La révolution qui ne se revendique pas comme telle
L’intelligence moderne du calcul Complexité et simplicité, apprentissage et empirisme, forces et information

, par  Francis Velain , popularité : 3%

Depuis 80 ans, une révolution silencieuse permet au capital d’introduire peu à peu une nouvelle machine et un nouveau système technique. Désormais, le doute n’est plus de mise. L’intellectuel collectif communiste n’a pas encore pris la mesure des fondements théoriques et pratiques de cette machine et du système technique qu’elle autorise et tout ce que cela implique sur les forces de travail, la vie de la cité. Finalement sur le politique.
Dans aucune pays, ressentir l’exploitation dans ses tripes ne sera suffisant pour en prendre correctement le contrôle à l’occasion de l’expropriation des capitalistes. L’incompréhension et aussi une bonne part de négation de cette révolution silencieuse sont des causes majeures ...car internes, intrinsèques... de l’échec des pays du socialisme réel et du décrochage du PCF à partir des années 60.

Le monde résiste aux hommes dont les réalités sont des mondes de forces en rapport. L’homme a conscience qu’en projetant un cheminement d’étapes, d’actions déterministes, dans un ordre donné, il surmontera les difficultés les unes après les autres, de manière la moins coûteuse possible pour ses forces. « Tout est calcul ». La formule fut dans les consciences avant que les mathématiciens n’existent. Calculer, c’est cheminer vers un objectif. Face à une réalité ayant la force en elle ; c’est une banale et vieille activité humaine. Elle suppose une réflexion introspective plus ou moins conduite en conscience, partagée, expérimentée peu ou prou avec des résultats plus ou moins tangibles, satisfaisants. Elle doit se faire transmissible.

Il était finalement de bon sens que l’homme fonde une activité de plein exercice, au titre de la division et spécialisation du travail, une discipline, une science pour penser un pur système de calcul, à vocation universelle, unifiante. Le chemin emprunté importe peu ici. Il faut simplement mesurer l’universalité des objets mathématiques.

Aucun objet mathématique ne renvoie à l’énergie, à la masse, à la vitesse et à leurs manifestations. Un mathématicien écrit y=xK. Le physicien réécrit. E=MC2. L’équation devient un support, un outil à modèle. Cela ne fait pas le monde mais offre de quoi le saisir. Dans cet exemple, l’équation mathématique réécrite par le physicien décrit, comme tout langage humain tente de le faire, les expériences de tout homme confronté soit à une couche de neige stable et à la même couche dévalant une pente.... Soit à des atomes qui libèrent de l’énergie en perdant de la masse dans des circonstances données. Pour autant rien n’est mathématique dans le monde des sciences de la nature parce que rien n’y est langage.

Mais les hommes se grisent rapidement de leur capacité naturelle et sociale à mettre les « mots » de leurs langages sur leurs expériences concrètes qu’ils ont besoin de partager, de transmettre, donc de décrire, pour satisfaire plus surement les conditions d’existence de leur espèce... « Au début était le verbe » reste une des grandes sottises énoncées par l’homme voulant se comprendre et comprendre le monde. Au début, il y a une espèce qui doit assurer sa reproduction adaptative dans une réalité de forces en rapport. Ses faibles forces et moyens physiques naturels nécessitent qu’elle sache faire l’outil... L’industrie est le propre de l’homme et définitivement sa première activité...

Les années 1960-1970 sont souvent considérées comme une phase de rupture technologique avec déjà l’idée d’un monde nouveau émergent : un monde d’informations. Les années 80/90 en serait une seconde, promettant un monde irrémédiablement moins matériel, toujours plus informationnel.

En réalité, les travaux sur les réseaux de neurones artificiels s’engagèrent dès la fin des années1940. Un jeux d’échecs simplifié fut programmé en 1950 par Von Neumann ; les horizons de machines « intelligentes » explorés lors des conférences de Macy (1942 à 1953) ; et les réseaux théorisés au début des années 50. En 1952, Meade J. E. écrivit sa fable des abeilles, de l’apiculteur et de l’arboriculteur. Dans sa version initiale, elle explique à quel titre les futurs internautes butineraient sans devoir payer ni pouvoir l’être, au nom d’input et d’output positifs ou négatifs pour l’apiculteur et l’arboriculteur.

Les capitalistes notamment américains étaient dans les starting-blocks dès les années 50 ! Les communistes n’osèrent pas. Depuis les années 2010, nous assistons à l’accélération d’un processus scientifique, sans cesse politiquement mobilisé depuis 80 ans au profit d’un certain mode de production.

Considérons seulement ceci : Dans la machine du XIXe et du début du XXe, les hommes instrumentalisent les forces de la matière. Nous sommes devant une révolution industrielle. Dans la nouvelle machine, les hommes instrumentalisent leurs lois, en l’occurrence celles du calcul. Nous sommes devant « une révolution par l’intelligence ».

Cette révolution est issue des travaux de Turing et Wiener. Bien entendu, les contextes historiques, du monde et de leurs disciplines ont participé à orienter leurs recherches.

Turing cherchait à comprendre comment l’homme menait calcul, pourquoi calculer était aussi fastidieux que répétitif, autant mécanique et universel et qu’en étaient les limites à partir des lois, les axiomes, que les mathématiciens se fixent. Il démontra qu’un calcul est calculable sous conditions et un calcul complexe décomposable en une suite ordonnée, une séquence, plus ou moins longues de calculs simples.

Wiener cherchait comment un tel calcul pourrait proposer un résultat utile sans être forcément totalement correct ou mené jusqu’au bout, pour des systèmes complexes en interaction avec un environnement plus ou moins connu et évolutif, changeant. Il voulait comprendre comment un calcul pourrait « apprendre » au sens de s’améliorer, s’adapter, au fil de son usage, sans que l’homme y remette sa patte.

La révolution du calcul est une réponse disciplinaire à deux questions mathématiques de grande généralité. Cette réponse est dans un calcul tout mécanique, à partir de quelques opérations mathématiques élémentaires seulement, utilisables à volonté dans une séquence plus ou moins longue, un algorithme. Ce calcul reste de nature déterministe et universelle, mais « fait apprenant » par interaction et accumulation de calculs. Il ne vise pas à rendre un résultat juste (pas même au sens classique des statistiques, ou des probabilités), mais seulement Probablement Approximativement Correct. PAC.

Apprendre au sens mathématique signifie dans le cadre de la révolution du calcul : 1. Obtenir le résultat n’est plus qu’un objectif de second rang. 2. L’objectif de premier rang est l’automatisation de l’amélioration du calcul finalement réduit à un processus de Tri et de calcul propositionnel prévisionnel à plus ou moins courts termes... Alors il rendra un résultat de second rang Probablement Approximativement Correctement : PAC.

En transformant l’approche du calcul, en le pensant en deux étapes, l’homme peut calculer face à la complexité en prenant appui sur des calculs simples.

La pensée complexe affronte moins efficacement la complexité du monde que la pensée simple de l’élémentaire, du fondamental. Il faut savoir revenir à cette source de l’élémentaire pour saisir la complexité, ne pas s’enivrer de l’émergence du nouveau. Toute complexité ne peut faire émerger une complexité de qualité supérieure, du nouveau stable, durable, signifiant, que fondée sur la robustesse du simple.

Jusqu’à présent seul l’homme pouvait améliorer un calcul, un algorithme ou encore la séquence, le procès d’une machine. Le calcul mathématique peut donc désormais assumer directement cet interface. Les mathématiciens utilisent souvent une analogie : des algorithmes « apprenant », des « écorythmes » tandis que la nature déploierait des « algorithmes naturels » adaptatifs et évolutifs. D’autres en restent à l’image moins équivoque d’une machine, en droite ligne de Turing.

Une analogie plus ou moins osée n’invalide pas un calcul mathématique. Dans tous les cas, tout est « mécanique » selon des lois élémentaires. Ni l’algorithme humain, ni ceux de la nature ou de la machine de Turing ne sont considérés comme intelligents. Aucun calcul n’a de raison(s) ou de déraison(s) sinon celle(s) de l’homme. Ils sont mécaniques bien que leurs résultats soient possiblement et délibérément indéterminés.

Cette révolution permet d’affronter :
1. Des problèmes de type jeu de GO. Une réalité bornée totalement connue : les lois, le nombre des pierres blanches et noires et les dimensions de son plateau, le nombre de joueurs... Pourtant, il est impossible à l’échelle humaine et d’une machine de prévoir tous les cas de figure. Le calcul doit s’améliorer par lui-même non pas la précision en soi du calcul, mais son efficience. Etre PAC dans le jeu de Go, c’est proposer à l’occasion de chaque partie, de chaque nouvelle situation de jeu, un coup qui mènera avec le moins de doute possible, probablement à la victoire finale...
2. Jusqu’à des mondes plus ou moins grands ou petits, dont on ne connaît pas tout et ni vraiment toutes les lois, voire aucunes et ces mondes peuvent même évoluer. Dans cette situation, la machine délivre aussi un résultat PAC, « sans doute suffisamment acceptable ».

La révolution du calcul permet un calcul empirique mécanisé auto-adaptatif - c’est le maitre mot - pour des résultats satisfaisants au regard des hommes dans leur contexte ! Cette révolution ramène aux forgerons d’autrefois. Ils voulaient du fer plus résistant. Ils apprirent empiriquement à fabriquer l’acier satisfaisant sans rien connaître, ni anticiper en intelligence la chimie du carbone et les atomes. Développer du savoir-faire n’est pas faire science mais peut suffire au besoin du moment. Avec Turing et Wiener le calcul mathématique se lie à la science des automates et à l’empirisme : Avancée majeure parfois jugée régressive !

Un automate se caractérise par sa séquence, son processus incrémental, au fil des évènements. La séquence d’un automate relève d’un graphe, un graphe relève d’un calcul. Un calcul est un graphe.... Un calcul est un automate qui s’ignore. Un automate, un calcul qui s’ignore. Les horloges mécaniques comptent en effet les heures. La machine de Turing peut être vue comme un automate ou comme un calcul, un algorithme lui-même longtemps considéré comme simple méthode. Avec Turing, la méthode devient l’objet d’une discipline scientifique. Invraisemblablement universelle, la machine de Turing peut calculer, simuler toute les machines d’aujourd’hui et à venir. Qu’importera leur technologie...

La machine de Turing est souvent présentée comme une machine à calculer qui se programme. Wiener présentera de même la cybernétique à partir d’un problème de DCA qui se résout par un dispositif physique programmable. L’homme est un être d’action qui autant que possible se projette, calcule auparavant ! Mais du point de vue de la révolution du calcul, il y a deux manières radicalement pures de considérer les choses ! Tout calcul peut être vu comme algorithme ou séquence d’un automate, en totale équivalence. Au choix du « regardeur ». Et cela vaut dans les mondes réels. La convergence de l’automatique, des télécommunications, de l’informatique est inscrite dans la révolution du calcul, plus que dans l’électronique.

Reste que la machine universelle de Turing ne peut relever de la seule sphère des mathématiques. Une machine « purement virtuelle » est opératoire mais pas opérationnelle. Un objet réel, extérieur à l’homme, doit être produit et mis en œuvre. De là une branche spécialisée des mathématiques : science-industrie-technologie inséparables (comme le cerveau et la main). L’informatique. Une science et une technologie de l’intelligence pour deux manières de voir et faire calcul, en toute équivalence théorique. Mais « Le regard par l’automate » rappelle que les réalités résistent car des forces y sont en rapport.

Quand le physicien calcule l’effet d’un levier, il sait le rôle de proportionnalité que jouent les longueurs à l’égard des forces qui s’exercent de part et d’autre du point d’appui. Le « regard par les algorithmes » masque cette réalité. Dans la multiplication A X B = C. A peut « être ou ne pas être » force, mais pour un A et un B donnés, C est obligé. Le contexte n’a pas droit de cité, y compris ce qui a quantifié A et B - la nature ou le travail de l’homme qui font que A et B restent différents du A et B donnés. Ce contexte excepté, tout est donné au sens fort du terme : La notion d’information se fait emblématique. Alors il peut y avoir quelques généralisation hâtives. Pour faire image à partir de ce qui a été précédemment développé, l’information emblématique peut amener à certains retours au « Verbe » qui se prétend au début.

A quelques réalités singulières ou marginalistes près disent alors certains et quelle que soit sa nature, l’information serait devenue si essentielle, si peu couteuse à produire et à reproduire, si disponible à un usage sans fin, sans usure, pour ne pas déjà être et à faire de plus en plus commune, partageable et inappropriable. Elle ouvrirait sur un monde de nouvelles égalités et coopérations, un monde possible, nécessaire, déjà là, où tout le monde aurait moyen d’agir, à égalité. Les échanges d’informations entre les machines, entre les hommes et les machines, entre les hommes par la médiation des machines seraient révolutionnaires en eux-mêmes. En pratique les informations de la révolution mathématique sont instructions (logiciels), données ou « messages ». Car il faut les distinguer pour de contingentes raisons pratiques ! Le regard par l’algorithme et l’information se dissout immédiatement à la moindre confrontation avec la réalité commune. Comme la mécanique quantique devant la mécanique classique.

Wiener a raison : L’information n’est ni matière, ni énergie quand le contexte est ignoré. Shannon aurait pu le contredire à bon droit. L’information échangée est, et énergie et matière au titre de E = MC2 et de singularités énergétiques naturelles ou fabriquées par l’homme ! De même Kolmogorov ! Tout algorithme exige puissance de calcul pour être pensé, compris, partagé, fait commun, puis servir : un besoin d’énergie et de matière. La thermodynamique fait la synthèse ! L’information est de l’ordre quantifiable dans le désordre de mondes d’énergie et de matière. Cette information n’est universelle qu’à ce niveau d’abstraction. Elle ne se généralise pas sans risques à toutes les disciplines. Elle est celle de la branche des mathématiques - l’informatique - qui rend la révolution du calcul opérationnelle à partir d’une mesure quantitative du monde, dans une civilisation du calcul et de sociétés de la donnée.

Au quotidien, l’informaticien rétrécit son regard et le monde à l’information. Facile et trompeur regard car toute réalité a la force en elle. Y compris en économie, en politique, et dans le travail. Combien de calculs, d’enjeux, d’intérêts à contextualiser ? Qui et à quel titre décide des finalités pour lesquelles la révolution du calcul est mobilisée ? Pour les intérêts et les besoins de qui ?

A partir du XIXe, l’homme de la machine instrumentalisant les lois de la nature a changé le travail de dimensions, donc les orbites de la vie, de la cité, du politique.. L’homme de la machine instrumentalisant les lois humaines du calcul ouvre une nouvelle ère au travail. La vie, la cité, le politique prendront de nouvelles trajectoires, sur fond de querelles humaines n’ayant pas été ou mal été tranchées durant l’ère de la révolution industrielle. Ces querelles s‘en aiguiseront d’autant. Les lois du calcul n’ont pas plus de pouvoir sur cet épineux enjeu que les lois de la nature. Mais les hommes qui feront révolution politique en hériteront. Autant qu’ils s’y forment.

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