Les Fralib ont donc atteint ce dimanche 20 mai le nombre de 600 jours de lutte.
600 jours depuis le 28 septembre 2010, jour de cette assemblée générale qui a suivi l’annonce de la fermeture de l’usine par UNIVOLEUR.
Si on avait été dans la course au record on aurait pu aussi dater le décompte du 8 mars 2010, jour de démarrage de la grève pour les salaires [1] et ajouter 204 jours supplémentaires. Mais on n’est pas dans la course au record et les Fralib se passeraient bien de cette longévité.
De toute manière aucun comptage ne pourra dénombrer les jours et les mois de luttes que des générations de salariés ont menées depuis 120 ans et qui expliquent grandement la ténacité d’aujourd’hui. La lutte ici, les anciens la connaissent. Elle leur colle à la peau depuis qu’ils sont entrés dans cette usine. Et les nouveaux ont vite appris. C’est grâce à ces luttes qu’ils ont, jeunes et moins jeunes, gagné des droits, se sont faits respecter… et gagné en conscience. Rim qui doit son embauche récente à une lutte syndicale pour faire intégrer les salariés en intérim disait : « on n’est pas un coût ! La valeur ajoutée c’est nous, et on n’est pas à vendre ! ». Pas étonnant dans ces conditions que la majorité des salarié-e-s aient refusé les 120.000 € que la direction voulait leur donner pour qu’ils s’en aillent et laissent fermer l’usine sans bruit.
600 jours de lutte, ce n’est pas un jour que l’on fête, c’est un jour où l’on mesure le chemin parcouru.
Dans l’usine occupée, la fin de la nuit est propice aux propos réfléchis, aux retours en arrière aux confidences plus intimes.
Gérard et Bob disent tous les deux à quel point la grève de 2010 a été importante. « Sans elle on n’en serait peut-être pas là. C’est cette lutte qui a fait monter le niveau des consciences ». Le nombre de syndiqués le prouve [2] : plus de la moitié des salarié-e-s sont syndiqués à la CGT. Par bribes s’égrènent pêle-mêle des moments marquants : le 3 octobre et la manifestation nationale avec la banderole accrochée à la Bonne Mère, l’assemblée du 28 septembre où avait été lancé le désormais devenu célèbre : « Pas un boulon ne sortira d’ici », l’incursion des Fralib dans la campagne des présidentielles…
Jusqu’à aujourd’hui où depuis le 11 mai tout un département se relaie jour et nuit au côté des Fralib pour garder ce qui est devenu « notre usine ». Cette nuit c’était la construction, le nettoyage, la mutuelle, hier EDF et les salariés du livre, le jour férié de l’ascension l’union locale de Vitrolles, aujourd’hui dimanche ce sont les camarades de Carrefour, de l’UL d’Aubagne et bien d’autres encore.
Conférence de presse
A la veille du 600e jour s’est tenue dans l’usine une conférence de presse animée par les délégués de l’entreprise et pour la CGT, de Freddy Huck et Serge Bonutti de la fédération de l’agroalimentaire, de Thierry Pettavino de l’UD 13 et Cybnthia Sanchez de l’UL d’Aubagne.
Gérard Cazorla, secrétaire du CE a fait un rappel de la décision de justice qui leur donne 15 jours de délai alors qu’UNIVOLEUR voulait une expulsion immédiate. Quand on sait que c’est le même juge qui avait validé de manière scandaleuse le PSE qui maintenant dans son jugement, temporise et appelle UNIVOLEUR au dialogue, cela ne manque pas de sel !! Pour conclure sa présentation Gérard indique que si cela se passait mal, UNIVOLEUR en porterait l’entière responsabilité.
Sur le projet alternatif la CGT a décidé de s’adresser aux trois ministères concernés, Industrie, Emploi et Agriculture.
A une question des journalistes les syndicalistes ont répondu qu’Arnaud Montebourg peut venir à l’usine quand il veut, ils sont prêts à l’accueillir. Ceux-ci ont aussi estimé que Michel Sapin, le nouveau ministre du travail doit intervenir et faire toute la lumière sur l’intervention de Xavier Bertrand. Ils demandent dans ce but que l’ensemble des documents soient mis à leur disposition et la tenue d’une enquête administrative sur l’aide apportée par le gouvernement Sarko pour les mettre au chômage.
Concernant l’immobilier, [3] les services de la Communauté Urbaine de Marseille ont demandé aux Domaines une estimation afin de faire valoir d’ici le 25 mai le droit de préemption de la collectivité.
A une autre question d’un journaliste d’un journaliste, Olivier a redit qu’ici "UNILEVER arnaque les salariés, les clients et le fisc". Il a rappelé la rentabilité de l’usine en ces termes : "sur 12 mois de travail, 4 rentabilisent l’usine et 8 engraissent les actionnaires".
Un plan comptable de relance a été fait, qui sera présenté au ministre. La démarche politique de constitution de l’entreprise avec un collectif de 182 salariés et le maintien de la marque Éléphant promis par Hollande au meeting de Paris, devra servir de base de négociation. UNILEVER peut et doit céder les machines comme il l’a fait pour Royco, et aussi à Poitiers où les machines ont été cédées pour 1€ symbolique.
Pour l’UD CGT 13, Thierry a confirmé que les militantes et militants du département qui se relaient jour et nuit aux côtés des Fralib "ne bougeront pas de l’usine tant que l’outil ne sera pas en sécurité, qu’il s’agit de légitime défense et que l’usine est sous la protection de l’UD".
A la question d’un journaliste "si Unilever vendait à un repreneur" Gérard a répondu que cette question ne s’était jamais posée jusqu’à aujourd’hui et que de toute façon "les repreneurs c’est nous".
Pour finir Freddy Huck est revenu sur le nécessaire retour à une entreprise souveraine :
« Petit à petit, UNILEVER a enlevé à Fralib toute capacité de décisions en reprenant les éléments stratégiques en amont (les achats) et en aval (la distribution). Le montage avec la filiale en Suisse pour échapper au fisc faisait partie de cette politique. Il faut reprendre ces éléments de gestion.
Par ailleurs, la trésorerie de l’usine est saine. Il est possible qu’UNILEVER ait utilisé les fonds de l’entreprise pour couvrir les frais de la Direction depuis le début des actions en justice : les salarié-e-s ont le droit de savoir ». En conclusion Freddy a indiqué que Montebourg avait avec Fralib une occasion rêvée de mettre en application son concept de « démondialisation ».
Bob, aidé de Cynthia la secrétaire de l’UL, remplit les plannings, place les équipes, organise les tournées. Là-haut à l’étage, une cantine est improvisée et la solidarité permet que chaque jour une centaine de repas puisse être confectionnée. Depuis 600 jours les salarié-e-s veillent sur leurs machines qui sont impeccablement entretenues, ce qui contraste avec une direction qui n’a pas hésité à laisser pourrir 80 tonnes de marchandises pour le plus grand écœurement des occupant-e-s.
Le petit groupe qui discute autour du braséro essaie de faire le compte de tout l’argent gaspillé par les patrons depuis 600 jours : l’huissier en permanence sur le site ou aux abords, les mercenaires par dizaines, les machines à l’arrêt, les 120.000€ de primes pour celles et ceux qui les ont acceptées, les salaires qu’ils ont dû verser après la condamnation du 17 novembre… et la liste est longue. Des millions d’euros pour casser…
La nuit les mercenaires tentent des apparitions mais restent à distance de l’usine. Juste pour dire « UNIVOLEUR ne lâche pas »… mais nous non plus. Pour l’instant ce sont eux dont il faut se méfier et les tours de garde sont là pour cela : les tenir à distance.
Dans la nuit finissante la conversation se poursuit :
« Ils n’ont pas pu nous acheter, il va bien falloir qu’ils lâchent.
– Ils ont fait une erreur en voulant nous fermer en premier et se disant qu’ainsi ils se débarrassaient des gêneurs. Ils avaient annoncé qu’ils règleraient tout cela en 100 jours !! ça fait 600 jours qu’on est là et on tient.
– Qui aurait dit qu’on tiendrait tout ce temps ? Je ne nous en aurais pas cru capables…
– Toute la presse dit que Fralib c’est un test pour le gouvernement… on va faire en sorte que le test soit réussi.
– En plus tu as vu toute cette solidarité ? Je n’ai jamais vu autant de monde jour et nuit dans cette usine !
– Moi avant je faisais les week-ends pour avoir du temps en semaine. Depuis l’occupation je fais les week-ends et la semaine en plus !
– Et qu’est-ce que je devrais dire moi qui n’ait jamais voulu travailler de nuit et qui les fais toutes !! »
Patrice, Daniel et Hélène (qui a tenu à venir bien qu’elle soit elle-même en pleine lutte pour sauver sa boite, le Grand Conseil de la Mutualité) descendent du toit, poste privilégié pour inspecter les environs. Pour eux la nuit est finie. Après un dernier café, ils rentrent.
La conversation continue débridée :
« C’est vrai qu’on a une conception révolutionnaire de la production. Nous on ne sera pas actionnaires. On ne s’est pas battus pour ça mais pour une entreprise souveraine, qui fasse aussi travailler le local. Je vois le champ à côté on pourrait produire les herbes aromatiques dont on a besoin.
– Si on manque de monde je connais plein de chômeurs qui pourront venir travailler ici. Je pense à deux anciens de Net cacao [4].
– Quand même, ils ont réussi à en faire craquer certains d’entre nous qui sont tombés dans la dépression et qui pourtant paraissaient solides. Je n’aurais pas cru. »
Le jour est maintenant levé et le portail s’ouvre à intervalles réguliers pour laisser le passage à la relève qui va se positionner en suivant les indications de Bob. L’atelier, le toit, le fond, l’autre entrée… Avec ponctualité les remplaçants arrivent et prennent les consignes pour la journée. A peine sont-ils allés à leur poste qu’une à une les équipes de la nuit viennent à l’accueil à la fois pour dire au revoir mais aussi pour s’informer sur leur prochain tour de garde.
Et Bob de dire : « Ils sont pas bons les Fralib ? Tous à l’heure au poste ! ».
Le 600e jour est maintenant bien entamé. En plus de celles et ceux qui se sont inscrits, d’autres viendront tout au long de la journée pour apporter un chèque ou simplement être là un petit moment et partager un moment de solidarité.
Gérard me fait remarquer que FRALIB qui voulait dire à l’origine FRançaise d’ALImentation et de Boissons, pourrait signifier aujourd’hui FRAternité et LIBerté.
C’est dimanche.
Un jour de lutte comme les autres.
Confiants, déterminés, lucides, on continue.