Pour une analyse de classe afin de rompre avec l’illusion institutionnelle et la dépasser pour construire une vision cohérente de la lutte pour le socialisme.
La question de la censure du gouvernement, bien que symboliquement importante, ne saurait constituer l’alpha et l’oméga du combat politique. Pour saisir les limites de ce débat parlementaire, il faut le replacer dans le cadre plus large de la « lutte des classes » et de la nature de l’État capitaliste.
Si la censure était votée et le gouvernement renversé, cela ne résoudrait en rien la contradiction fondamentale : dans ce qui est qualifié comme démocratie dans notre système politique , l’appareil d’État – justice, médias, bureaucratie, forces de coercition – reste structurellement lié aux intérêts du grand capital.
Macron persisterait et refuserait effectivement de nommer un Premier ministre de gauche, car la Ve République, conçue comme un « État de classe » protège les rapports de production dominants comme on l’a vu depuis 60 ans et cela sans interruption.
Même en cas de concession forcée par un mouvement de masse dont la nature resterait populiste ou réformiste, un gouvernement dit « de gauche » serait immédiatement soumis au chantage des marchés, des institutions européennes libérales (Traité de Maastricht, Pacte de stabilité) et de la pression médiatique – comme le montrent les expériences de Mitterrand en 1983, de Jospin en 1997, ou de Tsipras en Grèce en 2015.
L’histoire des 44 dernières années est éloquente : les gouvernements socialistes, même animés de bonnes intentions réformistes, ont systématiquement intériorisé les limites du capitalisme. Loin de le « réguler », ils ont participé à sa modernisation néolibérale (dérégulation financière, privatisations, flexibilisation du travail). La social-démocratie, en renonçant au marxisme comme méthode d’analyse, s’est condamnée à gérer le système plutôt qu’à le transformer.
Son échec n’est pas un accident, mais la conséquence de sa méconnaissance de la dialectique marxiste des forces sociales qui s’opposent constamment dans la lutte des classes : l’expérience nous démontre que sans un rapport de force massif et organisé venant des exploités, toute tentative de réforme est vouée à être récupérée ou neutralisée.
La faiblesse actuelle du prolétariat constitue le nœud du problème. Par « prolétariat », il ne s’agit pas seulement des ouvriers d’usine, mais de l’ensemble des travailleurs dont la survie dépend de la vente de leur force de travail – aujourd’hui fragmentés par l’ubérisation, les plateformes numériques et la précarisation. Or, cette classe est dépolitisée et désarmée théoriquement : les syndicats ne représentent que 11 % des salariés en France, et leur orientation souvent corporatiste ou réformiste les empêche de formuler un projet de rupture. Quant au Parti Communiste Français (PCF), s’il perçoit les mutations du travail (automatisation, numérisation, externalisation), il peine à en tirer toutes les conséquences stratégiques. La « révolution des forces productives » actuelle exige pourtant une réinvention de l’organisation communiste :
– comment passer des cellules d’entreprise traditionnelles qui d’ailleurs n’existent pratiquement plus à de nouvelles cellules correspondant aux nouvelles formes de prolétariat (livreurs, travailleurs du clic, autoentrepreneurs précaires) ?
– Comment utiliser les réseaux sociaux non pas comme simple outil de propagande, mais comme espace de formation marxiste, de coordination des luttes et de contre-pouvoir informationnel face à l’hégémonie médiatique et culturelle de la grande bourgeoise ?
Cette crise organisationnelle renvoie à une « crise de la théorie ». Sans une analyse matérialiste rigoureuse – inspirée de Marx, Lénine, Gramsci et d’autres penseurs militants du communisme – des mutations du capitalisme (financiarisation, globalisation, numérique), le mouvement ouvrier reste condamné à l’improvisation tactique.
Prenons l’exemple des GAFAM : ces monopoles capitalistes contrôlent les données, l’information et les infrastructures numériques, nouveaux leviers de l’exploitation. Pourtant, aucune force de gauche ne propose sérieusement leur socialisation ou ne s’est à peine pencher sur la question, preuve d’un décalage entre les outils théoriques à créer et la réalité matérielle de la production et de la communication à l’ère numérique et de l’IA.
La démocratie véritable de notre époque ne peut émerger que d’un prolétariat conscient et organisé, car la démocratie institutionnalisée par la grande bourgeoise dans la 5e république , même parlementaire, demeure une démocratie qui protège et défend les intérêts des propriétaires des grands moyens de production d’échanges et de communication.
Les élections ne sont qu’un moment dans la lutte des classes, toujours encadré par les institutions du grand capital. A chaque fois que le résultat des élections n’est pas conforme aux critères imposés par la classe capitaliste, le résultat est annulé ou ignoré, méprisé . L’enjeu n’est donc pas tant de « prendre le pouvoir » par les urnes, même si une majorité d’élus du prolétariat révolutionnaire et de gauche peut être un point d’appui mais de construire partout des contre-pouvoir populaires agissants sous forme de cellules communistes capable de briser l’hégémonie idéologique dominante et à termes de contrôler le système pour neutraliser les actions de la classe capitaliste . Cela suppose :
- Un travail de longue haleine pour faire vivre des initiatives d’éducation populaire et de critique marxiste du capitalisme dans les lieux de production et de reproduction sociale (usines, écoles, hôpitaux, quartiers), via des cellules communistes capables d’analyser les contradictions locales et de formuler des revendications transitionnelles vers le socialisme.
- « Une bataille culturelle »pour reconstruire une conscience de classe, en s’appuyant sur les contradictions du capitalisme avancé (écologie, féminisme, antiracisme) tout en évitant le piège du postmodernisme sociétal et populiste qui fragmente les luttes et les détourne de la contradiction fondamentale capital/travail.
- Une stratégie d’affrontement démocratique avec l’État capitaliste, combinant luttes syndicales, désobéissance civile massive (grèves générales, blocages) et préparation idéologique à la conflictualité de classe car la grande bourgeoisie ne cède jamais sans résistance.
L’histoire montre que les avancées démocratiques (Front populaire de 1936, Sécurité sociale en 1945) ont toujours été arrachées par des mouvements de masse extra-parlementaires, jamais par la seule vertu des urnes ou des parlements.
Aujourd’hui, face à un capitalisme en crise systémique (réchauffement climatique, crises financières, pandémies), le défi est de reconstruire un vaste mouvement International anti-impérialiste qui dépend des travailleurs dans chaque nation et des peuples dans le respect de leur diversité.
Dans ce cadre la censure du gouvernement n’est qu’un épiphénomène politique. La vraie question est : comment construire un mouvement capable de faire avancer le marxisme et la conscience de classe pour préparer les conditions d’une société socialiste ? Cela exige de rompre avec l’illusion institutionnelle et de revenir aux fondamentaux du marxisme : l’auto-émancipation des travailleurs par l’organisation, l’éducation politique et la lutte collective.
Comme le rappelait Lénine, « sans théorie révolutionnaire, pas de mouvement révolutionnaire » – à nous d’actualiser cette théorie à l’ère des algorithmes et de ce qu’on nomme aujourd’hui l’Anthropocène, c’est à dire la période historique où l’influence de l’humanité développant des outils technologiques inédits dans son histoire agit sur la géologie et les écosystèmes au point qu’elle est devenue significative à l’échelle de l’histoire de la Terre.