Suppression du forfait social : le gouvernement vide les caisses de la Sécu Par Michael Zemmour, Alternatives économiques

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Lors d’une interview le 12 avril sur TF1, le président de la République a annoncé une suppression du « forfait social » sur les dispositifs d’épargne salariale (intéressement et participation) dans les entreprises de moins de 250 salariés [1]. Cette mesure est une incitation pour les employeurs à privilégier l’intéressement au détriment du salaire, et va coûter un demi-milliard d’euros à la Sécurité sociale.

L’épargne salariale : un dispositif d’évitement du salaire

Chacun sait que les assurances sociales sont financées par les cotisations assises sur les salaires. Pourtant, on sait moins qu’une partie des rémunérations n’est pas soumise aux cotisations sociales ordinaires. Il s’agit notamment de l’épargne salariale (intéressement et participation), de la participation des employeurs aux complémentaires santé, aux retraites supplémentaires ou à l’achat de titres restaurants, chèques vacances…

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En théorie, l’épargne salariale est un moyen de faire bénéficier aux salariés d’une partie des résultats de l’entreprise dans laquelle ils travaillent. En pratique, ces dispositifs permettent surtout aux employeurs de rémunérer leur salarié.e.s à bon compte, en contournant le financement normal des assurances sociales [2]. Pour employer une expression imagée, tout se passe comme si une partie de la rémunération était "au black" (quasiment pas de cotisations, et pas de droits ouverts pour les salariés), mais légale [3]. La réforme proposée (suppression du forfait social), vient encore renforcer ce dispositif.

Des fuites dans le financement de la protection sociale

On le comprend, ces dispositifs de contournement du salaire coûtent cher au financement des assurances sociales. Au total c’est 9% de la masse salariale du privé qui ne contribue pas normalement. Cela génère un manque à gagner de l’ordre de 12 milliards d’euros par an pour la Sécurité sociale et 29 milliards pour l’ensemble des assurances sociales [4].

Pour limiter ces pertes, les parlementaires ont créé en 2009 un prélèvement spécial, le « forfait social ». Initialement au taux de 2% et rapidement réévalué au taux de 20%. Ce prélèvement vise certains des éléments de rémunération non soumis à cotisation (épargne salariale, protection sociale d’entreprise…), pour financer la Sécurité sociale. Le forfait social rapporte environ 5 milliards d’euros par an, ce qui réduit d’autant le manque à gagner de la Sécurité sociale, et permet de contribuer à financer des dispositifs de la branche vieillesse.

Suppression du forfait social : un demi-milliard en moins pour la Sécurité sociale

Aussi, si le forfait social était supprimé en 2019 sur l’épargne salariale des entreprises de moins de 250 salariés, cela aurait immédiatement deux conséquences.

Premièrement cela renforcerait l’incitation à privilégier l’épargne salariale sur le salaire. L’incitation est déjà forte aujourd’hui : si un employeur dispose de 100 euros pour augmenter ses salarié.e.s, il a le choix entre augmenter les salaires, ce qui se traduit par 54 euros d’augmentation des salaires nets et 46 euros de cotisations, ou choisir un dispositif d’épargne salariale, ce qui se traduit par 75 euros d’épargne salariale nette et 25 euros euros de prélèvements sociaux, dont 17€ de "forfait social". Mais si le forfait social était supprimé, pour 100 euros l’employeur pourrait procéder à un versement de 90 euros d’épargne salariale nette, ne laissant que 10 euros de prélèvement sociaux.

Deuxièmement la suppression du forfait social coûtera immédiatement, selon Bercy, 440 millions de recettes en moins pour la Sécurité sociale. Ce coût serait encore plus élevé à l’avenir (à mesure que les entreprises se saisiront du dispositif, et que la masse salariale augmentera). Autrement dit, la « suppression du forfait social » n’est rien d’autre que le renforcement d’une "niche" pour éviter les cotisations sociales.

La politique des caisses vides : créer du déficit pour justifier les réformes

Il n’y a pas nous dit-on « d’argent magique ». Mais il y a des tours de prestidigitation qui laissent songeur : le président de la République explique, la même semaine, qu’il n’y a pas de moyens pour l’hôpital, et que c’est cela qui justifie les réformes… tout en annonçant, l’air de rien, une mesure réduisant d’un demi-milliard d’euros les recettes de la Sécurité sociale.

Les travaux en sciences sociales ont une expression pour définir cette stratégie : « la politique des caisses vides », ou en anglais « starving the beast » (« affamer la bête »). Cette stratégie est adoptée par les gouvernements qui souhaitent réduire les dépenses publiques ou sociales mais qui craignent que ces réformes soient impopulaires et politiquement coûteuses. Elle consiste à générer d’abord du déficit (en réduisant les recettes, ou en limitant leur augmentation), pour ensuite justifier politiquement la réforme, au nom de la bonne gestion [5]. Très souvent, cette politique des caisses vides passe par des dérogations aux prélèvements obligatoire : en effet, il est plus facile de réduire discrètement les recettes de la Sécurité sociale, en instaurant une niche supplémentaire, qu’en annonçant une baisse des cotisations. C’est sans doute ce à quoi nous assistons avec la suppression du forfait social.

Michaël Zemmour, maître de conférences à l’Université de Lille (CLERSE) et chercheur associé au LIEPP (Sciences Po).
Alternatives économiques n°378 – 04/2018

[1Plus précisément le forfait social serait supprimé sur l’intéressement et la participation pour les entreprises de moins de 50 salariés, et sur l’intéressement pour les entreprises de 50 à 250 salariés selon Les Echos du 12 avril.

[2Une partie de ces éléments de rémunération sont tout de même soumis à certains prélèvements, comme la CSG et à la CRDS.

[3Dans une analyse juridique, J.P. Chauchard (2011) parle plus justement d’un « évitement du salaire ».

[4Chiffrage pour 2014 disponibles dans M.Zemmour (2015), actualisés à partir de calculs de la Cour des Comptes et de données Acoss.

[5Voir par exemple Julien Duval, « Le mythe du trou de la sécu ».

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