Pourquoi et comment mettre « la France à l’arrêt » ? Le but, c’est la France à l’arrêt ou le capital sans profit ?

, par  pamillet , popularité : 3%

Comment peut-on faire reculer ce gouvernement, ce président ? Si les Français sont très majoritairement, plus de 70%, opposés à la réforme des retraites, ils pensent que de toute façon, elle sera mise en œuvre. Cela créée des ressentiments, aggrave la fracture politique. Qu’est ce qu’est qu’une « démocratie » qui peut imposer ses décisions contre une large majorité ?

Pourtant, cette fois, contrairement à la réforme de 2010, l’unité syndicale semble tenir bon ! Contrairement aux mobilisations contre les lois travail de 2016, la violence de quelques uns n’a pas pourri les manifestations. Les syndicats appellent ensemble à « mettre la France à l’arrêt le 7 mars ». Pour que ce ne soit pas qu’un slogan, il faut discuter pour le rendre concret... savoir comment l’organiser, et clarifier le but. Qu’est ce qui doit s’arrêter ?

Les syndicats ont raison d’appeler à généraliser des grèves ce que symbolise la formule « la France à l’arrêt ». Mais pour l’instant, il y a moins de 3% de grévistes au total ! les centres commerciaux, les services publics, la santé, l’éducation, l’industrie... rien n’est à l’arrêt !

Alors, pourquoi et comment mettre « la France à l’arrêt » ?

Il faut plus que des manifestations pour faire reculer un gouvernement !

Les syndicats ont bien raison d’autant que nous avons l’expérience. En 2010, il y a eu une longue série de manifestations contre la réforme Sarkozy des retraites, et jusqu’à 3,5 millions de manifestants sur une journée. Cela n’a pas suffit à le faire céder. C’était la même chose pour les lois travail en 2016 et 2017, mais là, ce sont les violences des blacks blocs qui avaient pris le dessus médiatiquement et affaibli les mobilisations.

Pourtant, nous avons une histoire de victoires sociales dont les plus grandes sont bien connues, 1936 avec l’invention des congés payés et 1968 avec une hausse du SMIG de 30% ! Qu’est ce qui avait permis ces acquis ?
 la grande manifestation du 24 mai 1936 rassemble 600 000 personnes à Paris [1], mais il y a 2 millions de grévistes !
 la grande manifestation du 13 mai 1968 rassemble presque’un million de personnes, mais lance la grève qui sera reconduite et touchera dix millions de grévistes !

Ce ne sont pas les manifestations qui inquiètent les gouvernements. Si nécessaire, ils utilisent les provocations pour inquiéter et affaiblir, les plus déterminés s’isolent et la majorité se démobilise...

Par contre les grèves ont un effet immédiat sur l’activité économique et donc les intérêts des actionnaires qui attendent leur profit des résultats du travail. Quand le profit est réellement mis en cause, leurs réactions sont rapides, soit ils ont le moyen de casser la grève, soit ils négocient.

D’ailleurs en 1995, il y a un maximum de 2 millions de manifestants le 12 décembre, mais le mouvement avait commencé avec une grève massive de la fonction publique et a été organisé autour notamment d’une grève totale de 3 semaines des cheminots, qui n’étaient pas seuls, puisque 1995 marquait le record national de jours de grève en France depuis 20 ans !

Les cheminots et les raffineries ne peuvent pas « bloquer la France » tout seuls !

On en a déjà l’expérience. Pour la défense de leur statut, les cheminots ont organisé un mouvement de longue durée en 2019, sous une forme originale, avec un impact important sur les déplacements. Pourtant, cela n’a pas suffit !

Les raffineries se sont mises en grève avec blocage à plusieurs reprises ces dernières années, y compris en 2022. Ils se sont retrouvés isolés, et le gouvernement est allé jusqu’aux réquisitions pour les faire céder...

Les gilets jaunes ont bloqué de nombreux ronds-points pendant des mois. Ça a été l’occasion de nombreuses discussions, mais au final, que vaut les 100€ de prime qu’ils ont obtenus à l’époque ?

Le seul blocage qui a eu un résultat est celui des camionneurs au début du mouvement des gilets jaunes. De fait, c’est une grève quasi totale d’un secteur qui a obtenu une revendication propre à ce secteur. Cela n’a pas aidé le mouvement général, le gouvernement a négocié séparément pour empêcher toute extension du mouvement. Un blocage local peut conduire à un résultat local, pas national.

Bloquer le pays ou bloquer le capital ?

A vrai dire, que veut-on « bloquer », « mettre à l’arrêt » ? S’agit-il de nous bloquer nous-mêmes, habitants, salariés ? Faut-il qu’on bloque nos déplacements, nos courses, nos loisirs ? En quoi cela ferait-il pression sur le gouvernement ?

Une grève représente bien sûr une gêne pour les usagers, mais son objectif est-il de gêner les usagers ? ou de faire pression sur les décideurs ? et lesquels ?

On croit souvent que la pression est « médiatique ». On vit dans une société « du spectacle » permanent et certains croient que c’est le nerf de la guerre. Mais si l’activité économique des grands groupes qui font les grandes fortunes continue, peu leur importe que la France manifeste en masse, peu importe les violences et les médias. De toute façon, ils possèdent les médias et donc s’en serviront toujours au service du pouvoir.

Non, ce qui est au cœur du système économique, c’est le capitalisme, c’est l’appropriation privée par quelques-uns, par les gros actionnaires, de la richesse créée par le travail. Ce sont eux qui veulent que les salaires baissent, que les cotisations baissent, pour augmenter leur profit ! Et c’est une guerre sans fin, car plus ils en gagnent, plus ils en demandent.

C’est pourquoi ce qu’il faut « mettre à l’arrêt », ce ne sont pas nos vies, mais leur profits ! La grève n’a pas pour but premier de contraindre les usagers à l’arrêt mais de bloquer les profits. Au contraire, la grève peut être une occasion d’expérimenter des services solidaires organisés pour répondre aux besoins vitaux de tous, des distributions alimentaires, des services de transport d’urgence. Mais ils ne prennent sens que si la grève s’est généralisée, mettant à l’arrêt notamment la distribution. Il faut à minima 10 millions de grévistes, comme en 1968, et ce devrait être le premier objectif des intersyndicales, faire des listes d’entreprises où il est possible de gagner de nombreux grévistes.

Le bon slogan devrait donc être ; la France à l’arrêt pour des profits à l’arrêt !

Non, ce ne sont pas les violences qui font reculer un gouvernement !

Certains disent, c’est malheureux, mais il faut casser pour se faire entendre. C’est une grave erreur. L’expérience nous montre au contraire que la violence sert toujours à la fin le gouvernement. Les groupes qui ont perturbé les manifestations depuis notamment 2010 et qui désormais s’imposent devant la tête de cortège contre les directions syndicales ont pour premier effet de diviser les mobilisations, d’interdire les familles, et de transformer le rapport de forces social en défouloir symbolique contre la police. Comme si la police n’était pas aussi un service public. Il n’y a pas si longtemps, on criait « CRS avec nous » ! et dans la chanson révolutionnaire, on chante la gloire du 17e, le bataillon de conscrit qui a refusé de tirer sur les manifestants !

Non, la violence dans les manifestations sert toujours le pouvoir. Au contraire, plus la manifestation est organisée, déterminée, solidaire, plus elle montre la force populaire !

Qui peut décider de céder : le gouvernement ou la patronat ?

Le gouvernement est dans une logique politicienne. La crise démocratique ne touche pas que la gauche. La droite LR qui demandait le report de l’age de la retraite à 65 ans, et même pour certains à 67 ans, refuse de voter la loi Borne pour ne pas se retrouver du coté de Macron. Le RN dit être contre la réforme et semble défendre la retraite, mais il est contre l’augmentation des salaires, donc des cotisations, ce qui détruit le financement de la retraite... Toutes ces politicailleries peuvent donner tout et n’importe quoi, mais on ne peut en attendre une victoire pour le mouvement social. Et Macron doit tenter d’apparaitre comme un repère pour les classes sociales aisées, dont la plupart ont l’épargne et la fortune pour organiser leur propre retraite personnelle !

Alors qui peut être réellement gêné par une grève massive ? Tout le monde le sait, c’est le patronat ! Les grévistes ont intérêt à bloquer les profits, mais ils devraient organiser tout ce qui est nécessaire aux usagers ! Si nous sommes des millions de grévistes, alors nous pouvons organiser la solidarité, nos déplacements, nos loisirs, en réquisitionnant les moyens nécessaires, mais toujours en arrêtant l’activité économique, donc les profits. Et c’est quand le patronat verra ses intérêts en jeu qu’il peut décider de siffler la fin de la partie, s’il considère que son intérêt est d’arrêter la grève pour faire tourner la machine à profit ! C’est le MEDEF qui peut décider d’appeler Macron pour lui dire : retire ta réforme et on va s’y prendre autrement. Évidemment, il cherchera comment faire baisser les retraites, comment développer l’épargne retraite pour forcer les salariés à devenir dépendant des grandes groupes d’assurance type AXA et espérer faire baisser le soutien au droit à la retraite pour y revenir plus tard. Mais c’est lui le vrai décideur !

Quelle issue politique au mouvement social ?

La victoire sociale des grévistes seraient une défaite politique à la fois pour Macron, mais aussi pour la droite et l’extrême-droite, et ce serait la meilleure contribution à la reconstruction de la gauche et d’une perspective politique de progrès social. Mais l’inverse n’est pas vrai. De nouvelles législatives ne peuvent remplacer le rapport de forces social. Au contraire, elles seraient une nouvelle occasion pour la bourgeoisie de reconstruire son offre politique dans une crise démocratique profonde et une gauche en rupture massive avec les milieux populaires. L’issue politique ne peut venir que d’un nouveau rapport de forces social, et celui-ci a besoin de victoires, même partielles. Ces victoires sont nécessairement des victoires contre le patronat.

C’est pourquoi pour regagner la retraite à 60 ans à taux plein, il faut mettre au premier plan une revendication simple et claire : « augmentation des cotisations retraite patronales ! ». Qui d’ailleurs connait le chiffre ? De combien faut-il les augmenter pour équilibrer la retraite à 60 ans pour tous ?

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