assemblée pour soutenir l’action gouvernementale, intégrant apparemment la totalité des parlementaires communistes, est un évènement considérable. Dans les guerres de Yougoslavie, d’Irak ou d’Afghanistan, les députés et les dirigeants communistes avaient toujours fait entendre une voix discordante contre le consensus militariste, même si des ministres communistes avaient participé à un gouvernement décidant de la guerre.
Pour le parti qui s’est fondé dans le refus de la guerre, qui a grandi dans la conscience populaire avec l’action contre les guerres coloniales au Maroc, au Vietnam, en Algérie qui ont marqué des générations de militants, cette décision devrait interpeller les communistes a quelques semaines de leur congrès. La situation au Mali serait-elle de nature différente de celle de l’Afghanistan, ou d’autres guerres du siècle dernier ? Et sinon, jusqu’où les principes communistes sont-ils solubles dans le médiatiquement correct ?
Les communistes sont pourtant très largement d’accord pour dénoncer l’OTAN, demander la sortie de la France, dénoncer l’alliance avec les monarchies pétrolières contre les peuples, dénoncer l’accumulation des armes, exiger le désarmement nucléaire, dénoncer la France Afrique et affirmer le droit à l’indépendance nationale pour tous les peuples... Mais leur direction les habitue à l’ambiguïté, à doses homéopathiques dans un premier temps, avant d’aller de plus en plus franchement dans la rupture avec l’histoire communiste et la solidarité internationaliste.
Peuvent-ils décider collectivement à leur congrès de dénoncer l’intervention militaire Française, d’exiger le respect de la souveraineté du Mali, le blocus de l’aide pétrolière aux djihadistes, proposer l’organisation d’une conférence internationale de paix reposant sur la souveraineté des peuples ?