Retraites
12 idées reçues à combattre, le guide d’autodéfense Par Anaïs Henneguelle - Blog Médiapart

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La mobilisation continue de monter au fur et à mesure que les travailleurs comprennent que l’homme de main du Capital à l’Élysée cherche à faire passer en force une régression sociale encore jamais tentée par les forces réactionnaires de tous poils qui se sont succédées au pouvoir en France ces trente dernières années. La seule solution est de continuer à faire de la pédagogie auprès des travailleurs et de les informer pour les mobiliser toujours plus nombreux. C’est ce que m’ont appris les luttes auxquelles j’ai eu la chance de participer activement. Et il y a du travail à faire, on peut s’en rendre compte tous les jours en discutant avec les uns et les autres. Autre leçon que m’ont apprises les luttes : c’est dans les conditions du combat que les prises de conscience politiques s’accélèrent, à condition bien sûr d’avoir un parti bien campé sur ses fondamentaux...

Le texte publié ci-dessous passe en revue de manière détaillée, point par point, cette soi-disant "réforme" et fournit des arguments indispensables pour faire comprendre aux travailleurs ce qui les attend et démonter les mensonges du pouvoir. Dans la bataille en cours, il constitue un point d’appui très utile pour continuer d’élargir le mouvement de sauvegarde des retraites.

PB


Ce guide d’autodéfense a pour vocation de fournir des arguments à tous ceux et toutes celles qui s’opposent à la réforme des retraites mais sont parfois démunis face aux éléments de langage (la plupart du temps incomplets ou simplistes) qu’on leur oppose. En bref, comment (se) mobiliser contre la réforme des retraites ?

Liste des idées reçues combattues dans la suite du texte* :

1 – « Il n’y a pas de perdants à la réforme »

2 – « Le système n’est pas viable financièrement : il faut réformer »

3 - « L’espérance de vie augmente et il faut en profiter »

4 – « Il faut un âge d’équilibre à 64 ans »

5 – « Il faut sanctuariser la part des retraites dans le PIB à 14 % »

6 – « On conserve un système par répartition »

7 – « Il faut en finir avec les régimes spéciaux »

8 – « La réforme permet de protéger les droits des plus faibles »

9 – « Le nouveau système bénéficiera aux femmes et aux familles »

10 – « Les hauts salaires contribuent plus dans le nouveau système »

11 – « Le nouveau système sera plus lisible »


1 – « Il n’y a pas de perdants à la réforme »

- Toutes les pensions vont baisser, dans le public comme dans le privé, car l’ensemble de la carrière sera désormais prise en compte.

Avec le nouveau système universel à points, la référence aux 25 meilleures années (pour les salariés du privé) et aux 6 derniers mois (pour les fonctionnaires) disparaît. Seuls comptent les points accumulés durant la vie active. On voit mal comment le niveau des pensions pourraient ne pas baisser si on prend en compte dans leur calcul les 17 années les moins bonnes qui ne sont pas prises en compte actuellement pour les salariés du privé, et tous les autres trimestres des fonctionnaires (qui sont mieux payés en fin de carrière).

Concrètement, cela signifie des baisses de pension importantes puisqu’on prendra aussi en compte les mauvaises années, les années où on a été mal payé (donc où on n’a pas accumulé beaucoup de points), les années au chômage, etc [1].

Les infographies du collectif « nos retraites » établies à partir des chiffres du rapport Delevoye, sont ici très éclairantes [2].

Tout le monde va donc y perdre : il est inutile de prétendre qu’une réforme qui fait perdre des droits à tous en nivelant par le bas est « plus juste » comme le fait le gouvernement… De la même manière, il est faux de dire que la réforme touche uniquement les fonctionnaires : elle concerne l’ensemble des travailleurs.

- Le système à points permet de faire baisser discrètement le niveau des pensions.

Il y aura des perdants : c’est ce qu’affirmait déjà François Fillon en 2016 devant le patronat : « Le système par points, ça permet une chose, qu’aucun politique n’avoue, ça permet de baisser chaque année, le montant des points, la valeur des points et donc de diminuer le niveau des pensions » [3]. C’est justement l’objectif d’un système à points que de pouvoir faire baisser les pensions plus discrètement !

- Tout le monde est perdant car tout le monde devra travailler plus longtemps.

Avec l’introduction d’un âge pivot à 64 ans, les salariés du public comme du privé y perdent car tout le monde va devoir plus travailler pour ne pas subir une décote de sa pension.

- Les fonctionnaires à faible niveau de primes vont particulièrement y perdre dans cette réforme.

Dans la fonction publique, la retraite est actuellement de 75 % du dernier traitement indiciaire, mais ne tient pas compte des primes. Un calcul sur l’ensemble de la carrière, prime comprise [4], aura obligatoirement un effet négatif très fort sur les fonctionnaires avec peu de primes, en particulier les enseignants (9 % en moyenne), les infirmières, les aides-soignantes [5].

Sur ce point, le gouvernement (et Édouard Philippe en premier chef) a promis des « revalorisations » des salaires des fonctionnaires à faible niveau de primes, sans que l’on sache exactement quelle(s) forme(s) elles vont prendre : s’agira-t-il des primes ? Si oui, seront-elles ponctuelles ou durables ? S’agira-t-il plutôt de hausses de salaire ? Ou bien de la fin durable du gel du point d’indice [6], qui conduit chaque année à une perte de pouvoir d’achat des fonctionnaires compte tenu de l’inflation, de l’ordre de 18 % depuis 2000 ? Le fait est que les sommes évoquées (400 millions d’euros par an) ne sont pas à la mesure de l’enjeu (de l’ordre de 20 milliards d’euros par an).

- La Suède, pays de retraites par points, ne semble pas être un exemple à suivre.

On parle souvent de la Suède, qui a mis en place un système de retraites par points. L’évaluation du système suédois menée par trois économistes de la Commission européenne [7] pointe les inégalités engendrées par un tel système (p. 2). On peut également évoquer le taux de pauvreté des retraités suédois, deux fois plus élevé qu’en France (14,7 % contre 7,5 % pour la tranche d’âge des 65-74 ans) [8], ou encore la part non négligeable de retraités suédois qui travaillent à côté de leur pension pour maintenir un niveau de vie correct [9].

2 – « Le système n’est pas viable financièrement : il faut réformer »

- Le système est tout à fait soutenable à moyen terme.

Dans le rapport du Conseil d’Orientation des Retraites (COR) de novembre 2019 [10], on peut lire que : « Le besoin de financement du système de retraite varierait en 2025 entre 0,3 % et 0,7 % du PIB selon les scénarios et la convention retenue, soit entre 7,9 et 17,2 milliards d’euros constants » (p. 50). D’après le gouvernement, ce chiffre signifie que le système de retraites actuel ne serait pas viable. Néanmoins, il oublie de mentionner que les réserves de l’ensemble des régimes de retraite actuels s’élèvent à 127 milliards d’euros (p. 54) [11].

Cela signifie concrètement que le système de retraite pourrait être en déficit à partir de 2025 (date de l’entrée en vigueur prévue de la réforme), mais qu’il possède des réserves de l’ordre de 127 milliards d’euros en parallèle. Or, ces réserves sont justement supposées servir à financer d’éventuels déséquilibres… ce qui rend le système tout à fait soutenable à moyen terme.

- Si déficit annoncé il y a, c’est à cause de la baisse des ressources et non à cause de la hausse incontrôlée des dépenses.

Le chiffre de déficit indiqué par le COR provient surtout de la baisse des ressources affectées au système [12] dans les prévisions du rapport COR. Il ne provient en revanche pas du tout d’une hausse des dépenses de retraites.

Comment expliquer cette baisse des ressources qui conduit mécaniquement à une hausse du déficit ? Le COR retient plusieurs hypothèses :

1 - Les exonérations de cotisations sociales non compensées, qui diminuent les ressources de l’assurance retraite (tout comme la baisse non compensée de la CSG). En effet, depuis la loi Veil du 25 juillet 1994, l’État doit compenser intégralement les allègements et exonérations de cotisations sociales aux caisses de la Sécurité sociale. Mais en 2018, le gouvernement est revenu sur ce principe (notamment pour financer les mesures d’urgence destinées aux "gilets jaunes") et cette absence de compensation pèse lourd sur le budget de la protection sociale (et donc aussi de l’assurance retraites) [13].
2 - L’austérité salariale dans la fonction publique : le COR prévoit que l’État va recruter moins de fonctionnaires titulaires ; or, l’employeur public cotise plus que les employeurs privés et cette baisse a un effet direct sur les ressources de l’assurance retraite. En effet, les cotisations sociales salariales pour le système de retraite sont inférieures pour le personnel de la fonction publique (7,85 % contre 10,65 % pour les salariés du privé), mais l’employeur public cotise beaucoup plus (62,14 % pour la fonction publique d’État, 108,63 % pour les militaires, 27,3 % pour les hospitaliers… contre 15,6 % dans le secteur privé) [14].

D’autres éléments plus marginaux comme la baisse des transferts de l’Unédic ou de la CAF (qui participent un peu à l’assurance retraite).

Donc finalement, le déficit se creuse non pas parce que les dépenses sont « hors de contrôle », mais parce que les recettes diminuent. On peut dire que ce déficit est créé de toute pièce… ce qui incite à la réforme !

- Le gouvernement joue le jeu de la « politique des caisses vides ».

De façon plus générale, on assiste en fait avec cette diminution des recettes à la mise en œuvre de la « politique des caisses vides » (starving the beast en anglais) : cette stratégie politique consiste à générer d’abord un déficit pour ensuite justifier politiquement une réforme impopulaire, au nom de la « bonne gestion ».

Cette stratégie a été mise en place pour réformer de nombreux services publics : la Sécurité sociale dans son ensemble, mais aussi les hôpitaux ou la SNCF par exemple [15]. C’est une politique de « chantage à la dette » qui permet de faire passer des réformes difficiles, comme l’explique clairement une note publiée en 2010 par le FMI (Fonds Monétaire International) :

« Les pressions des marchés pourraient réussir là où les autres approches ont échoué. Lorsqu’elles font face à des conditions insoutenables, les autorités nationales saisissent souvent l’occasion pour mettre en œuvre des réformes considérées comme difficiles, comme le montrent les exemples de la Grèce et de l’Espagne. » [16]

- D’autres solutions sont envisageables pour combler un éventuel déficit.

De toute façon, même si le système connaît un déficit, il n’est pas évident pour tout le monde qu’il faille faire des mesures d’économie en baissant le niveau des pensions et en reculant l’âge de départ en retraite. On pourrait envisager d’autres solutions !

C’est d’ailleurs ce qu’indique aussi le rapport du COR : « le fait que le système de retraite présente un déficit à cet horizon [2025] n’implique pas nécessairement pour tous les membres du COR que celui-ci doive être résorbé par des mesures d’économies » (p. 61).

3 – « L’espérance de vie augmente et il faut en profiter »

Arguments similaires ou liés, souvent entendus :

1 - C’est normal de travailler plus puisqu’on vit plus longtemps.
2 - Il y avait 4 actifs pour un retraité en 1950, il y en a désormais 1,7 pour un retraité.

- L’espérance de vie en bonne santé est inférieure ou égale à l’âge pivot promis.

En France, en 2018, l’espérance de vie à la naissance est de 85,3 ans pour les femmes et de 79,4 ans pour les hommes. Ces chiffres sont plutôt stables pour les femmes depuis 2010 et stagnent chez les hommes depuis 2014 [17] : l’espérance de vie n’augmente pas mécaniquement chaque année.

Si on regarde à présent l’espérance de vie en bonne santé, en 2018, en France, on obtient un chiffre de 64,1 ans pour les femmes et de 62,7 ans pour les hommes [18]. Ces deux chiffres se situent juste au niveau de ou en-dessous de l’âge pivot voulu par le gouvernement : cela signifie qu’on a toutes les chances d’arriver à la retraite en mauvaise santé, et donc de ne pas pouvoir en profiter…

- Il existe de forts écarts d’espérances de vie selon les métiers et les situations, qui ne sont pas pris en compte par la réforme annoncée.

L’espérance de vie est également très disparate selon la catégorie socio-professionnelle. Ainsi, en 2009-2013, l’espérance de vie des hommes cadres de 35 ans était de 49,0 ans et celles des ouvriers de 42,6 ans : en moyenne, un ouvrier vit 6,4 ans de moins qu’un cadre [19]. Pour les femmes, cet écart n’est "que" de 3,2 années en moyenne. On peut aussi noter que, pour les hommes, les 5 % les plus riches vivent en moyenne 13 ans de plus que les 5 % les plus pauvres [20]. Chez les femmes, cet écart n’est "que" de huit ans.

Or, la réforme annoncée ne prend pas en compte ces différences sociales dans l’espérance de vie. Pour les pauvres ou les ouvriers, c’est la triple peine : non seulement ils gagnent moins tout au long de leur vie, mais en plus ils touchent une pension de retraite plus faible et pour moins longtemps que les autres. À l’inverse, les personnes aux revenus les plus élevés raflent la mise : rémunérations plus hautes tout au long de la vie, pensions plus élevées pour beaucoup plus longtemps. Là encore, le futur système est loin d’être juste.

- L’effet de la pénibilité sur l’espérance de vie n’est pas vraiment prise en compte dans la réforme annoncée.

D’après le Premier Ministre, les personnes qui exercent une profession « pénible » (ce terme restant à définir [21]) continueront à partir plus tôt que les autres. Oui, mais dans le système actuel, elles peuvent espérer partir au minimum à 60 ans (soit 2 ans avant les autres) [22]. Avec la réforme, elles pourront toujours partir deux ans avant… l’âge pivot, désormais fixé à 64 ans, soit un recul de deux ans de leur âge d’ouverture des droits à la retraite !

Cet écart de deux ans pour les métiers les plus pénibles est assez faible lorsqu’on compare par exemple l’espérance de vie d’un cadre et d’un ouvrier (de 6,4 ans en moyenne chez les hommes). Or, la pénibilité a des conséquences importantes sur l’espérance de vie [23], difficilement chiffrables mais qui vont certainement au-delà de ces deux années d’écart proposées par le gouvernement.

- Réformer les retraites ne modifie pas le ratio actifs / retraités.

On entend souvent dire qu’il faut réformer car le ratio actifs / retraités se dégrade au fil des ans (on passe de 4 actifs pour un retraité en 1950 à 1,7 actifs pour un retraité aujourd’hui) [24]. Mais en quoi est-ce qu’une retraite par point changerait ce ratio ? La situation sera exactement la même après la réforme annoncée… À ce niveau, la variable sur laquelle il faudrait agir serait plutôt le taux d’emploi (et non l’âge d’ouverture des droits ou le calcul des futures pensions).

4 – « Il faut un âge d’équilibre à 64 ans »

Édouard Philippe annonce que l’âge minimal de départ à la retraite sera maintenu à 62 ans, mais qu’il faut « inciter les Français à travailler plus longtemps », en instaurant au-dessus de l’âge légal un « âge d’équilibre » avec un système de bonus-malus.

- Instaurer un âge pivot, c’est faire discrètement reculer l’âge de départ à la retraite

En fait, instaurer un âge pivot à 64 ans en 2025 (ou 2027 selon les versions) revient de fait à reculer l’âge de départ à la retraite à taux plein… Qui passe donc pour tout le monde, salariés du public comme du privé, de 62 ans actuellement à 64 ans après la réforme.

- Il y a d’autres solutions pour « garantir les pensions », contrairement à ce que fait croire le gouvernement.

En fait, la solution proposée par Édouard Philippe pour « garantir les pensions » n’est pas la seule possible. En effet, il y a trois leviers pour maintenir un équilibre [25] :

On peut augmenter le taux de cotisations, salariales ou patronales. L’État se refuse à le faire, sous prétexte « qu’il y a déjà beaucoup de charges sociales sur les Français ». Pourtant, le rapport du Conseil d’Orientation des Retraites (COR) [26] indique que, pour résorber l’éventuel déficit qui apparaîtrait en 2025, il faudrait simplement augmenter les cotisations d’un point sur cinq ans, soit de 0,2 point par an… C’est loin d’être insurmontable, mais cette solution semble complètement laissée de côté par le gouvernement ! [27]

On peut aussi reculer l’âge légal d’ouverture des droits à la retraite, qui est fixé à 62 ans depuis 2010. Le gouvernement refuse officiellement de le faire, mais il suit une voie détournée qui aura in fine les mêmes effets…

On peut enfin allonger la durée de cotisation : c’est la solution de l’âge pivot. Cet âge pivot a pour conséquence directe de reculer l’âge de départ à la retraite de nombreuses personnes.

- L’âge pivot ne restera pas à 64 ans.

L’âge pivot ne sera en réalité pas fixe à 64 ans, il évoluera pour équilibrer le système par points [28].

Pour le comprendre, revenons d’abord sur le système actuel. Aujourd’hui, pour toucher une retraite à taux plein, il faut à la fois avoir atteint l’âge légal (62 ans) et cumulé un nombre de trimestres cotisés (41 ans et 6 mois, soit 166 trimestres). Au maximum, même si on n’atteint pas le bon nombre de trimestres, on touche une retraite à taux plein automatique à partir de 67 ans.

Avec le système de retraites à points, la notion de trimestres cotisés disparaît au profit des points. Peu importe sa durée de cotisation, on peut toucher l’intégralité de sa pension (calculée à partir des points accumulés) à partir d’un âge-pivot. Ceux qui partiront avant subiront une pénalité (la décote), ceux qui partiront après auront droit à un bonus (la surcote).

Or, pour que le système à points puisse s’équilibrer automatiquement, il est nécessaire que ce pivot soit mouvant… Dans le rapport Delevoye, l’âge pivot évolue d’ailleurs en fonction de l’espérance de vie. Ainsi, l’âge d’équilibre de la génération née dans les années 1990 pourrait être de 67 ans. D’après ce rapport (ce qui n’a pas été confirmé ni infirmé par Édouard Philippe lors de son allocution), si l’espérance de vie augmente d’un an, l’âge pivot augmentera en parallèle de huit mois [29].

Si modifier l’âge de départ à la retraite (62 ans aujourd’hui) était très difficile précédemment (puisqu’il fallait une nouvelle réforme), modifier l’âge pivot (et instaurer plus de décotes) sera par la suite un jeu d’enfant !

- Non, les Français ne choisissent pas aujourd’hui de partir à 64 ans !

Tout comme c’est écrit dans le rapport Delevoye, Édouard Philippe indique dans son discours que l’âge pivot de 64 ans constitue un « horizon raisonnable » de départ à la retraite puisqu’il s’agit de « l’âge moyen de départ à taux plein en 2025 actuellement projeté » (notamment par le COR) [30].

Effectivement, le rapport de novembre 2019 du Conseil d’Orientation des Retraites prévoit bien que l’âge moyen de départ à la retraite va s’allonger : d’après ses prévisions, il passera de 62,1 ans en 2018 à 62,8 ans en 2025 puis à 63,3 ans en 2030 (p. 42). Néanmoins, le COR ne parle pas de 64 ans.

De plus, le COR explique que cette augmentation s’explique en grande partie par l’allongement de la durée de cotisation requise et de l’entrée plus tardive en emploi… Ce n’est donc pas vraiment un "choix" de la part des travailleurs, qui se plient plutôt à une contrainte imposée.

5 – « Il faut sanctuariser la part des retraites dans le PIB à 14 % »

Les membres du gouvernement ont affirmé à de nombreuses reprises qu’un des objectifs de la réforme était également de sanctuariser la part des retraites dans le PIB à 14 %, soit la proportion actuelle, pour des raisons de « sérieux budgétaires » [31].

- Le chiffre de 14 % n’a pas de réel fondement.

Ce chiffre de 14 % est un totem, qui n’a pas de fondement économique. On peut le rapprocher de ce qu’impose l’Union européenne aux différents États membres en matière de dette publique : les ratios bien connus de 3 % (déficit / PIB) et de 60 % (dette / PIB) souvent appelés « critères de Maastricht » [32].

Pourquoi 14 % et pas plus ou moins ? Aucune justification n’est jamais apportée (hormis le chiffre de la part actuelle des dépenses dans le PIB). En creux, on peut comprendre que cette proportion serait optimale… sans en avoir aucune preuve ! Cet objectif semble avant tout idéologique.

- Sanctuariser la part des retraites dans le PIB revient à organiser la baisse future des pensions.

Ce chiffre de 14 % s’oppose nettement à l’idée selon laquelle « il n’y aura pas de perdants ». En effet, sachant que le nombre de personnes de plus de 65 ans va augmenter de plus de 6 millions d’ici 30 ans [33], cet objectif organise l’appauvrissement relatif des retraités. Comment alors croire le gouvernement lorsqu’il affirme « ne pas vouloir diminuer les pensions », ce qui serait son « engagement vis-à-vis des Français » ? [34]

C’est en fait un blocage très clair du montant des dépenses de l’assurance retraite : concrètement, on va partager le même gâteau entre beaucoup plus de personnes.

6 – « On conserve un système par répartition »

- La baisse future des pensions va favoriser les retraites par capitalisation.

D’accord, on conserve effectivement une part de système par répartition. Pour rappel, un système par répartition correspond à une solidarité intergénérationnelle : la génération de travailleurs actuelle cotise pour financer les retraites de la génération de retraités actuelle. À l’inverse, un système par capitalisation correspond à une logique individuelle : chacun cotise actuellement pour se garantir sa propre retraite dans le futur (par l’intermédiaire notamment des fonds de pension).

Mais cette réforme fragilise en grande partie le système de répartition. En effet, avec la baisse future des pensions, il y a fort à parier que celles et ceux qui le peuvent vont se tourner vers des mécanismes complémentaires de retraite en épargnant de l’argent au fur et à mesure de leur carrière. L’incitation à la capitalisation via la baisse des pensions est claire !

- La solidarité intergénérationnelle nécessaire à la répartition est mise à mal.

Un système par répartition repose sur une forte solidarité entre les générations. Or, la réforme actuelle brise ce type de solidarité intergénérationnelle en distinguant trois groupes, ceux nés avant 1975 (pas affectés par le nouveau système, mais qui le seront par l’introduction rapide d’une décote pour un départ à 62 ans), ceux nés entre 1975 et 2004 (affectés par le nouveau système pour la partie de leur carrière qui a lieu après 2025) et ceux nés après 2004 (entièrement affectés par le nouveau système). On monte ainsi les catégories de Français les uns contre les autres [35].

- La réforme annoncée intervient dans un contexte particulier, celui de l’arrivée en France des fonds de pension.

L’objectif inavoué de la réforme est clair : le passage progressif à un régime par capitalisation, en diminuant progressivement les pensions, ce qui incite les Français à y avoir recours pour compenser [36].

Comment en effet ne pas le penser lorsqu’on lit par exemple que « plusieurs géants américains se positionnent sur les opportunités offertes par la réforme de l’épargne retraite » [37] (dont la très puissante société de « gestion d’actifs » BlackRock) ? Ou bien que « le gouvernement introduit par la loi PACTE des fonds de pension à la française » [38] ? Comment ne pas le penser non plus lorsqu’on découvre les (nombreux) liens du Haut Commissaire à la réforme des retraites, Jean-Paul Delevoye, avec le monde de l’assurance [39] ?

7 – « Il faut en finir avec les régimes spéciaux »

Arguments similaires ou liés, souvent entendus :

1. « Les régimes spéciaux bénéficient à des privilégiés »
2. « Les régimes spéciaux vivent aux dépens du régime général »
3. « Le système des 42 régimes est complètement illisible »

- Les régimes spéciaux constituent un alibi pour réformer l’ensemble du système des retraites par le bas.

Mettre l’accent sur la fin des régimes spéciaux permet au gouvernement d’avoir des éléments de langage pour justifier sa réforme : il s’agirait avant tout de « rétablir l’égalité » entre tous les régimes. Les régimes spéciaux, en ce sens, jouent le rôle d’un écran de fumée qui permettent de focaliser l’attention des Français tout en modifiant le système en profondeur à beaucoup d’autres endroits.

On entend d’ailleurs souvent dire que les régimes spéciaux sont des « privilégiés » et que « les [remplacez par n’importe quel nom de profession pénible] travaillent aussi d’arrache-pied, et sans tous ces avantages ! ». Oui. Cette logique revient à appliquer un principe égalitariste strict : puisque certains n’ont pas cette chance, personne ne doit l’avoir [40].

- Les régimes spéciaux sont très minoritaires.

Le gouvernement parle souvent des « 42 régimes » du système actuel. Comme on sait finalement peu de choses sur notre système de retraite, on a tendance à penser qu’il y a un régime général et 41 régimes spéciaux… Or, ce n’est pas du tout le cas.

Il y a en fait quatre blocs de régimes de sécurité sociale : le régime général (qui couvre 80 % des travailleurs), le régime agricole, le régime des non salariés non agricoles, et enfin le bloc des régimes spéciaux. Ces régimes sont « spéciaux » car ils fonctionnent sur la base d’une solidarité restreinte à une profession (comme pour les marins, les militaires, les avocats) ou à une entreprise (comme pour la SNCF ou la RATP). Ils sont généralement antérieurs à la création de la sécurité sociale [41]. Chaque régime spécial est soumis à ses règles propres de cotisation et de calcul des pensions [42].

Les régimes spéciaux concernaient environ 1 million de bénéficiaires sur les 17,2 millions de retraités que comptait la France au 1er décembre 2017 : ils représentent donc environ 6 % des retraités [43]. Cela représente donc une très petite minorité, qui ne justifie pas à elle seule que l’on bouleverse tout le système de retraites actuel…

- Beaucoup de régimes spéciaux vont disparaître d’eux-mêmes.

On comptait en 1945 plus d’une centaine de régimes spéciaux. Actuellement on en compte une quinzaine seulement [44]. En effet, beaucoup de régimes spéciaux ont vocation à disparaître par eux-mêmes, car la profession qu’ils représentent n’existe plus. C’est le cas par exemple des personnels de l’ex-SEITA (régie publique des tabacs), qui comptait en 2017, 5 cotisants pour 8.482 bénéficiaires. En 2017, la caisse des Chemins de fer de l’Hérault, qui faisait partie jusque là de la liste des régimes spéciaux, a disparu suite à la mort de son dernier bénéficiaire [45].

Les régimes spéciaux de retraite ne sont donc pas si nombreux que ça (entre 10 et 13 selon la façon de les compter [46]) et leur nombre a encore vocation à diminuer à l’avenir.

- Les problèmes de financement des régimes spéciaux sont avant tout démographiques.

Les régimes spéciaux ont-ils un problème de financement ? La réponse est majoritairement oui… car ils ont avant tout un problème démographique ! Par exemple, le régime spécial de la SNCF compte 144.000 cotisants environ pour 258.000 bénéficiaires, soit presque 1 actif pour 2 retraités…

Néanmoins, inclure tous ces régimes dans un « régime universel » ne règle pas du tout ce problème du déficit de certaines branches, puisque ce dernier est structurel (il est démographique) et ne sera pas résolu en rassemblant différemment les travailleurs. Heureusement, d’autres secteurs d’activité comporte un ratio cotisants / bénéficiaires plus favorable, ce qui contribuera à l’équilibre des comptes de l’assurance retraite. Mais cette branche là spécifiquement (celle des cheminots) continuera à être en déséquilibre dans l’avenir : affirmer que la suppression des régimes spéciaux résout le problème budgétaire, c’est de la poudre de perlin-points-points…

8 – « La réforme permet de protéger les droits des plus faibles »

Arguments similaires ou liés, souvent entendus :

1. « La réforme est une réponse à la crise des gilets jaunes » [47]
2. « La pension minimale à 1.000 euros pour une carrière complète est une conquête sociale »
3. « Le nouveau système est plus juste car chaque euro cotisé ouvrira les mêmes droits »

- La pension minimale annoncée se trouve en-dessous du seuil de pauvreté.

En France, en 2017, le seuil de pauvreté pour une personne seule était de 1.041 euros nets par mois [48]. « La conquête sociale » promise par le gouvernement revient donc à instaurer une retraite minimale inférieure au taux de pauvreté actuel : les retraités qui en bénéficieront seront sous le seuil de pauvreté…

- La pension minimale annoncée sera réservée aux carrières complètes.

Certes, avec le système actuel, plus d’un tiers des retraités touchent moins de 1.000 euros par mois et ce n’est pas normal (cette situation concerne plus les femmes que les hommes).

Néanmoins, le gouvernement précise bien que sa « conquête sociale » des 1.000 euros nets par mois sera réservée aux carrières complètes de 43 années, à l’âge de 64 ans… Or, parmi celles et ceux qui touchent moins de 1.000 euros par mois aujourd’hui, la moitié environ n’a pas eu une carrière complète [49] et n’est donc pas concernée par l’annonce d’Édouard Philippe. En particulier, beaucoup de femmes ou d’agriculteurs, qui ont eu des revenus faibles et variables au cours de leur carrière, seront exclus de la mesure.

- La pension minimale annoncée… avait déjà été votée dès 2003 !

Le gouvernement présente les agriculteurs, les artisans et les commerçants comme les grands gagnants de sa réforme. Par exemple, la FNSEA, gros syndicat d’agriculteurs, a déjà plusieurs fois été dans son sens [50]. Dans le secteur agricole, les pensions moyennes sont en effet très faibles : elles oscillent aux alentours de 730 euros pour une carrière complète.

Néanmoins, Jean-Paul Delevoye ne fait que reprendre une promesse non tenue inscrite dans la loi du 21 août 2003, votée alors qu’il était lui-même ministre de la Fonction publique, de la Réforme de l’État et de l’Aménagement du territoire [51]. En effet, l’article 4 de cette loi [52] indique que « la Nation se fixe pour objectif d’assurer en 2008 à un salarié ayant travaillé à temps complet et disposant de la durée d’assurance nécessaire pour bénéficier du taux plein un montant total de pension lors de la liquidation au moins égal à 85 % du salaire minimum de croissance net ». Cet article devait donc, en particulier, concerner les salariés agricoles et leurs petites retraites.

Cette promesse, pourtant inscrite dans la loi, n’a cependant jamais été respectée… Et le gouvernement, sous les conseils du désormais Haut Commissaire à la Réforme des Retraites Jean-Paul Delevoye, la reprend donc 16 ans plus tard !

- La réforme annoncée n’est pas du tout équitable.

En parlant au sujet du système par points, de « justice », Édouard Philippe semble en fait confondre les notions d’égalité stricte et d’équité [53]. Ce nouveau système serait effectivement égalitaire : tout le monde serait logé à la même enseigne : pour chacune et chacun, un euro de revenu donnerait lieu au même nombre de points.

Mais cette réforme n’a rien d’équitable, et on ne peut pas la qualifier de juste ! En effet, tout le monde n’a pas les mêmes chances d’accéder aux métiers les plus rémunérateurs et donc de cotiser plus. Les personnes aux hauts revenus seraient dans ce système gagnantes deux fois [54] : la première fois durant leur vie active, car elles gagneraient beaucoup, et la deuxième fois lors de leur retraite, car elles auraient engrangé beaucoup de points et toucheraient donc une bonne pension. Ce serait le contraire pour les plus bas salaires…

Le système est donc très inégalitaire pour beaucoup de travailleurs : les femmes, les ouvriers, les précaires, les chômeurs… toutes les personnes qui cotiseront peu pour différentes raisons et toucheront une pension moindre in fine [55].

9 – « Le nouveau système bénéficiera aux femmes et aux familles »

Pour Édouard Philippe, « les grandes gagnantes de la réforme, ce sont les femmes » :

1. Des points supplémentaires seront accordés pour chaque enfant (majoration de 5%), et ce dès le 1er enfant (ces points seront, sauf choix contraire des parents, attribués à la mère). Dans le système actuel, il y a une majoration de 10 % mais seulement à partir du 3ème enfant.
2. Le système sera aussi favorable aux familles, notamment à celles de 3 enfants et plus (avec une majoration supplémentaire de 2 % accordée à partir du 3ème enfant).

- Les femmes vont subir de plein fouet la réforme annoncée.

Il ne suffit pas de proclamer partout que « les femmes sont les grandes gagnantes du système » pour qu’elles le soient. Édouard Philippe s’attarde sur des mesures techniques mais semble oublier qu’en calculant le montant de la pension de retraite sur l’ensemble de la carrière (et non plus sur les 25 dernières années pour les salariés du privé, ou sur les 6 derniers mois pour les fonctionnaires), de nombreuses femmes seront pénalisées car elles ont des carrières plus souvent hachées, interrompues, précaires ou à temps partiel [56] que les hommes [57].

- Le gouvernement confond les « femmes » et les « mères ».

Édouard Philippe semble également oublier que ce ne sont pas du tout les femmes qui profitent de ces quelques mesures, ce sont les mères ! Les femmes sans enfants ne sont nullement concernées.

- Les hommes risquent de beaucoup plus bénéficier des mesures annoncées.

La mesure concernant la majoration de 5 % pour tout enfant à partir du premier semble effectivement bénéficier aux mères : par défaut, elle leur sera attribuée, « sauf si le couple en décide autrement ». Le diable se niche dans les détails : comme la majoration est exprimée en pourcentage et non en montant absolu de points, il sera beaucoup plus rentable pour beaucoup de couples de faire bénéficier de cette majoration à l’homme… puisque c’est l’homme qui gagne en moyenne plus que la femme dans un couple hétérosexuel.

Les deux conjoints auront donc intérêt à s’entendre pour attribuer cette majoration au conjoint homme pour augmenter plus sa pension à lui. Ce système incitatif est donc mal configuré : les femmes risquent encore d’y perdre en cas de séparation avec leurs conjoints et d’être ainsi précarisées.

10 – « Les hauts salaires contribuent plus dans le nouveau système »

- Les hauts salaires resteront affiliés seulement sur un "bout" de leurs revenus.

En écoutant le gouvernement, on a l’impression que les plus riches, sur leurs revenus supérieurs à 120.000 euros bruts par an, vont payer plus de cotisations que sur les 120.000 premiers euros. Or, c’est justement le contraire ! Les cotisations seront de 28 % sur les 120.000 premiers euros (comme pour tous les travailleurs : c’est le taux unique annoncé dans le rapport Delevoye) et de 2,8 % pour tous les revenus suivants [58].

En clair, au-delà de 120.000 euros bruts par an, les plus riches paieront moins de cotisations que les autres travailleurs. Certes, ils n’ouvriront pas de droits supplémentaires, mais ils pourront utiliser cet argent non utilisé par le système de retraites pour épargner… et s’ouvrir des droits à la retraite par capitalisation ! En fait, les hauts salaires restent affiliés au système de retraites par répartition, mais uniquement sur le bas de leur rémunération…

- La « cotisation de solidarité » n’est pas du tout nouvelle.

Même si le gouvernement communique beaucoup sur le sujet, la « cotisation de solidarité » appliquée aux hauts revenus n’a en fait rien de nouveau : il s’agit d’un léger relèvement du taux par rapport à celui pratiqué dans le système actuel (de 0,4 point) [59].

- Les plus riches cotiseront en fait moins dans le régime annoncé.

En fait, cette idée de séparer en deux les revenus des plus riches (avant 120.000 euros et après 120.000 euros) revient finalement à abaisser le plafond sur les cotisations : on ne pourra cotiser pour le système des retraites que jusqu’au plafond de 120.000 euros, soit 10.000 euros bruts par mois. Or, dans le système actuel, un tel système de plafond existe déjà, mais il est bien plus haut : les cotisations sociales sont obligatoires jusqu’à 27.000 euros bruts environ.

Donc, pendant plusieurs décennies (le temps que les générations nées avant 1975, donc concernées uniquement par le système actuel, finissent d’écluser leurs droits), il faudra continuer à payer malgré tout des pensions très élevées à certaines personnes (puisqu’elles ont beaucoup cotisé, jusqu’à 27.000 euros bruts environ), sans plus percevoir de très hautes cotisations (puisqu’on ne percevra plus les cotisations sur les salaires compris entre 10 et 27.000 euros…) [60].

11 – « Le nouveau système sera plus lisible »

Dans son allocution, Édouard Philippe a distingué trois catégories de travailleurs :

1. Ceux nés à partir de 2004, qui auront 18 ans en 2022, intégreront directement le nouveau système.
2. Ceux qui sont nés avant 1975, qui auront donc plus de 50 ans en 2025, ne sont pas du tout affectés par cette nouvelle réforme (hormis avec l’instauration rapide de l’âge pivot).
3. Ceux qui sont nés après 1975 mais avant 2004 : toute la partie de carrière effectuée jusqu’en 2025 donnera lieu à une retraite calculée selon les anciennes règles. Seule la partie de carrière effectuée après 2025 sera concernée par les nouvelles règles.

- La réforme annoncée n’est ni lisible, ni compréhensible.

La lisibilité du système pose question tant on manque de réponses sur des points précis [61] ! Par exemple, comment calculera-t-on la retraite de celles et ceux du « milieu », nés entre 1975 et 2004 ? Pour la première partie de carrière, celle effectuée avant 2025, comment calculera-t-on la pension de retraite ? Pour les fonctionnaires, prendra-t-on en compte leurs 6 derniers mois de salaire avant 2025 (puisque cela correspond aux anciennes règles) ? Pour les agents du privé, prendra-t-on en compte leurs 25 meilleures années avant 2025 ? Ou bien prendra-t-on en compte ces 6 derniers mois / 25 meilleures années sur l’ensemble de leurs carrières ? Ceux nés avant 1975 sont-ils concernés par l’âge pivot et donc par la décote avant 64 ans ? Bref, il manque beaucoup d’éléments…

- Aucun simulateur gouvernemental ne permet de calculer le montant des pensions futures.

Dans la même veine, on note qu’aucun simulateur gouvernemental n’est mis en place à ce jour. Des annonces feraient état d’un simulateur mis en place « trois à six mois » après le vote de la réforme [62].

À l’inverse, les membres du gouvernement ne cessent de fustiger la « désinformation » induite par les simulateurs existants [63], sans proposer de solution alternative.

- La réforme annoncée fait dépendre les pensions futures de trois paramètres différents et les rend donc incalculables.

Cet argument de la « lisibilité » du nouveau système doit se comprendre en opposition à l’illisibilité supposée du système actuel, avec ses « 42 caisses de retraite existantes ».

Dans le nouveau système, chacun pourra, à tout moment, connaître le nombre de points qu’il a accumulés et avoir accès à ses « perspectives » en matière de retraite : ce sera « facile comme un coup de fil » [64] ! Mais aucun membre du gouvernement n’ose dire que l’on pourra connaître précisément le montant de sa pension… Et pour cause !

Dans l’ancien système, à prestations définies, on peut avoir assez facilement une bonne estimation du montant de sa pension. Ce n’est plus le cas avec un système par points ! En effet, ce système est à cotisations définies et non à prestations définies. Le nombre de points chaque mois est calculé à partir de la part cotisée du salaire mensuel brut (28,31 % de celui-ci), qui doit être divisée par la valeur d’acquisition du point (estimée pour le moment à 1 point = 10 euros de cotisations passées) [65]. Au moment du départ à la retraite, le montant de la pension annuelle dépendra de la somme des points acquis sur la carrière, mais aussi de la valeur de restitution du point (estimée pour le moment à 1 point = 0,55 euros [66]) et de l’âge pivot (en-deça duquel on subira une décote).

Finalement, le montant des futures pensions pourra évoluer dans le temps en fonction de trois paramètres :

1. La valeur d’acquisition (ou d’achat) du point.
2. La valeur de restitution (ou de service) du point.
3. L’âge pivot.

Ces trois paramètres pourront servir de variables d’ajustement en cas de conjoncture défavorable pour maintenir un système équilibré : il n’y a donc aucun moyen de connaître à l’avance avec certitude le montant de sa future pension…

- La règle d’or annoncée ne garantit aucunement le montant futur des pensions.

Édouard Philippe promet qu’une « règle d’or » garantira la « valeur [de restitution] du point ». D’accord, mais qu’en est-il de la valeur d’acquisition du point ? Pour garantir la valeur des pensions futures, il faudrait donc que la valeur d’achat du point soit revalorisée comme les salaires, pour garantir que les cotisations passées soient bien prises en compte dans le calcul de la retraite. Or, rien ne dit que ce sera le cas !

La règle d’or dont parle Édouard Philippe ne garantit donc aucunement le montant futur des pensions !

12 – « Le Président a annoncé cette réforme durant sa campagne présidentielle »

- Les électeurs n’ont pas plébiscité la réforme des retraites.

Rappelons d’abord que beaucoup de Français n’ont pas voté « pour Emmanuel Macron » mais « contre Marine Le Pen »… mais ça devient lassant tant on l’a déjà dit. Soulignons également que la réforme des retraites n’était pas un thème de campagne majeur du candidat Macron : il est peu sérieux, dans ces conditions, d’affirmer que les Français ont implicitement donné leur soutien à la réforme des retraites lors de l’élection présidentielle de 2017.

Cet argument est d’ailleurs peut-être le plus dangereux politiquement. En effet, il est probable qu’en 2022, l’alternative du second tour se situe encore une fois entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron. Mais si voter pour le second signifie lui donner un blanc-seing complet pour l’intégralité de son programme, il y a fort à parier que de nombreux électeurs (notamment tous ceux de gauche) s’en détournent… faisant alors mécaniquement monter le score du RN.

- La réforme des retraites présentée n’est pas conforme au programme du candidat Emmanuel Macron.

Dans le programme de campagne d’Emmanuel Macron pour l’élection présidentielle du 7 mai 2017 [67], il est écrit : « Nous ne toucherons pas à l’âge de départ à la retraite, ni au niveau des pensions » (p. 13).

Certes, l’âge ouvrant le droit au départ à la retraite reste fixé à 62 ans (mais ce n’est pas l’âge de départ à taux plein !), mais le gouvernement souhaite également instaurer un « âge pivot » à 64 ans (reculant ainsi de facto l’âge de départ sans décote !) ; de plus, le niveau des pensions futures sera largement affecté par la réforme. Faut-il oublier, de plus, que ce gouvernement a déjà fait baisser le niveau des pensions de beaucoup de retraités par la désindexation et la hausse de la CSG.

Lu sur le blog Médiapart de Anaïs Henneguelle, maître de conférences en économie à l’Université de Rennes 2, membre du collectif d’animation des Économistes Atterrés.

Notes

* J’ai bénéficié de nombreux conseils de collègues et d’amis (notamment Alexandre Berthe, Léo Charles, Arthur Jatteau, Fanny Jedlicki, Philippe Légé et Henri Sterdyniak) et je les en remercie vivement. Je reste bien sûr seule responsable des erreurs présentes dans ce texte.

[1Pour se convaincre que (presque ?) tout le monde sortira perdant, on peut aller lire la BD de la dessinatrice Emma.

[2On peut notamment les retrouver dans cette petite vidéo d’Attac et du collectif « Nos retraites ».

[3On peut retrouver la vidéo de son intervention ici.

[4L’intégration des primes est annoncée p. 34 du Rapport Delevoye.

[5Pour connaître les montants des différentes primes en proportion des traitements, voir le « Rapport annuel sur l’état de la fonction publique », Faits et Chiffres, édition 2017, p. 134, qui est disponible ici.

[6Qui a été gelé entre 2010 et 2016, puis à nouveau depuis 2018.

[7On peut le consulter en intégralité (mais en anglais) ici.

[8Comme le rappelle cet article.

[9Comme on peut le lire ici.

[10Disponible en intégralité ici.

[11Comme le relève très justement l’économiste Éric Berr dans une note sur son blog de Mediapart.

[12Comme le montrent respectivement Henri Sterdyniak et Michaël Zemmour dans des articles d’Alternatives Économiques que l’on peut lire et .

[13Comme on peut le lire sur cette note du Sénat.

[14Comme on peut le lire sur fonction-publique.gouv.

[15Voir Pierre-André Juven et Benjamin Lemoine, « Le marché sur de bons rails. Découpages comptables et chantage à la dette à la SNCF », Revue française de socio-économie, 2017.

[16Cité notamment dans un débat à l’Assemblée Nationale ou par François Chesnais dans son ouvrage Les dettes illégitimes. Quand les banques font main basse sur les politiques publiques, 2011.

[17D’après les Tableaux de l’économie française de l’Insee, édition 2019, disponibles ici.

[18D’après des statistiques issues de la série « Indicateurs de richesse nationale », publiées par l’Insee et consultables .

[19D’après des statistiques issues de la série « Espérance de vie à 35 ans par catégorie socioprofessionnelle et diplôme en 2013 » et consultables ici.

[20D’après cette étude de l’Insee.

[21Ce terme est contesté par Emmanuel Macron lui-même, pour qui la notion de « pénibilité » donnerait l’impression que « le travail est pénible ».

[22Comme le montre cette page de calcul de ses droits à la retraite dans le système actuel.

[23Comme le souligne le sociologue Michel Gollac dans cet entretien au Monde.

[24D’après le discours d’Édouard Philippe lui-même.

[25Comme le résume l’économie Éric Berr dans une note sur son blog de Mediapart.

[26Que l’on peut lire ici.

[27Voir à ce sujet l’article de l’économiste Sébastien Villemot dans Mediapart.

[28Comme le montre cet article d’Alternatives Économiques.

[29On peut le lire p. 48 du rapport Delevoye.

[30On peut le lire p. 47 du rapport Delevoye.

[31Comme l’affirmait déjà par exemple Jean-Paul Delevoye le 11 octobre 2018 dans la matinale de France Inter.

[32Cette règle a d’ailleurs été vertement critiquée par Emmanuel Macron en novembre dernier.

[33Voir à ce sujet la note d’Éric Berr sur Mediapart.

[34Comme l’a rappelé par exemple Jean-Michel Blanquer sur RTL le 2 décembre.

[35Comme l’explique Dominique Méda dans son intervention au « Téléphone sonne » de France Inter du 11 décembre.

[36Voir à ce sujet le très clair article de Martine Orange dans Mediapart.

[37Comme on peut le lire dans Les Échos dès septembre 2019.

[38Voir cet article d’Europe 1 d’octobre 2019 qui mentionne le dispositif du « Plan Épargne Retraite », ou encore cet article de Libération dans la même veine sur la rencontre entre Emmanuel Macron et les représentants de BlackRock.

[39Par exemple .

[40À ce sujet, rappelons également que, non, les cheminots ne touchent plus de prime de charbon, et cela depuis 1974, date de l’arrêt de la dernière locomotive à charbon en France. Pour un petit florilège (et des réponses) des idées reçues sur les cheminots, voir cet article du Monde.

[41Pour en savoir plus sur les régimes spéciaux, on peut consulter cette page du site vie-publique.fr.

[42Pour quelques exemples, voir cette page de Wikipédia.

[43Ces chiffres se trouvent dans la publication du Ministère de la santé et des solidarités « Les Retraités et les Retraites », édition 2019, p. 9.

[44D’après la page du site vie-publique.fr déjà citée.

[45Comme on peut le lire dans Libération.

[46Le Code du Travail en reconnaît ainsi dix, dont la liste a été fixée par décret en décembre 2014. La Sécurité sociale, dans ses bilans annuels, compte 13 « régimes spéciaux et assimilés ».

[47Comme l’a affirmé la porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye, sur France Info en novembre dernier.

[48Ce seuil correspond à 60 % du revenu médian en France. On trouve les chiffres correspondants sur le site de l’Observatoire des inégalités.

[49Tous ces chiffres sont à retrouver dans la publication de la Drees, « Les retraités et les retraites », édition 2019 (p. 64).

[50Comme l’explique ce site destiné aux professionnels du monde agricole.

[51Comme le raconte cet article.

[52Que l’on peut lire ici en intégralité.

[53Comme l’explique Thomas Piketty dans cette matinale de France Inter.

[54Notons que le système actuel fonctionne déjà sur ce principe : plus ses revenus sont importants lors de sa vie active et plus on cotise, donc plus sa future pension sera élevée. Néanmoins, le système par points exacerbe encore plus cette logique puisque désormais le montant de la pension sera directement indexé sur son nombre de points personnel, accentuant par là la logique individualiste : je constitue ma « cagnotte » de points pour augmenter ma future retraite (alors qu’aujourd’hui la retraite est calculée sur la base d’un taux de remplacement des salaires précédents).

[55Comme l’explique l’économiste Christophe Ramaux ici.

[56En 2017, 30,6 % des femmes actives en France étaient à temps partiel contre seulement 8 % des hommes, selon les chiffres de l’Insee.

[57Comme l’explique l’économiste Sabina Issehnane ici.

[58Pour plus d’éléments sur ce taux à 2,8 % (et sur la polémique suscitée par les propos de Thomas Piketty), voir cet article du Monde Diplomatique.

[59Voir l’article de Michaël Zemmour.

[60C’est le problème que pointe l’économiste Michaël Zemmour dans cet article.

[61Comme le confirme en creux l’embarras de Sibeth Ndiaye à répondre à des questions précises sur France Inter dans la matinale du 12 décembre.

[62Comme l’indique cet article.

[63Par exemple .

[64Pour reprendre l’expression utilisée par Gilles Le Gendre dans la matinale de France Inter du 11 décembre que l’on peut écouter .

[65Comme l’explique l’économiste Éric Berr dans une note sur son blog de Mediapart.

[66D’après le texte du rapport Delevoye, consultable (p. 7).

[67On peut le trouver . Pour une version plus longue, cliquer ici.

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