Gramsci comme défi et comme élixir
Losurdo relit Gramsci : Du libéralisme au communisme critique.

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Domenico Losurdo sera à Lyon fin Octobre, notamment pour les rencontres internationalistes de Vénissieux le 27. Il animera plusieurs rencontres dans la semaine. Un évènement à inscrire dans les agendas...

Ci-dessous, une présentation du livre de Losurdo sur Gramsci, écrit par Odile Nguyen-Schoendorff pour la revue « ça presse » ! (Bulletin de l’Urdla).


Gramsci, avec ses Quaderni del carcere a connu une grande faveur en France dans les milieux intellectuels - notamment chez les étudiants communistes – Tous n’ont pas perdu la mémoire - dans les années 1960-1970, puis une phase de désamour et d’oubli, due à la montée de divers « communismes critiques » plus chatoyants, plus radicaux, le trotskysme et le maoïsme, voire le « badiolisme », (néologisme de François Laruelle pour caractériser le courant initié par Alain Badiou).

Or, Domenico Losurdo nous propose de relire le philosophe marxiste italien, dont l’approche anti-mécaniste peut nous intéresser aujourd’hui à plus d’un titre.
Gramsci est peut-être le premier à cerner deux théories de la révolution chez Marx :
 l’une, dans Le Capital, mécaniste, prédit la révolution socialiste comme conséquence inéluctable de l’achèvement du processus d’accumulation capitaliste : « Sonne la dernière heure de la propriété capitaliste ».
 l’autre, dans Les luttes de classe en France, esquisse au contraire « une époque de révolution sociale » épanouissant un bouquet de processus révolutionnaires originaux, issus de facteurs variés, y compris nationaux, et pas seulement strictement économiques.

La première version conduit à la prédiction d’une révolution prolétarienne en Allemagne, vaine, puisque c’est dans un pays arriéré, la Russie, qu’a eu lieu cette dernière, en l’absence de cette « maturité économique, condition pourtant nécessaire selon le Marx du Capital, « du collectivisme ».

Gramsci défend le socialisme dans un seul pays, contre Trotski et contre Lénine, soulignant le poids de la question nationale. Il y a en Union Soviétique une difficulté pour le prolétariat de s’organiser en classe, tandis qu’en Angleterre, la classe dominante piège l’aristocratie ouvrière en lui jetant les miettes des surprofits coloniaux : bref, il ne suffit pas que les classes subalternes conquièrent le pouvoir, ou tentent de le conquérir, pour se soustraire à l’hégémonie de la bourgeoisie.

Comment, grâce à la dialectique, concilier le rayonnement de la bourgeoisie, décrit de façon vibrante dans le célèbre chapitre II du Manifeste, avec la thèse de sa totale décadence idéologique ? La bourgeoisie garde entre ses mains l’hégémonie, par exemple après la révolution de 1844, tout en réchauffant en son sein des intellectuels radicaux, comme Marx lui-même.

La rupture entre l’idéologie révolutionnaire et la pensée bourgeoise se produit selon Lénine en intégrant trois « parties constituantes » du marxisme : « la philosophie allemande, l’économie politique anglaise et le socialisme français », « le marxisme étant le successeur légitime de tout ce que l’humanité a créé de meilleur au cours du XIXe siècle ». Quid alors de la « putréfaction » bourgeoise de la pensée, proclamée par Lukàcs en 1938 dans la Destruction de la raison ?

Le communisme critique de Gramsci ne fait pas table rase, mais incorpore « le meilleur » de l’héritage bourgeois.

En retour, « les classes dominantes… absorbent la critique marxienne de l’idéologie et la plient… au rôle d’arme de lutte contre le mouvement ouvrier et le socialisme ».

Devient alors urgente la « construction prolétarienne d’un groupe d’intellectuels organiques, liés à la classe ouvrière par de multiples fils : non seulement les idées, « mais aussi l’extraction sociale, les sentiments, les passions ». Les partis communistes l’ont tenté, avant ce qu’il est convenu d’appeler l’effondrement du « socialisme réel ».

S’étant toujours refusé à lire l’histoire moderne (1re boucherie mondiale et fascisme(s) compris) comme un traité de tératologie, Gramsci nous inspire a fortiori de ne pas procéder à une diabolisation de ce « socialisme réel », mais à un bilan tourné vers l’avenir.

Par sa défense lucide de l’ordre nouveau, il efface la « ligne de continuité » tracée par Nietzsche dans la palingénésie entre le credo quia absurdum de Tertullien et la foi socialiste ».

L’anti-mécanisme de Gramsci, son refus de la « tabula rasa » et de toute forme de messianisme en font pour certains un « classique », (Benedetto Croce ose : « comme homme de pensée, il fut des nôtres ») mais il résiste par avance aux efforts répétés de la classe dominante pour intégrer comme élixir reconstituant de son hégémonie celui qui, la comprenant, définitivement, la défie.

Odile Nguyen-Schoendorff

Losurdo relit Gramsci : Du libéralisme au communisme critique.
(Gramsci comme défi et comme élixir)
(Chirat, 42540 St Just la Pendule, novembre 2006) 237 p. 22€

Voir en ligne : le site de l’URDLA

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