La coopération italo-chinoise et l’alternative du diable
de Francesco Maringiò
Les complexes négociations commerciales sino-américaines traversent une période non turbulente mais néanmoins marquée par des difficultés objectives : trop de distance sépare les avertissements américains des concessions que la Chine est prête à faire sans pénaliser son développement et il devient trop difficile de contenir l’impact de la guerre sur la 5G (qui fait partie des négociations mais qui concerne aussi d’autres aspects stratégiques) aux Etats-Unis et en Europe. Aussi difficile que cela puisse être, on ne peut exclure qu’un accord soit encore possible. Mais il y a beaucoup d’économistes qui observent comment le ’ grand accord ’ mettrait l’Europe en échec, resserrée dans une alliance entre les deux superpuissances et incapable de se tailler un rôle dans le commerce international.
C’est sur cette prémisse que doit être jugée la signature d’un protocole d’accord entre l’Italie et la Chine lors de la visite d’Etat du Président chinois, qui débutera officiellement à 22 heures par la rencontre avec le Président de la République Sergio Mattarella. Parce que face au risque réel d’échec des négociations, il est absolument nécessaire de construire une politique étrangère souveraine pour le pays et capable de protéger ses intérêts économiques et géostratégiques. Pour ce faire, un accord-cadre avec la Chine et les économies émergentes est indispensable, faute de quoi le pays fera l’objet d’un chantage, ce qui aggraverait encore la situation déjà précaire de l’économie italienne et de la zone euro elle-même. En effet, face à la possibilité pour l’Italie de rejoindre le club des pays de la Belt and Road Initiative (BIS), les Etats-Unis ont mis en place une stratégie très forte de chantage. Si l’Italie devait signer, elle s’exposerait, selon des sources américaines, à une coopération commerciale, économique et militaire et à des représailles en matière de renseignement ; si, en revanche, elle décidait de retirer l’accord avec Pékin, l’alternative serait en tout cas de maintenir un cadre de subordination avec Washington, à payer à un prix élevé. L’exemple de la guerre contre la 5G est, de ce point de vue, paradigmatique : l’Italie est poussée à renoncer à la modernisation technologique à travers les infrastructures chinoises disponibles aujourd’hui sur le marché, en attendant une technologie américaine qui n’existe pas encore et qui, à l’avenir, sera certainement plus chère que celle de Chine. Le choix est clair : si vous concluez l’accord, vous vous exposez à des représailles, si vous le supprimez, vous n’obtenez rien en retour, sinon le maintien du statu quo fondé sur des accords injustes et une relation de subordination absolue. Tertium non datur.
Pour ces raisons, la décision du gouvernement de confirmer la signature du Mémorandum ne représente certainement pas une stratégie de sortie du cadre de conditionnement atlantique et de l’OTAN, mais elle esquisse au moins une façon de créer les conditions pour attirer l’excédent chinois en termes d’investissements directs à court terme et jeter les bases d’une politique étrangère qui rompe avec le chantage que Washington et, pour diverses raisons, Bruxelles tentent d’imposer à notre pays.
Il est intéressant de noter que le ’parti contre le mémorandum’, qui a bénéficié d’une grande couverture médiatique et du soutien politique de la Ligue au gouvernement et pour l’opposition du Pd et de Forza Italia, a presque exclusivement utilisé l’argument de la non coopération avec Beijing car il favorise un projet hégémonique. Ils ont ensuite fait valoir qu’en tout état de cause nous ne pouvions pas signer le mémorandum, sans demander au préalable la permission de notre ’propriétaire’, les États-Unis (au sujet de l’hégémonie...).
Qui sait ce qu’ils diront aujourd’hui, après avoir lu la lettre que Xi Jinping a confiée aux pages du Corriere della Sera et qui fournit la clé d’interprétation de la diplomatie et des régions chinoises pour son fort investissement dans notre pays. Il s’agit d’un texte rédigé dans une perspective très claire : l’Italie et la Chine ne sont pas appelées à se mettre d’accord sur une série de dossiers économiques et commerciaux. Non seulement ça, au moins. Les deux pays sont appelés à respecter leur longue histoire millénaire qui les place, pour reprendre les termes de Xi Jinping, comme ’ emblème de la civilisation orientale et occidentale ’, étant donné qu’’ ils ont écrit certains des chapitres les plus importants et significatifs de l’histoire de la civilisation humaine ’. Leur relation, même la Route de la Soie elle-même, n’est donc pas née aujourd’hui, mais a ses racines dans l’époque de l’Empire romain, pour vivre ensuite des occasions spéciales qui ont fait l’histoire des relations entre les deux pays. Marco Polo arriva à la cour du Khan avant que Christophe Colomb ne découvre les Amériques, Matteo Ricci devint mandarin pour gagner la confiance des Ming et Prospero Intorcetta traduisit Confucius en latin et ouvrit une importante fenêtre de connaissance sur la philosophie orientale dans l’Ouest. C’est à cette histoire que le président chinois se réfère lorsqu’il parle des relations entre son pays et l’Italie, en s’appuyant fortement sur la grande histoire de l’Italie et en citant, entre autres, Dante, Virgile, Moravie et la synologie italienne.
Mais le passage clé du discours du Président chinois est probablement le suivant : ’Face aux évolutions et aux défis du monde contemporain, les deux pays font appel à leur précieuse et longue expérience et imaginent ensemble des scénarios intéressants capables de créer un nouveau modèle de relations internationales fondé sur le respect mutuel, l’égalité et la justice et la coopération d’intérêt mutuel, pour construire un avenir commun d’humanité’. L’histoire du ’nouvel ordre mondial aux caractéristiques chinoises’, tel qu’il a été méprisé par les opposants à l’accord italo-chinois, ou la rhétorique de l’hégémonie de Pékin est brisée sur les rochers du pacte stratégique que la Chine offre à l’Italie, de construire un nouveau modèle de relations internationales qui ferme définitivement l’unilatéralisme en vogue après la chute de l’URSS et pose les jalons pour une coopération entre nations du monde égales. L’égalité, la justice et la coopération sont des valeurs universelles qui ont leurs racines dans les idéaux de la Révolution française et que nous ne pouvons certainement pas ignorer.
Pour ceux qui continuent à voir la Chine comme l’ennemi principal et à l’écrire dans leurs propres documents stratégiques (Etats-Unis et UE) et pour leurs représentants italiens qui voudraient que le pays adopte une politique agressive envers Pékin ou dans une relation intereuropéenne privilégiée (qui n’existe pas, vu les intérêts divergents qui existent dans la zone euro), ou dans un cadre de coopération euro atlantique qui vise à briser l’axe russo-chinois et la coopération de Moscou dans un nouveau rideau de fer hostile à Pékin.
La politique italienne se trouve à la croisée des chemins : soit elle accepte ’l’alternative du diable’ et se lie au déclin de cette vision stratégique, soit elle renverse la table et affirme la nécessité d’une politique fondée sur la coopération et l’égale dignité entre nations. La signature du Mémorandum est le premier pas vers la deuxième voie, mais nous en sommes encore aux premières escarmouches d’un bras de fer qui marquera le futur proche.