Premier mai, pour moi enfant, était le nom d’une place devant laquelle mon bus scolaire passait deux fois par jour, à l’aller et au retour de l’école. Elle était singularisée par la présence d’un char Sherman de la première armée Delattre. Sa tour de tir était trouée. Sur une plaque posée devant l’engin, on pouvait lire que tous ses occupants avaient été tués en entrant dans la ville (https://www.bienpublic.com/grand-dijon/2013/02/10/place-du-1er-mai-avec-char).
Ce Char symbolisait à la fois la libération de Dijon du fascisme et le sacrifice de jeunes français à cette cause. Terrible exposition qui montrait la puissance de la machine et la mort de ses servants. Mon imagination d’enfant était troublée. Je découvrait que les héros ne jouaient pas comme dans nos jeux de guerre, ils avaient la mort pour destin.
Le premier mai, jour de vacances, était aussi le jour de la cueillette du muguet. Nous allions le ramasser en famille dans les bois de la forêt de Cîteaux, lieu-dit célèbre pour son abbaye et ses moines fromagés.
Pourquoi avoir réuni en une seule place ces deux événements ? Je n’en savais pas plus, sinon cette conjonction pleine d’étrangetés. Un brin de muguet se joignait à la carcasse d’un char fracassé. Mais aussi un jour de fête dans le calendrier annonçait une autre histoire et d’autres valeurs que celles de l’église. Un jour laïque, un jour sans dieu. Possibilité d’un autre monde avec d’autres repères. Ce n’est que plus tard que je connaîtrais le véritable sens de cette journée.
Plus tard ce sera après les événements de mai 68. En fait le 1er mai avait été dépassé sans que j’y fasse garde. Il avait été un 1er mai comme les autres. Quelques jours plus tard le 4, le 5, je ne sais plus précisément, se succédaient plusieurs nuits de barricades ensanglantées que la jeunesse du pays, puis le pays tout entier, saisis de bruit et de fureur, transformeront en un mouvement de masse profond et sans précédent, révolutionnaire et internationaliste, un moment qui lui rendrait son contenu revendicatif et combattant.
Le jour des travailleurs allait devenir le mois des travailleurs. Le drapeau rouge flottait dans les manifs et sur le toit des usines. La France qui s’ennuyait retrouvait ses ardeurs. Elle débordait du lit que lui imposait le long fleuve tranquille du gaullisme, généralisant au pays les grèves de l’année précédente dans une recherche unitaire des luttes de la jeunesse et du monde du travail.
Mon premier mai militant à proprement dit, je le connaîtrais un an plus tard devant la bourse du travail où, réunie pour un meeting syndical, l’ensemble des forces ouvrières et étudiantes cherchait des convergences alors impossibles. La révolution devait céder devant l’action revendicative et l’union des forces populaires en vue d’un programme commun de la gauche. Les discussions entre les uns et les autres étaient vives. Les 100 ans de la Commune de Paris et la guerre du Vietnam donnaient argument d’un côté, quand de l’autre s’exposaient les bienfaits d’une démocratie avancée, lancée sur les traces d’une union de la gauche à construire. Il m’en restera le goût des contradictions mises au débat, de leur traitement argumenté mais aussi le souvenir de militants vigoureux dans la discussion, s’appuyant sur une connaissance du mouvement ouvrier et de solides bases théoriques.
Les journées du 1er mai retrouveront leur vigueur dans les années 2000, suite à un deuxième tour laissant le choix entre la droite et l’extrême droite. Elles retrouveront toute leurs significations dans les luttes pour la défense des retraites, du code du travail, dans un contexte où nos libertés sont menacées jusqu’à la journée du 1er mai elle-même. Ainsi depuis quelques années, avec les barbouzeries du sinistre Benalla, où encore l’année dernière quand les cortèges CGT, le premier secrétaire en tête, avaient été pris pour cible par les forces de la répression avant même d’avoir démarré. Cette année les masques tombent. Ce sera un premier mai au balcon, gageons que les suivants seront au tison. Rouge, rouge toujours plus rouge. « Rien ne se perd, rien ne s’oublie dans la mémoire infiniment brassée de la classe ouvrière » (Robert Linhart).
Gilbert Rémond