l’insurrection qui vient... et ne vient pas ? Le grand retournement... de Gérard Mordillat

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Vu au cinéma Gérard Philipe de Vénissieux dans le cadre du festival Hors-Cadre, le film Le Grand Retournement de Gérard Mordillat, d’après la pièce de Frédéric Lordon, D’un retournement à l’autre, comédie sérieuse sur la crise financière.

Si vous ne l’avez pas encore vu, courez-y ! C’est un grand moment de sourire et de rencontre pour réfléchir ensemble.

Je vous assure, en sortant, on cherche un mot de plus pour faire alexandrin "La bête aux douze pieds qui marche sur la tête."

Une belle soirée, d’humour, d’éclats de rires
Toute en alexandrin d’espoir et de question
De colère partagée, d’intelligence vive
Elle vient ou ne vient pas, l’insurrection ?
 
Ce jeu de la finance, où banquiers, présidents
nous rejouent tous encore et toujours leur foire
redonnant de vieux rôles à de nouvelles dents
Derrière ce théâtre, d’où viennent ces pouvoirs ?
 
Ouvriers, paysans, ingénieurs, enseignants
Ne sont-ils debout que dans les mouvements ?
Et l’argent, ce crédit qu’ils nous disent créer
N’est-ce pas contrepartie de travail exploité ?
 
Les places et les rues en manifestation
Ne sont que des moments de démonstration
De nos capacités d’organisation
Pour révolutionner après l’insurrection
 
Si ces vers sont bien lourds de répétition
C’est qu’un peuple debout, dans la rue, menaçant,
S’il n’est que multitude est vite gémissant
Sous le fracas des armes de domination
 
Organisé, il est souverain, dirigeant
Du quartier à l’usine, l’école, l’atelier
Il est alors uni, indomptable, voyant
Jusqu’à cet Élysée qu’il devra démonter !

L’argument du film...

C’est la crise, la bourse dégringole, les banques sont au bord de la faillite, le crédit est mort, l’économie se meurt… Pour sauver leurs mises les banquiers font appel à l’État. L’État haï est soudain le sauveur ! Les citoyens paieront pour que le système perdure, que les riches restent riches, les pauvres pauvres. Adapté de la pièce de Frédéric Lordon cette histoire d’aujourd’hui se raconte en alexandrins classiques. C’est tragique comme du Racine, comique comme du Molière…

Rue89 Strasbourg pose en vers la question

Pourrait-on s’en servir d’outil pédagogique
Pour contester l’argent aussi hégémonique ?
Ou illustrer ainsi ce qu’est la comédie ?
La salle est convaincue que la réponse est « oui ».

Visiblement, il n’y a pas que les spectateurs qui le pense. Le grand journal Le monde ne s’y trompe pas. Sa critique est acerbe, prend la forme de haut, cherchant douze poux dans les vers, et tente de ridiculiser l’analyse critique du capitalisme, nommé directement et clairement dans le film. Ce qui est frappant, c’est que le Monde se montre dans cette critique sans fard comme l’outil de défense du cœur de ce système, le régime présidentiel et donc ce président que le film ridiculise effectivement, caricature utile de ce sarkosysme malheureusement prolongé par Hollande

Adaptant la pièce de Frédéric Lordon, c’est en alexandrins que Gérard Mordillat choisit de parler de la crise. Dans un décor post-apocalyptique (une usine désaffectée d’Aubervilliers), les banquiers en costume débattent et déambulent sans grande avancée, sans idée forte. La crise paralyse. Seul le petit président, dont on peine à savoir s’il est naïf, cynique ou simplement crétin, demeure insensible à son souffle.

Le concept est original, le casting intéressant sur l’ensemble : il est néanmoins difficile d’envisager que la propension du chef de l’Etat à crachoter l’alexandrin, douloureuse à l’oreille, puisse être autre chose qu’une maladresse.

L’incompétence à scander comme métaphore de l’incompétence à gouverner ? La lecture est douteuse. Même bien dits, rimes et rythmes peinent à cacher la vacuité d’un discours somme toute très banal, dont la mise en scène dépouillée accuse le manque de caractère. Quoi de nouveau sur la crise ? Rien en alexandrins, certainement rien de mieux qu’en prose.

Car cette pièce qui nous montre la connivence de la Finance et de l’Etat se conclue par l’incroyable espoir de ces grandes manifestations (1995, 2003, 2009, revécues dans ces grands meetings de 2012) dont tant de militants ont le fol espoir qu’elles pourraient se poursuivre, se renforcer, se gonfler jusqu’aux marées humaines qui renversent tous les pouvoirs... J’ai pensé à la fin du film quand le conseiller du président lui dit "fuyez" qu’on pouvait ainsi répéter cette maxime de la culture révolutionnaire Française "une révolte sire, non une révolution..."

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Et toute la question du film est là... Certes, nous savons, les banques savent, l’état sait qu’il y aura des révoltes, et ils sont prêts à accepter les plus violentes, ils s’y préparent, ils ont tout l’attirail, toute l’expérience accumulée de la bourgeoisie depuis des siècles pour les contrôler, les retourner, les écraser...

Mais ces révoltes peuvent-elles se transformer en insurrection, en révolution ?
Le choix du mot insurrection n’est pas neutre, l’insurrection bouscule, détruit... Mais renverse-t-elle ? révolutionne-t-elle ? Quel système nouveau les forces insurrectionnelles sont-elles capables de construire ?

Il faudrait un deuxième film qui serait centré sur ce qui se passe en face, du coté du travail. Car si derrière la concurrence, les banquiers, comme tout capitaliste, savent trouver l’unité de leur classe, et asservir l’état à leur intérêt, la question est beaucoup plus difficile pour le camp du travail ! Les conditions de l’unité au niveau où l’exige une insurrection qui devient révolution sont difficiles... entre précaires et statutaires, public et privé, ouvriers et enseignants, jeunes et retraités, urbains et ruraux, français et immigrés...

C’est pourquoi j’ai tenté ces quelques vers introductifs sur l’organisation... la clé d’un peuple debout !

En tout cas, le film a généré beaucoup d’alexandrins sur internet, je vous en livre un exemple qui évoque les acteurs et les rôles sur le blog de Jean-Emmanuel Ducoin

Élie Triffault, c’est clair, fait ici son Hamlet.
Il marche sur des œufs. Est-il rusé ou bête ?
Ce jeu qu’il tient en main, dont il bouge le stick,
C’est bien évidemment le crâne de Yorick !
Quant à Patrick Mille, mais vous l’aviez compris,
C’est Ruy Blas s’enquérant de certains appétits !
Contrairement à d’autres, sans morceau de bravoure
Pour se mettre en valeur, il fallait qu’il recoure
À un jeu retenu, froid et déterminé,
Et soit en harmonie avec le texte joué
(Intellectuellement et politiquement).
Il l’a fait sans faillir et formidablement !
Jacques Weber est, lui, statue du Commandeur,
Pater, Barbin, horreur, un duo d’étrangleurs,
Thibault campe Lago, et Franck l’ecclésiastique,
Benjamin, l’écureuil qui saute à l’élastique.
Si Morel est Tartuffe, Baer est… l’extraterrestre.
S’agissant du beau sexe, il manquait à l’orchestre…
Aussi, j’ai modifié (j’aime trop les actrices)
Deux rôles masculins – et ce n’est que justice
Pour Odile Conseil et la reine Christine
(J’entends : la Murillo !) Elles y sont divines.
Christine froufroutante, Odile irrésistible
À déclarer sans rire la presse incorruptible.
Nous sommes au théâtre et c’est du cinéma,
Habile fantaisie qui nous laisse baba !

Et u n extrait du texte de la pièce pour vous donner envie d’y aller...

ACTE III, scène 2

 
Le bureau du président de la République, les banquiers — tout juste rescapés du désastre par l’intervention de l’Etat. Et au milieu d’eux un conseiller un peu particulier, voix improbable de la critique du système au cœur du système.
 
Le banquier
 
Monsieur le Président, votre haut patronage
Nous offre l’occasion de multiples hommages.
A votre action d’abord qui fut incomparable
Et victorieusement éloigna l’innommable.
Mais à votre sagesse nous devons tout autant
La grâce que nous vaut le parfait agrément
De vous entretenir et d’avoir votre oreille,
Pour éloigner de vous tous les mauvais conseils.
 
Le quatrième banquier
 
Nous savons le courroux qui saisit l’opinion,
Tout ce que s’y fermente, toute l’agitation.
Nous entendons la rue rougeoyant comme forge
Vouloir nous châtier, nous faire rendre gorge.
Le peuple est ignorant, livré aux démagogues,
Outrance et déraison sont ses violentes drogues.
Il n’est que passion brute, impulsion sans contrôle,
Un bloc d’emportement, et de fureur un môle.
 
Le troisième banquier
 
Mais nous craignons surtout que des opportunistes,
Sans vergogne excitant la fibre populiste,
Propagent leurs idées, infestent les esprits.
Ils ne nous veulent plus que raides et occis.
Même les modérés sont assez dangereux.
Incontestablement ils semblent moins hargneux,
Et s’ils n’ont nul projet de nous éradiquer,
Ils ne veulent pas moins nous faire réguler...
 
Le banquier
 
Il ne faut rien en faire, monsieur le Président,
La chose n’aurait que de grands inconvénients.
A-t-elle en apparence le renfort du bon sens ?
Elle n’en est par là que plus grande démence.
Le marché, de la crise, doit sortir raffermi,
Certes il connaît parfois quelques péripéties,
Mais toute la nature est sujette à des cycles,
Il n’y a pas là de quoi édicter des articles.
Qui voudrait s’opposer au retour des saisons,
Empêcher des planètes la révolution ?
Aux marchés nous devons ce genre de sagesse,
A ses fluctuations il faut que l’on acquiesce.
Réguler, c’est contrarier l’ordre naturel
Dont tout l’agencement est si providentiel.
Certes ses variations parfois nous déconcertent,
Il faut les accepter et qu’elles soient souffertes,
Car c’est fort peu de chose, j’ose dire presque rien
Comparé aux merveilles, aux innombrables biens
Que le marché dispense par ailleurs sans compter.
C’est cela, Votre Altesse, qu’il nous faut préserver.
 
Le deuxième banquier
 
Certes, Votre Grandeur, une crise a eu lieu,
Mais pour autant faut-il en déformer l’enjeu ?
Il n’y a eu qu’anicroche, à peine un incident,
Voyez comme à nouveau nous sommes bien portants !
N’est-ce pas là la preuve et l’évidence même
Qu’il ne faut surtout pas modifier le système ?
 
Le troisième banquier
 
Monsieur le Président, considérez aussi
Tout ce que la finance offre à l’économie :
Diriger le crédit, allouer le capital,
Nous faisons circuler son fluide vital.
Toutes nos inventions ont pour finalité
De lui donner toujours plus d’efficacité.
Nous n’avons donc en vue que l’intérêt commun,
Et ne pensons jamais qu’à nos concitoyens.
Pour leur grand avantage et leur satisfaction
Il faut nous laisser faire, c’est comme une mission.
Nous nous en acquittons avec grand enthousiasme.
C’est la régulation qui conduit au marasme.
 
Le nouveau deuxième conseiller au troisième conseiller
 
La mission, l’enthousiasme et l’intérêt commun :
Ne sont-ils pas touchants, nos bons Samaritains ?
Ah ! le joli spectacle, les merveilleux acteurs,
On les croyait arsouilles, ils sont nos bienfaiteurs...
Plus c’est gros, plus ça passe, pourquoi se retenir,
Puisque dans les palais il s’en trouve pour ouïr
De pareilles fadaises, de ces énormités ?
Un moment de recul, je peux bien vous l’avouer,
Pourrait presque m’induire à de l’admiration :
Leur culot, leur audace, leur désinhibition
Portent à son plus haut la marque d’une époque
Où il n’est quelque chose que les puissants ne moquent :
Ni la réalité, ni les faits d’évidence,
Moins encor’ la bonne foi, pas plus que la décence.
Cyniques ou crétins ? C’est toute la question.
Une aimable réplique répond à sa façon
En disant de ces gens qui n’ont aucun arrêt :
A ce qu’ils osent tout, là on les reconnaît.
 
Le deuxième banquier
 
Altesse, vous savez notre amour du public
Et notre permanent souci démocratique :
Nous ferons face à nos responsabilités,
Mais plutôt qu’à quelques imprudentes réformes,
Nous croyons bien meilleur d’en appeler aux normes,
Non celles de la loi mais celles bien plus hautes
Auxquelles nous devons la prévention des fautes :
Je pense à la morale, à ses devoirs sacrés,
Qui des textes se passe pour se mieux conserver
Au fond de la conscience, ce parfait tabernacle,
D’où émanent sans cesse ses étonnants miracles.
Tous ici rassemblés en ce jour solennel,
Nous voulons de l’éthique affirmer le modèle.
Lois et régulations sont toutes oppressives
Quand les forces de l’âme sont bien plus décisives.
Où la législation est par soi haïssable,
Les élans de conscience sont vraiment admirables.
Si le marché ne veut pas la régulation,
Il appelle en revanche la moralisation,
Nous nous y engageons comme dans un défi !
 
Le nouveau deuxième conseiller
au troisième conseiller
 
Quel historien dira la palingénésie,
Et la forme bancaire de l’éternel retour ?
Récurrence des crises, constance des discours :
Le système est parfait, il n’y faut point toucher,
Le mal vient de ce que des fâcheux ont fauté,
Mettons-les à l’index, rappelons la morale,
Un zeste de principe, un soupçon d’eau lustrale,
Et nous voilà armés pour la prochaine fête.
Avez-vous la mémoire de la bulle Internet ?
Leurs promesses d’alors et celles d’aujourd’hui
Rendent le même son de la palinodie.
Le véritable cycle n’est pas celui qu’ils disent,
C’est celui des mots creux dont ils se gargarisent.
 
(désignant le président)
 
Voilà une matière où celui-là excelle :
Les paroles en l’air, les propos en nacelle ;
Car il n’aime rien tant que les poses martiales,
Celles qu’on acquitte en fausse monnaie verbale.
Voyez comment il va leur emboîter le pas...
 
Le président
 
J’ai décidé, Messieurs, de mettre le holà
Aux mauvaises pratiques et aux excès coupables.
D’une forte parole que je veux mémorable
J’énonce les principes, et je dis la doctrine :
En haut de la vertu je veux que l’on culmine.
A compter de ce jour le monde s’y pliera
Car ces choses auront été dites par moi.
Ayant réglé la crise au plus fort de l’urgence,
Je préviens maintenant toute autre turbulence,
Tout en réaffirmant que le capitalisme
Est comme le soleil de notre héliotropisme :
Nous ne devons jamais laisser de nos orbites
Déformer l’elliptique, altérer le zénith.
 
(ravi)
 
Voyez un peu comme ces mots miraculeux
D’un tout soudain inspir me descendent des cieux !
J’ai mes glossolalies, mes Pentecôtes à moi,
Je peux prophétiser et puis dire la loi.
Ici je dis qu’il faut observer la vertu,
Le capital est bon quand par elle il est mû.
Son ordre spontané est quasiment parfait,
De la morale en plus et il l’est tout à fait.
Messieurs les conseillers, arrivez par ici,
Je veux faire un discours qui marque les esprits,
Choisissez-moi un lieu propice à ovation,
Envisagez le Sud, et pourquoi pas Toulon.

Frédéric Lordon

Economiste. Ce texte est extrait de son livre D’un retournement l’autre. Comédie sérieuse sur la crise financière, en quatre actes, et en alexandrins, Seuil, Paris, en librairies le 5 mai 2011.

Voir en ligne : sur le blog de Jean-Emmanuel Ducoin, une interview de Mordillat en vers...

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