Macron n’a pas lancé une loi immigration par hasard, mais pour faire un coup politique dans l’optique de sa succession, qui suppose une défaite de Marine Le Pen. Le blogueur Descartes le dit très bien :
Le but de la loi n’était nullement de contrôler l’immigration, pas plus qu’il n’était d’améliorer l’intégration (...) le travail au noir est un aimant bien plus puissant que l’APL, l’école un instrument d’assimilation bien plus efficace que des vagues exigences sur l’apprentissage du français. Non, le but de cette loi était, dans un contexte où l’immigration préoccupe une large partie de l’électorat populaire et alimente le vote pour le Rassemblement national, de montrer que le gouvernement prend à bras le corps les problèmes. Autrement dit, encore un « coup de com ».
Et au même moment pourtant, le patronat ne cesse d’expliquer à quel point la France aurait besoin d’immigration, son ancienne patronne avait dit « l’immigration est une chance pour la France ». Il y a des études économiques et démographiques très sérieuses et répétées qui démontrent qu’il y a besoin d’immigration pour les décennies à venir. Il y a aussi des reportages incessants sur les difficultés des restaurateurs, artisans, paysans, petits entrepreneurs, qui sont contraints de faire travailler des sans-papiers... Contradiction ? Les votants de cette loi, le club des R, RN, LR, Renaissance seraient-ils contre les patrons ?
Au contraire, il faut bien comprendre que la bataille de l’extrême-droite ne s’oppose pas aux objectifs patronaux de mise en concurrence des travailleurs. Ce dont le patronat a besoin, ce n’est pas seulement de travailleurs, c’est de travailleurs acceptant des conditions de travail difficiles, des salaires précaires et bas, et défendant plus difficilement les revendications notamment salariales. Les migrants récents sont utiles au patronat car ils sont contraints d’accepter ce que d’autres n’acceptent pas, surtout bien sûr s’ils n’ont pas ou pas complètement leurs droits ! Il n’y a donc pas des "pro-immigration" patronaux faisant face à des "anti-immigration" politiques ! Ce que le projet de loi portait dès l’origine, affichant un objectif de régularisation en même temps que de répression plus forte, visant ainsi à dire en même temps, il faut des immigrés, et il faut pouvoir les réprimer et les expulser.
Une réponse progressiste et populaire doit donc s’interroger autant sur les conditions inhumaines des migrations, que sur les conséquences injustes pour les milieux populaires de cette immigration sur le logement ou l’emploi notamment. C’est la condition pour démontrer que l’immigration ne pose pas de problème culturel ou civilisationnel comme veut le faire croire l’extrême-droite, mais des problèmes concrets de droits, d’égalité, de services publics.
Oui, il faut dénoncer les drames vécus par les migrants traversant l’Afrique et la Méditerranée, aux prises avec les esclavagistes, les passeurs, tous les profiteurs de misère humaine. Oui, il faut dénoncer les conditions d’accueil indignes en France, les situations inextricables de personnes ni régularisables ni expulsables. Il faut donc dire que l’immigration n’est pas une chance pour la France, mais pour le patronat et un drame pour les migrants.
Mais il faut en dénoncer les causes, les violences et le néocolonialisme des multinationales occidentales qui utilisent les guerres au cœur de l’Afrique pour exploiter ses ressources.
Et il faut en dénoncer les conséquences qui sont les questions concrètes posées pour les milieux populaires par l’immigration, non seulement aux migrants récents, qui ont bien sûr des droits et un rôle politique, mais qui ne doivent jamais être considéré séparément des autres immigrés comme des milieux populaires en général. Ne parler que d’eux, c’est contribuer à la division dans les milieux populaires et un monde du travail massivement issus de l’immigration récente ou ancienne.
Oui, il y a bien concurrence dans le travail, c’est la loi du capitalisme, et dans les marchés publics, comme dans les services privés, celui qui peut payer moins cher est gagnant, et c’est pourquoi on trouve sur tous les chantiers de construction de très nombreux migrants récents. Dans une réhabilitation du grand quartier populaire des Minguettes (Vénissieux), des familles immigrés maghrébines interrogent, « pourquoi nos enfants ne sont pas embauchés sur ces chantiers où travaillent principalement des immigrés de l’Est ? ».
Il faut rappeler que depuis toujours, le patronat utilise l’immigration pour diviser les salariés, faire pression à la baisse sur les salaires, faire accepter plus de précarité et des conditions de travail plus dures... Dès les années 1920, le patronat crée son organisme de recrutement d’immigrés, la "Société générale d’immigration" et c’est le ministre communistes Ambroise Croizat qui en 1945 contribue à créer l’ONI (Office National de l’Immigration) pour ne plus laisser aux intérêts capitalistes le monopole des flux d’immigration, et assurer aux travailleurs étrangers un contrat, un logement, des droits sociaux [4].
Le problème n’est pas d’avoir ou de ne pas avoir d’immigrés, le problème est d’avoir ou de ne pas avoir des salariés sans droits, contraints d’accepter les conditions de travail et les salaires que d’autres refusent. Et c’est une question bien plus complexe que la seule question des cartes de séjour. Car l’immigration est en enjeu économique fondamental pour les pays d’origine, les migrants envoyant plus d’argent que l’aide internationale ! Mais cela veut dire, alors qu’ils sont déjà moins bien payés que nécessairement, ils vivent beaucoup moins bien que les autres là où ils travaillent, ce qui constitue un facteur de division entre travailleurs.
Il faut donc mener une bataille pour l’égalité des droits, dénoncer le travail au noir, les chaines de sous-traitance, notamment dans les marchés publics. Mais il faut aussi développer de vraies coopérations avec les pays d’émigrations pour que leurs ressources soient d’abord consacrées au développement de tous, et viennent freiner cette manne apparente des revenus des migrants. Et il faut mener une bataille acharnée pour l’unité dans le monde du travail. Car les divisions entre salariés sont bien sûr exacerbées dans le cas des sans-papiers, mais elles existent aussi avec des immigrés avec papiers. Tous les migrants travaillant dans la restauration ou sur les chantiers ne sont pas sans-papiers !
Oui, il y a bien concurrence dans le logement. Les politiques d’attribution fixent des objectifs de logement de réfugiés, sortants de foyers et plus globalement de publics prioritaires qui prennent un tiers des trop rares attributions dans des secteurs où il y a en moyenne 10 demandeurs pour un logement. Et ce n’est pas seulement parce-que les médias en parlent que des habitants interrogent : « Pourquoi avons-nous tant de migrants récents qui ont un logement alors que nous avons des demandes depuis des années sans succès ? ».
La vérité est le développement du mal logement partout et les immigrés sans-papiers sont une des réalités qui aggravent le mal logement, avec des sous-location interdites dans le parc social, la multiplication de squats, les bidonvilles très visibles, mais aussi des logements préemptés y compris dans le parc social. Les migrants sont un public favori des marchands de sommeil qui se multiplient, pas seulement dans des copropriétés dégradées ou de l’habitat indigne. Objectivement, les besoins de logement de cette population migrante sans droits sont un facteur de dégradation du peuplement dans les quartiers populaires.
Il faut mener une grande bataille pour le droit au logement de tous, et donc en masse pour des millions de demandeurs, dont une part importante de salariés qui ne peuvent plus se loger dans le privé. Impossible sans un énorme effort de construction qui ne peut être financé dans une logique privée et qui exige donc une politique publique de financement massif d’un logement social diversifié partout ! Il est impossible de répondre aux urgences de l’accueil et de l’hébergement des migrants en laissant des millions de demandeurs de logement dans l’attente !
Il y a d’autres sujets sur lesquels s’organisent la division populaire utilisant l’immigration, la santé, l’école... Mais c’est sur le terrain de l’emploi et du logement que se joue l’essentiel de la bataille contre l’extrême-droite, pour la sortir du piège de cette fausse guerre de civilisation qui repose sur un double mensonge, la civilisation occidentale serait cultivée et pacifique quand les civilisations du sud seraient arriérées et violentes. Au contraire, la puissance occidentale s’est construite sur les pires horreurs coloniales, théorisant le racisme jusqu’à son comble, le nazisme et la shoah [5]. Au contraire, les échanges culturels sont au cœur de toutes les cultures depuis la nuit des temps, depuis la relecture des grecs par les arabes, jusqu’au Jazz ou au Yiddish. Et le rappeur Kerry Jones peut montrer dans son clip "Banlieusard" comment les élites de la France du XXIe siècle sont aussi issues de l’immigration.
Une réponse progressiste et populaire à la bataille de l’extrême-droite sur l’immigration doit donc en même temps :
– dénoncer les causes des migrations et le rôle majeur de l’occident dans les situations économiques au sud qui favorisent l’émigration. A commencer par les guerres que nous avons conduit en Afrique, au Moyen-Orient, notamment en Libye, en Syrie.
– exiger un plan de l’ONU pour le développement de tous les pays et donc pour le droit de vivre et travailler dans son pays, plan finançable à la place des dizaines de milliards de dépenses militaires et organisé avec des outils de coopération véritables, gagnant-gagnant, en considérant que le développement de l’Afrique est la clé de la sortie des migrations du désespoir.
– affirmer que l’accueil indigne et précaire actuel est un des facteurs d’aggravation des conditions de vie de tous, qu’il faut un accueil digne et sécurisé pour tous, y compris en considérant que beaucoup de migrants peuvent trouver chez nous les possibilités de formation qui pourront être mis au service de coopérations pour leur retour gagnant dans leur pays d’origine. La régularisation des travailleurs sans-papiers en est une première étape essentielle.
– dénoncer un patronat qui organise la concurrence entre salariés en utilisant les précarités de droits et de statut des migrants, en se cachant derrière les sous-traitances, et donner les moyens de contrôle stricts à l’inspection du travail.
– revendiquer une forte revalorisation du SMIC et des conventions collectives associée à un plan général de formation de masse pour sortir des "jobs" précaires et associer tout emploi avec une ambition de qualification.
– un plan massif de construction de logements diversifiés partout pour répondre aux millions de demandeurs de logement, autant pour répondre aux demandes de mutations liées au vieillissement, à l’évolution des familles, aux mobilités résidentielles, tout en assurant le droit au logement de tous, y compris des plus précaires, pour que les capacités d’hébergement soient principalement consacrées aux réfugiés et demandeurs d’asile
– un véritable service public de l’emploi qui organise la formation et l’insertion de chaque jeune sortant de l’école, de tous les chômeurs de longue durée. Non, le travail ne manque pas, il est émietté, précarisé, délocalisé, externalisé, sous pression de la concurrence "libre et non faussée". Il faut reconstruire un droit du travail qui protège tous les salariés et qui pousse le travail vers la qualification et le développement.
– un plan de sécurisation des quartiers par une action résolue contre le financement des trafics, pour retrouver le contrôle des douanes et négocier la sortie des échanges illégaux avec les pays producteurs, une police de proximité proche des populations et chargé d’assurer leur tranquillité.