Interview réalisé par Uli Brockmeyer,
du journal du Parti communiste du Luxembourg
Jusqu’il y a peu, les grosses légumes de l’UE parlaient encore de l’Irlande comme du « Tigre celtique » à imiter absolument. Mais c’est précisément ce « modèle » qui pâtit le plus lourdement de la crise actuelle.
L’Irlande a été surnommée le « Tigre celtique » parce qu’au tournant du millénaire, elle a connu une croissance spectaculaire, mais la richesse était très inégalement partagée. En 2008, quand la crise a éclaté, le pays a connu une grave récession : son PIB régressait de 2 % et, l’année suivante, de plus encore. Dans le secteur de la construction, l’un des moteurs de la croissance économique, 100.000 ouvriers se retrouvaient au chômage et ce, dans un pays d’à peine 4 millions d’habitants. Les services publics devaient en outre accepter une saignée de 10 % sur leurs traitements.
67 % des Irlandais votaient « pour » le traité de Lisbonne. Ne le regrettent-ils pas aujourd’hui ?
Eugene McCartan. Les électeurs irlandais ont été mis sous pression. Le référendum ne portait pas sur le contenu du traité mais demandait si l’Irlande devait rester au sein de l’UE. Les électeurs ont eu peur que le « non » aboutisse à l’isolement politique et économique du pays par l’UE et les États-Unis.
On a présenté le « oui » comme un vote pour l’emploi et la reprise économique. En outre, 35 % des gens ont voté « non » et 40 % ne sont même pas allés voter. Cela fait 70 % de la population qui ne veut rien entendre de l’actuel système politique.
Que s’est-il passé depuis ?
Eugene McCartan. Dès le début, notre parti considérait comme un mensonge de prétendre qu’il s’agirait de l’emploi et de la reprise économique. Nous avons dit que la politique imposée par l’Europe et la Banque centrale européenne (BCE) n’allait qu’aggraver la récession et provoquer plus de chômage encore. Le BCE a obligé le l’Irlande à réduire à 3 % son déficit budgétaire pour 2013. Le gouvernement obtempère et cela se traduit par des économies draconiennes dans les secteurs de l’enseignement, des soins de santé, des indemnités de chômage et des pensions.
L’Irlande fait partie de ce qu’on appelle les pays du PIIGS (Portugal, Italie, Irlande, Grèce et Espagne). Qu’est-ce qui vous distingue des autres pays du groupe ?
Eugene McCartan. Il y a un an, les investisseurs étrangers craignaient l’insolvabilité financière de l’Irlande vis à vis de sa dette publique : notre pays s’est ainsi retrouvé sur la liste des pays du PIIGS. Il y a toutefois quelques différences subtiles avec les pays méditerranéens. Par exemple, durant le 1er trimestre 2010, les obligations irlandaises ont été négociées plus cher que dans tous les autres pays de la zone euro, sauf l’Autriche. La raison, c’est que les marchés financiers pensaient que la classe politique irlandaise allait pouvoir imposer ses restrictions avec plus de succès.
Les coupes sombres dans les services publics et les mesures pour protéger les propriétaires de prêts à risques, ont provoqué une réduction des pressions des investisseurs. Les obligations irlandaises rapportaient 3,4 %, contre 1,8 % seulement pour les italiennes, 0,8 pour les portugaises et 2,1 pour les espagnoles. Les obligations grecques ont même connu une perte de 0,6 %.
Mais l’économie irlandaise reste encore faible. Un recul du marché des actions pourrait amener le gouvernement à accorder une fois de plus du soutien aux banques et à accroître encore de la sorte le déficit budgétaire.
Selon les experts, l’économie irlandaise ne se rétablira pas avant 2011. Est-ce exact ?
Eugene McCartan. La croissance rapide qui a valu à l’Irlande le surnom de « Tigre celtique » reposait sur quatre piliers, dont les trois premiers sont indissociables : le secteur financier, la construction et l’immobilier et les investissements directs en provenance de l’étranger. Nous avons dit à plusieurs reprises que cela comportait d’énormes risques pour l’État irlandais – et aujourd’hui nous voyons le résultat sur les travailleurs. La croissance est terminée et les entreprises transnationales sont retournées en Pologne et en Inde, laissant derrière elles des masses de chômeurs. Un grand nombre de projets de construction ont dû être arrêtés. La demande de crédits dans ce secteur a disparu et c’est une source importante de la reprise économique qui disparaissait aussi. Et, malgré tout le soutien de l’État, le système du crédit s’est écroulé et il ne reste surtout que les dettes extérieures de nos banques. On estime que le gouvernement a repris pour 70 milliards d’euros des dettes des banques. Ajoutez-y le nombre de chômeurs à la hausse, les réductions massives des salaires, l’attaque contre les pensions, on ne voit vraiment pas comment l’économie pourrait se rétablir. Ceux qui ont provoqué la crise doivent désormais payer l’échec du système capitaliste.
D’après les chiffres officiels, 22 % des Irlandais sont pauvres. Pourquoi un chiffre aussi élevé ?
Eugene McCartan. Durant les années du « boum », l’inégalité et la pauvreté ont grimpé en même temps que la richesse des particuliers et de la grosse galette. En matière d’inégalité, l’Irlande occupe la seconde place après les États-Unis. Au fur et à mesure qu’augmentait le PIB, on a assisté à de nouveaux pics du nombre de SDF, sans-logis, toxicomanes… L’État ne s’est pas inquiété de ce problème mais il a aggravé la situation en s’en prenant aux droits des travailleurs.
Que pensez-vous de l’affiliation à l’UE ?
Eugene McCartan. L’an dernier la Commission européenne définissait clairement la crise comme « une opportunité ». Une opportunité de saper plus encore la souveraineté des États membres par ses dictats sur la politique budgétaire et les priorités qu’elle entend imposer. Via la régulation de la concurrence et les paramètres fiscaux, l’UE s’immisce de plus en plus dans la politique des gouvernements nationaux.
Nous, les communistes irlandais, sommes pour la dissolution de l’UE dans sa forme actuelle. Nous sommes surtout contre le fait qu’on attribue plus de compétences encore à la Commission et nous voulons que toutes les compétences soient restituées aux gouvernements nationaux.
Avec la stratégie économique de la Commission, on ne résoudra pas la crise profonde du capitalisme. Le progrès en Irlande n’est possible qu’avec une stratégie nationale et démocratique. Les besoins économiques et sociaux de nos concitoyens doivent primer. Nous croyons qu’une telle stratégie ouvrira la voie à une société socialiste.
Ce texte est extrait du journal du Parti communiste du Luxembourg, le Zeitung vum Lëtzebuerger Vollek (Lu sur le site du Parti du Travail Belge et publié le 3 mai 2010).