Le fond de l’air est toujours plus rouge...
Qui était Chris Marker ?

, par  Gilbert Remond , popularité : 3%

Le dimanche 29 juillet mourait Christian François Bouchu Villeneuve, alias Chris Marker pour les lettres et le cinéma, alias Kosuski ou Musrasaki pour Internet et les nouvelles technologies. Sa personnalité s’était ainsi faite, par dilution, "dans les creusets de l’alias, du pseudonyme où de l’identité collective". Si elle était a ce point ondoyante, changeante, selon les postures créatrices ou les supports utilisés, celui que nous connaissons d’avantage sous le nom de Chris Marker avait eu cette capacité à organiser son propre effacement comme sa propre disparition bien avant que sa mort ne le décide. Devenu l’une des figures les plus secrètes du cinéma mondial, il était cet artiste hors norme qui se refusait au jeu des médias, mais avait su les utiliser pour se faire le chroniqueur des mouvements du siècle.

Sa biographie doit être avant tout considérée comme un champ d’intervention. En effet, il est, comme l’indique la cinémathèque française, une sorte de paradoxe dynamique, un "créateur qui fit tout à la fois œuvre personnelle à la manière d’un artisan (ainsi qu’il aimait à le dire) et mit son génie de l’organisation au service des autres, initiant ainsi des expériences artistiques et politiques décisives comme l’œuvre collective intitulée ’Loin du Vietnam’ ou ces films ouvriers majeurs, réalisés dans le cadre du groupe Medvedkine du nom de ce cinéaste soviétique auquel il consacra aussi un film ’Le tombeau d’Alexandre’ ".

Licencié de philosophie à l’entré de la seconde guerre mondiale, il entre dans la résistance alors qu’il est adolescent. Il y prendra un pseudo qui lui donnera l’idée de son nom d’artiste. Dans l’immédiat après-guerre, il interviendra, muri de cette expérience, dans la sphère intellectuelle via la revue Esprits, une revue catholique de gauche à l’époque proche des communistes, qui l’accueillera de 1946 à 1955. Puis embrassant l’agitation intellectuelle si caractéristique des lendemains de la Libération, agitation dont la richesse ne s’épuise toujours pas de nos jours malgré les coups de boutoirs donnés par la contre révolution libérale, il entamera ses premières expériences de création collective, véritables armes de combat, en collaborant avec des organisations de sensibilités prolétariennes telle "Travail et culture" qui détermineront toute son œuvre et qui lui donneront l’occasion de fraterniser avec André Bazin, le futur créateur des Cahiers du cinéma ou Alain Resnais dont il sera le compagnon de route.

Artiste multimédia, il marquera son temps avec des œuvres telles que : "Les statuts meurent aussi" qu’il tournera avec Resnais, "Sans soleil", "Level 5", "2084", "La jetée", "Le font de l’air est rouge", "Chat perché". Ses chroniques filmées d’un siècle en bouleversement, nous parleront du Cuba post révolutionnaire avec "Cubas si" en 1961, des rues de Paris avec "Le jolie mai" en 1963. Il participera avec Joris Ivens, Agnès Varda et Jean-Luc Godard au film collectif "Loin du Vietnam" en 1967 pour protester contre l’intervention américaine en Asie du sud-est, fondera le groupe Iskra dans la foulée des évènements de 1968, avant de revenir à la création individuelle, non sans avoir tiré le bilan de cette décennie d’espoir et de mouvements révolutionnaires avec "Le fond de l’air est rouge", longue fresque historique qu’il complétera en 1982 d’une magnifique errance poétique et politique intitulée "Sans soleil".

Grand déambulateur de part le monde, il en rapportera plusieurs reportages. Il saura de même se transporter dans des univers professionnels différents, passer d’un médium à l’autre pour nous donner une efflorescence de créations aux formes nouvelles. Passionné par Internet et les nouveaux moyens de communication, il se lancera a fonds perdus dans des explorations pionnières d’où il nous rapportera l’atypique "Immémory" en 1998, sorte de pèlerinage proustien de "temps retrouvé".

Entièrement engagé dans les nouvelles technologies, il distribuera ses films sur le net, continuant de la sorte ses combats d’homme engagé. Comme l’écrira un collectif de journalistes dans le numéro que Libération lui consacrera le mardi 31 juillet, son nom est "un mot de passe". A la fois manifeste et mode de vie, "un mot de passe" qui fait de l’engagement collectif une priorité sur les positions personnelles, "un mot de passe" dont nous aurions bien besoin aujourd’hui pour retrouver cet élan par quoi l’impossible reprend rang dans de nouvelles réalisations, dans de nouveau projets de futur.

Présenté sous les traits d’un "ogre scopique" par ces mêmes journalistes, il buvait et mangeait a toutes les sources d’image, convaincu que "l’indépassable philosophie de notre temps est contenue dans le ’pac man’", objet qu’il qualifiait d’être la "plus parfaite métaphore graphique de la condition humaine". Pour ma part ce "mot de passe" me permet de retrouver le temps de mes premiers engagements où il était en effet le nom magique de celui qui permettait le passage entre monde ouvrier et facultés en révolte, qui introduisait la parole de ceux qui dans les usines menaient des luttes courageuses pour le pain, le logement et le temps de vivre, avec ses films militants, à l’instar de ce "A bientôt j’espère", filmé entre 1967 et 1968 avec Mario Morret durant les grèves de la Rhodia et où un jeune délégué, dans un entretien confiait avec enthousiasme à ses interlocuteurs "la solidarité c’est formidable, c’est pas de la culture ça ?". L’objet de son interpellation était un commentaire apporté sur un acte de solidarité qui avait consisté à donner une journée de salaire, lui et ses camarades, à ceux licenciés d’une autre usine du groupe. Il venait de donner son adhésion au PCF après avoir découvert le dévouement et la détermination des communistes engagés avec lui dans le combat et expliquait pourquoi ce geste lui semblait naturel et nécessaire, autant dire que de telles paroles dans une enceinte universitaire de l’époque avait un effet saugrenu mais surprenant, dont le poids prendrait son sens plus tard, une fois la gueule de bois consécutive au joli mois de mai passée. Le nom de Chris Marker s’était ainsi logé dans mon imaginaire avec la force de celui d’un rocker, de ce Long Chris qui avait écrit "Génération perdue". Perdus nous aurions pu l’être d’avantage sans de tels vigiles, qui la caméra au poing montaient la garde sur nos conjonctures, ramenant pour la postérité ces grands moments de vérités qui nous disent les combats d’hier, et qui nous disent aussi "A bientôt j’espère" pour des jours victorieux.

Gilbert Remond


Quelque liens pour retrouver films et articles de lui ou parlant de lui :

http://chrismarker.ch/articles/index.html

http://chrismarker.ch/topic1/index.html

http://www.lesinrocks.com/2008/04/29/cinema/la-seconde-vie-de-chris-marker-1151546/

http://fr.wikipedia.org/wiki/Chris_Marker http://chrismarker.ch/longsmetrages/index.html

http://www.youtube.com/watch?v=7TI5Avxoojo

http://next.liberation.fr/cinema/2012/07/30/le-realisateur-chris-marker-la-jetee-level-five-est-mort-lundi-a-l-age-de-91-ans_836481

http://www.humanite.fr/culture/le-cineaste-et-documentariste-culte-chris-marker-est-decede-501621

http://www.rue89.com/rue89-culture/2012/07/30/chris-marker-est-mort-le-fond-de-lair-est-moins-rouge-234261

http://www.legrandsoir.info/tchao-chris-marker-et-merci.html

Interview du 5 mars 2003, Rare Marker, par Samuel Douhaire et Annick Rivoire /Libé par email A l’occasion de la sortie en DVD de ses films « Sans soleil » et « la Jetée », entretien exceptionnel avec un cinéaste parmi les plus secrets : http://next.liberation.fr/cinema/0101466984-rare-marker

"Le fond de l’air est rouge", un extrait : http://www.dailymotion.com/video/x51gwf_le-fond-de-l-air-est-rouge_tv

Acheter les DVD : http://www.arteboutique.com/detailProduct.action;jsessionid=45DAFB1DD6D5A086F31BADC7C7B192BB?product.id=280218

Les Groupes Medvedkine :

En deux DVD, Besançon puis Sochaux, plus un livre, toute l’histoire des groupes Medvedkine à travers une quinzaine de films tournés par le collectif. 1967, la grande grève de la Rhodiaceta à Besançon annonce déjà mai 68. Entre occupation d’usines et revendications spectaculaires pour l’époque, un groupe de cinéastes, dont Chris Marker en tête de file, filme des militants ouvriers. Mais ces derniers ne se reconnaissent pas à travers ce film et ne se privent pas de le dire. Chris Marker et un certain nombre de cinéastes militants, décident de donner à ces ouvriers les moyens de prendre eux-mêmes la parole. Chris Marker, Jean-Luc Godard et Bruno Muel et quelques autres, vont ainsi mettre du matériel à la disposition des ouvriers et les former aux techniques cinématographiques. Résultat : des films forts, des pamphlets parfois violents, souvent brillants et émouvants, réalisés entre 1967 et 1973 sous l’égide de l’infatigable et génial Pol Cèbe (ouvrier et bibliothécaire du CE).

Acheter les DVD : http://www.editionsmontparnasse.fr/p744/Les-Groupes-Medvedkine-DVD

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