Revue Unir les commnistes nr 3
« avant, il y avait une conscience politique » Rémy Ferront (CGT, SPIE)

, par  Remy Ferront , popularité : 2%

Nous commençons la publication en ligne des entretiens avec des militants d’entreprises initiés dans le numéro 3 de la revue Unir les Communistes... Ce numéro 3 (10 entretiens) est toujours en vente auprès des militants communistes du réseau comme le numéro 4 (3 entretiens). Pour acheter ou s’abonner, contacter Pascal Brula

Rémy Ferront est délégué CGT de SPIE région sud-est. [1]

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Entretien réalisé par Gilbert Rémond

Peux-tu nous présenter ton entreprise et les luttes dans lesquelles vous êtes engagés ?

Je constate que nous assistons à une baisse de la conscience politique, dans notre entreprise.

Les gens ont tendance à plutôt taper sur ceux qui sont en-dessous d’eux que sur leur patron. Cela tient beaucoup aux campagnes qui sont menées par le patronat et les médias, mais aussi au fait que notre organisation politique (ndlr : le PCF) n’est plus présente dans l’entreprise comme par le passé. Nous représentions un contrepoison face au rouleau compresseur des campagnes idéologiques du capitalisme, développées contre les intérêts des travailleurs et pour réaliser ses profits sur le dos des plus démunis.

En conséquence, il est urgent de se réimplanter fortement dans les entreprises. Or j’ai le sentiment que nous avons perdu beaucoup de terrain ces dernières années en nous polarisant sur le Front de gauche et que cela nous apporte d’avantage de difficultés.

Si nous voulons donner un complément et un support à l’action syndicale, il faut revenir à une structuration politique dans les entreprises. Nous nous sommes aperçus que nous n’avions plus ce support chez Spie. Du coup, d’autres en profitent pour amener la division où la confusion dans les têtes, comme ce fut le cas au cours de la grève des 17 et 18 février, avec l’arrivée de militants de LO.

Tu m’as dit que tu militais depuis une trentaine d’années dans le syndicalisme et que tu avais connu la période où le Parti avait une présence organisée dans ton entreprise. Tu peux en parler ?

Bien sur. J’ai adhéré au parti en 75. J’habitais alors plus haut qu’Albertville, à Montiez. Je descendais tous les samedis à Givors pour assister à des réunions de cellule ce qui me demandait un gros investissement personnel vu les distances. Mais il y avait alors cet engagement, ce travail collectif qui donnait aux salariés le sentiment d’un apport dans leurs actions. Cet apport les confortait. La cellule apportait du sens à notre travail syndical.

Comment votre cellule se manifestait-elle ?

A l’époque, on parlait de courroie de transmission. Cela venait du fait que la cellule d’entreprise était en permanence au contact de l’organisation syndicale. Elle amenait un soutien politique, s’appuyait sur les revendications syndicales. Il y avait une continuité. Ce lien on le ressentait, il était profitable, il nous confortait dans l’action. Heureusement dans certains coins il existe encore.

Comment sens-tu aujourd’hui ces choses là dans le secteur du bâtiment ?

Il y a une dépolitisation. Avant il y avait une conscience politique, maintenant tout est beaucoup plus difficile du fait de la nouvelle organisation des chantiers. Les travailleurs sont dispersés dans une multitude de petits sites où ils se retrouvent à deux ou trois. Il est beaucoup plus difficile à l’organisation syndicale d’être présente pour, par exemple, diffuser l’information. Du coup les médias prennent le dessus. Il y a une véritable interrogation à avoir sur le niveau actuel de la conscience politique.

Je pensais qu’il s’agissait de chantiers beaucoup plus vastes engageant davantage de personnel ?

Nous n’avons plus cela. L’économie a fragilisé le débat collectif. Elle empêche les réunions. Dans les usines il y a encore des concentrations de salariés. Il est toujours possible de diffuser les informations. Tandis que pour les chantiers, à part un ou deux, tous les autres engagent de petites unités de travailleurs. Même dans le cas des gros chantiers, les conditions de réunions deviennent difficiles. Si je prends l’exemple de celui des terrasses du port de Marseille, nous pouvions y trouver autant de travailleurs low coast que de travailleurs des entreprises régionales. Avec la disparité des statuts nous avons de réelles difficultés pour organiser l’activité revendicative.

Alors comment pouvez-vous intervenir auprès d’eux ? Je travaillais dans un hôpital psychiatrique où de nouveaux bâtiments ont été construits ; leur chantier a été assuré par des travailleurs étrangers. Les copains du syndicat voyaient bien qu’ils étaient démunis de tout, y compris au plan vestimentaire ou du logement, mais comment s’adresser à eux ? On a travaillé la question des sans-papiers en créant un collectif de soutien ; mais comment intervenir quand en plus ils sont logés dans des camps à l’extérieur de la ville ? Il y a des mécanismes qu’il nous faut comprendre pour les neutraliser.

Sur la question que tu abordes, il y a aussi les collectivités locales qui subissent des réductions de moyens importants en termes d’investissements. Ces collectivités, quand elles font des appels d’offre auprès des donneurs d’ordres, recourent à la politique du moins disant. Elles sont responsables par leurs décisions de situations catastrophiques pour ces travailleurs, de situations inacceptables. Nous les voyons dormir sur les chantiers avec parfois comme seul moyen pour se couvrir des plaques de polystyrène.

Avec le privé, nous étions habitués à la course effrénée au profit, mais nous voyons maintenant que ces comportements touchent aussi le public, du fait de ces contraintes financières nouvelles dont les effets rejaillissent sur les conditions de travail et sur les conditions de rémunération.

Peut être avons-nous aussi en tant que citoyen, à intervenir auprès des collectivités locales. Par exemple lorsqu’elles engagent des dépenses pour des infrastructures sportives ou sociales, nous devrions faire en sorte qu’elles réfléchissent à l’emploi des travailleurs qui interviendront pour les réaliser. Pour qu’en particulier elles refusent l’utilisation de travailleurs low-coast et les conditions déplorables dans lesquelles les sous-traitants les maintiennent.

Il est urgent de prendre conscience des dérèglementations et de la remise en cause du droit du travail ! L’emploi massif de travailleurs avec des sous-statuts permet au patronat de détruire toute l’infrastructure économique et les services publics.

Les entreprises privées ont toujours fait de fortes pressions financières sur le monde du travail. Mais là cela s’aggrave. Notre entreprise intervient beaucoup au niveau des marchés d’état, pour la construction de lycée, d’hôpitaux publics, d’infrastructures routières, etc… Nous voyons comment les choses se passent. Nous amenons l’ingénierie, et tout le reste est assuré par la sous-traitance ; cette dernière, dans un système en cascade, fait arriver les travailleurs low-coast. Je crois que l’on touche ici le nœud du problème, à savoir ce que le patronat appelle le coût du travail. Il met tout en œuvre pour faire baisser la part des salaires dans son besoin chronique d’augmenter la marge de ses profits. Quand je dis nœud du problème, c’est pour révéler cette question centrale, celle de la plus-value. Or c’est cet élément là qui manque aujourd’hui dans la conscience des travailleurs.

Avec l’opération du coût du travail, il sont arrivés à opacifier un mécanisme économique, celui de l’exploitation de la force de travail, qui, par renversement de signification, ne rapporte plus, puisque dorénavant elle coûte. Génial non ?

Tout cela permet de créer de la division dans le mouvement ouvrier, de baisser le niveau de nos revendications. Au lieu de l’analyser correctement, au lieu de s’en remettre au bien fondé de l’action syndical, on préfère nous parler de faiblesse du syndicalisme, de manque de force. Ce double langage que nous pouvons observer, lié à la perte de conscience politique, finit par peser sur nos conditions de travail. Il contribue à leur aggravation. Ces campagnes sont relayées par la volonté du gouvernement de peser dans le sens de celles du patronat. Du coup nous, qui avons gardé la volonté de nous battre, nous sommes perçus comme des empêcheurs de tourner en rond. Prenons le cas de la pénibilité qui est une question importante dans notre secteur d’activité car l’usure est rapide. Eh bien notre parole est carrément reniée pour faire allégeance au patronat et lui donner satisfaction. Je veux dire par là qu’il faut cesser de s’en remettre au dialogue social et d’aller systématiquement siéger avec le patronat pour discuter de ses propositions avant d’avoir pu rassembler et créer le rapport de force favorable aux travailleurs. Loin de conforter le syndicalisme, cette attitude le fragilise encore d’avantage. Le syndicalisme de classe offrait un rempart à tout cela.

Nous avons constaté que le patronat est en position de force, il impose le rythme. De plus, il a réussi à mettre en place au travers de l’Union européenne, une machine aux effets assez terribles pour les travailleurs, puisqu’elle lui permet de mettre en concurrence des populations aux traditions et aux niveaux d’acquis sociaux différents. La nouvelle disposition des « travailleurs déplacés » divise les salariés entre eux et ouvre un boulevard aux thèmes protectionnistes à caractère raciste du Front National. Le Front National prospère sur ce terrain. D’autant plus que le PCF lui a abandonné un certain nombre de domaines, comme celui de l’indépendance nationale ou celui de la nation…

Je partage complètement cette analyse. En gros depuis Robert Hue et sa campagne « Bouge l’Europe », tout va de mal en pis pour nous. C’est à cette occasion que la dégringolade s’est amorcée. Car en abandonnant des places pour des candidatures « d’ouvertures », nous avons aussi abandonné une partie de nos idéaux. En gros nous avons troqué une position communiste contre une position d’accompagnement du capitalisme. Depuis nous avons du mal à remonter la pente. Notre électorat décroche. Il ne s’y retrouve plus. Il y a trop de messages à double sens. D’un côté nous nous disons toujours communistes, et puis de l’autre comme pendant les élections municipales, nous passons des accords avec le PS. Avec tout ces choix merdiques, les gens ne nous suivent plus. Je ne dis pas cela pour soutenir Mélenchon, mais il faut reconnaître que notre stratégie est loin d’être claire. Je n’arrive pas à comprendre son pourquoi, je ne comprends pas cette stratégie du cas par cas, un coup je suis dedans, un coup dehors. Comment les gens s’y retrouvent ? Avec la baisse du niveau de conscience que nous remarquons partout dans nos entreprises, les gens ne savent plus que faire. Les forces qui autrefois nous faisaient confiance nous ont quitté pour l’abstention. Pour la plupart, ils ne vont pas vers le FN, parce qu’ils ont gardé des valeurs, mais malgré tout il y en a qui l’ont fait.

Je pense qu’au niveau politique comme sur le plan syndical, il faut que nous revenions à nos fondamentaux. Le syndicat a besoin d’un accompagnement politique. Tous les messages que nous envoyons, ne sont pas fait pour rendre compréhensible la situation. Cela entraine des difficultés pour mobiliser les travailleurs, notamment sur la question des salaires. Nous sommes dans la situation du chien qui se mort la queue. Nous manquons de perspectives. Nous manquons de lendemains qui chantent, d’une issue politique a proposer aux travailleurs.

Ce n’est plus perçu ?

Nos messages manquent de clarté. La dynamique de l’action s’en trouve cassée. Il faudrait pouvoir redonner une perspective, redonner de l’espoir aux lendemains. C’est surtout à ce niveau qu’il faudrait agir. C’est pourquoi je pense qu’il faut que nous reprenions nos fondamentaux. Il nous faut réinvestir le milieu ouvrier, car nous avons besoin de revenir au travail collectif, et pour cela il faut relever le niveau de conscience des travailleurs afin de nous permettre de construire les rapports de forces qui pourront imposer d’autres choix.

Ces autres choix pourraient être ceux que nous avons adoptés aux assises du communisme (Marseille 2013), à savoir la perspective des quatre sorties : de l’euro, de l’Europe, de l’OTAN et du capitalisme... Pour le comment faire et avec quelles forces, nous pensons que c’est le rôle d’un parti communiste. Car nous avons besoin d’une structure et d’un lieu de décision, qui sache proposer pour entraîner les masses. Ensuite nous avons besoin de rassembler. Mais le rassemblement ne peut se faire qu’a partir d’un noyau, la classe ouvrière.

Pour cela il faut avoir une visibilité, or ce n’est pas avec le PGE et ce ramassis de partisans libéraux que nous pourrons y arriver. Dedans, il y a des gens qui n’ont pas les mêmes valeurs que nous. Ces gens là dans l’ensemble sont beaucoup plus proche des socialistes que de nous. Et tout cela amène beaucoup de confusion parmi les travailleurs, d’ailleurs on le voit bien quand il faut avoir des initiatives au niveau européen, il y a un tas de chose qui ne vont pas.

Comment cela se passe-t-il à votre niveau ? Dans la fédération du bâtiment ? Comment cela peut s’organiser ?

Au niveau de la fédération, nous avons des liens, mais ça a beaucoup changé, la CGT a été infiltrée par les socialistes. D’ailleurs dans certaines fédérations, on ne reconnaît plus tout à fait la CGT. Cela se voit à la conférence nationale. Aujourd’hui on n’y est pas, mais hier on y était. Heureusement c’est en train de bouger, il y a eu de nombreuses fédérations qui ont pris position pour ne pas participer. Ça a poussé à la base et ils ont été obligés d’en tenir compte. Mais au final cela a donné un résultat mitigé. Un jour j’y vais, un jour, j’y vais pas.

Il y a donc une radicalisation qui se fait jour ?

Oui mais du fait qu’il n’y a pas d’explications politiques, que l’on ne trouve pas cette conscience politique, ce n’est pas suffisamment construit, on se retrouve aux prises d’impulsions gauchisantes ou anarchisantes qui ne permettent pas d’avoir un point de vue politique construit. Surtout pas avec le NPA ou ceux qui, venant de cette mouvance, ont rejoint le Front de gauche. On ne peut pas trop compter sur eux.

[1dans le numéro 3, il y avait deux ereurs, son prénom qui n’est pas thierry, et son entreprise, SPIE n’étant pas SPIE Batignolles... Mais il est vrai qu’avec le monopoly permanent du capital, on peut s’y perdre...

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