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« Progressistes », une revue consacrée simultanément à la Science, au Travail, au Milieu naturel et social
En Juin 2013 est sorti le premier numéro d’une revue trimestrielle, Progressistes, éditée par le PCF selon le même format que La revue du Projet. A ce jour, trois numéros de Progressistes (sous-titre : Science, Travail et Environnement) ont été publiés, consultables en ligne [1]. J’exprime ici, de manière très succincte, une opinion sur cette revue. Quelles en sont les principales caractéristiques ? Quelles impressions ai-je tiré d’un premier contact ?
La revue Progressistes combine, selon moi, trois caractéristiques.
1) Elle se situe dans la continuité du travail et de la réflexion accomplis par René Le Guen. Cette référence est explicite. Ce communiste et syndicaliste éminent fait partie de la cohorte des "hommes silencieux" de l’action revendicative et révolutionnaire (cf. l’article qu’Arnaud Spire publia dans l’Humanité après son décès le 23/11/93). Ils laissent une trace par leurs actes plus que par leur nom. René Le Guen fut à l’origine de la création d’une Commission Scientifique et Technique auprès de la direction du PCF [2]. Il est surtout connu pour s’être engagé dans la transformation de l’Union générale des Cadres et Ingénieurs de la CGT en UGICT-CGT (1969) avec reconnaissance simultanée du rôle des techniciens dans la production. Il contribua au lancement de la revue Avancées. Enfin, au plan intellectuel, il formula la théorie de « la double nature du travail » pour rendre compte des contradictions traversant la vie professionnelle de "l’encadrement". Cela vaudrait peut-être la peine de se demander si de semblables contradictions ne traversent pas, aujourd’hui, la vie professionnelle des scientifiques.
2) Ses concepteurs semblent avoir l’intention de rendre compte de la science dans sa modernité. L’activité scientifique ne serait plus « la science toute seule », mais la science de collectifs nombreux [3]. Elle devrait être comprise et analysée dans le contexte mondial. Les scientifiques seraient des salariés travaillant dans le domaine scientifique. Pour analyser la société contemporaine, il faudrait prendre en considération la science, bien sûr, mais aussi le travail, l’écologie. Je trouve que les explications données sur ces divers points sont parfois confuses et qu’il conviendrait de les reformuler. Enfin, c’est mon avis. La volonté de rendre compte de la modernité de la science de cette manière conduit à structurer chaque numéro en quatre parties : un dossier principal, puis trois sous-parties, répétées de numéro en numéro : 1) Science et Technologie, 2) Travail, Entreprises et Industrie, 3) Environnement et Société.
3) La troisième caractéristique de cette publication, serait, me semble-t-il, de nature sociologique et consisterait à faire travailler ensemble des scientifiques, des ingénieurs, des chercheurs, des salariés relevant de milieux professionnels divers ainsi que des politiques [4]. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, ce n’est pas une revue consacrée principalement à la science, avec analyse de ses effets multiples sur le reste des activités [5]. C’est une revue qui serait consacrée simultanément à la science, à l’environnement, à la société en général, ainsi qu’au travail contemporain. La science et la technologie semblent y occuper cependant une place de premier plan.
Ces aspects s’expriment dans le choix des directeurs de la publication, Jean-Pierre Kahane et Jean-François Bolzinger. J.P. Kahane est un mathématicien réputé, membre de l’Académie des sciences [6]. Je présume qu’il en symbolise la dimension "science". J.-F. Bolzinger, de son côté, en représenterait la dimension "politique", au sens large du terme. Issu de l’industrie (Bull), Bolzinger, est membre de l’appareil du PCF. C’est aussi un syndicaliste, élu secrétaire général adjoint de l’Union générale des Ingénieurs, Cadres et Techniciens (UGICT-CGT) en 2011.
Au-delà de ces deux noms, qui condensent une responsabilité morale éminente, il faudrait tenir compte de la composition du comité de rédaction. L’information en ligne ne m’a pas permis d’y accéder, même si la liste des auteurs des articles permet d’en avoir une première intuition [7]. Tels sont, me semble-t-il, les trois caractéristiques majeures permettant de cerner "l’élan vital" de cette revue [8].
Quelques impressions personnelles
Je vais maintenant énoncer quelques impressions personnelles.
— 1) Relativement à la science et la technologie, la revue Progressistes n’est manifestement pas une revue scientifique au sens courant du terme, comme peut l’être la revue américaine Sciences [9]. Elle ne traite pas des sujets et découvertes scientifiques de manière approfondie. Elle s’efforce, en deux pages (bien écrites), d’en donner un aperçu [10]. Elle s’adresse donc à un public très large et non aux scientifiques stricto sensu. Elle informe ce large public sur les découvertes, recherches, applications et problèmes du moment tout en en suggérant une explication très limitée. Je ne doute, par exemple, d’être bientôt en mesure de comprendre, avec la théorie des capes d’invisibilité [11], pourquoi Fantômas a si souvent fait la nique au Commissaire Juve. Cela dit, il me faudra sans doute étudier d’autres articles que ceux parus dans Progressistes sur ce sujet.
— 2) Cette revue ne m’apparaît pas, non plus, comme une simple revue de vulgarisation scientifique. En m’efforçant de la définir positivement, je dirai que c’est principalement une revue des obstacles au développement de la science. Certes, pour franchir de tels obstacles, les scientifiques sont conduits à "vulgariser" l’objet caractérisant leur domaine de recherches et à en montrer les applications. Mais ce qui définirait Progressistes de la manière la plus large, s’adressant alors tant aux scientifiques qu’à un public soucieux de se cultiver scientifiquement, serait le répertoire et l’analyse de ces obstacles, ainsi que les moyens de les surmonter. Sébastien Elka, par exemple, insiste sur "les obstacles structurels et financiers" rencontrés par la recherche scientifique au plan européen [12] (les rapports sociaux de production). A propos de la procréation médicale assistée, Michel Limousin insiste de son côté, sur "les questions éthiques" [13]. Mais il fait également état du "manque de suivi" [14], ce qui est différent. Les obstacles de nature éthique apparaissent fréquemment. A propos des nanosciences et nanotechnologies, Amélie Lopes et Jean-Noël Aqua écrivent que "dans le cas des nanotechnologies, des questions éthiques… sont des points essentiels du débat" [15]. Marie-Claire Cailletaud affirme que « notre société, dite par certains "société de la connaissance" est en réalité celle de l’information rapide, de la communication superficielle et éphémère… La culture scientifique régresse ». Elle invite néanmoins à "un débat serein sur nos choix technologiques" [16]. Enfin, on ne saurait oublier la science elle-même comme mode de solution des problèmes qu’elle rencontre. En comprenant de cette manière la finalité ultime de cette nouvelle revue, je comprends simultanément qu’elle puisse intéresser et concerner tout à la fois des scientifiques et des non-scientifiques aspirant à un avis cultivé [17].
— 3) Un autre aspect du rapport qu’entretient cette revue avec la science est, me semble-t-il, que les problèmes n’y sont pas abordés explicitement ou frontalement sous l’angle théorique. Il s’agit d’une faiblesse. La théorie apparaît éventuellement, mais de manière dérivée. Il en résulte que la lecture de cette revue peut engendrer de l’insatisfaction. Par exemple Progressistes traite de la science et des technologies. Mais quel est le rapport entre science et technologie ? Apparemment, la réponse à cette question relèverait de l’évidence. Il serait donc inutile, voire malséant, de la soulever. Mais cette revue est-elle publiée pour un "large public" ou pour des scientifiques professionnels ? Autre question : puisque cette revue traite de la science, je me demande « Mais qu’est-ce donc que la science aujourd’hui ? ». Michel Simon, qui enseignait à l’université des sciences et techniques (Lille 1), à Villeneuve d’Ascq, aimait particulièrement faire la distinction entre les sciences dures (physique, chimie, mathématiques, etc.) et les sciences molles (sociologie). Cette distinction (très approximative) est-elle pertinente pour les concepteurs de Progressistes ? Si elle l’est, pourquoi semblent-ils avoir exclu les sciences molles du champ de la revue proposée ? Autre question : pourquoi la science n’aurait-elle d’importance que relativement à l’industrie ? N’existe-t-il pas également une science (des sciences) de la politique, des rapports économiques, de la société, du management des organisations publiques, privées, une science administrative, une science de l’opinion publique, et ainsi de suite ? L’extension de la démocratie, qui fonctionne bien souvent dans le langage communiste, comme une sorte de joker verbal destiné à résoudre tous les problèmes, ne mériterait-elle pas, elle aussi, une approche scientifique appropriée ?
— 4) Je vais quand même plaider à décharge. On peut penser, en effet, que le champ d’observation de Progressistes est si vaste, son ambition éditoriale d’une telle immensité, que mieux vaut, pour elle, dès le départ, réduire et baliser les difficultés plutôt que de les accumuler. Car les sciences dures ont au moins l’avantage d’être dures. Avec elles, on sait à peu près où l’on va. Les sciences molles, au contraire, sont molles à ce point qu’elles obligent parfois à ériger le terme de "merdier" au rang de concept fondamental. Et puis, dira-t-on peut-être, ce qui compte avant tout n’est pas tant la théorie que la clarté dans la démarche. La preuve du pudding, c’est qu’on le mange. Un peu d’empirisme éloignerait de la théorie, beaucoup d’empirisme en rapprocherait. D’autant que la clarté vient peut-être en marchant. Quand bien même Progressistes n’aurait pas inscrit « Qu’est-ce la science ? » à son programme, peut-être les concepteurs de cette revue ont-ils (ont-elles) choisi de se poser cette question par la bande ? C’est ce que j’observe en effet.
Dans cette revue, Ivan Lavallée, rappelle, par exemple, qu’existent au moins deux catégories de sciences dures. Citant Bernard Chazelle selon lequel « l’univers physique est bâti sur des principes de symétrie et d’invariance qui font cruellement défaut en biologie » [18], il écrit que « Là où les objets physiques ne s’altèrent pas sur des milliards d’années, les êtres humains ont évolué ». Il distingue donc les sciences physiques de la biologie. A partir de ce constat, il indique, si j‘ai bien compris, que l’algorithmique n’est pas seulement la science des façons de conduire un ordinateur mais qu’elle va au-delà de l’informatique et peut aller bien au-delà encore de l’étape à laquelle elle est aujourd’hui arrivée. Dans l’immédiat, elle donne aux observateurs de ces phénomènes qui sont à la fois physiques (invariants) et vivants (variants), comme les météorologues, les moyens de les simuler et de les étudier scientifiquement. On est donc en présence, avec son article, d’un bref exposé sur un fragment de la science contemporaine (l’algorithmique) ayant pour point de départ une approche descriptive de la science plus fine que celle que l’on peut associer à la simpliste notion de science dure. C’est donc un élément implicite et partiel de réponse à la question "Qu’est-ce que la science ?".
Vincent Laget, qui introduit dans le lot des savoirs scientifiques l’intéressante "zététique", indique, de son côté, l’existence de pseudo-sciences et de pseudo-médecines, telles que la voyance, l’astrologie, l’homéopathie, l’étude des phénomènes para-normaux [19]. Il est clair que la description de la science par son contenu doit s’accompagner de la description des non-sciences qui veulent, à tout prix, être reconnues comme sciences. Cela étant dit, mon interrogation initiale demeure : pourquoi les sciences molles ne font-elles pas partie du programme que se donne la revue ? Luc Foulquier, par exemple, rappelle le Comité central d’Argenteuil (11-13 mars 1966) et le discours terminal que prononça Waldeck Rochet, évoquant précisément « les lois de la nature et de la société » [20]. N’aurait-il pas été tout simplement scientifique de traiter frontalement et clairement : « De quelles sciences allons-nous parler dans cette revue et, incidemment, qu’est-ce que la science ? » ? Mais au fait, dans quelle catégorie ranger l’écologie, partout présente ? S’agit-il d’une science ? S’agit-il d’une science molle ? S’agit-il d’une science dure ? S’agit-il d’une pratique molle à fondement scientifique dur ?
— 5) L’article d’Hubert Krivine, portant sur « L’attitude scientifique : Douter ou Relativiser », me semble l’un des plus intéressants ayant été publiés dans cette revue [21]. Il aurait mérité, cependant, d’être approfondi. On touche ici une faiblesse générale de cette revue, valable pour toutes ses rubriques. Elle est en même temps trop restreinte (pourquoi, par exemple, exclure le travail administratif de son champ d’observation ?) et trop étendue (trop d’articles par rubrique). Car à vouloir trop embrasser, même si elle contient beaucoup d’articles de qualité, chacun est si court que la conclusion que l’on peut en retirer est plutôt confuse. J’ai particulièrement éprouvé ce sentiment à propos des analyses relatives au travail. L’article de Pierre Petit, par exemple, sur « Infogérence et alternative à l’externalisation » [22], me paraît excellent. Mais quelles conclusions en retirer relativement au travail contemporain ? Quels sont les concepts novateurs introduits par cet article ? Cette impression d’insatisfaction est à fortiori forte et évidente quand le papier dont on fait la lecture "ne casse pas des briques".
— 6) Maintenant, pêle-mêle, et pour en terminer, quatre remarques :
1- J’ai particulièrement apprécié l’article de Jean-Pierre Kahane sur « Paul Langevin, physicien inspiré et figure légendaire » [23]. Certains veulent nous faire croire que nous avons tort d’être communistes. L’exemple de Paul Langevin ne peut, au contraire, que nous rendre fiers de nos convictions.
2- L’écologie est désormais partout présente dans les préoccupations quotidiennes. Je crois que, sur ce terrain, il existe deux grandes façons de raisonner. Pour les uns, la prise en compte de l’écologie serait en soi un acte révolutionnaire, d’où le pseudo-concept de « révolution écologique ». Pour les autres, la révolution sociale devrait avoir un prolongement écologique, mais il serait excessif de parler de révolution écologique. C’est ce qu’exprime, à mon avis, Pierre-Alain Millet, dans son article sur « L’écologie dans la gestion municipale : l’exemple de Vénissieux » [24]. La revue Progressistes pourrait utiliser les concepts rendant compte du besoin écologique contemporain (comme par exemple celui de complexité) tout en se distinguant absolument de réactionnaires et anticommunistes tels que Dominique Voynet ou Alain Lipietz, véritables artistes de la saloperie politique.
3- Il est dit, en introduction du numéro 1 de cette revue que la science a désormais une dimension mondiale. Sans doute. Mais d’une part ce constat n’est pas vraiment un trait nouveau de cette activité. D’autre part, aurait-il pour corollaire que les politiques nationales de la science seraient désormais caduques ? Car que peut-on attendre de l’Union européenne à ce propos ? Une revue scientifique devrait traiter scientifiquement de toutes les questions.
4- J’ai la conviction que, dans les universités, divers centres de recherche publient des travaux tout à fait importants et accessibles en libre accès, par exemple sur la science ou sur l’histoire des sciences. Si tel est le cas, la revue dont je viens bien maladroitement de présenter quelques traits s’enrichirait et enrichirait ses lecteurs, en mentionnant de façon régulière les articles parus sur ces sites, voire en dialoguant avec leurs auteurs.
Jean-Claude Delaunay, le 2 Avril 2014