Egon Krenz : le mouvement de protestation de 1989 en RDA ne voulait pas de l’unité allemande

, par  Sigrid , popularité : 3%

L’unité allemande était-elle vraiment voulue par les résistants de la RDA ? Egon Krenz répond par la négative. Une contribution d’invité.

A l’occasion du jour de l’unité allemande, on a beaucoup parlé dans les discours et les interviews du respect des biographies de la RDA. C’est louable, et il faut espérer que cela se concrétise enfin dans la politique pratique.

Mais c’est une falsification de l’histoire que d’affirmer en même temps que les réalisations des citoyens de la RDA ont été accomplies malgré le régime de la RDA. Il est bien plus exact de dire que de nombreux points sur lesquels la RDA était supérieure à la République fédérale, comme par exemple l’égalité des droits pour les femmes, la promotion de la jeunesse, l’éducation, la garde des enfants et bien d’autres choses encore, n’ont été possibles que dans les conditions de la RDA.

C’est également une falsification de l’histoire que d’établir un lien entre les manifestations de l’automne à Leipzig et dans d’autres villes de la RDA et l’unité allemande. L’automne 1989 n’était pas un prélude au rattachement de la RDA à la République fédérale.

4 novembre 1989 : Manifestation contre la violence et pour les droits constitutionnels, la liberté de la presse, la liberté d’expression et de réunion, devant le Palais de la République.

Voici quelques faits qui sont manifestement passés sous silence :

- L’appel des "Six de Leipzig" est interprété comme un appel à un mouvement de liberté que l’on voit de préférence dans la tradition des révolutions de 1848 et 1918. Mais le texte ne le dit pas.

Le 9 octobre 1989, aucune demande d’abolition de la RDA ou d’unification avec la République fédérale d’Allemagne n’a été formulée. Même la démission du gouvernement n’a pas été demandée. Le chef d’orchestre Kurt Masur, le théologien Dr Peter Zimmermann, l’artiste de cabaret Bernd-Lutz Lange ainsi que les secrétaires de la direction du SED Dr Kurt Meier, Jochen Pommert et Dr Roland Wötzel avaient appelé la population à la prudence. Il est utile de se rappeler le texte original :

"Notre préoccupation et notre responsabilité communes nous ont réunis aujourd’hui. Nous sommes concernés par l’évolution de notre ville et cherchons une solution. Nous avons tous besoin d’un libre échange d’opinions sur la poursuite du socialisme dans notre pays. C’est pourquoi les personnes citées promettent aujourd’hui à tous les citoyens de mettre en œuvre toute leur force et leur autorité pour que ce dialogue soit mené non seulement dans le district de Leipzig, mais aussi avec notre gouvernement. Nous vous demandons instamment de faire preuve de discernement afin que le dialogue pacifique soit possible".

- On a demandé à Wolfgang Ullmann, du mouvement citoyen "Demokratie jetzt" : "Sur la question de la souveraineté, l’opposition fait-elle front commun avec le SED ?" L’historien ecclésiastique a répondu : "Oui, je n’ai pas honte de le dire... D’ailleurs, je fais partie des gens qui ne cachent pas du tout qu’ils se sont toujours su aux côtés des communistes, même dans notre pays, en ce qui concerne la décision fondamentale antifasciste". (Source : interview de Wolfgang Ullmann, taz du 18 novembre 1989).

- Le 24 octobre 1989, les pasteurs Schorlemmer et Eppelmann m’ont écrit une lettre dans laquelle il est dit : "Ce qui nous importe, c’est le développement de la démocratie et du socialisme dans notre pays".

Lors du grand rassemblement sur l’Alexanderplatz de Berlin, aucun orateur n’a réclamé l’unité allemande. Le 4 novembre était une tentative de créer une RDA démocratisée, a fait remarquer Friedrich Schorlemmer. Il était question ce jour-là de liberté de la presse, de liberté de circulation, d’élections libres - sauf qu’il n’était pas question d’une chose ce 4 novembre : l’unité allemande. "Elle n’était pas du tout à l’ordre du jour", se souvient Schorlemmer. "Nous voulions construire un autre pays. Nous voulions un changement fondamental de la RDA".

- Même les représentants les plus influents de l’opposition de la RDA ne voulaient pas changer la dualité allemande. Bärbel Bohley, par exemple, s’est exprimée sur les idées de réunification dans une interview accordée au journal français Le Figaro : "Non. C’est un sujet pour les campagnes électorales en Allemagne de l’Ouest. Après quarante ans, il y a deux sociétés différentes. Le mode de vie ouest-allemand nous est totalement étranger [...]. Ce que veut la RFA, c’est une unification dans laquelle elle impose son modèle. Mais les Allemands de l’Est ne veulent pas se débarrasser de 40 ans de leur histoire".

- Les personnes de confiance du Deutsches Theater Berlin ont adressé une lettre au chancelier Kohl, dans laquelle on pouvait lire : "Nous observons avec une irritation croissante votre engagement pour la démocratie en RDA, nous entendons votre appel à des élections libres dans notre pays, dont vous voulez faire dépendre la coopération économique. Le peuple de la RDA s’est battu lui-même pour ses réformes et continuera à le faire à l’avenir. Dans le dialogue âprement mené avec notre gouvernement et le SED, nous n’avons pas besoin de l’appui politique de votre gouvernement et de votre parti. [...] Nous n’avons rien contre le fait que vous, Monsieur le Chancelier, descendiez dans la rue pour des élections libres, mais nous ne voulons pas vous voir parmi les resquilleurs de notre mouvement de réforme. [...] En outre, que doivent être ces élections libres, achetées avec l’argent de la République fédérale ?"] (Source : Neues Deutschland du 24 novembre 1989.)

Le président allemand Steinmeier a déclaré il y a quelque temps que l’histoire se serait déroulée différemment si Gorbatchev n’avait pas exhorté les dirigeants du SED à faire preuve de retenue. Une telle déclaration sous-entend que les dirigeants de la RDA auraient été déterminés à recourir à la violence. La vérité est que Gorbatchev n’a pas exhorté, explicitement ou implicitement, les dirigeants du SED à faire preuve de retenue. Cela n’était d’ailleurs pas nécessaire. La décision de ne pas recourir à la violence à l’automne 1989 a été prise uniquement à Berlin, donc par les dirigeants de la RDA, en pleine conscience de leur responsabilité. Il ne s’agit pas ici de jouer sur les mots, mais bien de processus historiques et de leur interprétation. Par ailleurs, il s’agit bien sûr aussi du jugement que les générations suivantes porteront sur les processus historiques en RDA. Nous avons interdit l’usage des armes à l’automne 1989 parce que les différences politiques ne peuvent pas être résolues par la violence. Je suis d’autant plus consterné de voir comment l’Allemagne se laisse peu à peu entraîner dans un danger de guerre imminent.

- L’unité allemande n’aurait jamais vu le jour sans l’Union soviétique. Je considère comme une tragédie le fait que nous célébrons le 33e anniversaire avec une relation avec la Russie qui ne pourrait pas être pire. La ministre allemande des Affaires étrangères a parlé de manière irresponsable du fait que l’Occident était en guerre contre la Russie et que l’objectif était de "ruiner la Russie". La Russie n’a jamais représenté un danger pour l’Allemagne. L’Allemagne a envahi l’Union soviétique en 1941 avec l’intention de démanteler l’État et d’exterminer une partie de la population. Le mur de Berlin a disparu. Il a été déplacé vers l’est. Il n’est plus entre l’OTAN et le traité de Varsovie, mais entre l’OTAN et la Russie. Il se trouve là où il passait en principe ce 22 juin 1941, lorsque l’Allemagne a envahi l’Union soviétique. Ce déplacement de la frontière est à l’opposé de ce qui a été réclamé en 1989 dans les rues et sur les places de la RDA.

- La force, l’argent et les ressources utilisés pour dénoncer la RDA - toute une "industrie de la mise à jour" s’y emploie - seraient plus judicieusement investis dans un débat de fond sur le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie. Les nazis, les néonazis et les incendiaires intellectuels de l’AfD sont un danger pour l’Allemagne - mais pas l’héritage de la RDA.

Lorsque j’ai rencontré Gorbatchev au début des années 90 pour l’informer que la justice fédérale allemande avait ouvert plus de 100.000 enquêtes contre des citoyens de la RDA, il m’a raconté une conversation avec le chancelier Kohl. Celui-ci lui avait dit que, sur le plan économique, on maîtriserait rapidement l’unité allemande, mais "Mikhaïl Sergueïevitch, nous avons rencontré là-bas, à l’Est, un peuple étranger. Ils sont très différents de nous".

Au-delà des idées irréalistes de Kohl en matière de politique économique, sa "prise de conscience" tardive du peuple de la RDA révèle que l’élite politique de l’ancienne République fédérale n’a jamais su ce qui animait le peuple de la RDA au plus profond de lui-même. C’est resté le cas jusqu’à aujourd’hui. Depuis 1949, on a promis à la population : "La présente loi fondamentale perd sa validité le jour où entre en vigueur une constitution qui a été adoptée librement par le peuple allemand". (Source : article 146 de la loi fondamentale pour la République fédérale d’Allemagne.) Cela n’a pas été réalisé.


À propos de l’auteur
Egon Krenz est né en mars 1937 à Kolberg, en Poméranie. Krenz a été secrétaire général du comité central du SED du 18 octobre au 6 décembre 1989, succédant à Erich Honecker, puis président du Conseil d’État et président du Conseil national de défense de la RDA du 24 octobre à la même date finale.

Voir en ligne : source en allemand (traduction deepl)

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