Grèce
2015 - Bilans et dépôts Carnet de notes d’un ethnologue franco-grec

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Triste constat que ce bilan grec de l’année 2015. Et l’on en est à se demander comment certains élus du PCF et son secrétaire général en sont venus à envisager de voter le mémorandum "Tsipras-eurogroupe", voire de maintenir une "tsiprasmania" jusqu’au-boutiste. Mais sans doute que ce sont les effets annonciateurs de ce qui est en train d’advenir et que nous refusons d’admettre : l’année 2016 pourrait bien être l’année de la mise à mort définitive du PCF. Le fait pour la direction de vouloir participer aux primaires "à gauche" semble en être un des prémisses. Et ces derniers jours, l’Humanité nous ressort, comme par miracle, tous les liquidateurs patentés qui étaient restés en "sommeil" (Vieu, Dartigolle...)...

Le texte ci-dessous est un témoignage saisissant de ce qui se passe en Grèce. Mais au-delà des aspects de souffrance matérielle, il évoque toutes les conséquences sur les mentalités et donc les possibilités éteintes pour le peuple de penser autre chose que la résignation ; le couvercle semble être mis pour longtemps sur toutes velléités révolutionnaires. Je voudrais rappeler aussi que contrairement à ce que dit le texte en évoquant Castoriadis, jamais Marx n’a soutenu que le fait pour les opprimés de renverser leur maîtres capitalistes, serait automatique. Cela dit, on peut constater que l’auteur ne fait même pas appel au KKE en l’ignorant superbement ; c’est pourtant aujourd’hui, le seul espoir restant, et il n’est pas mince. Je n’ai pas peur d’affirmer que malgré toutes ses raideurs, le parti communiste grec existe bel et bien, et que les grecs et communistes grecs ont... de la chance !

Pascal Brula


Sur la place de la Constitution à Athènes, on prépare les colis alimentaires des pauvres. Le Père Noël du moment et de circonstance en est déjà bien usé. Triste bilan en somme d’une année 2015 grecque terrible, laissant derrière elle un sillage de débris... c’est-à-dire nous-mêmes et l’espoir, et c’est déjà énorme comme de l’hybris. Et cette exemplification de l’hybris porte (aussi) le nom de SYRIZA, et par extension, celui de la gauche que l’on veuille ou non ; mais c’est ainsi et non pas autrement.

On rappellera que l’hybris est une notion antique que l’on peut traduire par "démesure". C’est un sentiment violent inspiré par les passions, et plus particulièrement par l’orgueil. Dans la Grèce antique, l’hybris était considérée comme un crime et elle recouvrait entre autres, des violations comme les voies de fait, les agressions sexuelles et surtout le vol de propriété publique ou sacrée. Il n’en reste pas moins que l’hybris constitue la faute fondamentale dans cette civilisation... tout comme dans la nôtre, espérons-le en tout cas.

Il y a ainsi des vies qui s’éteignent, les nôtres, et cependant des gens plus malins, plus salauds ou plus mémorandistes que d’autres, et autant, le nombre si extraordinaire de ce que nous appelons, de nos jours, trahisons. Dans ce bouquet final de la gauche Syriziste (et plus généralement de la gauche européiste au mouroir du trop Vieux Continent), la remarque qui s’applique sera autant celle de Cornelius Castoriadis (et de Thucydide), s’agissant des trahisons datant de la guerre du Péloponnèse, mais toujours actuelle.

« Certains individus ou groupes d’individus (...) son prêts pour ainsi dire à tout pour s’emparer du pouvoir, y compris bien entendu à introduire l’ennemi dans la cité et à faire massacrer bon nombre de leurs concitoyens (...) Des individus ou des groupes qui s’affirment avec une telle force et veulent à tel point le pouvoir pour eux-mêmes qu’à leurs yeux la collectivité n’existe plus ou n’existe que comme pur objet. C’est sans doute aussi, malgré tout, une série de considérations qui en font un cas exceptionnel, ce que l’on voit avec Alcibiade », ("Thucydide, la force et le droit").

Sauf que Tsipras n’est évidemment qu’une bien pâle copie de ce que fut Alcibiade en son autre temps, et que... l’avènement de la Troïka avait déjà installé partout (ministères, administrations, universités etc.) des harmostes, c’est-à-dire des Gauleiter. Pis encore, et je suis désolé de l’écrire ainsi, le temps SYRIZA avait été préparé, et/ou accaparé en cours de route ou introduit c’est selon, par les maîtres du jeu, autrement-dit par les élites de la gouvernance européiste, ni plus ni moins et ce n’est pas du complotisme, mais hélas, de l’événementialité... avérée.

L’année 2015 ne se termine certainement pas comme elle avait pu commencer, cette année dite "de Tsipras" a donc marqué le deuxième grand temps de la crise grecque, celui de la trahison, du mensonge triomphant et de la certitude accablante aux yeux des Grecs... que le monde enfin révolu qui connaissait encore un minimum de pseudo-démocratie est bien derrière nous (le premier grand temps fut l’introduction de la troïka en Grèce en 2010 par Georges Papandreou).

Dans leur immense majorité, les Grecs de l’année 2015 finissante, s’accordent à dire que le gouvernement SYRIZA/ANEL, surtout celui dans sa phase-II (à visage découvert), est le pire gouvernement que le pays ait connu, déjà depuis la fin de la Deuxième guerre mondiale, régime des Colonels compris. C’est un terrible constat que j’entends alors tous les jours, et cela bien au-delà des divisions supposées entre "gens de gauche" et "gens de droite" ; car le sentiment qui domine est celui de la dépossession définitive du pays, du futur, voire de la vie tout simplement.

Car ce sentiment de la dépossession définitive du pays, du futur, voire de la vie tout simplement n’a rien de théorique, ni d’idéologique dans un sens ; c’est tout simplement la concrétisation semaine après semaine du programme d’extermination économique, sociale, culturelle, d’extermination en somme ontologique du peuple grec (comme de tant d’autres d’ailleurs, qui n’auraient pas su se battre suffisamment pour maintenir leurs libertés).

Infrastructures privatisées (en réalité bradées), étouffement de l’activité restante par la surimposition, para-démocratie forcement anticonstitutionnelle galopante, ridiculisation accrue des mensonges Syrizistes et j’en passe, comme pour son "programme parallèle" que le gouvernement vient de retirer à la demande du... Quartet (Troïka étendue). « Ce programme avait pour but de compenser les mesures d’austérité réclamées par les créanciers et que le gouvernement avait fait adopter depuis juillet dernier. Ce jeudi 17 décembre, le texte a été retiré. Selon des médias grecs, la cellule technique de l’Eurogroupe, l’Euro working group (EWG) aurait rejeté ce programme. Un rejet qui menaçait de compromettre la libération du milliard d’euros que le vote de mesures par la Vouli, le parlement grec, mardi, permettait d’envisager. », fait alors remarquer Romaric Godin dans la "Tribune".

Depuis Bruxelles (et depuis Berlin), le message est bien clair : plus aucun texte, ni même alinéa... législatif ne sera présenté au "Parlement" grec sans obtenir l’aval préalable du Quartet. Et comme le ridicule ne tue plus (chez les dirigeants en tout cas), « Alexis Tsipras gouvernera... encore quelques mois, histoire de faire passer... le mémorandum final, celui qui nous achèvera, et ainsi son rôle sera incarné jusqu’au bout ; ensuite, les vrais maîtres du jeu trouveront d’autres marionnettes », tel est l’avis de mon cousin Stéphanos et du voisin Aris, tous deux au chômage au village thessalien ; tel est autant l’avis de notre ami Márkos (joint par téléphone), paysan Crétois lequel ne sait plus comment faire face à la dernière surtaxe immobilière de tous ses terrains et annexes agricoles, espaces de stockage compris.

« Depuis que les banques ont été cédées aux fonds rapaces, pour un prêt dû de deux mille euros, la... nouvelle banque vient de bloquer quatre mille euros sur mon compte et je ne suis qu’un petit exemple parmi tant d’autres. Abandonnés comme nous sommes par les chefs vendus du syndicalisme agricole, nous voyons notre fin arriver mois après mois, en tout cas, j’ai pris un avocat et je me bats encore comme je peux » ; alors... ambiance.

« Les cadeaux du Père Noël Tsipras, les voici : impôts, pauvreté, chômage, fin du régime des retraites et migration », couverture suffisamment caricaturale et néanmoins réelle d’une revue politique grecque en ce mois de décembre et de l’année 2015... ainsi finale.

Je fais court. L’année SYRIZA a d’abord tué l’espoir de tout un peuple, et ensuite (accessoirement) celui de tout un (petit) peuple de gauche, ce dernier n’étant déjà pas majoritaire dans les représentations politiques, elles-mêmes d’ailleurs.. largement dépassées depuis le mûrissement... en marche forcée des consciences grecques au cours du terrible été... Tsipromémorandaire.

Le trauma collectif psychologique de la trahison du vote du NON au référendum de juillet 2015 est synonyme de blessure béante et qui ne cicatrisera pas, autant, que d’une expérience de... mécanique sociale grandeur nature ayant complètement fait basculer les émotions ; de l’euphorie mesurée car déterminée à affronter l’histoire au grand dimanche soir du référendum, au désespoir alors le plus sombre de son annulation de fait, seulement aussitôt quelques jours plus tard.

Dans le Péloponnèse, on ramasse toujours ses filets de pêche, en Thessalie comme ailleurs les cafés sont bien fréquentés durant ces jours des fêtes, et alors vraiment partout, les Grecs qui seraient encore des êtres vivants habités par leurs passions, et qui n’ont finalement guère prise sur les événements, ils se bornent par conséquent à organiser leur retraite de survie, se remettant à leur “moira” (le destin), si possible... en achetant un billet de loterie.

On sent pourtant bien que nous sommes à un tournant. Cette crise ouverte depuis 2010, qui n’est en réalité qu’une forme de guerre faite contre un peuple par d’autres moyens, est alors génératrice (ou accélératrice) de corruption. Comme le rappelait jadis Thucydide (et Cornelius Castoriadis) s’appuyant sur le paradigme (depuis jamais démenti) de la Guerre du Péloponnèse, il a été et il est encore question « d’inversion des significations des termes du langage, haine et mensonge généralisés, rupture des liens les plus élémentaires entre humains, goût du pouvoir et cupidité couverts par de grands mots », en l’occurrence dans notre cas, ces mots (et maux) de la gauche européiste.

Le 17 Août 1984, Cornelius Castoriadis avait donné une conférence à Léonidio, une bourgade Péloponnèse, sur le thème de la Démocratie antique et sur sa signification contemporaine. À cette occasion, il avait rappelé que contrairement à une certaine version de la thèse marxiste, les opprimés ne finiront jamais... automatiquement à renverser le cours de l’histoire.

C’est rarement possible et ce n’est d’ailleurs pas la règle. Le grand philosophe contemporain évoquait alors la fin du servage, une abolition qui n’a pas été le fait d’un renversement d’en bas, mais rendue possible tout simplement, parce que les couches dirigeantes avaient ainsi réalisé au bout d’un certain temps, que le maintenir coûte que coûte n’était plus rentable.

La fête se terminera, toujours et forcement. Pour une bonne partie de ce que nous nommons l’Occident, le moment historique proche est celui de l’abolition de la démocratie dite représentative et en même temps du retour d’une forme je dirais de servage, tout simplement parce que les couches dirigeantes ont ainsi réalisé, que maintenir l’état du monde actuel surtout coûte que coûte, n’est plus rentable.

J’observe cette fin d’année 2015 si terrible, sous l’emprise de mes apories alors multiples (en grec aporie : embarras, interrogation et autant dénuement matériel), et après avoir fait comme de nombreux autres Grecs, le constat amer de notre impuissance politique... d’en bas. Pourtant, nous avons lutté comme nous avons aussi utilisé toutes les fausses armes dont nous croyions encore disposer, essentiellement le vote, lors des législative et surtout lors du référendum.

Cependant, nous sommes enfin plus lucides. Les Grecs dans leur immense majorité réalisent à présent et cela suite à l’expérience (et expérimentation) de 2015, qu’aucun parti politique actuel n’est capable de se tenir à la hauteur des exigences alors... mortelles de notre moment historique, aussi parce que nous sommes certes à un tournant.

Les Grecs dans leur immense majorité réalisent encore qu’ils sont devenus des sans-abri politiques, depuis la mithridatisation du PASOK, de la Nouvelle démocratie et enfin de SYRIZA, formations prétendument politiques et en réalité castes d’intérêts plus privés que jamais, irrémédiablement imprégnées du totalitarisme financiocrate, ainsi que de tout son ridicule qui finalement (nous) tue.

Le renouveau a trop tardé, le renouveau sera laborieux... ou il ne sera pas, mais il ne sera certainement pas celui des Varoufákis, Konstantopoúlou et autres apostats (SYRIZA) de l’heure définitivement tardive et de l’Unité populaire, si peu clairs (à l’instar pratiquement de toute l’autre gauche en Europe, Podemos compris), justement sur la mise en échec de l’Union Européenne.

Vue tragique de l’histoire, comme chez Thucydide. C’est ainsi aussi, parce que finalement à chaque type de régime politique correspond un type anthropologique. L’effondrement grec, qui est d’abord celui d’une bonne partie de sa société, a essentiellement généré ce type anthropologique de la survie et du... "cannibalisme" ontologique, en passant encore par l’inversion des significations des termes du langage, la haine et mensonge généralisés, la rupture des liens les plus élémentaires entre humains, puis pour certains, par le goût du pouvoir et la cupidité couverts par de grands mots.

D’ailleurs, la toute première préoccupation de survie des êtres humains comme des familles, a aussi transformé le dernier des clientélismes, celui de SYRIZA, à convertir "sa gouvernance" en une immense... agence pour l’emploi des membres de leurs familles et d’abord... pour eux-mêmes.

Lorsque par exemple Alexis Tsipras fait rappeler (novembre 2015) à ses députés issus du scrutin législatif de septembre dernier, que depuis le mémorandum de l’été « ils ne peuvent pas prétendre qu’ils ne savent pas... ce qui leur reste à réaliser » (faire adopter toutes les mesures actuelles comme futures exigées par la Troïka étendue) - et cela en violation ouvertement assumée de la Constitution ("Le droit des députés d’exprimer leur opinion et de voter selon leur conscience est illimité." - Article 60) - en réalité, il est en train de dire qu’autrement, ces gens (certains d’entre eux en tout cas), ne pourront plus compter sur l’indemnité mensuelle du député pour s’en sortir en ce temps de crise, et encore moins, utiliser les avantages que leur donne leur mandat, notamment de pouvoir proposer ces postes salvateurs... de conseillers à leurs proches.

Les Grecs... de l’envers observent ainsi leurs compatriotes... de l’endroit, ceux qui s’en sortent (ou qui ont des réserves financières, même non renouvelables) et qui pratiquent parfois encore un certain tourisme dans les montagnes du pays, et ils les observent comme des extraterrestres, pire, comme des extrahumains, à moins que ce soit l’inverse. « Mais qui sont ces gens ? », répète-t-il sans cesse mon cousin Stéphanos, question alors à peine rhétorique, histoire surtout de compter les oraisons funèbres de sa crise grecque, récitées d’une manière répétitive en égrenant les perles de son chapelet.

Triste ainsi bilan d’une année 2015 grecque terrible, laissant derrière elle un sillage de débris, comme surtout, cette exemplification de l’hybris.

La fête se terminera, toujours et forcement... et le blog Greek Crisis peut-être avec.

Tiré du blog Greek Crisis

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