J’attendrai le printemps encore longtemps - courrier de renonciation à la qualité de membre du PCF

, par  Le Fraternel , popularité : 3%

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Paris, le 10 octobre 2014

Chers camarades,

Par la présente, je vous annonce renoncer à la qualité de membre du Parti Communiste Français, auquel j’ai adhéré lors de la Fête de l’Humanité 2004.

Les raisons qui m’y poussent sont diverses, et ce n’est pas sans regret que j’y suis conduit. La principale réside en ceci que, le PCF, aujourd’hui, est une coquille vide, inefficace, incapable de s’en rendre compte et de prendre les mesures qui s’imposent pour y remédier et, ce faisant, jouer son rôle d’éclaireur en ouvrant une voie pour le peuple français.

Les évolutions auxquelles le PCF a procédé à partir de 1972, avec l’union de la gauche sur le plan stratégique, puis, sur le plan doctrinal, à l’abandon progressif du marxisme, ont été conclues par la mutation de Robert Hue et Marie-George Buffet, qui ont fait du PCF la coquille vide que je dénonce. Cette stratégie se poursuit aujourd’hui, quelle que soit la forme choisie.

Quels sont les caractéristiques de cette situation ? Au plus profond, il y a d’abord une violente autophobie politique. Le fétichisme autour de Jean Jaurès, la prise systématique du contre-pied de ce qu’a incarné le PCF pendant le XXe siècle, les rapprochements permanents avec les pires anticommunistes que compte la gauche sont quelques symptômes de cette maladie.

Autre point : le fonctionnement interne de l’organisation n’est pas satisfaisant. Il est pénible de constater la sclérose des débats, l’incapacité à gérer la diversité idéologique, la permanence de dirigeants n’ayant que leur bureau de la place du colonel Fabien comme horizon, et surtout de voir que le bloc dirigeant fonctionne comme un clan fermé, hermétique à sa propre base, qui ne coopte que ceux qui lui seront servilement dévoués, dont l’incompétence n’a d’égal que le sectarisme. Les débats ne sont jamais l’occasion d’un échange d’arguments basés sur le faits, mais la simple juxtaposition des convictions de chacun, sans démarche de construction, d’argumentation, d’analyse des faits ni d’évaluation de nos actions.

Installés pour longtemps, ces dirigeants peuvent se permettre de ne pas rechercher l’efficacité de leur action. On peut se tromper et faire des erreurs ; mais les perpétuer, par entêtement, incompétence ou vanité, ce n’est pas acceptable. Les travers reprochés à Hollande et Valls sont justifiés ; mais on peut formuler les mêmes à l’encontre de la direction du PCF qui ne sait ou ne veut en aucun cas analyser les raisons de ses échecs, ni d’ailleurs de ses réussites. La raison en vient des œillères idéologiques dans lesquelles elle s’enferme. Ainsi, deux réussites (le référendum de 2005 et la présidentielle de 2012) ont conduit à des désastres : la présidentielle de 2007, et les législatives de 2012 puis les municipales de 2014. Comment peut-on accepter cela ? La raison en est le refus de prendre le réel pour ce qu’il est, et qui n’est pas ce qu’on pense qu’il est : en clair, la direction du PCF est dans la croyance, dans l’irrationnel, dans le délire, plutôt que dans l’observation rigoureuse et dans la méthode scientifique. En effet :

  • Le référendum de 2005 n’a pas été gagné par le « non de gauche » ni par l’antilibéralisme, mais par un non à la fois antilibéral et souverain à l’Europe fédérale et libérale. Une erreur fondamentale s’est nouée à ce moment-là, de croire qu’une Europe sociale pourrait naître du refus du peuple français de ratifier le traité constitutionnel, dont nous payons encore le prix. Cause ou conséquence de ceci, nous sommes restés englués dans les collectifs antilibéraux nés pendant la campagne, qui ont causé notre perte en 2007 et, partant, ont contribué à l’élection de Nicolas Sarkozy à la présidence de la république.
  • Le relatif bon score de Jean-Luc Mélenchon à l’élection présidentielle de 2012, lui, ne vient pas, non plus, de la dynamique du Front de gauche. Sa candidature, par parenthèse, était la contrepartie offerte par Marie-George Buffet en 2008 pour la création du Front de gauche, qui lui permettait une sortie honorable du PS et à notre secrétaire nationale de redonner un semblant d’élan à son parti au lendemain de la catastrophe où elle l’avait conduit. Le succès de la présidentielle tient en ce que Jean-Luc Mélenchon est un des meilleurs orateurs de la classe politique actuelle, que son charisme dépasse de loin celui de bon nombre d’hommes d’Etat français, et que sa culture historique, philosophique et politique est nettement au-dessus de celle des hommes politiques lambdas. C’est donc bien à une ébauche de « rencontre d’un homme et d’un peuple » que l’on a assisté. Celle-ci a été entravée par les restes de gauchisme hystérique de Mélenchon, et notamment par le torrent d’insultes qu’il a proférées à l’encontre des électeurs de l’extrême-droite, au lieu de s’attacher à les faire revenir dans le giron républicain. L’analyse faite de ce grand moment politique fut exactement inverse : le résultat n’aurait été que le produit de la dynamique du Front de gauche, et la stratégie adoptée vis-à-vis du Front national aurait été la bonne... Une remarque programmatique et stratégique : la forte participation permanente des Français à cette élection devrait nous convaincre que la priorité n’est pas la promotion de la VIe république parlementaire mais, là encore, c’est une des propositions que nous mettons le plus en avant.

Quant aux échecs, je ne les compte plus, tellement ils sont nombreux, factuellement établis et identifiés. D’un point de vue numérique, pour ne pas aller plus loin, les chiffres de participation aux scrutins internes du PCF, publiés dans le supplément hebdomadaire CommunisteS, montrent que, entre 2008 et 2012, la baisse a été de 30%, tant pour le nombre des inscrits que des votants. Lorsque j’en ai fait état en assemblée générale, un seul adhérent (récent) les a trouvés inquiétants mais, pire, un dirigeant national est venu me trouver pour me dire qu’ils étaient faux ! Autre élément : depuis 2008, encore, les élections locales montrent que nous perdons entre un tiers et la moitié de nos élus à chaque élection. Cela n’empêche pas notre direction de continuer, tel un chauffard ivre, dans sa direction. Si cela ne relevait que de la beauté de la vérité, je ne m’en indignerais pas ainsi ; mais, en tant que force politique et, donc, en tant que force matérielle et symbolique, cette folie touche au destin de notre peuple, contribue à sa désespérance et à son dégoût de la politique, à la montée de l’extrême droite, solution suicidaire vue comme seule issue d’un monde qui n’en a plus.

Cette obstination dans l’erreur, dans la reproduction de ce qui a échoué est le pire de ce qu’on peut reprocher à un parti politique : elle est la preuve de l’absence de véritable ambition pour notre parti et pour notre peuple, de la surdité de la caste de ceux qui aspirent à diriger le pays, la preuve de son enfermement dans son entre-soi, la preuve qu’elle est en-dehors du réel et que celui-ci n’a aucune prise sur elle, la preuve que le langage et les mots n’ont plus de sens pour eux et qu’ils seront tordus autant que nécessaire ; les textes produits par le Conseil national témoignent largement de cette généralisation du verbiage : en dire le moins possible avec le plus de mots possible.

Dans le cas du PCF, la stratégie de l’échec prend notamment trois formes :

  • L’abandon pur et simple des classes populaires, de la classe ouvrière, des employés, des chômeurs, des citoyens des zones rurales, de ceux des banlieues, au profit des classes moyennes qui, désormais, peuplent la direction du PCF. Cependant, les classes moyennes ne votent pas communiste, pour des raisons touchant sans doute à ce que nous incarnons dans l’histoire. Si bien que le PCF se retrouve se base sociale, sans socle électoral solide et mobilisable.
  • Le versement dans un soixante-huitardisme éculé, ayant abandonné tout ce qui faisait la force du marxisme : le matérialisme dialectique, autrement dit, la construction d’un schéma politique appuyé sur la contradiction née de l’exploitation de la force de travail. A sa place s’est substituée la lutte contre les « dominations » : le registre n’en est évidemment pas le même ! Il a permis cependant de sortir le PCF de sa singularité historique et d’ouvrir la porte à la fréquentation permanente de la gauche « banale », qu’elle soit extrême, écologiste, socialiste, alternative, antilibérale, sociétale, féministe, européiste, altermondialiste, et j’en passe. A bien des égards, la posture idéologique du PCF est désormais celle du gauchisme, tant sur les thématiques abordées que celle de la manière de les traiter ; toute contestation de vos position est ainsi placé sur le registre de la pathologie, en témoigne l’utilisation permanente du suffixe « phobe » que vous accolez à tous vos contradicteurs. Le lien avec le premier point consiste en ceci que Mai Soixante-Huit, contre l’apparence des événements, a été un grand moment de lutte des classes, les classes moyennes y signant leur alliance avec la bourgeoisie, contre la classe ouvrière. Ce sont bel et bien les thématiques des classes moyennes qui structurent aujourd’hui la classe politique dans son ensemble, PCF inclus, et c’est à elles, comme un juste retour des choses, que les partis politiques s’adressent. Le néolibéralisme n’est rien d’autre que la forme économique rendue possible par l’alliance évoquée précédemment ; le gauchisme, lui, n’est rien d’autre que la protestation, inefficace car fondée sur les mêmes bases sociales, contre cette politique.
  • L’opportunisme électoral, qui se traduit notamment par le refus d’une rupture franche avec le parti socialiste, pour quelques postes d’élus, certes pas inutiles, mais tellement dérisoires quand la relation de dépendance à son égard est si patente. Cet opportunisme est toutefois rendu nécessaire par le point évoqué précédemment, à savoir l’inefficacité totale de gauchisme en termes électoraux et politique : l’hystérisation permanente des débats portés essentiellement sur les questions sociétales ne fonctionne tout simplement pas. Et si, effectivement, siéger dans les institutions est un objectif, ce moyen ne permet pas de l’atteindre, si bien qu’il faut se soumettre à la force principale pour y parvenir, plutôt que de lui disputer sérieusement sa place. Le Parti de Gauche a raison de vouloir s’émanciper du Parti Socialiste ; en revanche, pour le faire, il faut s’en donner les moyens, et ceux-ci ne peuvent pas être ceux du gauchisme congénital à cette formation.

Incapable de se redonner une base sociale, le PCF est, ainsi, tout autant incapable, quand bien même il parviendrait à s’y hisser, d’exercer la direction de l’État, de son administration et de son armée.

L’obstination idéologique prend en particulier la forme d’un soutien inconditionnel à l’Union européenne et à l’euro. Rien ne vient perturber les doctes ayatollahs de la monnaie unique de la Commission économique du PCF, qui nous vendent la monnaie du progrès européen comme jadis le clergé promettait le paradis aux croyants... Il faut être aveugle ou fou pour ne pas se rendre compte du rôle néfaste que joue l’Allemagne en Europe, et que l’euro doit soit être dissous, soit être maintenu sans l’Allemagne. Le Président de la République a essayé de la faire évoluer cet été ; avez-vous vu le résultat ? Un « Nein » implacable. Alors que fait-on ? Reste-t-on dans la cage au prétexte que l’aventure de la liberté est dangereuse ? C’est la voie que vous choisissez, en niant le caractère révolutionnaire de la souveraineté nationale. De surcroît, d’un simple point de vue tactique, vous attendez qu’un mouvement unanime d’émancipation contre l’austérité se lève, sans que la France n’en soit à l’initiative ; autant dire que vous attendez qu’une inondation se déclare dans le Sahara... La haine de la nation est devenue une des boussoles du PCF, lui qui, du Front populaire au Socialisme pour la France en passant évidemment par la Résistance, en avait jadis été un des plus beaux artisans. La nation et la patrie ne sont plus à vos yeux que la propriété de l’extrême-droite (sauf pour les Palestiniens ! que cela vous pousse à manifester aux côtés d’intégristes moyenâgeux n’étant alors pas un problème), alors que, françaises, elles touchent à l’universalisme dont la Révolution a formulé le contenu ; la laïcité ne serait selon vous qu’un prétexte impérialiste justifiant l’islamophobie (quand bien même certains pays s’interrogent, eux, sur le bien-fondé de la tolérance totale à l’égard de l’expression publique des croyances religieuses) ; cela vous conduit aussi à la reprise de toutes les revendications, fussent-elles contradictoires, voire attaquent frontalement des acquis historiques de la citoyenneté, tel que le droit de vote des étrangers, véritable porte ouverte de la fin du droit du sol et de la communautarisation de l’espace public.

L’entêtement dans ces impasses a montré au printemps l’étendue de sa dangerosité. Les élections municipales et européennes ont montré, encore (!), notre érosion et, bien plus grave, l’ascension à un niveau historique de l’extrême-droite. Et qu’advint-il ? Rien. Comme à l’occasion du 21 avril 2002, des lamentations moralisantes, du « plus jamais ça », mais tout continue comme avant : une politique spontanéiste, sans cohérence, des déclarations vides de sens, et la recherche de convergences avec le parti socialiste. On voudrait mettre notre pierre à l’édifice de la désespérance du peuple français et à l’accession de Marine Le Pen au pouvoir qu’on ne s’y prendrait pas autrement. C’est cet épisode qui m’a convaincu de la nécessité de m’engager dans la voie du départ du PCF.

J’ai longtemps joué la carte de la loyauté et du combat en interne pour infléchir le cours des choses au PCF. J’ai sans doute commis des erreurs mais il est difficile d’agir contre une direction qui, disposant du pouvoir et de l’établissement des règles de fonctionnement, sait très bien comment donner les apparences du débat tout en verrouillant celui-ci. L’opposition à la direction n’est quant à elle pas en mesure de lui contester la direction du PCF, principalement par absence de volonté de se rassembler ; la section du XVe arrondissement de Paris, par son sectarisme, a joué un rôle décisif dans l’éclatement du réseau « Faire vivre et renforcer le PCF » né lors du congrès de 2008. Elle constitue un appui fondamental à la direction du PCF pour se maintenir en place. En tout état de cause, je ne vois aucune alternative sérieuse se lever pour redresser le PCF de ses errements. Sa direction l’a épuré, et n’a conservé en son sein que les éléments nécessaires à son maintien, qu’ils la soutiennent ou donnent l’apparence de s’y opposer. La fédération du Pas-de-Calais a ainsi été ramenée dans l’orbite de la direction. Ne subsiste plus que la section de Vénissieux et le réseau qui lui est plus ou moins lié, autour du site « lepcf.fr », pour incarner une ligne digne de relever le PCF. Force est de constater que c’est bien trop peu pour y parvenir.

Enfin, en dépit de leur responsabilité pour leur passivité à l’égard de leurs dirigeants, j’éprouve toujours une grande sympathie et un grand respect pour le dévouement et le courage des militants communistes. Si je ne suis pas parti avant, c’est bel et bien parce que faire partie de cette base, de ces vendeurs de l’Humanité, me rendait très fier. Je garde pour eux estime et amitié.

Il est ainsi malheureusement à craindre que le changement pour la France se fasse attendre ; le Parti Communiste Français, tel qu’il est devenu, contribue à le rendre encore plus difficile.

Je vous prie d’agréer, chers camarades, l’expression de mes fraternelles salutations.

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