Faire confiance à notre peuple, ouvrir le débat sur les freins à la mobilisation

, par  pam , popularité : 2%

Cette journée du 15 mars est importante. La mobilisation se maintient dans la rue, mais les grèves ne s’étendent pas, et leur niveau n’est pas suffisant pour faire reculer le gouvernement. Certains cherchent une issue dans un évènement institutionnel, une pétition pour un référendum, des assemblées de circonscription ? Faut-il préparer déjà "l’après" en espérant un gain politique pour la Nupes ? Ce serait se laisser bercer d’illusions électorales, comme si la "gauche" savait comment retrouver ce qui l’a coupé du peuple depuis des décennies. La traduction électorale de ce rapport de forces qui creuse la fracture politique et le rejet des institutions peut au contraire être au bénéfice du RN...

Pourtant, la question fondamentale du rapport de forces est rarement posée. Combien de grévistes, dans quels secteurs ? pourquoi telle ou telle catégorie n’est pas en grève, pourquoi telle entreprise n’a pas de gréviste ? Si on fait un piquet de grève dans telle usine à quelques dizaines, est-ce qu’on peut tenir ou est-ce qu’on se fait virer par les salariés qui veulent travailler ?

De fait la France n’est pas « à l’arrêt ». Que veut dire d’ailleurs cette expression ? Pour tous ceux qui savent que le pouvoir en système capitaliste est toujours et d’abord le pouvoir du capital qui dirige l’état et les entreprises, il est clair que ce qu’il faut mettre à l’arrêt, c’est le capital, donc les profits, qui sont son moteur, et donc qu’il faut arrêter la production...

Mais on ne bloque pas le capital avec moins de 1 million de grévistes sur les 30 millions d’actifs dans notre pays ! D’autant plus que les grévistes du secteur public ne bloquent pas vraiment le capital. Les cadres supérieurs peuvent se déplacer sans transports publics, et bien évidemment, ils se passent facilement des services publics pour des semaines.

Le mouvement social a besoin d’un large débat sur la réalité du rapport de forces, les freins à la mobilisation, les conditions d’un élargissement. Ce n’est pas une affaire des seuls militants expérimentés, c’est une question politique pour la mobilisation elle-même, car ce qu’on entend massivement, c’est bien cette contradiction dans les têtes, 70% des Français sont contre la réforme, mais 70% pensent qu’elle va passer et beaucoup (se) disent « on ne peut pas l’empêcher »

Combien de grévistes ?

Il faut d’abord dire la vérité sur le niveau des grèves. Elles sont fortes dans les transports et l’énergie, certains services comme les éboueurs de Paris, sans être durablement majoritaires. Elles sont faibles dans la chimie, l’agroalimentaire, la métallurgie, très faibles dans la pharmacie, la distribution et dans les services publics... Beaucoup de grévistes sont occasionnels, une demi-journée pour la manifestation, une journée pour suivre l’appel national. Dans l’immense majorité des entreprises, pas d’organisation d’une grève dans la durée, pas d’assemblée de salariés pour en décider.

Pourquoi ce niveau de mobilisation insuffisant alors que la grande majorité des salariés dénoncent cette réforme ?

Quels freins matériels ?

Il faut discuter des freins à la mobilisation qui explique pourquoi le plus gros de 70% des français qui dénoncent la réforme ne sont pas en gréve...

Il y a bien sûr d’abord des freins matériels. Les conditions de vie de millions de travailleurs sont marquées par les bas salaires, l’endettement, les fin du mois difficiles. On entend beaucoup de salariés dirent « je suis à un euro près, je ne peux pas me permettre, un jour peut-être dans le mois, mais pas plus. ». Dans le contexte d’une inflation qui bouscule des milliers de familles, c’est un frein plus important qu’en 1995.

La précarité marque aussi durement les conditions de mobilisation. Comment faire quand on est auto-entrepreneur, uber ou équivalent ? Comment faire quand on saute de contrat court en contrat court et qu’on sait qu’une grève conduira à perdre les prochains contrats ?

Et beaucoup de salariés n’ont pas autour d’eux de militant syndical pour expliquer les modalités du droit de grève, aider à l’organiser...

Mais ces freins matériels ne suffisent pas à expliquer pourquoi le maximum de grévistes a été mobilisé le 19 janvier et que si les manifestations ont été plus importantes le 31 janvier, la grève ne s’est pas renforcée. Au contraire, elle ne fait depuis que se réduire.

Quels freins idéologiques ?

Une part importante du monde du travail est marquée par la progression des idées réactionnaires du chacun pour soi, de l’individualisme. On entend souvent les idées comme « celui qui veut s’en sortir le peut », ou « quand on cherche vraiment du boulot, on en trouve »... Quand Macron fait sa sortie « il suffit de traverser la rue », les militants réagissent fortement, mais est-ce le cas de tout le monde du travail ?

Il y a aussi la part du corporatisme dans le syndicalisme, qui peut être importante. On ne peut que constater, par exemple dans la fonction publique territoriale, que des catégories qui peuvent faire grève fortement pour des revendications locales, sont beaucoup moins mobilisées sur les batailles nationales.

L’affaiblissement syndical a laissé la place aux fractures sociales. Ce qui unissait largement le peuple il y a 50 ans est oublié, cela pèse au plan géographique, entre les vieilles régions ouvrières et les métropoles, mais aussi dans chaque entreprise. Dans beaucoup d’entreprises dans les années 60, quand le délégué syndical annoncait une grève, ceux qui ne la suivaient pas étaient isolés, aujourd’hui, ce sont souvent ceux qui sortent qui sont isolés. La représentation idéologique du "monde du travail" et de qui le représente est très floue ! N’oublions pas que la gauche fait beaucoup moins que l’abstention et l’extrême-droite dans le monde ouvrier. On peut être contre la réforme des retraites, mais ne pas se sentir représenté par "la gauche". Le RN lui, n’appelle pas à la grève !

Des freins politiques ?

Faire grève, c’est faire un pari sur les autres et sur l’avenir, et c’est toujours un pari politique. Pour décider de faire grève, il faut se dire « je suis prêt à perdre plusieurs jours de salaires pour gagner plus tard quelques années de retraite »

Mais le pari est de ne pas être isolé, que le mouvement de grève devienne massif, donc que ses collègues se mettent aussi en grève. D’ailleurs, beaucoup de non grévistes disent « il faudrait une vraie grève générale ! », Les militants répondent bien sûr, « on est d’accord, et c’est pour ça qu’il faut vous y mettre et vous organiser pour mobiliser vos collègues.. ». Mais pourquoi ça ne fait pas d’effet ?

En fait, notre peuple a fait l’expérience ancienne de l’échec politique et syndical. Et la gauche gouvernementale porte une terrible responsabilité. Certains l’ont appelé la "pédagogie du renoncement" de François Mitterrand. Et de Lionel Jospin à François Holllande, le parti socialiste a entrainé la gauche jusqu’au macronisme. En sommes-nous sorti ? C’est un débat politique fondamental etla réalité politique issue des deux dernières présidentielles oblige à dire clairement : non !

Il faut donc avoir le débat dans le peuple pour lever pas à pas tous les freins à la mobilisation.

Est-ce du défaitisme ?

Certains peuvent dire, « ce n’est pas le moment, on tirera les leçons plus tard, pour l’instant, il faut entrainer, répéter qu’il faut une grève générale, qu’on va faire tomber ce gouvernement... »

Mais les freins à la mobilisation sont bien réels et aucune stratégie de communication, aucune campagne de réseau social ne va les lever par miracle. Seul le travail militant direct sur le lieu de travail, dans le quartier, entre collègues et voisins, peut faire bouger les consciences et lever des freins. Il faut donc donner des arguments et des outils de mobilisation pour affronter ces "freins à la mobilisation".

Sinon, la colère s’exprime autrement, individuellement. Elle peut conduire à l’illusion de la violence « il faut casser pour qu’ils entendent », alors même que l’expérience du mouvement contre les lois travail montre à quel point la violence dans les manifestations a créé la division et constitué un frein puissant à la mobilisation.

Ne pas affronter ce débat peut au contraire être une école du défaitisme pour les militants eux-mêmes. On n’y arrive pas, les gens n’ont qu’à se bouger, on ne peut pas faire à leur place...

Dire la vérité, c’est la seule manière de faire confiance au peuple, de l’aider à trouver sa force !

Dire la vérité du rapport de forces c’est faire confiance au peuple, le seul acteur qui compte. Or la force populaire n’a pas de substitut dans les réseaux sociaux, ni dans les médias, ni dans les institutions. La seule force du peuple, c’est son nombre quand il s’engage, quand il s’organise, et quand il démontre lui-même sa force sur le lieu de travail en mettant en cause le profit, quand il commence à démontrer son rôle dirigeant en protégeant l’outil de travail, en organisant la solidarité à grande échelle, parce que les capitalistes voient leur intérêt direct mis en cause.

Ce n’est pas du défaitisme, au contraire. Personne ne décide du mouvement social, mais le mouvement social peut donner des forces au peuple, faire bouger les consciences et faire reculer les freins idéologiques et politiques à la mobilisation. Pour cela, il faut assumer le débat, répondre aux questions qui freinent dans les têtes.

Lénine disait, la révolution, c’est quand des millions sont en mouvement. Comment allons-nous passer des milliers aux millions ?

Une suggestion : que se passerait-il si les organisations syndicales unies appelaient à organiser, pour la prochaine journée d’action, au lieu de manifestations, des assemblées de personnel dans tous les services et entreprises, avec des outils communs à utiliser, des votes à organiser et une consolidation à l’échelle départementale et nationale pour suivre les décisions prises en bas et faire appel à la responsabilité de chaque salarié à s’engager contre cette réforme. Avec un suivi national et une bataille pour faire grandir le nombre de sites mobilisés et le nombre de grévistes possibles.

Faire confiance au peuple, donner la parole aux salariés, sur le terrain, en travaillant pour combler les manques immenses de syndicalisation, en appelant les non syndiqués à prendre l’initiative pour organiser une assemblée dans son entreprise sans syndiqué, à demander au syndiqués de s’organiser pour distribuer devant d’autres entreprises, démultiplier les bases d’action...

Les syndicats ont une énorme responsabilité, donner les outils au peuple pour qu’il surmonte les freins à la mobilisation !

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