Réaction à la tribune de Patrice Bessac « la mission de notre génération » parue dans l’Humanité du 1er juillet

, par  communistes , popularité : 3%

Une réaction de notre camarade Amar Bellal, membre du Conseil National, Rédacteur en chef de la revue Progressistes !

Pour m’intéresser depuis une dizaine d’années sur les sujets d’énergie et du changement climatique, et être à l’origine du lancement de la revue Progressistes, j’ai forcement été interpellé par la tribune de Patrice Bessac qui évoque une série d’enjeux planétaires et se veut une sorte de feuille de route pour « notre génération ».

Je vais donner l’appréciation que j’ai de cette tribune, en espérant que cela contribuera à éclairer les débats sur ces sujets.

On peut en effet identifier 3 grandes familles de problèmes « globaux » relativement nouveaux, dont on a pris conscience disons à partir des années 1970 : il y a le changement climatique bien sûr dont tout le monde parle, il y a l’épuisement des ressources au sens large ( ressources énergétiques, métalliques, minérales, agricoles avec l’épuisement et l’appauvrissement des sols , l’eau etc...) qui menace la satisfaction de nos besoins à moyen terme, et enfin il y a les pollutions globales qui menacent notre santé et celle des écosystèmes (dont nous faisons partie). Ces trois problèmes, interdépendants, mais différents malgré tout, sont d’autant plus ardus qu’ils nécessitent des transformations profondes de notre système économique et de notre système social, systèmes caractérisés par une forte inertie, mais qu’il faudrait pourtant transformer avec une rapidité qui n’a jamais été vue dans l’histoire. Et pour ne rien arranger, cette transformation doit se faire sur une planète qui comptera 10 milliards d’habitants dans 30 ans, avec un accroissement de la population de 2 milliards qui se fera essentiellement dans des zones qui sont déjà pauvres où tout est à construire (Afrique, Asie du sud-est). C’est donc une superposition de problèmes et de difficultés qui doit nous rendre modeste et humble face à la tâche qui nous attend, et qui doit être traitée avec sérieux. C’est à mon sens surtout cela la mission de notre génération.
Concrètement, ces problèmes ne peuvent pas être résolus si on ne s ’appuie pas sur une solide expertise scientifique et technique, la mobilisation du meilleur des savoirs faire à travers le monde, un partage des connaissances et des transferts de technologies non entravés par des brevets ou empêchés par l’agenda d’actionnaires assoiffés de profits à court terme. Or toute cette richesse, cette connaissance, ce savoir-faire, cette expertise, sont détenus par les salariés, les acteurs et actrices du monde du travail, seuls à même de permettre un déploiement massif des nécessaires infrastructures, services publics et systèmes productifs sûrs et propres pour répondre aux besoins

Le monde du travail est le principal et le plus grand oubli du texte de Patrice Bessac, et je pense que c’est problématique vu l’ambition que se donne cette tribune : c’est ce qui me pousse à réagir. L’approche ouverte par ce texte ne permet pas vraiment d’appréhender le réel sans même parler de le transformer. Pour parler sérieusement d’écologie on ne peut omettre cette dimension essentielle qu’est le monde du travail, sinon on risque de tomber dans une vision qui prétend prendre de la hauteur, mais qui est au fond surtout idéaliste, et éloignée de la démarche marxiste. Vouloir sauver le monde, sans un mot pour le monde du travail, pourtant essentiel, peut même être un recul par rapport à tout ce qui a été porté notamment dans la campagne présidentielle sur les pouvoirs de décisions qu’il faut gagner pour les salariés dans les entreprises, leur rôle central. La publicité, le consumérisme, ou l’individualisme, l’emprise médiatique, sont des aspects certes importants du capitalisme, conséquences et/ou bras armés ce dernier, qu’il conviendra de faire reculer, mais ce n’est pas le cœur du problème. Le capitalisme peut prospérer avec un projet collectif (voir l’offensive sur la sobriété collective qu’appellent de leurs vœux de nombreux patrons dans une tribune récente). Il peut prospérer sans publicité. Il acceptera même qu’on légifère sur ces sujets. Et cela ne l’empêchera pas de continuer ses ravages. Par contre qui décide de ce que l ’on produit, comment on le produit, avec quelle finalité et comment on finance : ce sont là des questions politiques essentielles heurtant le cœur des logiques capitalistes, et dont les salariés sont la clé essentielle.

On sera bien sûr d’accord sur le fait que le capitalisme est un obstacle sérieux pour la résolution de tous ces nouveaux problèmes : pour ne prendre que l’exemple du climat, il nous a fait perdre de précieuses décennies qui font que les efforts à réaliser aujourd’hui sont plus intenses et difficiles que si ils avaient été anticipés. Mais si le dépassement du capitalisme est une condition nécessaire, il n ’est pas une condition suffisante : le défi industriel et scientifique restera entier pour décarbonner par exemple des secteurs entiers de l’économie (transports, industrie, agriculture) même dans le cas d’une politique mondiale d’inspiration socialiste, ce sera une difficulté à surmonter bien objective. Certes on n’aura plus l’obstacle des actionnaires ou beaucoup moins, les salariés pourront être formés, mieux payés, on aura repris les leviers de décisions dans la finance, les banques, on fera une vraie planification, les brevets seront levés, on donnera des moyens à la recherche : l’argent sera consacré aux investissements réels, pour le développement des capacités humaines, sur l’emploi et la formation … Mais insistons encore, même dans cette configuration, on sera obligé d’extraire des ressources, gérer et traiter des pollutions, et faire face au défi climatique : à 10 milliards sur Terre, c’est inévitable. On sera alors plongé non pas dans un Capitalocène, mais plutôt un Communistocène ou un Socialismocène, avec une pression moins forte sur les ressource, mais qui restera prégnante. Ces impacts ne sont donc pas propres au capitalisme, ce dernier étant plutôt un facteur aggravant en revêtant une dimension de gaspillage de ressources. C’est dire que présenter le terme Capitalocène comme une percée théorique qui va mobiliser et changer la donne, ne fait pas avancer vraiment la compréhension des enjeux : au contraire elle peut présenter l’illusion que la suppression du capitalisme, pardon du Capitalocène, supprime toutes les difficultés liées à la réponse aux besoins qui resteront criants pour l’humanité.

Enfin l’injonction à « s’unir ou périr », ne crée pas les conditions sereines pour mener des débats de fond qui seront salutaires pour sortir la gauche de ses contradictions béantes, et pour qu’elle puisse retrouver enfin une crédibilité et une cohérence dans ses propositions : on ne débat pas sereinement avec un pistolet sous la tempe. Au contraire, c’est parce que le PCF a résisté sur certains sujets durant ces 10 dernières années, a continué pendant tout ce temps à pousser les débats, sur les questions énergétiques par exemple, parfois sous les moqueries et les caricatures de certains, mais aussi sur tous les enjeux industriels et scientifiques, que la gauche a pu avoir une voix originale durant la campagne présidentielle et ne pas désespérer complètement le monde scientifique et industriel. Et (hélas) l’actualité du réchauffement climatique et de la crise des ressources, nous montre qu’on a eu raison de tenir sur ces sujets, et ne pas cacher tout cela sous le tapis pour faire bonne figure en vue d’alliances et au nom de l’injonction à « s’unir » au préalable. Les alliances seront toujours nécessaires, mais elles ne doivent pas se faire au détriment des débats de fond et en court-circuitant les intelligences. On doit aussi se garder d’extrapoler des expériences d’union et de débats vécue à une échelle locale pour la transposer à l’échelle nationale. Une collectivité, aussi importante soit elle, aussi respectable que peuvent être son bilan et ses réalisations, ne préfigurent pas les politiques structurelles industrielles et énergétiques à mener à l’échelle d’un pays, voir sur le plan européen et international avec des débats entre partenaires de gauche qui peuvent devenir alors plus complexes.

Face à ces sujets, il faut faire entrer le monde du travail dans les débats de fond : énergie, ressources, climat etc… s’appuyer aussi sur toutes les mobilisations, qu’on voit poindre dans différentes institutions scientifiques, de l’échelle nationale avec les précieux rapports du Haut conseil pour le climat, aux instances du GIEC et à ce qui s’est exprimé dans les dernières COP. On ne part pas de zéro, déjà la mobilisation populaire a permis d’infléchir les politiques climatiques, où il y a 10 ans encore les scénarios donnaient 5 degrés de réchauffement globales pour 2100, on est redescendu à 3,5 ce qui reste encore catastrophique mais on voit aussi qu’il y a des mobilisations et une pression qui poussent les gouvernements à agir.

La mission de notre génération, c’est d’investir ces débats sérieusement, avec force, travail et rigueur.

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