Assises du communisme 2013
Débat sur certains aspects de l’économie capitaliste

, par  Pascal Brula , popularité : 3%

Nous allons aborder ce matin les aspects économiques du capitalisme, non pas d’un point de vue technique ou technocratique, mais bien sur des bases politiques. Afin de permettre de susciter la discussion et les échanges, la présentation de ce matin aborde ce sujet, non pas de manière exhaustive, mais sur des points fondamentaux, de manière à bien cerner ce qui peut nous rassembler. Ne faisons pas semblant d’être d’accord sur tout.

Tout d’abord, avant de commencer, ayons une pensée fraternelle pour notre camarade Rémy Herrera qui n’a pu participer à ce débat pour des raisons personnelles et familiales. Sa réflexion sera cependant présente, car j’ai puisé des ressources au sein de ses écrits.

Le premier point (concernant l’économie capitaliste), est la référence incontournable à Marx : cette référence doit rester, à mon avis, pour tout communiste, fondamentale. Il ne s’agit pas d’en faire une référence dogmatique, mais d’en faire notre socle d’analyse qui reste encore aujourd’hui indispensable, je dis bien indispensable.

Le marxisme nous a donné, et pour longtemps, des outils, des théories, des concepts qui sont incontournables pour décrire et comprendre correctement encore aujourd’hui, le fonctionnement du capitalisme, mais aussi pour nous aider à entrevoir une sortie, un débouché politique et économique, je pense au socialisme. Sur la manière d’aborder Marx, il y a tout d’abord cette réflexion d’un auteur cubain cité par Danielle Bleitrach dans son ouvrage Cuba, Fidel et le Che ou l’aventure du socialisme (éditeur "Le Temps des Cerises") : "Le marxisme que la Révolution inspira tout au long de la décennie initiale de l’expérimentation révolutionnaire apparut d’évidence comme une pensée créatrice et polémique, à la fois militante et ouverte. Le Che parlait de la nécessité de s’approcher des classiques avec un mélange de vénération et d’irrévérence...". Cette réflexion relève plutôt de l’ordre du romantique que du rationnel. Mais dit autrement, il ne s’agit pas de faire du marxisme un dogme rigide, mais bien de se servir de tous les enseignements de Marx, ceux qui sont de portée universelle, scientifique, pour les confronter aux traits spécifiques de la situation concrète, les porter dans la réalité d’aujourd’hui pour les enrichir d’éventuels développements inédits. Le marxisme est donc à la fois un savoir constitué, une méthode d’analyse et un guide pour l’action, indispensables aux communistes.

Deuxième point : Il est ici question notamment d’un acquis fondamental de l’analyse de Marx. Dans un texte admirable écrit en 2001, Alvaro Cunhal, ancien secrétaire général du PCP, décédé en 2005, développe 6 conditions pour constituer les bases d’un parti communiste (on peut trouver le texte sur le site Lepcf.fr). Parmi ces six conditions, il y a celle-ci : « Un parti avec une théorie révolutionnaire, le marxisme-léninisme, qui permet non seulement d’expliquer le monde, mais aussi de montrer la voie de sa transformation ». Puis il développe cette condition et concernant l’économie dans la théorie marxiste-léniniste, il ajoute : « En économie politique, l’analyse et l’explication du capitalisme et de l’exploitation, dont la pierre angulaire est la théorie de la plus-value ». Un parti communiste qui lutte contre le capitalisme ne peut effectivement mettre de côté ce point essentiel à la compréhension du capitalisme : la plus-value. C’est un concept qui est au cœur de l’exploitation capitaliste : l’extorsion de la plus-value. Et j’ajouterai qu’il est au cœur de la compréhension du travail humain.

Petit rappel : le temps pendant lequel le travailleur exerce sa force de travail se divise en deux parties :

- 1ère partie – celle du travail nécessaire à la production de la valeur correspondant à ses moyens de subsistance. Cela correspond à son salaire. Bien sûr, le montant de ce salaire est fonction de l’intensité de la lutte des classes et du rapport de force. C’est d’ailleurs par les luttes que les travailleurs ont acquis la possibilité de financer la sécurité sociale et les retraites qui sont un salaire indirect, en plus du salaire direct.

- 2ème partie – celle du travail au cours duquel le travailleur produit la plus-value que le capitaliste s’approprie : c’est le surtravail. Cette partie de la richesse produite aboutit notamment aux profits capitalistes ou aux investissements qui vont permettre l’accumulation des capitaux. La force de travail vendue par le prolétaire au capitaliste est la seule capable de produire plus de valeur qu’il n’en faut pour sa propre reproduction, c’est la seule capable de produire de la plus-value.

Et bien c’est cette plus-value qui est l’enjeu principal de la lutte des classes et que, depuis le milieu des années 80, le patronat et les gouvernements successifs augmentent au détriment du salaire. Evidemment, il y aurait une manière très simple de faire augmenter cette plus-value, ce serait de baisser autoritairement les salaires et les pensions : on n’en est pas loin. Les nazis l’avaient mis en œuvre, ce qui avait fait dire, à l’époque au patronat français : « Plutôt Hitler que le Front Populaire ».

Aujourd’hui, le patronat et le gouvernement ne peuvent encore pas annoncer officiellement en France une baisse généralisée des salaires, mais ils ne se sont pas gênés pour le faire en Grèce. Alors ils trouvent des astuces pour verrouiller les salaires. Le système de la dette d’Etat (cf. Marx) est un système organisé par le système capitaliste pour récupérer de la plus-value, le fameux TSCG verrouille le tout ; et puis il y a toutes les mesures qui ont été prises au fil des gouvernements successifs : CSG, abandon de la taxe professionnelle, cadeaux fiscaux aux entreprises, etc… Donc la plus-value est une notion fondamentale que les communistes doivent avoir en tête pour combattre le capitalisme et pour échafauder une sortie de ce capitalisme (comment devrons-nous l’utiliser sous le socialisme ?).

Troisième point soumis à notre discussion : la crise du capitalisme. De quelle nature est cette crise ? Crise systémique, crise profonde du système capitaliste, mais qui va bien au-delà de ce que l’on a connu : les sparadraps du réformisme et des keynésiens seront impuissants. Il s’agit bien d’une crise de suraccumulation du capital, et non d’une crise financière. L’expansion de l’après guerre mondiale étant parvenue à son terme, l’excès d’accumulation ayant atteint une sorte de limite, les excédents de capitaux ne pouvant plus trouver de débouchés dans les ex-pays colonisés qui se sont plus ou moins rebiffés en prenant leur indépendance avec des bourgeoisies nationalistes à leur tête, il a fallu trouver une nouvelle manière de récupérer de la plus-value sur le dos des travailleurs : c’est ce que notre camarade Rémy Herrera appelle le « capital fictif » dont le lieu de formation se trouve dans le système du crédit, qui relie l’entreprise capitaliste à l’Etat capitaliste. « Au lieu d’avoir à faire à une surproduction standard de marchandises, l’essor du système de crédit permet au capital de s’accumuler sous forme de capital-argent, lequel peut se présenter sous des formes toujours plus abstraites, irréelles, fictives » (Herrera, 2011). Ainsi, entre autres, le dopage de la consommation par le système de crédit poussé à son excès a abouti à l’éclatement de la bulle financière survenue par les fameux subprimes… « Traduit en clair, cela veut dire que le développement du capitalisme en est arrivé à un point où la production des marchandises, bien que continuant de régner et d’être considérée comme la base de l’économie, se trouve en fait ébranlée et où le gros des bénéfices va aux "génies" des machinations financières » (Lénine, L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, 1920).

La crise du système capitaliste n’est donc pas une crise financière, mais bien une crise de suraccumulation qui cherche désespérément une porte de sortie dans des profits fictifs (réels) parfois complètement détachés de la sphère réelle. Car la plus-value, elle, est bien réelle et constitue une limite du système économique ; et cette limite, il est nécessaire de bien la connaître, notamment pour ne pas créer d’illusions sur la société socialiste pour laquelle nous nous battons.

Mon quatrième point concerne la finance et fait suite directement à ce que je viens de dire. Le fond de l’exploitation capitaliste et de la création de richesses se trouve dans la production de plus-value et non dans la finance. Cette dernière n’est qu’un outil, n’est que le bras armé au service du capitalisme. Que les détenteurs de l’outil de production se cachent derrière l’actionnariat et tout le système financier qui en découle, ne change rien à l’affaire : il y a toujours extorsion de plus-value. Les camarades qui ont participé à la journée d’hier sont là pour le prouver : la production (qu’elle soit matérielle ou immatérielle) est bien au cœur du système d’exploitation. Donc interpréter la situation comme la « dictature des marchés financiers » me semble aberrant. Tout d’abord, Marx est là pour nous rappeler que ce sont bien des personnes identifiées dans une classe, appelons-la bourgeoisie capitaliste, qui tirent les ficelles du système capitaliste et non de soi-disant "marchés". Cette bourgeoisie s’est dotée de moyens financiers surpuissants, au niveau mondial, la transformant en une sorte d’oligarchie de la haute finance. Mais en aucun cas, le système financier ne peut être déconnecté du système de production capitaliste ; la "finance" ne peut que récupérer une partie de la plus-value, ou donner l’illusion qu’elle est capable d’en créer. Se fourvoyer dans cette voie est ce que Marx appelait le fétichisme de la finance, c’est-à-dire, penser que la finance est capable de produire elle-même des richesses. Cette vision des choses amène d’ailleurs à certaines aberrations. Le premier point du programme "L’Humain d’abord" propose d’interdire les licenciements boursiers. Premièrement, il est impossible de les définir d’un point de vue juridique. Mais surtout, les entreprises cotées en bourse ne représentent qu’une petite partie du système de production capitaliste : les quarante plus importantes sociétés de la place boursière française (CAC40) n’emploient que 11% des salariés du secteur concurrentiel français. Ainsi, l’entreprise de notre camarade Truscello, Bosch pour ne pas la nommer, entreprise allemande implantée dans le monde entier, est en pleine "restructuration", avec dégraissages en tout genre, mais elle n’est pas cotée en Bourse, donc n’intéresserait pas nos amis du Front de gauche… Idem entre les grands de la distribution que sont Carrefour et Leclerc : le premier est coté en Bourse, l’autre pas…

Cinquième point : l’impérialisme, le colonialisme, sont des éléments essentiels de l’exploitation capitaliste. « Le capitalisme s’est transformé en un système universel d’oppression coloniale et d’étranglement financier de l’immense majorité de la population du globe, par une poignée de pays "avancés" » (Lénine, L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, 1920). Pour répondre à cet essoufflement de la suraccumulation capitaliste dont il est question plus haut, à cette diminution des débouchés d’accumulation, à la recherche d’extorsion de plus-value, l’impérialisme a ses solutions "classiques", historiques, à savoir mettre au pas les pays dits en voie de développement. Cette solution s’exprime de deux manières : en faisant la guerre, ce qui permet au complexe militaro-industriel de se redonner une impulsion économique, et en soumettant directement l’économie de ses pays par le pillage de leurs richesses et la surexploitation de leur main-d’œuvre. Ces dernières années, on a vu à l’œuvre les impérialismes, sous la direction des États-Unis, donner une dimension nouvelle aux rapports internationaux en décidant de mener ce qu’Alvaro Cunhal dans son texte déjà cité, nomme "l’offensive globale de l’impérialisme", au travers de guerres de pillages et d’élimination des régimes dirigés par des bourgeoisies nationales qui lui résistaient encore, comme l’Irak, la Libye, la Syrie et peut-être bientôt l’Iran ? Alvaro Cunhal qualifiait cette offensive, qu’il avait déjà analysé dès 2001, de "plus grand danger et de la menace la plus sinistre de toute l’histoire de l’humanité". Le Mali fait partie également de cette reprise en main colonialiste, et le gouvernement français ne donne pas sa part aux chiens. On peut même dire que ce concept de "guerre humanitaire" est un concept des plus cyniques : la guerre humanitaire n’existe pas !

Sixième point : L’économie capitaliste est gérée loyalement et ses avancées sont mises en œuvre par des partis politiques. Et il convient de bien définir qui fait quoi pour ne pas se fourvoyer sur les intentions des uns et des autres. Passons rapidement sur l’UMP qui est le représentant direct de la bourgeoisie capitaliste. Attardons-nous sur le PS qui est bien, selon moi, un parti social-démocrate, car je me refuse à rentrer dans cette polémique inutile sur son appartenance à la gauche ou non et dans le jeu de cette alternance stérile qu’est la fausse opposition gauche/droite. On a un peu oublié que depuis toujours, dès que le rapport de force lui a été favorable, et corrélativement défavorable aux forces révolutionnaires, il a généré des décisions rétrogrades et réactionnaires. Rappelons-nous d’évènements historiques comme la première guerre mondiale, du décret Sérol (condamnation à mort des communistes), de sa résistance au programme du CNR, de la guerre coloniale d’Algérie… Plus récemment, et je partage le point de vue proposé par Rémy Herrera développé dans son ouvrage Un autre capitalisme n’est pas possible (2010), le PS a joué le rôle qu’ont joué Reagan et Thatcher dans leurs pays, à savoir qu’ils ont mené en France la révolution conservatrice, et je rajoute, cachés derrière un vernis sociétal (fête de la musique, suppression de la peine de mort…). Dans cette période, on peut lister l’Acte unique européen, le traité de Maastricht, la casse des services publics de toutes sortes, la privatisation de tout le système financier, la casse du financement de la Sécurité sociale par prélèvement sur la plus-value en inventant la CSG prise directement dans la poche des travailleurs, la mise en œuvre des traités de l’U.E., la casse du Code du travail, etc… Peut-on encore compter sur ce parti pour changer quoi que ce soit qui aille dans le sens des intérêts des travailleurs, comme s’illusionnent encore certains ? Certainement pas… L’intérêt, la nécessité d’un parti révolutionnaire pour renverser le capitalisme, apparaissent évidents : cela rejoint donc bien les préoccupations de nos Assises.

Pascal Brula, Marseille le 29 juin 2013

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