Cette révolution a structuré toute l’histoire du 20e siècle créant l’état qui assurera la victoire contre le nazisme. La Russie qui était en miette en février 17 et était historiquement toujours en retard sur l’occident est devenu avec l’URSS une des deux superpuissances du siècle, malgré ses 20 millions de morts de la deuxième guerre mondiale. Après les 100 jours de la commune de Paris, c’est la plus formidable expérience d’une société dirigée par la classe ouvrière, par un parti communiste, à l’échelle d’un continent et presque d’un siècle, et sa défaite, son échec au final, est évidemment riche de leçons pour tous les peuples en lutte. C’est aussi la première expérience d’une union continentale de peuples, construisant une citoyenneté internationaliste, anticolonialiste et antiraciste, mêlant des peuples d’histoires de religions et de cultures extrêmement variée, et les donneurs de leçons de l’Union Européenne devrait constater qu’ils en sont incapables. C’est au contraire dans son effondrement que sont resurgis le racisme, les conflits religieux, les guerres, comme en Ukraine ou avec cette guerre cachée par nos médias entre communistes et islamistes à la chute de l’URSS dans le Tadjikistan.
Or en 2011, Léo Figuères, grande figure historique de la Résistance et du Parti communiste, devait écrire au directeur de l’humanité pour dénoncer « le scandale de faire silence sur la révolution d’octobre ». Si pour le 100e anniversaire, ce silence a enfin cessé, il reste bien sûr à mener le débat à la fois sur ce qu’a été la révolution, sur la société qu’elle a construit, sur le rôle de l’URSS dans l’histoire, et sur les causes et les conséquences de sa chute, et le plus important, de comprendre ce qu’elle nous dit de la révolution et du socialisme, de l’internationalisme et de la nation. Car ceux qui faisaient silence hier et qui ne peuvent plus pour le centenaire ne pas évoquer la force historique de l’événement, font tout pour que les questions que nous posent aujourd’hui la révolution d’octobre ne soient pas ré-ouvertes. Or, certes, il faut commémorer, évoquer, et surtout connaître, faire connaître, la révolution d’octobre, mais notre problème n’est pas de commémorer mais d’apprendre ce qui nous est utile un siècle plus tard pour savoir si un parti communiste dans un pays développé du capitalisme mondialisé est utile et comment ! Nous n’avons que faire d’une révolution du passé si elle ne nous aide pas à penser la révolution de demain !
Je vous invite donc à lire le livre « 10 jours qui ébranlèrent le monde » du journaliste américain John Reed qui raconte les semaines décisives, des textes publiés sur le site lepcf.fr, dont une déclaration du KKE, une autre du PTB qui font toutes deux le lien entre la révolution d’octobre et la situation actuelle, mais aussi « le socialisme trahi » de Richard Keeran, première tentative d’explication de la chute de l’URSS, ou encore le livre qui sort prochainement de Danielle Bleitrach et Marianne Dunlop et dont le titre résume la question ouverte pour les communistes sur la lecture de l’histoire soviétique « Staline, héros national ou tyran sanguinaire »...
Il y a beaucoup à lire et à dire. Permettez-moi d’attirer l’attention sur quelques idées retenues de mes lectures :
Premièrement, une révolution ne survient pas parce que des hommes l’ont décidé, mais parce que l’histoire a créé une situation révolutionnaire… Et en 1917 c’est bien sûr l’horreur de la première guerre mondiale qui provoque une vague internationale de révoltes, de mutineries au Front, mais aussi de grèves ouvrières en France, en Italie, de révoltes paysannes… J’ai découvert récemment, on apprend à tout age, la révolution de 1919 en Hongrie dirigée par le communiste Béla Kun, écrasée dans le sang… La fin de la première guerre mondiale n’est pas un armistice tranquille après un coup d’état des bolchéviques à Saint-Petersbourg, mais bien une Europe secouée par le refus de la guerre, la revendication du pain et de la paix qui menace les pouvoirs un peu partout et qui conduit les bourgeoisies à décider de l’armistice car elles ne peuvent plus diriger la guerre. Or si chacun voit bien aujourd’hui l’ampleur de la crise du capitalisme mondialisé, je ne vois pas en France de situation révolutionnaire. La réussite de l’opération Macron montre à quel point la bourgeoisie maîtrise ce pays et sait constituer une majorité sociale, ce qu’on voit bien dans les métropoles urbaines avec ces couches moyennes supérieures associées aux bourgeoisies mondialisées qui font la ville et ces institutions. De l’autre côté, je vois les difficultés des mobilisations sociales, et plutôt la résignation et le fatalisme que la révolte… Cela peut bouger vite, mais pour les communistes, il est tout autant décourageant de faire comme si la révolution était possible tout de suite que de faire comme si on pouvait se passer de révolution.
Deuxièmement, une révolution n’est pas une histoire tranquille mais le chaos d’événements qui mettent en mouvement des millions d’hommes et de femmes, dans les contradictions, les conflits, et que sa destinée naturelle est le plus souvent d’être écrasée comme en Hongrie, car ceux qui ont le pouvoir, l’armée, la police, les services secrets, les médias, ont une organisation bien plus forte que des millions de paysans, ouvriers et soldats révoltés mais divisés par les religions, l’histoire, les régionalismes, les contradictions sociales… Lisez 10 jours qui ébranlèrent le monde pour comprendre que la révolution d’octobre aurait pu à de multiples reprises être écrasée et, c’est la première leçon, que les bolchéviks ont réussi parce que les masses populaires ont imposé les soviets même sans bolcheviques ! Permettez-moi d’ajouter aussi une caractéristique qui nous intéresse, quand les masses sont debout, ce ne sont pas les médias qui font les révolutions, et je vous invite à écouter Gil Scott-Heron. Qui chante « the révolution will not be televised », et qui dit en gros « la révolution ne vous sera pas apporté par les médias ou les réseaux sociaux », « the revolution will be live »… C’est une leçon importante sur le lien entre les mobilisations sociales et l’organisation communiste. Cela conduit à deux pièges, le premier c’est de penser que de toute façon c’est l’histoire qui fait les situations révolutionnaires, donc que les communistes n’ont qu’à gérer au mieux en attendant la révolution, ou au contraire que l’urgence est de construire un parti capable de faire la révolution tout de suite… Je dirais avec un peu de dialectique, que le parti doit être utile dans toutes les réalités historiques, aussi bien quand l’enjeu est la résistance et la solidarité, que quand la situation devient révolutionnaire...
Troisièmement, la révolution ne se joue pas dans les institutions. Quand Lénine lance le mot d’ordre « tout le pouvoir aux soviets », les institutions de la révolution de Février sont enfermés dans des politicailleries sans fin qui masquent les efforts de la bourgeoisie pour reprendre la main. Et Lénine, plutôt que de chercher comment « peser dans les institutions » comme disent certains aujourd’hui ou « gagner les prochaines élections de l’assemblée constituante » cherche comment aider les révoltes populaires à accéder pour eux-mêmes au pouvoir. Tout le pouvoir aux soviets, c’était la réponse dans la Russie de 1917, cela ne veut pas dire qu’il nous faut laisser tomber toutes les institutions françaises et leurs élections en tentant d’inventer des soviets à la française, car à l’évidence, les situations sociales, politiques et économiques sont très différentes, mais par contre, qu’il faut à tout prix sortir de cet électoralisme qui a enfermé notre peuple dans l’inaction et l’incapacité à se penser comme capable de diriger par lui-même ! C’est le sens que nous avons donné dans le programme communiste du réseau Faire Vivre et Renforce le PCF, à nos 5 chantiers d’une politique de rupture avec par exemple la création de commissions de contrôle économiques par bassin d’emplois élues lors d’élections professionnelles générales et, point important, contrôlant les tribunaux de commerce.
Quatrièmement, après la révolution, il y a la question de la société à construire, et donc pour nous du bilan du socialisme réel. L’idée dominante est que l’URSS est un formidable échec dans une dictature sanglante… et le plus souvent pour dire que c’est non seulement Staline qui est le tyran, mais la révolution qui était un coup d’état sans avenir, et même que c’est l’idée même de révolution, y compris la révolution française qui est une impasse. Il faut répéter que ces idées sont des outils de guerre contre nous, contre les peuples et leurs revendications, contre tout idée de progrès social. La diabolisation de l’URSS est le moyen d’interdire de penser le changement de société. Or, l’URSS a été une très grande puissance, qui a innové en plein de domaines, et j’aime bien raconter cette anecdote qui montre que l’URSS n’était pas un pays arriéré et antidémocratique, productiviste et détruisant la nature. Il y a quelques années, des jardiniers lyonnais sont partis à la recherche de vieux légumes disparus à Lyon, et ils les ont trouvé à Saint-Pétersbourg dans l’institut Vavilov du nom d’un célèbre agronome soviétique qui considérait que la productivité agricole reposait sur la biodiversité, idée que certains écologistes croient découvrir aujourd’hui, et a donc construit la première banque de semences du monde. Elle existe encore aujourd’hui et est la plus grande banque vivante, c’est à dire qu’il ne s’agit pas de stocker des ADN, mais bien de faire pousser régulièrement les plantes pour régénérer les semences. Voilà une anecdote qui montre à quel point l’histoire soviétique est loin de l’horreur dont on nous parle le plus souvent avec ce constat « la biodiversité des légumes lyonnais a été sauvée par un agronome soviétique de Léningrad... ». Et le plus important peut-être, c‘est que quand la restauration capitaliste de 1991 avait décidé de le fermer, cet institut Vavilov a été sauvé pendant 10 ans par ses chercheurs, techniciens et jardiniers qui l’ont fait vivre sans être payé. Ils étaient des soviétiques avec une conscience politique et sociale incroyable… une des réussites de l’URSS dont parle souvent Danièle Bleitrach et Marianne Dunlop dans leurs témoignages de voyages dans les ex pays de l’URSS.
Mais si l’URSS n’était pas un échec sanglant, on entend dire aussi que c’était un capitalisme d’état, avec une nouvelle bourgeoisie. Mais alors on se demande ce qui s’est passé en 1991 et pourquoi il fallait détruire l’URSS et restaurer le capitalisme avec Eltsine. Or je pense qu’il faut regarder les expériences socialistes en tirant deux leçons du 20e siècle…
– D’abord qu’il s’agit toujours de construction nationale, historique, et que tout comme le capitalisme s’est développé sous des formes différentes, le socialisme se construit aussi sous des formes différentes, soviétiques, chinoises, yougoslaves, cubaines. Donc il y a dans l’expérience soviétique à l’évidence des caractéristiques russes, et c’est sans doute une des grandes erreurs du mouvement communiste internationale d’avoir traduit la solidarité nécessaire avec la révolution russe en considérant que c’était le modèle à suivre. C’est Fidel Castro qui a dit il y a quelques années, la plus grande erreur a été d’imposer la direction soviétique au mouvement communiste et avec les intérêts d’état de l’URSS.
– Ensuite que le socialisme est bien une société intermédiaire entre le capitalisme et le communisme et que ce n’est pas une société sans classes, sans contradictions, que le capitalisme, les capitalistes, les bourgeoisies, continuent à exister et à défendre leurs intérêts. De ce point de vue, il ne faut pas avoir une lecture littérale de la phrase de l’international « du passé faisons table rase », non, le passé pèse sur la révolution, et l’URSS a a de multiples reprises cherché des appuis dans l’histoire russe, y compris par exemple quand il fallait sortir d’anciens militaires de prison pour aider à organiser l’armée, ou quand Lénine cherche dans l’organisation capitaliste de l’industrie, ce qu’on appelle le taylorisme, comment augmenter la productivité pour produire ainsi les machines dont le socialisme a besoin et pour libérer du temps disponible pour que les ouvriers dirigent l’usine. Je vous conseille la lecture du livre de Robert Linhart « Lénine, les paysans, Taylor ».
C’est tout le débat sur la nature du « socialisme de marché » à la chinoise. Les chinois disent clairement que le capitalisme a une place essentielle dans le développement de leur société de moyenne aisance, et donc que les capitalistes ont une place dans l’état chinois. Il disent qu’il faut un siècle pour construire le socialisme, bien sûr parce qu’en chine comme en Russie d’ailleurs, la révolution s’est fait dans un pays très peu développé, avec des masses de paysans illettrés et soumis à des traditions ancestrales. Cela laisse ouvert la question de la révolution dans un pays capitaliste développé qui peut-être peut prendre moins d’un siècle, mais dont je suis convaincu qu’elle ne se fera pas non plus en un mandat électoral présidentiel ! C’est la question historique de la notion d’étapes. Avec le programme commun, le PCF avait proposé une étape dite de « démocratie avancée » avant le socialisme, et l’expérience nous a appris à être méfiant sur cette notion, et pourtant je ne crois pas un seul instant à l’idée inverse du « communisme déjà là » qu’il suffirait de faire grandir, certains en tirant la conclusion que la révolution est inutile
Les chinois ne nous disent pas combien il faut de temps après le socialisme pour construire le communisme ! Normal puisque ce n’est pas une question d’aujourd’hui pour eux, alors que les soviétiques avaient tendance à se raconter des histoires sur le communisme qui s’approchait alors même que le développement socialiste rencontrait ses limites, mais au-delà, il me semble peut-être que les chinois, qui ont choisis de construire leur développement dans la mondialisation, savent qu’on ne peut construire le communisme dans un seul pays, et qu’il faut donc faire d’abord la révolution dans toutes les puissances capitalistes pour que le socialisme devienne mondialement dominant et puisse engager la transition communiste. Voilà peut-être une approche dialectique de la contradiction née du constat de la révolution dans un seul pays quand tous les communistes de 1917 étaient persuadés que la révolution russe ne pourrait tenir sans la révolution allemande...
Cinquièmement, la révolution d’octobre nous apprend aussi beaucoup sur l’importance de l’organisation, du parti communiste. Car si octobre n’est pas un coup d’état, mais bien une révolution populaire, il a fallu que les bolcheviques aient des militants dans suffisamment de soviets pour savoir ce qui se passait et aussi pour faire grandir le slogan principal de la révolution « tout le pouvoir aux soviets ». Chacun comprend bien que dans le chaos qui bousculait la Russie, sans un parti organisé, avec une unité de direction, une capacité de mobilisation cohérente, rien n’aurait été possible. Cela nous interroge sur notre organisation, qui ne peut pas reposer sur le chacun pour soi ou le chacun fait ce qu’il veut, mais qui doit organiser le tous ensemble comme on dit, mais pas dans les mots, dans la capacité à agir.
Tout cela nous amène évidemment au prochain congrès du parti communiste. Nous n’attendons rien de sa direction qui continuera à chercher désespérément à se survivre dans des compromis « de gauche » impossibles avec ce qui reste du parti socialiste, avec la France insoumise ou les écologistes. Mais partout les communistes peuvent décider de reprendre leur parti en main, de le faire vivre en ouvrant en grand les questions stratégiques. Pour notre part, c’est ce que nous proposerons et les prochaines rencontres internationalistes de Vénissieux seront un moment fort pour le faire vivre. Pour les préparer, nous enverrons une délégation aux cérémonies organisées pour le centenaire de la révolution le 7 novembre prochain à Moscou, avec une rencontre avec des communistes russes, qui seront présents eux aux rencontres internationalistes de Vénissieux le 25 novembre avec une délégation du PC chinois et du PC de Cuba. Nous ouvrons très largement nos rencontres à tous les communistes au-delà de Vénissieux tant le plus bel anniversaire du 100e anniversaire de 1917 que nous puissions organiser est de contribuer reconstruire un parti communiste utile au peuple pour créer les conditions d’une nouvelle révolution française, une révolution socialiste.