A propos des relations entre communistes et islamistes en Tunisie Extrait d’une intervention de Hamma Hammami, porte-parole du PCOT (Parti communiste des ouvriers de Tunisie)

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Depuis le début des années 90, à l’intérieur du PCOT (Parti communiste des ouvriers de Tunisie), nous avons mené une analyse en profondeur sur la question du rapport à l’islamisme alors même que la répression s’abattait contre l’islamisme mais également contre nous. Nous considérons que de nombreux mouvements qui se disent de gauche ou progressistes ont pris une position erronée concernant cette question : faire rempart à l’islamisme par des dictatures corrompues. Cela a été le cas pendant un moment en Algérie, cela a également été le cas en Égypte.

La position du PCOT a été tout autre et en Tunisie – et les islamistes eux-mêmes le savent – nous étions en totale opposition avec eux. On se battait contre eux à tous les niveaux : au niveau théorique, au niveau politique, de même que pour la direction des mouvements lycéen, estudiantin et syndical. Néanmoins, à partir de 1991, à la suite de la répression totale aussi bien contre les islamistes que contre le PCOT ou les mouvements populaires, notre parti a changé de tactique et a axé sa lutte contre la dictature, soumettant la question de la lutte contre l’islamisme à la question de la lutte contre la dictature. Et sur ce plan-là, notre tactique a été basée sur deux principes :

- Tout d’abord, pour barrer la route à la montée d’une dictature au nom de la religion, il faut donner l’exemple en étant à l’avant-garde de la lutte contre la dictature déjà en place sinon la direction effective de cette lutte est laissée à l’islamisme que l’on prétend combattre. A partir de ce premier principe, il faut lutter contre la dictature pour barrer la route à toute autre forme de dictature et en conséquence ne pas s’allier à la dictature pour lutter contre l’islamisme. C’est à partir de ce principe que le PCOT a pu s’imposer en tant que force politique incontournable en Tunisie.

- Le second principe –et pour notre parti, la position était claire– est qu’une société où il y a la liberté –même si cela profite dans un premier temps à l’islamisme ou à d’autres forces– est meilleure qu’une dictature, meilleure pour le peuple tunisien, en tout cas meilleure qu’un régime dictatorial où il n’y a pas de liberté, ni pour le peuple ni pour les forces démocratiques au nom de la lutte contre l’islamisme. C’est d’ailleurs par cet argument, la lutte contre l’islamisme, que Ben Ali justifiait sa dictature.

C’est sur la base de cette tactique et de ces principes que nous avons dénoncé la torture dont étaient victimes les islamistes parce qu’un parti communiste ne doit pas se taire sur la pratique de la torture, même si ses victimes sont des adversaires politiques. Nous avons été les premiers, et les seuls, à dénoncer ces tortures contre les islamistes et que nous avons subies nous aussi, la torture ayant également été utilisée contre notre parti.

De même notre parti a été presque le seul à dénoncer les procès intentés contre les islamistes parce qu’un communiste ne doit pas non plus accepter des procès fabriqués, même s’ils sont dirigés contre des adversaires politiques.

A partir de 2005, la situation en Tunisie en était arrivée à un point tel que la police parfois arrivait le matin pour vous signifier qu’il vous était interdit de sortir, de quitter votre domicile et cette répression s’est abattue sur tous les mouvements politiques, sur les islamistes, les nationalistes, sur les femmes, sur tout le monde…

C’est au cours de cette même année 2005, au moment du sommet mondial de l’information, que huit responsables politiques et d’associations dont moi-même ont entamé une grève de la faim. Avant de lancer cette action, nous avons discuté avec tous les partis politiques pour qu’ils s’y associent. En définitive, seuls huit partis et associations ont accepté. Ainsi donc certains partis qui se prétendent de gauche ont refusé d’y participer, non pas à cause de la présence des islamistes, officiellement aucun n’y prenait part, mais bien parce ces partis avaient peur de la dictature et des lignes rouges tracées par Ben Ali et qu’il ne fallait pas franchir.

Après cette grève de la faim, il y a eu une deuxième discussion en vue de rassembler contre la dictature toutes les forces politiques en Tunisie et de faire cesser ces luttes idéologiques qui font parfois en sorte que si les uns disent une chose, les autres s’y opposent ou disent le contraire, que si les islamistes font quelque chose, la gauche dit non. Cet état de fait ne pouvait que profiter à Ben Ali. C’est ainsi qu’est né le collectif du 18 octobre qui regroupe le PCOT, les islamistes, des libéraux, des réformistes, des représentants de la société civile. Nous nous sommes mis d’accord pour faire un travail commun et lutter pour la liberté d’expression, la liberté d’organisation et pour l’amnistie générale. Cela concernait toute la société tunisienne, toutes les forces politiques et ensemble nous avons mené des luttes autour de ces trois mots d’ordre.

En même temps, on s’est mis d’accord avec le mouvement Ennahda [1] pour discuter des questions fondamentales sur lesquelles nous avions des divergences – la première question étant celle du droit des femmes, la deuxième question se rapportant au problème de la liberté de conscience et la troisième concernant le rapport entre État et religion.

Ces discussions qui ont duré entre quatre et cinq ans ont abouti à la mise au point de documents sur lesquels se sont engagés les islamistes. Il est à noter que le premier dans le monde arabe à être signé entre gens de gauche et islamistes portait sur les acquis des femmes tunisiennes, tous les partis même les islamistes s’engageant à ne pas toucher au code du statut personnel et même à développer de nouveaux acquis pour les femmes tunisiennes.

Néanmoins lors de ces discussions, toutes les divergences n’ont pu être surmontées et pas seulement avec les islamistes, ainsi à propos de la question de l’héritage, le PCOT défend l’égalité alors que les libéraux mais également certains partis réformistes s’y opposent… !

Sur la question de la liberté de conscience, on est arrivé à la signature d’un document, rendu public, dans lequel la liberté de conscience est considérée comme une liberté personnelle.

Sur le rapport entre État et religion a été signé un document où il est dit clairement que le régime démocratique que nous revendiquons ne peut être qu’un régime civil basé sur le respect des valeurs républicaines et des droits humains. Ce document a été également signé par les islamistes.

Ces documents représentent des acquis tout à fait significatifs et nous considérons que ce collectif du 18 octobre a joué un rôle important dans la préparation de la révolution en Tunisie. Cela a pu se ressentir dès 2008, dans l’apaisement des luttes idéologiques au profit de luttes communes sur des objectifs politiques, économiques et sociaux, et depuis la révolte du bassin minier la même année, les clivages idéologiques sont devenus très secondaires et tout le monde a basé sa lutte sur les libertés… C’est la raison pour laquelle, au cours de la révolution tunisienne, on n’a pas entendu de mots d’ordre religieux ou purement idéologiques. Étaient essentiels les mots d’ordre politiques, économiques et sociaux.

Maintenant, quant à une éventuelle alliance entre le PCOT et Ennahda, la réponse est négative. Non, il n’y a pas d’alliance parce que ce qui est posé actuellement c’est une lutte autour d’un projet de société. Le projet de société du PCOT va du côté des forces de gauche, des forces démocratiques et progressistes.

D’autre part, cette question d’un accord entre le PCOT et les islamistes est à replacer dans le contexte de la campagne qui se développe aujourd’hui en Tunisie contre les communistes et surtout contre le PCOT : pour faire peur aux gens simples, on leur dit que le PCOT est un parti d’athées… tandis que pour faire peur aux femmes et aux jeunes, on leur dit que le PCOT est allié à Ennahda et avec le mouvement islamiste.

Nous sommes sur le terrain, nous avons tenu jusqu’à présent seize meetings dans toutes les régions en expliquant notre point de vue et dans ces meetings, on voit de plus en plus de femmes, qui, même si elles portent le voile, disent qu’elles sont avec le PCOT et non avec les partis religieux.

Nous considérons que nous sommes sur la bonne voie pour unir le peuple tunisien autour des objectifs centraux de cette révolution : la liberté, la démocratie, l’égalité, la dignité et la justice sociale. Faut-il rappeler une nouvelle fois que le PCOT se bat pour la laïcité en Tunisie, pour la séparation de la religion et de l’État –c’est dans notre programme politique et nous ne voyons pas de contradiction entre être croyant et être laïque.

D’autre part, nous tenons à faire vivre dans les faits une véritable égalité hommes/femmes. Ainsi en est-il, alors que les élections vont avoir lieu, de la question de la parité. Il ne s’agit en vérité que d’une parité au niveau des listes, cela ne veut pas dire qu’il y aura forcément une parité réelle mais plutôt une parité en trompe-l’œil. On risque même de n’avoir que 10% de femmes élues et même moins parce que, avec le mode de scrutin, ce ne seront que les têtes de listes qui vont être retenues. C’est pour cette raison, et pour faire vivre réellement la parité, que le PCOT a décidé, pour les 27 ou 28 circonscriptions prévues, de présenter comme têtes de listes pour moitié des femmes et pour moitié des hommes. De cette manière-là, les femmes auront véritablement la possibilité d’être présentes dans cette Assemblée Constituante.

Pour en venir plus directement à la question de l’islamisme, pour le PCOT, il faut éviter de tomber dans le piège de la réaction, parce que le spectre de l’islamisme continue à être brandi. Sarkozy ou Berlusconi ou la Maison Blanche appuyaient Ben Ali parce qu’ils voyaient en lui un barrage contre l’islamisme. Ben Ali également expliquait aux Tunisiens qu’il les réprimait pour barrer la route à l’islamisme.

A mon avis, il faut faire très attention parce que chaque pays a ses spécificités et qu’en politique, il ne faut pas avoir peur de tel ou tel parti, il faut savoir lutter concrètement au lieu de rester dans les cafés ou les hôtels 4 étoiles. Il faut aller dans les cités populaires à Tunis, dans la Tunisie profonde et discuter avec les femmes, les pauvres et dire ce que nous proposons. C’est ce que fait le PCOT, c’est de cette manière-là qu‘on peut changer la réalité en Tunisie et barrer la route à une nouvelle dictature.

Il ne s’agit pas d’expliquer le monde, il s’agit de le changer en luttant réellement pour transformer le rapport de forces, en allant vers les masses populaires qui vont voter et qui sont capables de faire la révolution.

Hamma Hammami, porte-parole du PCOT (Parti communiste des ouvriers de Tunisie)

Juillet 2011

Source : La revue Différences

[1Parti islamiste.

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