En effet, l’accord conclu il y a 50 ans entre Washington et Riyad, stipulant que l’Arabie saoudite fixe le prix de (...)
Ukraine, interview de Guillermo Almeyra par Mario Hernandez. Traduction Christian Raffaëlli pour le collectif Polex
Interview de Guillermo Almeyra (historien, chercheur, journaliste ; Docteur en Sciences politiques, Paris VIII, professeur à l’université de Mexico (Xochmilco) par Mario Hernandez.
(Après avoir parlé d’Agustin Tosco, syndicaliste argentin, à l’occasion du quarante cinquième anniversaire du soulèvement ouvrier de Cordoba, Mario Hernandez demande à son interlocuteur ce qu’il pense des élections en Ukraine.)
MH : Avant de commenter les élections en Ukraine, que penser du fait que dans la République du Donetz, on a nationalisé les chemins de fer, une décision en contradiction avec les discussions sur la future constitution de cette république bien différentes de cette politique économique.
GA : En effet, ils ne sont absolument pas clairs. Comme dans le reste de l’Europe, ils sont partisans du dogme du marché et du capitalisme, mais, d’autre part, ils doivent rendre viable un entité plutôt compliquée parce que les 2/3 des échanges avec la Russie y sont implantés, mais le reste est lié à l’Ukraine occidentale. Ils donc besoin d’une structure étatique et d’entreprises pour lesquelles ils ne disposent pas de capitaux.
Je pense que les nationalisations ont été imposées par une nécessité pragmatique, mais, idéologiquement, ils ne sont pas sortis d’une vague nostalgie pour le passé stalinien, surtout chez la population âgée, sans rompre, pour le moment, avec le néo-libéralisme.
MH : Dans cette République du Donetz et à Lougansk la majorité des circonscriptions ont boycotté les élections nationales de dimanche dernier.
GA : Ils ont même empêché le vote en occupant les bureaux de vote. Il faut tenir compte du fait que la majorité de la population est de langue russe, orthodoxe, sympathisante du Parti Communiste pro-russe, fondamentalement nationaliste, ou du Parti des Régions de l’ancien président Yanoukovitch, lui aussi pro-russe.
Cependant, la population n’est pas exclusivement russe, elle est mélangée ; en Crimée la majorité est pro-russe ou russe, mais il existe une quantité énorme de Tatares qui n’ont pas de sympathie pour la Russie, entre autre parce que Staline les a déportés.
Le Donetz et toute la partie orientale, très riche en gisements minéraux et dotée d’une importante industrie lourde, attiraient de nombreux travailleurs venus d’autres régions de l’Ukraine ce qui fait qu’on ne peut pas parler d’homogénéité ethnique, culturelle et religieuse, comme dans tous les pays de cette région.
Le problème n’est pas ethnique mais l’expression complètement déformée de la lutte des classes. Le gouvernement de Kiev est, était et continue d’être un gouvernement d’oligarques et cette zone a une vieille tradition ouvrière, une paysannerie salariée ou de petits paysans indépendants. Là est le vrai problème. Ils ne peuvent accepter les exigences du FMI qui seraient la fin de leur mode de vie.
MH : Piotre Porochenko, un magnat, le roi du chocolat, a gagné les élections, que peut-on espérer de ce personnage ?
GA : Il s’est montré un peu plus clair que ses prédécesseurs. Il ne fricote pas avec les fascistes, il est pro-occidental, mais sa première visite à l’étranger sera Moscou, il veut arriver à un accord, il a même été ministre du précédent président déposé, même s’il a tout fait pour le faire tomber. Il représente le secteur de l’oligarchie qui fabrique des produits de consommation courante et de luxe et qui espère pouvoir les placer en Europe à bas prix. Ils ne sont pas de bonne qualité, mais la main-d’œuvre ukrainienne est très bon marché, mais il n’est pas idiot et il se rend bien compte qu’il dépend complètement de Moscou.
La situation en Europe est gravissime dans tous les domaines, on l’a vu dans les résultats : 75% de votes de haine contre le système instauré par Bruxelles. Dans cette situation, on ne peut se payer le luxe de placer l’Ukraine sur le devant de la scène et essayer de l’intégrer, ni même l’aider à se passer du combustible - du gaz russe. L’Europe n’est pas en capacité, dans l’immédiat, de le remplacer, ni l’Ukraine non plus. Il lui faut négocier et profiter de ce que Poutine n’a aucun intérêt à annexer ces régions, et même qu’il est disposé à faire des concessions et qu’il recherche un régime fédéral en Ukraine afin de gagner du temps. Poutine a montré, avec l’accord avec la Chine, qu’à moyen terme il peut couper le gaz aussi bien à l’Ukraine qu’à l’Europe, parce qu’il aurait un client, même si cela ne peut se faire dès demain. Le 5 juin l’Ukraine va devoir décider si elle paye ou non le gaz au prix demandé par la Russie, sinon il sera coupé. Le délai est court, les tensions vont monter ces jours et Porochenko va chercher à négocier cette affaire essentielle.
MH : Peut-on prévoir que l’opération anti-terroriste menée par l’armée ukrainienne à l’aéroport de Donetsk va continuer ?
GA : Je ne crois pas qu’ils puissent continuer longtemps. S’ils veulent négocier avec la Russie, ils ne peuvent le faire à partir de position de force qu’ils n’ont pas. C’est un problème interne au gouvernement Porochenko, même si le président a été élu par la majorité.
MH : L’abstention a été élevée ?
GA : On n’a pas de chiffres. Ni de Poutine ni des autres parce qu’ils essayent de jouer aux échecs dans l’obscurité et avec des pièces matelassées pour que personne ne sachent où elles vont. Tout ce qui est expression de la volonté du peuple ou d’organisations disparaît.
MH : Revenons aux affrontements entre l’armée ukrainienne et les milices...
GA : L’armé agit avec vigueur, mais elle traîne les pieds, parce qu’elle pourrait, et a même menacé de le faire, utiliser des moyens plus modernes, plus efficaces et intervenir massivement, mais elle ne veut pas pousser les choses jusqu’à l’irréparable, entre autres raisons, parce que je pense qu’il doit y avoir de grandes dissensions à l’intérieur du gouvernement ukrainien. Je n’ai pas de faits précis, mais, bien que tous soient d’accord pour rejoindre l’Europe occidentale, ils ne le sont pas pour affronter immédiatement un colosse comme l’armée russe. Il y a une lutte entre les partis, les tendances dans laquelle les plus durs sont passés au second plan parce qu’ils n’ont pas eu de bons résultats électoraux, mais ils sont toujours là. Ils sont partisans de sonder le terrain, comme on dit au Mexique "d’adapter l’eau nécessaire pour faire cuire la patate." (=examiner la situation pour prendre une décision).
Guillermo Almeyra, né à Buenos Aires en 1928, a milité dans la gauche argentine politique et syndicale. Exilé politique en Italie, il vit aujourd’hui au Mexique, et est journaliste éditorialiste au principal quotidien de gauche La Jornada. Titulaire d’un doctorat en sciences politiques, il enseigne à l’Université nationale autonome du Mexique la politique contemporaine. Il a notamment publié, Etica y rebelión (Ethique et rébellion, 1998), Che Guevara : el pensamiento rebelde (Che Guevara : la pensée rebelle, 1992, réédité par les Ediciones Continente, 2004) et Polonia : obreros, burócratas, socialismo (Pologne : ouvriers, bureaucrates, socialisme, 1981).
Voir en ligne : En argentin sur le site argenpress.info