No Society
La fin de la classe moyenne occidentale (Ed Flammarion )
par Christophe Guilluy [1]
Dans ce nouvel essai, « No Society », Christophe Guilluy analyse le monde des périphéries, ses contours, sa diversité (pauvres, modestes et il y ajoute une partie des classes moyennes), qu’il oppose à la gentrification et la ghettoïsation des gens d’en haut.
Après les ouvriers et les employés et les paysans, ce sont « les professions intermédiaires et les retraités qui subissent le effets négatifs de la mondialisation ».
C’est à partir de cette base que la vague populiste traverse l’occident.
Selon l’auteur, c’est la mondialisation qui vise à faire disparaître la classe moyenne.
La classe dominante occidentale, partout, n’avait que mépris pour ce « basket of deplorables » (Hillary Clinton [2]), ces « sans dents » (Hollande).
Le choc du vote du Brexit, l’élection de Trump [3] ont sidéré les élites et les élus des classes dirigeantes.
Ce monde des périphéries, dit l’auteur, n’est ni urbain, ni rural, mais il concerne les grandes aires urbaines mondialisées qui s’opposent aux métropoles du progrès, de la mondialisation heureuse, celle du marché.
C’est dans cette France périphérique que le Front national s’enracine, loin des métropoles gentrifiées (c’est-à-dire avec des quartiers aux immeubles réhabilités, modernisés, chics et chers, très vite occupés par des « bobos » aux très bons salaires, la mondialisation heureuse).
« En 2006-2013, les créations d’emplois se concentrent sur les métropoles, 46%. »
Les élections américaines, dit l’auteur, ont validé à leur manière l’émergence d’une Amérique périphérique et d’une France périphérique.
Ces classes périphériques refusent la mondialisation. Des « populistes, des racistes » ? Mais, dit l’auteur, Trump, représentant de la société fermée, comme Macron celui de la société ouverte sont les deux faces de la même pièce. Ils présentent tous deux le même détachement vis-à-vis du clivage gauche-droite. Ils veulent tous deux supprimer le plus possible le Bien commun, c’est à dire les services publics et favoriser les plus riches.
C’est la politique de Thatcher, abandon de l’industrie britannique, massacre de la classe ouvrière ; elle disait « there is no society » (c’est-à-dire il n’y a pas de classes, le rêve des dominants supprimer la lutte de classes).
La régression touche ruraux, urbains, zones « présentielles » (c’est-à-dire où la population génère des besoins de services, par exemple où vivent des retraités).
Le vote populiste
Pourquoi vote populiste ?
Thomas Piketti révèle le processus mondial de concentration du capital et des richesses :
« En 2017, la fortune des 500 personnes les plus riches du monde atteignait 5400 milliards, soit 2 fois le PIB de la France ».
Les classes populaires et la classe moyenne ont vu leurs salaires stagner ou baisser (ça ne ruisselle pas !), elles connaissaient chômage et précarité.
Les victimes de la mondialisation sont de plus en plus reléguées socialement et géographiquement.
L’auteur a une analyse intéressante :
« La nouvelle structuration sociale repose moins sur des niveaux de revenus que sur le niveau d’intégration sociale et culturelle ».
Il voit les catégories modestes sans conscience de classe :
- En 1980, c’est la gauche socialiste qui instrumentalise « la question ethnoculturelle au détriment de la question sociale » (les droits différentiels à l’école, au nom des différences de culture de religion etc...). Le gouvernement poursuit l’intensification des flux migratoires. Ce sont les classes populaires qui doivent accueillir les immigrés. S’ils protestent, ils sont racistes.
L’auteur cite longuement Marchais répondant aux insultes du camp socialiste : « Quelle idée se font ces gens des travailleurs ? Bornés, incultes, racistes… » Ce sont les mêmes termes employés maintenant par cette même gauche libérale bourgeoise qui n’habite pas dans ces quartiers relégués et qui proteste vivement quand on veut construire dans son quartier des logements sociaux.
- L’Europe a démantelé les nations. Cette perte du cadre national n’est pas favorable aux luttes des travailleurs, qui peinent à entraîner toute la classe périphérique. Depuis des années, la mise en avant d’une organisation territoriale trop coûteuse (le fameux mille feuilles) justifie en douceur la métropolisation.
« Le paradigme républicain reposait sur la commune, le département, la nation », citation de Chevènement.
Le résultat est bien l’abandon programmé de la commune et du département.
La perte du cadre national, du cadre rassurant de la commune a fait exploser la fragmentation et la multiplication des revendications identitaires.
Les quartiers se sont communautarisés, arabo-musulmans, subsahariens, asiatiques, turcs, etc... et vivent avec des tensions inter-communautaires, inter-religieuses.
Parfaitement consciente de ces risques (trafics de drogue et pression islamiste), la classe populaire, dès qu’elle le peut, pratique l’évitement.
Et il n’y a pas que les "Blancs" qui fuient ces quartiers, les minorités aussi ! Elles cherchent un quartier plus calme, plus "mixte" avec de meilleures écoles (non communautaires). C’est le « white flight » (« la fuite des blancs » dit l’auteur. Mais il y a aussi bien le « arab flight », ou « jewish flight » (les juifs) ou le « chinese flight » (les chinois).
Ainsi les classes populaires évitent-elles la guerre civile et c’est sur elles et elles seules que repose la paix (alors que les classes dominantes ont créé cette situation).
Confrontés à cette impasse culturelle, dit Christophe Guilluy, les politiques n’arrivent pas à défendre le modèle d’intégration. Ils surjouent la posture républicaine.
Macron s’adressant aux victimes d’inondation dans l’Aude « Vous êtes la République ! » (?).
« La crise du modèle territorial réveille l’affaissement d’un modèle qui a échoué sur l’essentiel. Après la classe ouvrière, les classes populaires, les classes moyennes, ce sont les classes protégées (retraités fonctionnaires). »
On en est là du démantèlement ! Le gouvernement s’attaque à tous les statuts, à la Fonction publique, avec des recrutements par contrat plutôt que par statut !
L’auteur parle aussi du combat sociétal qui a remplacé le combat social.
Le mariage pour tous, la lutte contre les violences, contre les femmes, pour l’égalité hommes-femmes etc. Il ne nie pas, nous non plus ! l’importance de ces combats. Mais ils doivent se mener avec le combat social, pour le Bien Commun, la hausse des salaires, contre le chômage, etc...
Pour terminer, l’auteur cite Obama (ses mémoires). Il aurait des doutes « Et s’il était allé trop loin dans la promotion du cosmopolitisme et de la mondialisation ? ».
L’auteur pense que la crise sociale permettra à la classe d’en haut de prendre conscience qu’elle doit essayer de refaire société avec les médias, les universitaires pour vivre ensemble, avec le peuple, dans la paix… Il en va de la survie des sociétés occidentales, il en va de leur propre existence.
Ce livre m’a beaucoup intéressée. Si les classes moyennes sont maintenant elles-mêmes touchées et s’allient avec les classes populaires, alors serons-nous majoritaires ? Et pourrons-nous faire reculer les "classes dominantes" comme les appelle l’auteur ? Même si moi, j’ai d’autres mots pour nommer ces classes et notre ennemi, le capital…
Mireille Popelin