Le président vénézuélien Nicolás Maduro et le journaliste espagnol Ignacio Ramonet, lors de l’entretien de ce dernier avec le président au palais de Miraflores à Caracas. Photos de l’article publiées avec l’aimable autorisation d’Ignacio Ramonet
Ignacio Ramonet : Monsieur le Président, permettez-moi tout d’abord de vous souhaiter une bonne année.
Le Président de la République bolivarienne du Venezuela, Nicolás Maduro : Merci.
Ignacio Ramonet : Et, d’autre part, je voudrais vous remercier d’avoir accepté de donner cette interview, qui est l’interview numéro 10, depuis que nous avons commencé ces rencontres de début d’année, devenues un classique. La semaine dernière, un article est paru en France, par exemple dans un hebdomadaire, avec un article contre moi et en particulier axé sur le fait que je suis le journaliste qui vous interviewe tous les premiers de l’année.
Nicolás Maduro : Auraient-ils peur de l’interview, ces gens-là ?
Ignacio Ramonet : Oui, parce que c’est une conversation très franche, n’est-ce pas ?
Nicolás Maduro : Pour dire les vérités qu’ils cachent. Vous pouvez d’ailleurs revoir ces dix interviews, dix ans de suite, et comparer ce que nous avons dit sur l’année écoulée et les prévisions pour l’année à venir.
Ignacio Ramonet : Ce qui a également été fait, c’est qu’à chaque fois, ces entretiens nous permettent de faire le bilan de l’année écoulée et d’ouvrir des perspectives pour la nouvelle année.
Nicolás Maduro : et celui qui n’est pas d’accord, hé bien qu’il ouvre le débat ! Nous, nous ouvrons un débat. Nous aimons beaucoup le débat, le débat d’idées, la bataille de la vérité contre tant de manipulations, et c’est pour cela que je vous remercie pour cette fenêtre d’opportunité, car lorsque nous avons commencé ces interviews, elles étaient publiées par écrit. C’était un autre siècle, un autre monde.
Ignacio Ramonet : C’était un autre monde.
Nicolás Maduro : Aujourd’hui, ces interviews sont diffusées par ce que l’on appelle les réseaux sociaux et les plateformes.
Ignacio Ramonet : Monsieur le Président, l’interview sera comme chaque année divisée en quatre parties. Nous allons parler de la politique intérieure, qui comporte beaucoup de questions importantes, de l’économie, qui est une question fondamentale. Nous allons parler de technologie et de société, précisément à cause de ce que vous venez de dire, des réseaux sociaux. Et nous terminerons par la politique internationale.
Nicolás Maduro : Oui.
Ignacio Ramonet : Je voulais donc commencer par la question suivante, qui concerne la question de la démocratie au Venezuela. Au Venezuela, l’année 2024, qui vient de s’achever, a été une année très électorale. Il y a eu les élections présidentielles du 28 juillet, le référendum sur la Guyana Esequiba, la consultation populaire du 25 août sur les budgets participatifs des communes, l’élection des juges de paix et, cette année, les élections locales et régionales, toute une série d’élections, y compris les élections parlementaires. En d’autres termes, depuis le début de la révolution bolivarienne il y a 25 ans, le Venezuela s’est caractérisé par une grande intensité électorale. Mais récemment, vous avez dit que vous pensiez à une éventuelle réforme constitutionnelle pour injecter plus de démocratie au Venezuela. Je pense qu’il y a déjà assez de démocratie, que faut-il ajouter à la démocratie vénézuélienne ?
Nicolás Maduro : Eh bien, il y a plusieurs questions. Tout d’abord, le bilan que nous tirons, maintenant que la Constitution a célébré son 25e anniversaire le 15 décembre, est de très bon augure, très positif, parce que malgré tant de conspirations, tant de tentatives de coup d’État, le coup d’État que nous avons réussi à renverser en avril 2002, la guerre économique dans ses différentes phases, la guerre psychologique et cognitive, la guerre politique nationale et internationale, nous pouvons reprendre de la principale proposition de l’Assemblée constituante de 1999, à savoir la construction d’une démocratie participative et protagonique (au Venezuela ce mot désigne le droit du peuple à déterminer le cours de la politique, NdT). A l’époque, à la fin des années 1990, le Commandant Chávez a commencé à promouvoir l’idée de dépasser la vieille démocratie de partis, épuisée, la démocratie représentative. Parce que tout en se disant démocratique, elle limitait fortement la souveraineté, le pouvoir du peuple. Et nous pouvons dire que les idées et les propositions d’il y a 25 ans ont été pleinement et entièrement mises en œuvre.
Nous avons eu 31 élections constitutionnelles, 31 élections, périodiques, permanentes, avec un calendrier impeccable, des élections présidentielles, quand il le fallait malgré toutes les guerres, les blocus, il n’y a jamais eu d’excuses pour reporter une élection présidentielle, ou des élections pour les gouvernorats et les conseils législatifs, qui sont le pouvoir de l’État, ou des élections pour les mairies et les conseils municipaux, le pouvoir municipal. Nous avons organisé sept référendums, y compris le référendum sur le territoire de la Guyana Esequiba, pour régler des questions essentielles et fondamentales. Nous devons nous souvenir d’un référendum très important, en 2007, pour une réforme constitutionnelle que nous avons perdue pour 20.000 voix, et nous avons immédiatement reconnu le résultat. Et souvenons-nous du référendum de février 2009 pour modifier la Constitution, parce qu’au Venezuela, pas une virgule, pas un point, pas un mot de la Constitution ne peut être modifié sans référendum. Il s’agit d’un mandat constitutionnel et d’un droit constitutionnel du peuple. Ensuite, en 2006-2007, le Commandant Chávez a entamé la construction d’une démocratie populaire directe, avec la création des premiers conseils communaux, puis le développement du concept de commune, qui est l’agrégation des conseils communaux, et le transfert du pouvoir d’autogestion aux voisines et aux voisins.
Nous avons repris avec force l’idée de la démocratie directe, de la démocratie de quartier et de la démocratie communautaire. Dans ce cas, la construction de ce que notre peuple appelle un nouvel État communal, un nouvel État moderne, dans l’idée de la modernité socialiste bolivarienne du XXIe siècle, et non dans l’idée de la modernité ratée du monde occidental, ni de la post-modernité, qui était une critique de la modernité. Dans ce cas, nous essayons de construire un nouveau concept, basé sur la Constitution de 1999, et les résultats ont été, et sont, extraordinaires. Cette année, en 2024, nous avons organisé trois consultations directes avec les communautés. Deux consultations pour des projets, pour l’exécution de budgets, pour des projets communautaires, décidés, définis, planifiés, votés et approuvés par un vote populaire, direct, secret, large et majoritaire. Cela impliquait l’approbation de milliers, de milliers de projets de quartier, pour résoudre des problèmes souvent aigus que la bureaucratie de l’ancien État n’aborde pas, ne résout pas. J’ai été témoin, dans une région appelée Guatire, Araira, ici dans l’État de Miranda, de l’élaboration d’un projet, un mur de soutènement pour une route d’accès principale à une zone productive, sur la route des producteurs de mandarines.
Et comment la population a demandé au maire, pendant des années, la construction d’un mur de soutènement, parce que toute la route d’accès allait s’effondrer, et il ne leur a jamais donné de réponse. Et nous, et la communauté, lors d’une des consultations, la première, avons approuvé le projet, la ressource directe a été réduite, quelque chose comme 10 mille dollars, mais la communauté, en 4 mois, a construit le mur mais d’une manière incroyable, complète, sûre, et il leur restait assez d’argent pour récupérer un centre de santé et une école, ce qui démontre que la démocratie directe, avec la participation, l’œil omniprésent du peuple, la démocratie de proximité, est infiniment supérieure, beaucoup plus efficace que le vieil État bourgeois usé que nous avons encore, qui est comme une coexistence étrange entre le vieil État qui ne finit pas de résoudre les problèmes locaux, et la force tellurique d’un nouvel État qui est en train d’émerger de la base.
Nous avons également réalisé, à la fin de l’année, le 15 décembre, une très belle expérience, car l’Assemblée nationale a approuvé la loi organique sur la justice de paix communale, et 15 000 juges de paix ont été élus au Venezuela par vote populaire direct, 15 000 juges de paix principaux et 15 000 juges de paix suppléants issus du territoire, des voisins. On ne le dit pas dans le monde, parce que le monde est intéressé à répéter qu’au Venezuela il y a une dictature, qu’il n’y a pas de démocratie, et que la seule démocratie qui existe est leur démocratie, la démocratie du Nord, de l’Ouest, de cet empire collectif, dégradé, décomposé, en phase finale de décadence, et on ne dit pas qu’ici, dans le Sud, dans le Sud global, en Amérique du Sud, il y a une belle expérience qui est en train de naître de démocratie populaire, de démocratie directe, de démocratie des voisins.
Nous avons donc vécu une période formidable pour prouver qu’il est possible de construire une autre façon de faire de la politique, qu’il est possible, nécessaire et urgent pour l’humanité d’envisager de nouveaux modèles. Et de là, de ce débat, est née une proposition très forte, qui a été très bien accueillie par l’ensemble de la société vénézuélienne, à savoir qu’à partir de janvier 2025, nous devrions nous orienter vers une réforme constitutionnelle qui démocratise l’ensemble de l’État, qui démocratise l’ensemble de la société et qui s’oriente vers un processus de renforcement d’une nouvelle façon de faire de la politique, d’une nouvelle démocratie. C’est dans cette direction qu’il faut aller, et aussi avec une méthode fondée sur le dialogue et l’inclusion.
Je suis en train de constituer une équipe spéciale d’experts, de conseillers, de consultants, j’ai un œil sur les formes de consultation du pouvoir populaire que nous appliquons constamment, ainsi qu’un groupe de conseillers internationaux qui ont proposé de nous soutenir, et très bientôt, peut-être dans les prochains jours….
Ignacio Ramonet : Traduire cela dans la loi, dans une certaine mesure ?
Nicolás Maduro : Oui, parce que la réforme constitutionnelle, pour être appliquée, doit d’abord être un projet. La réforme doit aller à l’Assemblée nationale, le pouvoir législatif du Venezuela, le Parlement, le seul qui existe au Venezuela, le Parlement élu par le peuple en 2020, une fois que le Parlement approuve un projet, ce projet doit aller dans la rue, au peuple, au débat, au référendum, et celui qui a le dernier mot au Venezuela pour approuver une réforme, pour changer la Constitution, c’est la souveraineté populaire, c’est la démocratie directe, c’est le peuple.
Ignacio Ramonet : Monsieur le Président, le monde entier attend actuellement deux investitures qui vont avoir lieu dans les prochains jours. D’une part, celle du président élu des États-Unis, Donald Trump, à Washington, qui aura lieu le 20 janvier, et la vôtre, qui aura lieu dans quelques jours, le 10 janvier. La question est de savoir comment vous expliquez que pour tant d’observateurs internationaux, il y a le même intérêt entre votre investiture et celle qui a lieu dans la première puissance mondiale avec un changement de leadership, qui en l’occurrence n’a pas lieu ici puisque vous avez été réélu… Qu’est-ce que le Venezuela a de si particulier pour être au coeur de l’attention mondiale ?
Nicolás Maduro : Parce qu’il y a une bataille pour le contrôle et la domination du Venezuela. Le Venezuela a été le centre des luttes anticolonialistes et indépendantistes il y a exactement 200 ans. Nous sommes ici accompagnés de l’épée, l’épée libératrice de Carabobo, avec laquelle le libérateur Simón Bolívar a mené la bataille victorieuse du 24 juin 1821 qui a chassé l’armée impériale espagnole des terres de ce qui est aujourd’hui le Venezuela. L’épée que lui ont donnée les habitants de Lima, les pauvres de Lima, les indigènes, les artisans, pour signifier que Bolívar était leur libérateur, leur sauveur. Ce sont deux épées d’une grande importance symbolique dans notre histoire, d’une grande importance. Nous avons également ici un poignard ayant appartenu au grand maréchal d’Ayacucho, le vainqueur d’Ayacucho il y a 200 ans, qui a finalement chassé les armées impériales d’Europe, d’Espagne, de ce territoire, de l’Amérique du Sud. Tous ces symboles, comme le pistolet du libérateur Antonio José de Sucre, marquent avec force les luttes que nous menons aujourd’hui.
Ignacio Ramonet : Il faut dire, Monsieur le Président, que nous sommes dans le bureau présidentiel.
Nicolás Maduro : Oui, il s’agit du bureau numéro un du palais de Miraflores, qui est la maison du peuple. Et ce sont précisément ces symboles qui nous accompagnent quotidiennement, en permanence. Et c’est un rappel permanent, Ramonet, d’où nous venons, quel est notre projet, d’où vient toute notre force et notre énergie pour le XXIe siècle.
Alors, écoute, l’empire a cru qu’en 2024 il pourrait faire un coup d’État définitif au Venezuela, il a joué un double jeu. D’une part, ce que j’ai appelé la diplomatie de la tromperie, qui est très pratiquée par les empires et l’empire états-unien dans le monde, avec ses différentes modalités, la diplomatie de la tromperie avec de fausses offres pour essayer après avoir gagné de l’espace, de vous poignarder dans le dos ; à d’autres moments, ils appliquent également la diplomatie de la tromperie basée sur le chantage, sur la menace d’invasion, de guerres économiques.
Nous connaissons toutes ces façons d’agir de l’empire états-unien et de ses alliés. Ils pensaient que 2024 était l’année décisive et ils ont appliqué la diplomatie de la tromperie, sur la base des négociations que nous avons menées avec le gouvernement sortant, Joe Biden, et qu’ils n’ont respectées en rien.
Ignacio Ramonet : Ce qu’on a appelé les négociations de la Barbade, n’est-ce pas ?
Nicolás Maduro : Et du Qatar.
Ignacio Ramonet : Et du Qatar.
Nicolás Maduro : Oui. Et la signature des documents. Vous avez là les documents qu’ils n’ont pas respectés de manière vulgaire et éhontée. Et par dessous, ils ont favorisé, financé, soutenu et promu la résurgence d’un foyer fasciste d’extrême droite qui contrôlerait une bonne partie de l’opposition vénézuélienne, et qui la ramènerait vers une grande conspiration, le cheval de Troie dont ils ont besoin pour détruire les pays. Et ils ont cru, une fois de plus, comme ils l’avaient fait lors du coup d’État de 2002, en nous sous-estimant, en sous-estimant le peuple vénézuélien, qu’ils avaient construit le plan parfait. Mais, petit détail, ils n’ont pas compté sur l’immense pouvoir du bloc historique de la révolution bolivarienne. Ils n’ont pas compté sur le fait qu’au Venezuela il y a un bloc historique puissant et qu’il y a une fusion parfaite entre le pouvoir populaire, le pouvoir militaire et le pouvoir policier. C’est ce que nous appelons l’union et la fusion populaire, civique-militaire-policière, en reprenant le concept de Gramsci, développé par Chávez, de la révolution bolivarienne.
Cette année, nous avons donc déjoué le plan impérialiste visant à détruire la révolution bolivarienne. Mais ils maintiennent leur détermination obsédante de déstabiliser le Venezuela. Ils essaient donc de transformer notre élection, tout comme ils ont transformé les élections présidentielles du 28 juillet, en enjeu mondial, et maintenant avec les réseaux sociaux encore plus, avec la manipulation des réseaux sociaux. Combien d’élections y a-t-il eu en 2024 dans le monde ? Des centaines d’élections.
Ignacio Ramonet : Des dizaines au moins, c’est l’une des années les plus électorales de l’histoire.
Nicolás Maduro : Mais on dirait qu’il n’y a eu que deux élections, celle du 28 juillet au Venezuela…
Ignacio Ramonet : Et aux États-Unis.
Nicolás Maduro : Et aux États-Unis en novembre. Ils en ont fait une élection mondiale. Maintenant, ils veulent que le 10 janvier soit une prise de pouvoir mondiale. Ils essaient de faire ce qu’ils n’ont pas réussi et ne réussiront pas, c’est-à-dire déstabiliser notre patrie, déstabiliser notre démocratie, faire dérailler le Venezuela et essayer de l’entraîner sur la voie du chaos, de la division, de la confrontation et, avec le chaos, la division, la violence, appeler à une intervention militaire étrangère, ce qui est le rêve ultime de cette idée folle du fascisme vénézuélien, de l’extrême droite, d’essayer d’appliquer une méthode de pression maximale, de violence et de destruction des forces révolutionnaires du chavisme.
Le Venezuela est tout simplement en paix, calme, tranquille et sûr de son destin, sûr de son chemin. Et de la même manière que nous avons été capables de démanteler les conspirations internes, les chevaux de Troie fascistes internes, les pressions externes, les conspirations, les mercenaires, les terroristes, au cours de ces 25 années, nous avons déjà acquis l’expérience et la capacité de garantir au peuple vénézuélien et aux peuples du monde qui nous soutiennent, qui nous aiment, qui aiment le peuple vénézuélien, que le Venezuela va continuer sur la voie de l’indépendance, de la paix et de la révolution. Sois-en sûr.
Ignacio Ramonet : Comme vous le dites, Monsieur le Président, la campagne médiatique contre le Venezuela dure depuis 25 ans et nous avons vu comment cette campagne s’est intensifiée depuis votre victoire électorale du 28 juillet. En particulier, les médias conservateurs internationaux ont changé sans vergogne l’histoire de ce qui s’est passé le lendemain des élections, le 29 juillet. C’est-à-dire lorsque des groupes armés organisés ont attaqué un certain nombre d’institutions officielles et causé une trentaine de morts. La version qui a été donnée dans les médias internationaux, qui s’est répandue sur les réseaux sociaux, c’est que ces victimes ont été causées par les autorités. C’est donc un peu le monde à l’envers, comme disait Eduardo Galeano. Vous avez réagi contre ces mensonges et vous avez lancé, vous avez relancé non seulement le mouvement révolutionnaire, notamment avec le bloc historique, mais aussi une grande offensive antifasciste. Vous avez organisé, une série de congrès antifascistes, de mouvements antifascistes, ont été organisés à Caracas. L’antifascisme international s’est maintenant rassemblé à Caracas pour soutenir la révolution bolivarienne.
Et je voulais vous demander, d’une part, votre avis sur cette nouvelle campagne internationale, bien que vous veniez de le dire dans une certaine mesure, et quelle est votre évaluation de ces congrès antifascistes qui ont eu lieu à Caracas au cours des derniers mois.
Nicolás Maduro : Les congrès antifascistes au Venezuela ont montré l’immense soutien dont nous bénéficions dans tous les mouvements mondiaux, anticolonialistes, antifascistes, progressistes, de gauche, révolutionnaires, dans tous les mouvements humanistes. Ici, au Venezuela, des gens se sont rassemblés, issus de l’immense diversité des civilisations, de tous les continents, de tous les pays, qui cherchent quoi ? Une alternative, une alternative pour que le monde unipolaire ne revienne pas, pour que l’hégémonisme cesse, et aussi pour dire aux propriétaires, aux entreprises privées, aux propriétaires des réseaux sociaux, des portails et des grands médias du monde, qu’un autre monde est possible.
Et nous, au Venezuela, nous soutenons cet autre monde, le vrai monde, tout d’abord.
Deuxièmement, j’ai noté l’immense soutien du peuple vénézuélien aux congrès antifascistes. J’ai été témoin de plusieurs expériences où, disons, des visiteurs, des délégués de mouvements sociaux, des intellectuels, des politiciens du monde entier, d’Asie, d’Afrique, d’Europe, des États-Unis, d’Amérique latine et des Caraïbes, sont allés visiter les communautés dans différents États du pays, Ils ont pu se promener dans les rues des différentes villes et ils ont pu palper dans les rues le désir du peuple vénézuélien de tranquillité, de stabilité, de paix, de respect, que personne ne s’immisce dans les affaires intérieures du Venezuela, que les empires laissent le Venezuela tranquille, que ce soit la patrie de Bolívar.
Troisièmement, je peux te dire qu’au Venezuela se dessine l’avenir des mouvements progressistes du monde, des mouvements révolutionnaires du monde, et je suis convaincu que ce message, cette prise de conscience et cette alerte sont dans l’esprit de millions d’hommes et de femmes de tous les continents, de tous les pays, de toutes les religions, de toutes les cultures, parce qu’il savent que le Venezuela a une voix très puissante pour dénoncer les crimes mondiaux, une voix très puissante pour dénoncer la décadence du monde occidental, pour faire des propositions qui permettent le rapprochement des peuples, des civilisations, en termes de nouveaux modèles de développement, plus égalitaires, qui prônent un plus grand bonheur social, comme le proposait le libérateur Simón Bolívar. Il y a donc beaucoup de gens qui nous observent. De même qu’il y a une manipulation des réseaux sociaux, des mercenaires qui écrivent des articles ici, là, sur des portails, dans les médias, sois en sûr, parce que je le vois et que nous l’avons vu, il y a aussi une immense opération de défense de la vérité de notre pays.
Et les gens savent ce que signifiait la conspiration visant à utiliser les élections du 28 juillet pour remplir le pays de violence, pour organiser un coup d’État avec une intervention étrangère. Les gens sont conscients de l’immense valeur des efforts déployés par le peuple vénézuélien pour rétablir la paix et la tranquillité en 48 heures, pour rétablir la justice.
Les organes de la justice vénézuélienne, le ministère public, le système judiciaire, ont mené une enquête approfondie et professionnelle, conformément à la législation nationale et aux normes internationales, afin d’identifier les responsables des actes de violence et des crimes de haine qui ont été commis. Toutes les personnes tuées lors des actes violents de la flambée fasciste des 29 et 30 juillet ont été victimes de ces groupes appelés « comanditos », de ces groupes de criminels rémunérés, sortis dans les rues pour brûler, pour casser, parce qu’ils voulaient, et ce n’est pas la première fois, tuer des gens, ils ont voulu avec cette « guarimba » version 2024, provoquer une commotion d’une telle ampleur qu’elle donnerait aux gringos et à leurs alliés de droite la justification d’essayer d’introduire la force militaire au Venezuela, et de transformer le Venezuela en une zone de combat, de conflit. Mais il y a une force, une conscience, une capacité, et en 48 heures, la paix a été rétablie constitutionnellement, la justice a été rendue, la justice continuera d’être rendue, et je peux vous dire avec une conviction absolue que si tu vas dans les rues de n’importe quelle communauté, n’importe où dans le pays, et que vous demandez aux Vénézuéliens : voulez-vous que la guarimba revienne ? voulez-vous que la violence revienne ? voulez-vous que les crimes de haine, les attaques, l’intolérance reviennent ?, plus de 90 % des habitants de ce pays te répondront d’une seule voix : nous ne voulons pas d’intolérance, nous ne voulons pas de haine, nous ne voulons pas de division, nous ne voulons pas de violence. Nous sommes sur le chemin de la paix et je peux t’assurer que l’homme qui est ici, que tu connais très bien, Nicolás Maduro Moros, réélu président, est la plus grande garantie, avec notre peuple, de la paix, de la stabilité et de l’indépendance du Venezuela.
Les congrès antifascistes se poursuivront dans quelques jours, du 7 au 12 janvier, il y aura un grand congrès mondial de la jeunesse antifasciste. Et il y aura le deuxième chapitre du Congrès antifasciste des mouvements sociaux et politiques. Nous attendons donc l’arrivée, entre le 7 et le 12 juillet, de plus de 2.000 dirigeants de mouvements sociaux et politiques de tous les continents, qui viendront au Venezuela pour célébrer les victoires de l’antifascisme. Car c’est au Venezuela que se décide l’avenir de la lutte contre ce modèle macabre qui tente de réapparaître.
Ignacio Ramonet : Monsieur le Président, nous allons parler de l’économie, qui est un sujet extrêmement important.Il y a quelques jours, la vice-présidente exécutive, Delcy Rodríguez, a annoncé que vous aviez décidé de changer le nom du ministère du pouvoir populaire pour le pétrole, qui s’appellera désormais ministère du pouvoir populaire pour les hydrocarbures. Et Delcy Rodríguez a déclaré que ce changement représentait un changement stratégique dans la manière d’aborder la question de l’énergie.
J’aimerais que vous nous expliquiez en quoi consiste ce changement stratégique.
Nicolás Maduro : Nous avons défini 18 moteurs en 2016. Puis sont arrivées toutes les sanctions pénales, toutes les persécutions économiques, commerciales et financières contre le Venezuela. Et nous avons très patiemment mené à bien le développement des 18 moteurs, n’est-ce pas ? L’un de ces moteurs est le moteur des hydrocarbures. Vu dans son ensemble, le Venezuela est une puissance énergétique. Nous possédons les plus grandes réserves de pétrole de la planète Terre. Nous avons les quatrièmes plus grandes réserves de gaz. Nous disposons d’une puissante industrie pétrochimique. Nous considérons donc le moteur des hydrocarbures comme un moteur très important pour son développement. Mais nous avons l’intention de ne plus dépendre du moteur à hydrocarbures, ou de rompre la dépendance à son égard. Nous voulons qu’il soit un moteur puissant soutenant le développement de l’économie du pays. Un levier puissant, mais sans retomber dans la dépendance, car nous avons déjà pris la décision de construire une économie productive qui soit basée sur bien d’autres sources que le pétrole. Et je pense que nous avons bien progressé.
Ignacio Ramonet : Une économie plus diversifiée.
Nicolás Maduro : Oui. Avec diverses propriétés ou, disons, diverses capacités de développement potentiel pour garantir et satisfaire les besoins nationaux et développer la vocation d’exportation et de substitution des importations que le pays doit posséder.
Ignacio Ramonet : Monsieur le Président, depuis quelques années, le Venezuela vit ce que les analystes appellent un miracle économique. Selon les chiffres d’organisations internationales indépendantes et fiables, le Venezuela a connu une croissance de 12% en 2022. L’année dernière, l’année précédente, la croissance était de 5 %. Et probablement, lorsque les chiffres seront publiés, la croissance de l’année qui vient de s’achever sera de 6 %. Et tout cela dans un pays en état de siège, un pays soumis à des dizaines de mesures coercitives unilatérales criminelles.Les analystes se demandent comment vous faites, quelle est votre recette ?
Nicolás Maduro : Tout d’abord, il faut avoir un plan. J’en ai ici, tu vois, la synthèse. C’est mon document de travail. C’est mon document. Je ne vais pas te le montrer. Ici, nous suivons en permanence la stratégie économique. La première chose était d’établir en 2016, très clairement, les véritables moteurs du développement national. La deuxième était d’établir la nécessité de construire des équilibres macroéconomiques en ligne avec un effort productif. Je cite toujours Artigas, le grand libérateur de la bande orientale de l’Uruguay, lorsque je dis que nous n’attendons rien sauf de nous-mêmes. Regardez, j’ai ici la stratégie de développement pour chaque secteur de l’économie nationale. Nous avons fixé de grands objectifs. Nous les confirmons ici. Un objectif fondamental était de produire de la nourriture. J’ai réorganisé la Gran Misión Agrovenezuela, créée par le Comandante Chávez, et nous l’avons réorganisée en discutant avec le mouvement paysan national, et nous avons pris des mesures pratiques qui ont permis de libérer les forces productives de la campagne. Le Venezuela partait d’une dépendance de 80 % à l’égard des produits alimentaires étrangers. Cela faisait 120 ans que nous achetions toutes nos denrées alimentaires à l’étranger. Pourquoi ? A cause du chéquier pétrolier. Nous sommes passés de 80 % de pénuries dans la rue à un approvisionnement à 100 % en produits agro-écologiques, en produits biologiques, en cherchant des réponses avec le mouvement de la production rurale, avec le mouvement paysan, avec la communauté des entreprises rurales.
Le développement des campagnes, de la terre, de l’alimentation est fondamental. Et nous avons récupéré la capacité de l’industrie vénézuélienne, qui atteignait 8 %. Le Venezuela dispose d’une industrie importante dans tous les secteurs, avec un bon niveau. Le commandant Chávez a réalisé un bon investissement industriel dans le pays par le biais de systèmes de crédit, etc. Le système industriel vénézuélien a atteint 8 %. Cette année, globalement, nous approchons les 45 %.
L’année prochaine, j’ai proposé à la vice-présidente, à la directrice de l’économie, Delcy Rodríguez, que nous atteignions 70 % pour achever le cycle de substitution des importations, qui est un cycle nécessaire pour briser le cycle négatif des importations, des choses que nous pouvons produire ici ; pour produire tout ici et renforcer le nouveau cycle de vocation d’exportation qui permet aux devises convertibles d’entrer, de renforcer le système de taux de change du Venezuela, d’avoir de l’argent pour beaucoup d’autres choses.
Ici, j’ai le plan. Tout ce que je vais faire… J’ai déjà défini les 7 transformations.Tout d’abord, la grande transformation économique du Venezuela. Continuer à progresser dans le développement d’une économie forte. Nous avons développé un marché intérieur fort. À l’heure actuelle, nous avons enregistré une croissance de 81 % du commerce intérieur au cours du dernier trimestre. C’est ce que j’ai décrit comme une surchauffe de la consommation intérieure, qui démontre la grande capacité d’achat et de consommation de la population et montre un niveau élevé d’approvisionnement par la production intérieure, mais aussi par les importations. Nous devons donc trouver un équilibre afin de ne pas trop importer et de faire en sorte que tout soit produit ici, c’est un élément fondamental.
Nous avons donc de bons chiffres économiques, tu parlais de l’année 2022.
Ignacio Ramonet : Une croissance de 12 %.
Nicolás Maduro : Je te corrige, si tu permets.
Ignacio Ramonet : Oui, s’il vous plaît.
Nicolás Maduro : La croissance a été de 15 % en 2022, c’était la première année de croissance après les missiles, après les sanctions économiques criminelles, les missiles sont tombés, nous avons enduré, nous avons résisté et la première année de croissance de l’économie réelle a été en 2022, de 15 %. En 2023 nous avions 5. 5%. Et en 2024, selon toutes les données scientifiques, statistiques et techniques, la croissance du produit intérieur brut dépassera 9%, avec un niveau de croissance très élevé de l’économie réelle et de l’économie des hydrocarbures, que nous sommes en train de récupérer, Ramonet, grâce à nos propres investissements, à notre propre technologie et à l’immense effort, à la sagesse, à la préparation et à la formation de la classe ouvrière vénézuélienne du secteur des hydrocarbures, grâce à ses connaissances ; car vous devez savoir que nous souffrons toujours de la persécution économique contre notre industrie pétrolière, notre industrie gazière.
Il y a donc de bons éléments : en 2024, nous aurons l’inflation la plus basse de ces 20 dernières années ; en 2024, nous aurons terminé un cycle de 14 trimestres de croissance. C’est donc le moment de s’engager pour six ans, comme nous allons le faire, dans la construction d’un modèle économique autonome et productif qui approvisionne le pays, qui développe sa vocation exportatrice et qui génère de la richesse pour recouvrer tous les droits sociaux et du travail de notre classe ouvrière et de notre peuple.
Ignacio Ramonet : Monsieur le Président, dans le prolongement de ce que vous venez de dire, maintenant que la situation économique s’améliore considérablement, quelles bonnes mesures pouvez-vous annoncer en cette période de fêtes pour améliorer la vie quotidienne des Vénézuéliens en 2025 ?
Nicolás Maduro : Eh bien, voici le plan. Tout d’abord, consolider l’autosuffisance alimentaire du pays, qui est vitale, et sa vocation exportatrice. Nous réalisons d’importants investissements dans les campagnes vénézuéliennes pour atteindre cet objectif. Deuxièmement, consolider la stabilité du système de change vénézuélien et la lutte contre l’inflation. C’est essentiel pour que les meilleures conditions soient réunies pour le développement économique et social du pays. Il s’agit là d’un ensemble d’éléments bien articulés et activés. Continuer à garantir les investissements et notre propre technologie avec nos alliés dans le monde, stabiliser le service d’électricité et continuer à stabiliser les carburants pour la consommation intérieure, la récupération de l’ensemble du système de raffinage vénézuélien, sont des éléments fondamentaux du plan. Sur le plan social, en 2023, j’ai créé la formule d’indexation du revenu intégral des travailleurs.
En 2024, nous l’avons approfondie et poussée au-delà de ce que nous pouvions faire, car le revenu dépend du revenu du pays ; je peux vous dire que nous avons à peine récupéré 10 % du revenu du pays et qu’avec cela, nous devons investir et tout récupérer. Mais cette année 2025, nous allons progresser dans le renforcement du concept d’indexation et de récupération du revenu réel afin de croître en ligne avec la croissance de la génération de la richesse nationale. En outre, le plan visant à achever, en 2025, la récupération de 100 % des établissements de santé du pays, avec une garantie totale de fonctionnement et de technologie, nous avons progressé avec les brigades militaires communautaires (« Bricomiles »), ce qui a été un miracle ; et cette année 2025, nous allons récupérer 100 % des écoles et des lycées du pays grâce à cette merveilleuse formule, les Bricomiles.
Nous travaillons dans toutes les directions, ce aui pour moi c’est très important, et parmi les priorités de 2025 nous allons organiser six consultations pour fournir des ressources directement aux communautés, quatre de ces consultations pour des projets communautaires généraux, une de ces consultations, la cinquième, pour des projets spécifiques pour les jeunes et pour la jeunesse ; et une autre pour des projets des travailleurs et travaileuses de la culture, et pour tout ce qui a à voir avec la grande mission culturelle, la Gran Misión Viva Venezuela Mi Patria Querida (« Vive le Venezuela, ma patrie bien-aimée »).
Pour l’application du nouveau budget communal, une modalité que les gens vont commencer à connaître, j’ai créé le Fonds budgétaire pour les projets communautaires, nous estimons qu’il aura l’équivalent de 600 millions de dollars supplémentaires, c’est le budget national donné directement aux communautés et elles-mêmes décident de leurs priorités, cela va avoir un impact énorme sur la qualité de la vie dans le territoire, dans les communautés.
Et nous continuerons à aller de l’avant comme en 2024 avec les grandes missions sociales de nouvelle génération, reprenant le concept original du Commandant Chávez, des missions sociales, et des grandes missions, conçues d’un point de vue stratégique et structurel pour les secteurs qui ont été les plus durement touchés par la guerre économique, par les sanctions criminelles des gringos ; La Grande Mission Femme Venezuela, pour continuer à avancer dans les domaines de l’attention globale aux femmes d’une manière spécifique, particulière, dans la construction de cet immense mouvement de femmes dans le pays ; la Grande Mission Jeunesse Venezuela, pour continuer à renforcer le droit des jeunes à l’étude, au travail, à la culture, à l’éducation ; la Grande Mission Grands-pères et Grands-mères de la Patrie, c’est ma grande mission parce que je suis aussi un grand-père.
Ignacio Ramonet : Moi aussi [rires].
Nicolás Maduro : Nous sommes les grands-parents de la patrie, de la patrie humaine : la grande mission Viva Venezuela Mi Patria Querida, l’identité, la culture, l’indépendance de l’esprit, de l’âme, des esprits ; la grande mission de l’égalité ; et à côté de cela, eh bien, ce qui a à voir avec le logement et l’habitat, qui est le renforcement et l’unification en un seul effort de la grande mission Logement Venezuela et de la grande mission Barrio Nuevo Barrio Tricolor.
Ignacio Ramonet : Très joli, le programme Barrio Nuevo Barrio Tricolor.
Nicolás Maduro : Il est très beau, bien préparé et je pense que nous allons aller de l’avant avec de nouvelles méthodes que les gens demandent, de nouvelles méthodes pour construire des logements, pour réparer des logements.
Nous avons des priorités très claires, nous avons le plan, nous avons la volonté, nous avons le soutien de la population et je crois que l’année 2025 et les années qui vont suivre seront vraiment exceptionnelles, merveilleuses.
Ignacio Ramonet : Président, passons maintenant à la question de la technologie et de la société.
Nicolás Maduro : Tout à fait.
Ignacio Ramonet : Je sais que vous êtes très intéressé par…
Nicolás Maduro : Accepteriez-vous une tasse de thé ? Malojillo avec du citron et du gingembre, oui ?
Ignacio Ramonet : Oui, avec grand plaisir.
Nicolás Maduro : Très bon pour la santé.
Ignacio Ramonet : Bien. Tout à fait.
J’aimerais aborder un sujet qui, je le sais, vous intéresse beaucoup, à savoir la question des réseaux sociaux et de leur influence sur nos sociétés. Récemment, plusieurs gouvernements ont pris des mesures pour limiter l’accès aux réseaux sociaux. Par exemple, l’Albanie a décidé d’interdire TikTok pendant un an. Ou le Brésil, qui a décidé d’interdire l’accès aux appareils électroniques, les smartphones, dans les écoles. Et l’Australie a décidé d’interdire les réseaux sociaux à tous les enfants de moins de 16 ans. Je voudrais donc vous demander si, ici au Venezuela, votre gouvernement envisage d’adopter l’une ou l’autre de ces mesures de précaution.
Nicolás Maduro : La première chose est que nous devons comprendre le phénomène mondial des réseaux sociaux et comment les entreprises privées sont maîtresses de l’immense pouvoir de communication, que personne n’a jamais eu auparavant dans l’histoire de l’humanité. D’atteindre par téléphone des millions, des milliards d’hommes et de femmes sur la planète Terre. Et de la capacité qu’elles ont créée, d’abord pour des raisons économiques commerciales, d’influencer les esprits. Une capacité qu’ils ont déjà développée avec le marketing que nous connaissons. Tu l’as très bien étudié dans ce livre, ces capacités, ton livre de 2007, où tu étudies les capacités de manipulation et d’influence de la radio, de la presse et de la télévision, à l’heure actuelle.
Ignacio Ramonet : Et le cinéma.
Nicolás Maduro : Et le cinéma, c’est vrai. Nous avons donc atteint un niveau jamais imaginé auparavant. Et tu le sais, ton goût personnel, Ramonet, et le mien, ce que tu aimes, si tu aimes les chatons ou les chiens, ou si tu aimes telle ou telle boisson gazeuse, tel ou tel aliment, ils connaissent tous nos goûts personnels. Mais ça ne s’arrête pas là, ce pouvoir s’est transféré au plan du pouvoir politique, pour la manipulation des processus électoraux, pour la manipulation des processus politiques, pour la déstabilisation des pays, en fait les grandes puissances du monde ont le contrôle des réseaux sociaux de leurs pays, la République populaire de Chine, l’Inde, la Russie, enfin, et les États-Unis, qui contrôlent les grandes entreprises privées de multimillionnaires propriétaires de Facebook, WhatsApp.
Ignacio Ramonet : Instagram.
Nicolás Maduro : Instagram, YouTube et maintenant TikTok. Mais en fin de compte, TikTok a succombé au chantage et au commandement des puissants des États-Unis. Pour comprendre tout ça, j’ai beaucoup étudié le sujet, qui n’est pas facile. J’ai vu des gens qui comprenaient théoriquement la chose, mais qui étaient eux-mêmes victimes de l’influence des réseaux sociaux. J’ai commencé à lire ce livre, qui m’a été apporté par Juan Carlos Monedero à l’époque de la flambée de violence fasciste à Caracas. Je te le recommande, je recommande ces livres à tout le monde. Je les ai lus cette année et je les passe en revue. Fascismo mainstream, de Carles Senso, Journalisme, conspirations, algorithmes et bots au service de l’extrême droite. Tu lis ce livre et tu penses qu’il a été écrit pour décrire ce qui s’est passé au Venezuela les 27, 28, 29 et 30 juillet. Ce que dit le livre a été appliqué au Venezuela pour un coup d’État fasciste. Nous connaissons ce livre par cœur, nous l’avons vécu dans la pratique. Ce livre est très précieux.
Voici un livre sur lequel j’ai également mis la main, il m’a été offert, de Jonathan Haidt, un intellectuel états-unien que je ne connais pas. C’est un très bon livre, un best-seller du New York Times, The Anxious Generation : Why are social networks causing an epidemic of mental illness among our young people ? Je le recommande.
Ignacio Ramonet : Le mot de l’année, cette année, a été « pourriture cérébrale ».
Nicolás Maduro : C’est ce que créent les réseaux sociaux. Ils pourrissent les émotions, le cerveau, la capacité de réaction. J’ai ici un autre livre de Marta Peirano, une Espagnole : El enemigo conoce el sistema : Manipulación de ideas, personas e influencias después de la economía de la atención (« L’ennemi connaît le système : Manipulation d’idées, de personnes et d’influences après l’économie de l’attention »). Ce sont des livres, tu vois, écrits par des gens, un groupe de Vénézuéliens, deux officiers, un capitaine de frégate, Francisco Felipe López Crespo, et le major José Gregorio Silva Fernández : La guerra de la información en el siglo XXI (La guerre de l’information au XXIe siècle), un livre extraordinaire, extraordinaire, sur tout ce phénomène, par des militaires vénézuéliens.
J’ai un livre qui m’est tombé entre les mains très tôt, de Michel Desmurget : « Plus de livres et moins d’écrans : comment en finir avec les crétins numériques. »
Ignacio Ramonet : Excellent [rires].
Nicolás Maduro : Il y a vraiment beaucoup de matériel de recherche et nous sommes obligés de le comprendre.
Ignacio Ramonet : Absolument.
Nicolás Maduro : Parce que nous sommes obligés de protéger la santé mentale de nos pays. Nous sommes surtout obligés de protéger la santé mentale des enfants, des filles, des jeunes qui grandissent. Parce que ce concept que l’on appelle le pourrissement du cerveau a déjà été étudié, il affecte gravement le développement cognitif des fonctions cérébrales de nos enfants qui se consacrent aux écrans.
Ici, au Venezuela, ces derniers jours, devant la Chambre constitutionnelle de la Cour suprême de justice, qui traite de cette question, un groupe de parents d’écoles et de lycées a déposé un recours en protection juridique, à la suite de la mort de deux enfants, une fille et un garçon, à la suite d’un des défis viraux lancés sur TikTok. Un de ces « défis viraux ». Récemment, une autre personne a été brûlée et son corps a été détruit à 70 % en relevant un défi viral TikTok en direct, diffusé en direct. L’État vénézuélien a agi par l’intermédiaire de l’autorité compétente Conatel, la Commission Nationale des Télécommunications. La Chambre constitutionnelle a convoqué une série d’audiences, une série d’événements judiciaires, et a rendu une première décision claire et énergique pour obliger TikTok à ouvrir un bureau au Venezuela et à se soumettre à la loi vénézuélienne.
Elle lui a imposé une amende équivalente à 10 millions de dollars. Et a déclaré qu’en cas de non-respect de cette mesure, elle prendrait des mesures de protection plus sévères dans la sphère vénézuélienne. Tout ce que je peux dire, c’est que je me mets au service de ceux qui, dans l’Humanité, veulent défendre le droit à la santé mentale, et de la Chambre constitutionnelle du Venezuela, pour faire tout ce qui doit être fait pour protéger nos enfants, nos jeunes et la société dans son ensemble. Nous avons assisté à la flambée fasciste, TikTok a été le principal instrument de campagne pour la flambée fasciste au Venezuela, les 27, 28, 29 et 30 juillet. Je peux vous dire que j’étais dans ce même bureau, j’étais assis ici même, les 29 et 30 juillet, et je me suis connecté à mon compte TikTok, tu l’as vu, n’est-ce pas ?
Ignacio Ramonet : Oui, bien sûr.
Nicolás Maduro : Je l’ai ouvert, regarde, je vais l’ouvrir, pour que tu puisses voir, ici je reçois une très belle vidéo de Gualberto Ibarreto. Eh bien, ici, sur le compte TikTok, sur 10 vidéos que j’ai reçues, 8 faisaient la promotion de la violence dans les rues, et on me dira que TikTok ne le savait pas, hein ? Ils utilisent ce qu’on appelle la censure sélective, ils censurent qui ils veulent, ils suppriment le compte, ils suppriment les vidéos, mais quand il s’agissait de violence contre le Venezuela, ils l’ont encouragée, et maintenant ils encouragent ces défis viraux, ce qui leur a valu d’être suspendus pendant un an en Albanie. Je suis sûr qu’en 2025, nous verrons une prolifération de lois et de décisions dans le monde pour protéger les citoyens de l’infection des anti-valeurs et de la mauvaise santé mentale promue non seulement par TikTok, mais aussi par de nombreux réseaux sociaux.
Ignacio Ramonet : Monsieur le Président, dans la même perspective, ce n’est pas exactement le thème, mais il se développe…
Nicolás Maduro : Voici le thé, santé !
Ignacio Ramonet : Merci beaucoup. J’aimerais connaître vos réflexions, puisque je vois que vous travaillez beaucoup sur le sujet, sur la question de l’intelligence artificielle, dans la perspective de ce que vous avez dit à la fin de votre intervention : quel cadre international devrait être défini pour, d’une part, ne pas empêcher la réflexion technologique et scientifique sur l’intelligence artificielle, qui peut apporter beaucoup à la société, mais, d’autre part, limiter les effets néfastes de l’intelligence artificielle et les menaces qu’elle peut représenter à l’avenir ? Beaucoup de scientifiques nous mettent en garde à ce sujet.
Nicolás Maduro : L’intelligence artificielle est sans aucun doute une avancée technologique qui surprend l’humanité. On dit qu’il y a quatre sources d’intelligence artificielle dans le monde, deux aux États-Unis, une en Chine en une autre en Europe, c’est ce que l’on sait jusqu’à présent, j’ai beaucoup étudié le sujet ; ici j’ai aussi quelques livres à recommander, celui-ci m’a été offert par Héctor Rodríguez, pour mon anniversaire, non, pour Noël, je le lis déjà : « L’âge de l’intelligence artificielle et notre avenir humain », il y a plusieurs auteurs, Henry Kissinger a écrit avant de mourir, Eric Schmidt et Daniel Huttenlocher. Je suis en train de le parcourir et il explique comment l’intelligence artificielle a commencé, ce qu’étaient les premiers super-ordinateurs, comment ils étaient alimentés. Il y a aussi un livre que l’on m’a offert, de la maison d’édition Debate, qui s’appelle « Artificial la nueva inteligencia y el contorno del humano » (« Artificiel, la nouvelle intelligence et les contours de l’humain »), de Mariano Sigman et Santiago Bilinkins.
Ignacio Ramonet : Oui, je connais bien Mariano Sigman.
Nicolás Maduro : Oh, vraiment ?
Ignacio Ramonet : Oui, oui, c’est un Argentin, un scientifique très brillant.
Nicolás Maduro : Oui. Et voici un descendant de japonais, Michio Kaku, sur la suprématie quantique, la révolution technologique qui va tout changer.
Ignacio Ramonet : Bien sûr, les ordinateurs quantiques peuvent effectuer des milliards d’opérations, alors qu’il fallait des siècles, aujourd’hui cela prend quelques secondes.
Nicolás Maduro : C’est ce que l’on appelle déjà la super-intelligence artificielle. Et nos pays ont l’obligation de connaître cette technologie, de la connaître à fond, elle est même combinée à l’heure actuelle, Ramonet, je l’ai dit souvent, mais vous savez qu’on censure beaucoup de ce que nous disons. Ils combinent l’intelligence artificielle, au-delà de ce qu’était le Big Data était, pour connaitre les pays et les réseaux sociaux sont déjà dirigés par l’intelligence artificielle, pour influencer des segments de population.
Ignacio Ramonet : Les algorithmes sont déjà de l’intelligence artificielle.
Nicolás Maduro : Et les bots.
Ignacio Ramonet : Et les bots.
Nicolás Maduro : Par exemple, ils connaissent tes réseaux sociaux et toute ton histoire, ta vie. Et maintenant, tout ce que tu publies, fondamentalement, lorsque tu reçois des commentaires, tu les reçois déjà « particularisés ».
Je le disais récemment à un jeune homme, à un artiste. Un artiste qui commençait à être attaqué depuis Miami, par l’ultra-droite. Parce qu’il a parlé magnifiquement du Venezuela, un artiste vénézuélien célèbre. Il a magnifiquement parlé du Venezuela, il est venu au Venezuela. Et il s’en est plaint. J’ai reçu un millier de messages. Et je lui ai dit, les messages qui te sont parvenus, ils te sont parvenus par des bots. Mais ces bots ne sont plus une salle où quelques personnes avec des téléphones envoient des messages, non. Il s’agit d’intelligence artificielle appliquée aux réseaux sociaux. Ils connaissent ton histoire et savent où te frapper. Ainsi, ils menacent ta fille, ils menacent un proche, ils disent quelque chose qui pourrait t’offenser. Ensuite, lorsque tu lis les messages qu’ils t’envoient, il s’agit d’une guerre cognitive. C’est un massacre psychologique qu’ils essaient de faire. Nous travaillons sur l’intelligence artificielle. J’ai récemment inauguré l’Université des Sciences Humberto Fernández Morán. Elle propose un diplôme de quatre ans en intelligence artificielle, en ingénierie et en technologie de l’intelligence artificielle. Nous y dispensons également des cours sanctionnés par un diplôme. Nous préparons le personnel national et collaborons également avec Cuba, la Chine, l’Iran et la Russie. Car nous devons nous préparer nous-mêmes. Nous sommes dans le monde de l’intelligence artificielle. Et c’est que dit le président Xi Jinping, que j’ai lu, un leader aussi éclairé, qui parle d’une menace… Soyons prudents.
Ignacio Ramonet : C’est une opportunité.
Nicolás Maduro : C’est aussi une opportunité. C’est donc une question importante pour les années à venir.
Ignacio Ramonet : Président, passons au dernier segment de notre conversation : la politique internationale. Vous avez beaucoup voyagé au Moyen-Orient, vous connaissez bien le monde arabe. D’autre part, il y a ici au Venezuela une importante communauté arabe, en particulier une communauté d’origine syrienne, qui est également importante. Et je voulais vous demander si vous avez été surpris par ce qui s’est passé le 8 décembre, lorsque les forces insurgées sont entrées dans Damas presque sans résistance. Quelle est votre analyse de cet événement ?
Nicolás Maduro : Eh bien, je pense que nous sommes encore en train de l’évaluer. Je ne pense pas que même ceux qui sont arrivés au pouvoir sachent comment ils sont arrivés au pouvoir, ni pourquoi ils sont arrivés au pouvoir. On voit des déclarations et des actions permanentes. Espérons que les eaux se calmeront et que nous pourrons découvrir la vérité sur ce qui s’est passé. On sait qu’il y avait des forces très puissantes qui agissaient avec la plus haute technologie. J’étais en communication avec l’ambassadeur pendant toute cette période.
Ignacio Ramonet : A Damas.
Nicolás Maduro : Un grand ambassadeur, un grand camarade. Il était là jusqu’à il y a quelques jours, lorsqu’il a quitté Damas en raison des menaces d’assassinat qui pesaient sur les diplomates qui s’y trouvaient encore. J’étais au courant de tous les événements. J’ai été très frappé par la façon dont ils ont pris le contrôle des réseaux sociaux et par le fait que l’État syrien ne disposait d’aucun instrument pour les en empêcher. Et comment ils ont réussi à imposer le terrorisme numérique, et à paralyser toute la société. Il y aurait de nombreuses façons d’expliquer ce qui s’est passé, espérons-le en temps voulu. Tout cela offre des leçons à ceux d’entre nous qui luttent pour la liberté, pour l’indépendance, pour un monde pour nous, les hommes et les femmes du Sud, des leçons très importantes sur la consolidation d’États démocratiques et profonds, avec un peuple, avec une union ; la consolidation de forces militaires bien entraînées et bien préparées. Cela apporte des leçons en termes de gestion des réseaux sociaux.
La société syrienne est une société complexe. Au Venezuela, nous avons une grande communauté, une profonde amitié, un grand respect. Le peuple syrien est l’un des peuples qui possède l’une des civilisations originelles, la civilisation est née là, entre le Tigre et l’Euphrate, dans cette terre merveilleuse, entre ce qui est aujourd’hui l’Irak, ce qui est aujourd’hui la Syrie et l’Égypte. Les merveilles du monde. Et à côté de tout cela, la culture perse, et les terres sacrées de Palestine, le Liban, où se trouvait notre Seigneur Jésus-Christ. Cette région a une histoire merveilleuse d’un point de vue humain, civilisationnel, culturel et religieux. Nous aspirons à ce que cette région trouve sa propre voie et consolide son propre modèle ; plus tôt que tard je suis sûr que cela va arriver, et ceux qui aujourd’hui tirent leur avantage de victoires pyrrhiques, le regretteront, parce que le peuple syrien est un peuple que nous connaissons et il est merveilleux, et il a une force aussi tellurique, profonde, millénaire, et ils ne pourront ni le soumettre ni le dominer, vous allez le voir.
Ignacio Ramonet : Monsieur le Président, il y a quelques semaines, à Bakou, en Azerbaïdjan, non loin du Moyen-Orient, s’est achevée la COP-29, le sommet mondial sur le climat. Je me souviens que vous avez participé à un sommet sur le climat à Copenhague. L’une des conclusions de ce sommet est qu’il faut réduire les émissions de gaz à effet de serre, en particulier celles émises par les sources d’énergie à base de carbone, le pétrole, le gaz et le charbon. Et la question est de savoir comment le Venezuela, qui est un grand producteur d’hydrocarbures, comme vous l’avez dit tout à l’heure, entend contribuer à cet effet collectif pour tenter de réduire les risques de changement climatique.
Nicolás Maduro : Les pays qui doivent contribuer en premier lieu sont les pays qui consomment le plus. Les États-Unis et les pays européens ont détruit le climat et, depuis Copenhague, ils ont essayé de créer une sorte de crédits carbone, une offre trompeuse et mensongère, la diplomatie de la tromperie. Ils ont proposé de créer un fonds d’obligations carbone pour payer la pollution qu’ils ont créée dans le nord à des pays qui ne polluent pas. Le Venezuela n’est pas un pays qui émet beaucoup de gaz à effet de serre.
Ignacio Ramonet : Au contraire, toute la forêt amazonienne est productrice d’oxygène.
Nicolás Maduro : Oui. Et bien, l’humanité doit commencer à évoluer, sans aucun doute, vers des formes d’énergie non polluantes. Nous sommes pleinement impliqués dans cette démarche. Nous avons un groupe de scientifiques au plus haut niveau de l’État qui fait avancer notre pays vers des formes d’énergie décarbonées et vers la production de toute notre électricité. Nous produisons aujourd’hui 75 % de notre électricité à partir de sources hydrologiques et ce pourcentage va augmenter dans les années à venir. Nous investissons également dans l’énergie solaire, que l’on appelle photovoltaïque et que l’on nomme d’une manière un peu bizarre pour que les gens ne comprennent pas. Il s’agit d’une énergie provoquée et produite par le soleil, qui est une énergie ultra-propre.
Je crois que l’humanité est maintenant en mesure d’avancer à pas de géant vers des formes alternatives de production d’énergie non polluante. Tu vois, récemment notre vice-présidente Delcy Rodríguez était en visite en Chine, s’est rendue dans plusieurs villes, et on lui a montré une technologie, Ramonet, qui te paraîtrait incroyable.
Ignacio Ramonet : Pour la production d’énergie ?
Nicolás Maduro : Oui, et la Chine a progressé, par exemple, dans le domaine des véhicules fonctionnant à l’énergie solaire directe. Il n’est même pas nécessaire de les brancher pour les faire fonctionner. Nous sommes déjà en train de négocier avec l’une des entreprises chinoises qui produit des véhicules électriques pour les assembler au Venezuela, pour produire des véhicules électriques avec de l’énergie solaire.
Il y a des choses merveilleuses que la technologie rend possibles. Est aussi très important, comme je l’expliquais récemment à un groupe de jeunes, tout ce qui touche à l’agriculture régénératrice, appliquée dans certains endroits en Afrique, pour récupérer des zones totalement désertiques, totalement arides, de la même manière que nous récupérons des zones forestières, que nous les défendons, comme l’Amazonie, dans la mesure où nous régénérons des zones déjà désertifiées, dans la mesure où nous renforçons les micro-habitats par le biais d’un processus de régénération verte, je pense que nous serons en mesure d’équilibrer le fardeau des immenses dommages que le capitalisme prédateur a causés aux rivières, aux forêts, aux mers et à tout l’environnement en général au cours des 150 dernières années. C’est l’une de nos lignes d’action prioritaires.
Ignacio Ramonet : Monsieur le Président, le 24 novembre dernier, en Uruguay, le candidat Yamandú Orsi du Frente Amplio a remporté le second tour des élections et la gauche revient donc au pouvoir dans ce pays. Avec la gauche au pouvoir en Uruguay, ce sont désormais 11 pays d’Amérique latine qui sont gouvernés par des partis de gauche. D’autre part, il y a quelques jours, on a célébré le 20e anniversaire de l’ALBA, le mécanisme d’intégration régionale fondé par le Commandant Chávez et Fidel Castro. Comment voyez-vous la question de l’intégration régionale aujourd’hui ? Pensez-vous qu’avec davantage de gouvernements de gauche en Amérique latine que par le passé, la question de l’intégration régionale est devenue plus importante qu’elle ne l’a été pendant longtemps ?
Nicolás Maduro : Je pense que ce nouveau processus qui est en train de se mettre en place s’explique par l’épuisement prématuré, rapide et précoce des alternatives que la droite a créées, les oligarchies, les réseaux sociaux, un énorme épuisement. Et quelles alternatives ont-ils créées face à l’épuisement de certaines formules sociales-démocrates, dites progressistes ? Le fascisme. Qu’est-ce que Milei ? Il s’agit d’une réponse extrémiste à l’échec d’un modèle qui a été essayé d’être appliqué.
Ignacio Ramonet : Le néolibéralisme.
Nicolás Maduro : oui, encore dans les limites du néolibéralisme. Et Milei peut-il être une alternative pour le peuple argentin ? Milei, avec sa folie, son histrionisme, son extrémisme, son insensibilité sadique contre le peuple, son modèle de destruction de l’État, de l’économie argentine, peut-il être une alternative pour l’Argentine ? Non, jamais. Il est donc certain que Milei devra trouver une alternative à l’Argentine, avec des idées avancées, avec des idées de justice sociale, d’égalité, de plus de démocratie, à la manière argentine. C’est le cas dans tous les pays. Et je crois que le premier printemps tant attendu qu’avait eu le mouvement progressiste nous a donné bien des leçons. Je l’ai vécu de près. J’étais ministre des Affaires étrangères du commandant Chávez et j’ai vu le premier printemps grandir avec lui. J’ai vu comment l’ALBA 2004 a émergé, comment Petrocaribe a émergé, comment le renforcement de l’ALBA Petrocaribe a permis de soutenir les peuples du continent, comment est née la « Mission Miracle » (soins ophtalmologiques gratuits) qui a servi plus de 8 millions de personnes, comment la mission d’alphabétisation « Yo si puedo » (« oui je peux ») a vu le jour, comment les missions de santé pour tous nos peuples ont vu le jour et comment Petrocaribe a pratiquement donné la stabilité à tout un continent, 18 États favorisés par Petrocaribe ; et comment, à partir de cette union entre Fidel et Chávez, l’ALBA, le mouvement s’est étendu, avec le retour du Front sandiniste et du commandant Daniel Ortega, le triomphe d’Evo Morales en Bolivie, le triomphe de Correa, le triomphe de Lula, l’arrivée de Néstor Kirchner et le péronisme, avec – ce qui a été une grande surprise – la direction courageuse, très courageuse, déterminée, transformatrice, prise par Néstor Kirchner ; l’émergence et l’arrivée du Front Amplio, avec Tabaré, puis avec Pepe Mujica, et comment ce mouvement s’est formé dans toute l’Amérique du Sud, en Amérique centrale, avec l’arrivée du Front Farabundo Martí de Libération Nationale au Salvador, l’adhésion du président Mel Zelaya à l’ALBA.
Ce premier printemps a eu une caractéristique centrale : l’unité dans la diversité, le respect de toutes les directions et des projets nationaux. Certes, il y a toujours des différences, comment pouvons-nous tous être égaux en pensée politique, en doctrine ? Mais sous la direction du commandant Chávez et des dirigeants de l’époque, un niveau de coexistence a été atteint qui a permis la naissance de l’UNASUR. Nous devons nous en souvenir, je m’en souviens parfaitement, ce fut le 17 avril 2007, sur l’île Margarita, que le concept d’UNASUR est né, nous devons nous rappeler qu’Alán García était là – qu’il repose en paix – un président de droite au Pérou. Il faut se rappeler que lors de cette réunion de la naissance de l’UNASUR se trouvait même Álvaro Uribe Vélez, chef paramilitaire de l’extrême droite colombienne. L’union dans la diversité des mouvements progressistes de la gauche et l’union dans la diversité des autres idéologies du continent. Et puis, je m’en souviens parfaitement, ce fut à Caracas, au Venezuela, les 2 et 3 décembre 2011, alors que le commandant Chávez était déjà malade, en traitement, que la Communauté des États d’Amérique latine et des Caraïbes, la CELAC, a été fondée, avec les 33 États d’Amérique latine, du Mexique à la Patagonie et à toute la Caraïbe, pour la première fois unis, nous pourrions dire que c’était le grand rêve du Congrès amphictyonique du Libérateur Simón Bolívar, un grand rêve unitaire.
Les leçons à tirer de ce premier printemps pour ce qui émerge maintenant, c’est la tolérance, la compréhension et surtout une compréhension profonde de la nécessité d’unir l’Amérique latine et les Caraïbes afin de construire un bloc de forces, une confédération de forces, de pays et de gouvernements qui nous permettra de traverser le reste du XXIe siècle. Il y a beaucoup d’intrigues, Ramonet, c’est le mot juste, tu vois, il y a beaucoup d’intrigues pour nous diviser et essayer de dire qu’il y a la bonne gauche et la mauvaise gauche, le bon progressisme et le mauvais progressisme. Laissons de côté l’intrigue, regardons les visages des autres, avec un plan clair pour l’union de l’Amérique latine et des Caraïbes.
Ignacio Ramonet : Monsieur le Président, le président élu des États-Unis, Donald Trump, a annoncé il y a quelques jours qu’il nommait un ancien ambassadeur, M. Richard Grenell, comme envoyé présidentiel pour des missions spéciales et lui a notamment confié le suivi des relations avec le Venezuela. Quel est votre avis sur cette initiative ?
Nicolás Maduro : Je pense que c’est bien. Attendons que le président élu des États-Unis, Donald Trump, arrive à la Maison Blanche.
Ignacio Ramonet : Le 20 janvier.
Nicolás Maduro : Et, après son arrivée à la Maison Blanche, nous verrons, eh bien. Si tu me demandes : quelle est la politique du bolivarisme au 21e siècle ? A nous, les bolivariens du 21e siècle ? Quelle est la politique que le commandant Chavez m’a enseignée ? Et quelle est la politique que j’ai pratiquée avec les États-Unis ? Je te le dis : le dialogue, le respect et la compréhension. De ce côté, dans ce fauteuil présidentiel, il y a Nicolás Maduro Moros avec l’expérience de toutes ces années. Et toujours prêt à nouer des relations de respect, de dialogue, de coopération, avec le gouvernement des États-Unis, avec la société états-unienne – j’espère que c’est le destin de nos relations.
Ignacio Ramonet : Si M. Grenell se présente à Caracas, vous le recevrez ?
Nicolás Maduro : Eh bien, attendons que Donald Trump arrive à la Maison Blanche. Et ensuite nous verrons.
Ignacio Ramonet : D’accord, Monsieur le Président. Dernière question. La situation internationale est aujourd’hui très préoccupante. De toute évidence, nous avons déjà parlé de certains des problèmes. Un génocide est en train d’être commis, sous nos yeux, à Gaza, depuis 15 mois et personne ne fait rien. Les guerres se multiplient. Pas seulement au Moyen-Orient, au Liban, en Syrie, au Yémen. Mais aussi en Afrique, au Soudan, au Sahara, au Congo. Les inégalités, les migrations, la question climatique que nous avons abordée ici. Le sentiment général des citoyens du monde entier est qu’il n’y a pas d’autorité internationale. Le monde fonctionne sans guide, sans mode d’utilisation. Pensez-vous qu’il y a des raisons de continuer à croire au système des Nations Unies et aux institutions internationales ?
Nicolás Maduro : Je pense que nous sommes dans une transition. La transition du monde hégémonique et impérial, qui a duré des siècles. Je pourrais dire millénaires. Mais, surtout, le monde que nous connaissons aujourd’hui est un monde qui a émergé de la Seconde Guerre mondiale. Il y a eu un grand changement dans les années 90, parce que la grande puissance, l’URSS et le monde du socialisme réel, qui n’était pas le socialisme, qui n’était pas réel, qui n’était rien, eh bien, il s’est effondré. Aujourd’hui, un nouveau rapport de forces a émergé, là où il y a de grandes superpuissances. La superpuissance du XXIe siècle s’appelle la République Populaire de Chine. D’autres superpuissances ont émergé, la Fédération de Russie est une autre superpuissance, l’Inde, qui dans le passé s’appelait Bharat, le nom légendaire d’un peuple que j’aime beaucoup, le peuple de l’Inde. Ils sont comme les trois superpuissances les plus importantes et un ensemble de puissances intermédiaires avancées, telles que la République islamique d’Iran, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, la Türkiye…
Ignacio Ramonet : la République d’Afrique du Sud.
Nicolás Maduro : Oui, l’Afrique du Sud, ce sont des puissances intermédiaires dans le processus de développement. Et des pays et des régions indépendants ont émergé en Afrique. En Afrique, on dit qu’elle est le continent puissant de l’avenir, avec sa croissance économique, et à l’avant-garde se trouvent des pays importants, tels que l’Égypte, la Tunisie, l’Algérie, entre autres.
Ignacio Ramonet : Ethiopie, Nigeria.
Nicolás Maduro : Tout le monde, l’Éthiopie, le Nigeria. L’ensemble du processus de décolonisation des anciennes colonies françaises, le nouvel axe qui se dessine. Et ici aussi en Amérique latine. Nous avons le Brésil, qui est le pays continental, qui est destiné à être la grande puissance sud-américaine et latino-américaine. Le Mexique aussi. Le Mexique, qui a eu un excellent pilote pendant six ans, le président López Obrador, et a maintenant une excellente pilote, la présidente Claudia Sheinbaum. Il y a donc un réarrangement des forces mondiales, de la corrélation des forces. Et cela a un effet sur l’organisation multilatérale qu’est l’ONU. L’ONU connaît actuellement un processus d’épuisement sérieux, compte tenu de la bataille de pouvoir, parce que les empires occidentaux ont décidé, soit dit en passant, d’utiliser leur puissance militaire, leur technologie militaire, pour menacer le monde, pour attaquer le monde et pour essayer de créer des conflits en général. Le conflit créé entre l’Ukraine et la Russie, le massacre du peuple palestinien, qui est une guerre d’extermination, comme l’a dit le pape François, ce n’est pas une guerre mais un génocide. Le massacre contre le peuple libanais, maintenant les bombardements contre le peuple syrien, les menaces latentes contre les peuples d’Irak, d’Iran, de Jordanie…
Ignacio Ramonet : Du Yémen.
Nicolás Maduro : Du Yémen. Il y a donc un réarrangement. Voyons ce qui ressortira de cette étape. Nous croyons au droit international, nous dénonçons l’utilisation des mécanismes de l’ONU pour favoriser les intérêts des États-Unis ou de l’empire occidental mondial, et nous sommes dans un différend, dans une lutte, personne ne doit se fatiguer. Je suis sûr qu’en fin de compte, les valeurs universelles, le droit international, prévaudront, et qu’en fin de compte, les intérêts des peuples du monde prévaudront. Mais surtout, qu’à la fin de cette route, les droits historiques, l’héritage historique des peuples du Sud, prévaudront. Alors, comprenons que nous sommes dans une transition, dans une lutte très dure pour le pouvoir, embrassons les grandes causes que notre peuple défend, et depuis le Venezuela, nous disons, avec Bolívar : avançons vers l’équilibre du monde, où nous pouvons exister avec notre identité, avec notre projet et notre fierté d’être Vénézuéliens, Latino-Américains et Caraïbes. Nous avons beaucoup d’éléments dans l’héritage historique pour être en mesure de comprendre et de nous accrocher à l’avenir qui nous appartient.
Il y a exactement 30 ans, Ramonet, je m’en souviens, c’était en décembre 1994, quand nous élaborions des idées pour l’avenir, Chavez a commencé à nous parler du monde multipolaire. Et cette jeunesse, aussi jeunes que nous étions, a été surprise par son concept de monde multipolaire. Il l’expliquait aux gens quand nous sortions dans la rue, quand nous allions de quartier en quartier, de pâté en pâté avec lui, il disait aux gens : « on nous a volé le XXe siècle, on nous a volé le XIXe siècle, mais le XXIe siècle sera notre siècle et ce sera un siècle multipolaire ». Nous voici en plein milieu d’une bataille, c’est notre siècle, personne ne va nous l’arracher, soyons-en sûrs.
Ignacio Ramonet : Merci beaucoup, Monsieur le Président. Et encore une fois, bonne année à vous, au peuple vénézuélien.
Nicolás Maduro : Eh bien, félicitations.
Ignacio Ramonet : Et à l’année prochaine, si vous avez la gentillesse de nous recevoir à nouveau.
Nicolás Maduro : Bien sûr, toujours à ton service. Et je salue tous ceux qui, à travers les réseaux et les médias, nous regardent, ici au Venezuela, toujours dans la bataille et dans la victoire.
Ignacio Ramonet : Merci beaucoup.
Nicolás Maduro : Merci.
Source : La Jornada – “Venezuela está en paz, tranquila y segura de su destino y su camino” : Maduro
Traduction : Thierry Deronne
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