Commençons par une situation concrète, bien connue dans les quartiers populaires. Une famille arrive sans droit au séjour, elle inscrit ses enfants à l’école avec une adresse hébergée chez une connaissance ou famille éloignée, et quelques semaines ou mois plus tard, elle se retrouve à la rue, parce que, quelque soit la bonne volonté de chacun, il est difficile de vivre à plus de 10 dans un T4. Les enseignants organisent des solidarités, mais il est impossible de mobiliser des forces significatives pour interpeller l’état et revendiquer des capacités d’accueil... Dans ces quartiers, on peut facilement trouver des électeurs RN d’origine immigrée ancienne, qui considèrent qu’il faut stopper l’immigration car eux seront victimes de la concurrence, que leurs enfants ne trouvent pas de logement, ni d’emploi autres que ceux qu’ils ne veulent pas.
Le mal logement progresse depuis des décennies en France, chaque année, le rapport de la Fondation Abbé Pierre [1], en donne une description terrible. En 2024, plus de 2000 enfants à la rue ! chaque soir des milliers de demande au 115 restent sans solution, 1 million de personnes dépourvues de logement personnel dont 300 000 à la rue, presque 3 millions dans des conditions de logement très difficile, notamment de surpeuplement, au total 15 millions de mal logés. Et les expulsions locatives sont reparties à la hausse après le confinement, près de 20 000...
C’est tout le logement qui est en crise profonde, l’accueil inconditionnel, l’hébergement d’urgence, le logement spécifique, le logement social, le logement locatif privé, l’accession sociale, l’accession, avec tous les enjeux des logements indignes, des sans-domiciles, des ségrégations sociales et territoriales, des quartiers prioritaires... Tous les indicateurs sont au rouge.
Les migrants qui arrivent sont devant une situation totalement bouchée. Les locataires du parc social ne bouge plus car le « parcours résidentiel » est bloqué, donc on ne peut sortir des situations d’hébergement, de suroccupation, donc on ne sort plus des situations d’accueil, donc, on ne peut plus y rentrer.
On en connait bien la raison fondamentale. L’effort public pour le logement ne cesse de se réduire, il avait atteint 2,2% du PIB en 2011, il est au plus bas à 1,6% en 2022. Et pourtant, les capacités d’accueil ou d’hébergement d’urgence n’ont cessé d’augmenter en France et notamment dans les grandes agglomérations. Dans le Rhône, près de 1000 places par an depuis 2020. C’est le logement en général, le modèle historique du logement public accessible à tous qui se dégrade fortement malgré les projets de rénovation urbaine. Dans les agglomérations, il y a de plus en plus de demandeurs pour un logement disponible.
On ne peut mieux dire le lien étroit, qui devrait être de solidarité, entre les migrants arrivants, les immigrés anciens, tous les locataires du parc social, et plus généralement l’immense majorité qui n’a plus accès à l’accession. Et pourtant, ce que vivent les demandeurs d’hébergement ou de logement, c’est bien la concurrence, l’opposition entre les catégories.
Dans la métropole de Lyon, il y a 10 demandes pour une offre de logement social, mais les politiques d’attribution définissent des demandeurs prioritaires qui représentent 8% des demandeurs mais bénéficient de 60% des attributions. Donc la politique d’attribution fonctionne, mais cela veut dire que les non prioritaires sont dans une situation encore plus dure, 21 demandes pour une offre, autrement dit, statistiquement, une attente de 21 ans pour un logement. Et de qui parle-t-on ? Des personnes âgées qui cherchent un logement accessible après une vie de travail passée dans un logement social en étage sans ascenseur. Des familles qui ont grandies et se retrouvent en suroccupation aggravée depuis des années [2], des familles qui ont passé des décennies dans un quartier difficile, avec un point de deal devant chez eux, et qui espèrent chaque jour trouver un lieu plus calme, des travailleurs qui font 3h de trajet pour aller à leur travail et qui espèrent le réduire avant le départ en retraite.
Bref, des milliers de familles, y compris d’origine immigrée, disent « mais arrêtez de loger des migrants », et c’est pour cela qu’il est très difficile de mobiliser contre les expulsions, pour aider des familles à la rue. Là encore, ce qui domine, c’est le "moi d’abord’. J’ai rencontré comme adjoint au logement des centaines de demandeurs, en tentant, une fois la situation personnelle prise en compte, un travail d’éducation populaire aux difficultés du logement et à l’urgence de solidarités face au mal logement, travail militant ingrat. Mais les associations du droit au logement, contre les expulsions, les soutiens aux personnes à la rue, y compris les actions autour des squats, ne font que renforcer cette concurrence perçue car elles n’inscrivent jamais ou presque [3] leur action dans le cadre plus général du droit au logement pour tous.
Sans éclairer en quoi le capitalisme est la raison profonde des ségrégations territoriales, sociales, urbaines, en quoi il est responsable du mal logement, on ne peut construire de solidarités. Centrer l’action militante sur les seules situations de migrants, les opposent en pratique aux autres situations de mal logement, quand il faut au contraire unir toutes les victimes du mal logement sous toutes ses formes.
Les communistes doivent inscrire la bataille pour l’accueil digne de tous dans la bataille pour l’accès au logement de tous, donc pour un plan national massif de construction de logements et d’hébergements diversifiés. Car si bien sur les migrants sans droits sont les plus nombreux dans les files d’attentes de l’accueil et de l’urgence [4] ils ne sont pas grand chose par rapport au mal logement total, 15 Millions de personne mal logés, et 3 millions en attente d’un logement social ! Pour répondre aux familles populaires qui souffrent du mal logement, il ne faut pas réduire l’accueil des migrants, il faut que l’état consacre enfin un budget conséquent au logement social, alors que sous les présidences Hollande puis Macron, ce budget a disparu !