Le voyage de Danielle et Marianne
Obstinée et douloureuse, mama Odessa célèbre ses morts

, par  Danielle Bleitrach , popularité : 1%

Odessa dans le langage local c’est Mama Odessa… La petite mère russe autant que la yiddish mama… Cet après-midi dans cette ville frappée de stupeur doit se tenir le meeting qui célèbre le souvenir des morts assassinés dans la Maison des syndicats… Nous partons Marianne et moi, emmitouflées, sous la protection de notre bon géant Yvan qui nous recommande : « Si des gens me provoquent ou veulent m’attaquer, je vous en supplie partez en courant, ne cherchez surtout pas à me défendre… N’ajoutez pas à la situation l’inquiétude que j’aurai pour vous… Courez le plus rapidement possible jusqu’à la maison et cachez-vous, ne répondez à personne mais tout se passera bien, ne vous inquiétez pas… ».

Au sortir de chez nous, sur le trottoir nous enjambons machinalement une croix gammée nazie, photo prise à la hâte… Mais devant nous marche un jeune homme qui tient dans ses mains trois œillets rouges :

Le soir dans le restaurant de cuisine ashkenaze où nous mangeons de délicieux gefultfish, Yvan nous dira : « Ils sont comme ça, ils arborent des croix gammées, le signe du loup, ils font des Heil Hitler, ils frappent les gens et ils disent "Nous des fascistes, pas du tout !" ».

Peu à peu nous nous rapprochons de Koulikouvo Polié, le lieu du rassemblement, la place de la Maison des syndicats sur laquelle a eu lieu le massacre [1]. Nous devons nous réunir, devant la maison des syndicats. La veille nous y avons été avec Marianne ; il y avait des fleurs et un maillot de marin supplicié avec l’inscription de Mama Odessa. Des policiers étaient là, gardaient-ils le reposoir ou étaient-ils chargés d’espionner ceux qui venaient s’y recueillir ?

A Odessa tout est ambigu, on efface les signes de la Russie, de l’Union Soviétique, mais c’est à moitié, comme si ceux qui l’osent n’étaient pas assurés et craignaient la révolte d’Odessa silencieuse trop silencieuse. Ainsi en est-il de ce monument dans un square, qui mène à Koulikouvo Polié, au milieu des habitations HLM, les Kroutchéviennes, des petites immeubles à trois étages charmants au milieu de la verdure autour du dit square et de sa statue à un héros de l’Union soviétique. Il est encore là, les dates de ses exploits, son nom, mais l’écriteau qui expliquait la geste du héros a été arraché.

Au loin nous voyons l’imposante Maison des syndicats derrière un rideau d’arbres. Yvan s’exclame « ça y est ils recommencent ! ». La manifestation est autorisée, mais ça fait la troisième fois que les autorités prétendent qu’il y a eu un coup de téléphone prévenant du dépôt d’une bombe. Le lieu est bouclé, ceint d’un grand ruban rouge et blanc et tous les deux mètres un policier municipal flanqué de l’équivalent des CRS locaux cagoulés et avec gilets pare-balle.

Pendant ce temps, dans le chemin qui fait le tour du champ de Koulikouvo Polié commencent à affluer des promeneurs dont la plupart portent des fleurs. Il y a surtout des femmes…

Certaines d’entre elles commencent à s’énerver devant ce cordon de police : « Pourquoi est-ce qu’on ne peut pas passer ? », une des mères que nous avons rencontrées il y a peu, est littéralement portée par son autre fils et elle leur crie « Fascistes ! », une autre leur jette « Puissiez-vous crever ! ». Ils ont visiblement ordre de ne pas répondre et se contentent de sourire. Un de nos amis nous dit : « Devant la maison des syndicats, pendant l’incendie, ils n’ont pas bougé, ils ont laissé faire, mais il y en a eu quelques uns qui à titre individuel ont secouru les blessés, tenté de les arracher à leurs bourreaux… ».

Nous sommes Marianne et moi entourées, protégées… Faute de pouvoir se rendre à la maison des syndicats, une première cérémonie religieuse a lieu devant un monument qui fait face aux bâtiments. Un pope assure un service religieux, les fleurs s’accumulent et on nous annonce enfin que l’on peut se rendre devant la maison des syndicats :

La foule crie « Un peuple uni est invincible », une femme s’approche de nous et murmure « Savez-vous de qui provient ce cri ? des juifs ». Elle a employé le mot péjoratif en russe "jude", le mot allemand au lieu du mot neutre… Quand je lui demande des explications, elle jette des regards autour d’elle et elle veut nous entraîner à l’écart pour nous répondre… C’est plutôt bon signe qu’elle craigne de dire en public son antisémitisme… Nous refusons de céder à ses sollicitations et elle renonce…

Un seul drapeau est autorisé, celui d’Odessa. Je demande s’il y a des membres du parti communiste d’Ukraine… On me présente aussitôt deux femmes extraordinaires, l’une d’elle est très jeune, ravissante, une métisse africaine avec un chapeau melon. L’autre est une petite vieille Véra, un modèle de poche, une minuscule babouchka, un petit fruit racorni et sucré avec des doigts comme des sarments qui ne craignent pas le froid. On ne peut pas ne pas être amoureuse de Véra, elle a les yeux bleus les plus innocents du monde, et le sourire le plus lumineux qui se puisse imaginer. Elle a préparé une soucoupe en cristal qu’elle a empli de bonbons acidulés de toutes les couleurs, elle tend à chacun son offrande. Elle se serre contre nous en apprenant que nous sommes des communistes françaises et nous dit à quel point Simonenko est ressorti fortifié de sa rencontre avec les communistes français. C’est très important que nous soyons là. Je suis obligée de plier les genoux pour être à ses côtés sur la photo.

Mes amies m’expliquent que Véra a été infatigable quand il s’agissait de soulager les blessés et elle est allée les voir, les veiller à l’hôpital, c’étaient de grands brûlés et ils souffraient beaucoup. Véra trottinait de l’un à l’autre, les aidant, leur murmurant de tendres proles maternelles. Elle a près de 90 ans et la jolie métisse communiste qui l’accompagne, la surveille comme une flamme prête à s’éteindre. Nous avons rendez-vous avec elle aujourd’hui pour nous rendre au siège du parti communiste.

Et c’est alors que commence le meeting qui est aussi un spectacle, avec des moments d’une grande beauté et d’une émotion intense…

Quand les participants lâchent des ballons noirs. Ils montent ensemble dans le ciel bleu et peu à peu s’éloignent poussés par le vent en traçant une calligraphie d’oiseaux migrateurs… Même les plus incroyants ne peuvent s’empêcher de songer que ces âmes ont choisi de rester ensemble…

Leurs mères tiennent leur photos sur la poitrine et éclatent en sanglots tandis qu’on lit des poèmes, la foule répète en russe : « Nous n’oublions pas, nous ne pardonnons pas ! ».

Puis c’est le tour de Marianne, je lui tiens le micro et elle dit les mensonges en occident, le silence complice et combien nous faisons ce que nous pouvons, les réunions dans le Pas-de-Calais, à Lyon, dans la patrie de Jaurès, à Arcachon et la fête de l’Humanité à Paris. Elle termine sur notre reconnaissance à nous français d’avoir été libérés par les Russes, par les peuples d’Union Soviétique.

Elle est saluée par des cris d’enthousiasme, des merci la France, la France est notre amie ! Puis tout monde reprend en cœur : « le fascisme ne passera pas ! ». A la fin du discours, nous sommes gelées et nous devons partir, les gens viennent vers nous. Un vieil homme m’explique tout le mal qu’il faut penser des fascistes, je n’y comprends pas grand chose mais je saisis « Normandie Niemen » et je sais qu’il me propose de combattre à nouveau. Je manifeste mon accord et nous nous donnons une accolade comme si nous avions derrière nous, lui l’armée rouge et moi la Résistance française… Une femme me dit qu’il faut absolument que nous expliquions aux Français qu’il lui est impossible de vivre avec sa retraite… Si vous saviez comme ils ont besoin de nous…

Une vidéo dans cet article :

http://timer.od.ua/news/kulikovo_pole_polgoda_spustya_867.html

Danielle et Marianne

[1Le nom de la place célèbre la victoire des Russes sur les hordes mongoles au XIVème siècle. Cette victoire marque la fin de la soumission des terres russes aux hordes mongoles, bien que les invasions de ceux-ci ne cessent définitivement qu’un siècle plus tard. Elle a aussi une grande importance symbolique pour l’unification des terres russes.

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