La chute de l’URSS fut une tragédie pour l’humanité, mais pas la fin de l’histoire.

, par  Danielle Bleitrach , popularité : 0%

C’est dans le fond la conclusion de ma méditation de cette fin d’année 2025 à laquelletous les articles d’aujourd’hui renvoient : ne jamais accepter la défaite c’est ce qu’a simplement fait partager Fidel au peuple cubain, capable de l’entendre et de concrétiser ce qui sans lui ne serait qu’un vœux pieux. Le drapeau rouge est tombé non pas parce qu’il était obsolète, mais parce qu’il a été abandonné avant d’avoir pu être pleinement défendu, la vraie trahison consiste dans cette absence de rencontre entre des révolutionnaires et leur peuple, leur classe ouvrière, leur jeunesse . Mais ce drapeau non défendu est aussi resté dans le coeur et l’intelligence de ceux qui n’ont jamais été totalement abandonnés, sacrifiés aux médiocres ambitions, c’est précisément pourquoi sa signification perdure. La résistance qui aujourd’hui redevient « offensive » est le vrai bonheur, celui de l’authenticité qui permet de voir l’espoir d’aujourd’hui, qui n’est plus celui de hier. Tout le reste n’est que vanité et avidité jamais comblée. Et nous sommes de plus en plus nombreux à le percevoir. (note et traduction de Danielle Bleitrach histoireetsociete)

Par Nikos Mottas

Le 26 décembre 1991, lorsque le drapeau rouge fut abaissé du Kremlin pour la dernière fois, le monde n’assista pas seulement à la dissolution d’un État. Il fut témoin de la victoire de la contre-révolution – le triomphe temporaire du capitalisme sur la tentative historique la plus aboutie d’abolir l’exploitation et la domination de classe. La chute de l’ Union des républiques socialistes soviétiques ne marqua pas la fin d’une expérience « ratée », comme l’affirme l’idéologie bourgeoise. Elle fut l’une des plus grandes tragédies de l’histoire de l’humanité, précisément parce qu’elle interrompit un processus qui avait transformé la vie de centaines de millions de personnes et remodelé l’équilibre mondial des forces de classe.

Pendant la majeure partie du XXe siècle, l’URSS a été la preuve vivante que le capitalisme n’était ni éternel ni inévitable. Elle a aboli le chômage, garanti l’éducation et les soins de santé pour tous, éradiqué l’analphabétisme, industrialisé de vastes régions en un temps record, vaincu le fascisme au prix de pertes humaines effroyables et inspiré des mouvements révolutionnaires sur tous les continents. Son existence même a limité l’impérialisme, renforcé les luttes ouvrières à travers le monde et donné une réalité concrète à l’idée qu’un autre système social était possible.

La contre-révolution de 1991 a donc marqué bien plus qu’un simple réalignement géopolitique. Elle a signifié le retour du pouvoir capitaliste , la privatisation des richesses sociales accumulées par des générations de travailleurs et la descente aux enfers de millions de personnes, les plongeant dans la pauvreté, la précarité et la dégradation sociale. L’espérance de vie s’est effondrée, les inégalités ont explosé et la promesse de la modernité socialiste a cédé la place au pillage oligarchique. La tragédie était bien réelle, tangible et vécue.

Pour comprendre 1991, il faut se défaire de l’illusion commode selon laquelle tout se serait effondré subitement à la fin des années 1980. La contre-révolution n’était ni un accident, ni le simple fruit de pressions impérialistes extérieures. Elle était l’aboutissement d’un long processus de recul idéologique et d’érosion structurelle au sein même du socialisme.

Un tournant décisif s’est produit bien plus tôt, lors du XXe Congrès du Parti communiste de l’Union soviétique en 1956. Sous couvert de corriger les erreurs du passé, un besoin légitime de réflexion critique s’est transformé en quelque chose de bien plus dommageable : un rejet des principes marxistes-léninistes clés , et surtout de l’idée que la lutte des classes ne disparaît pas automatiquement sous le socialisme.

L’idée que le socialisme avait fondamentalement résolu les antagonismes de classe a engendré une dangereuse complaisance. La vigilance face à la résurgence des rapports sociaux bourgeois s’est affaiblie. La dimension révolutionnaire du pouvoir prolétarien a progressivement cédé la place à une conception administrative et technocratique de la gouvernance. Ce glissement idéologique s’est rapidement traduit dans la politique économique.

Peu à peu, les critères capitalistes furent réintroduits dans l’économie socialiste. Les indicateurs de profit, l’« autonomie » des entreprises et la place prépondérante accordée à la marchandise commencèrent à influencer les décisions de planification. Ce qui n’était autrefois que des instruments techniques subordonnés aux objectifs sociaux devint progressivement des principes directeurs . L’efficacité, la réduction des coûts et la compétitivité – concepts issus de la logique capitaliste – furent considérées comme des outils neutres plutôt que comme des catégories socialement chargées.

Ces changements n’étaient pas superficiels. Ils ont transformé les rapports sociaux eux-mêmes. Les échelons hiérarchiques ont accumulé un pouvoir informel, la technocratie s’est étendue et les inégalités matérielles, bien que toujours limitées, sont devenues plus marquées et socialement destructrices. Au sein de certains secteurs du parti et de l’appareil d’État, le socialisme a été perçu moins comme un processus révolutionnaire exigeant une lutte constante que comme un système à « optimiser » par des ajustements de type marché. Il ne s’agissait pas d’une réforme au sens socialiste du terme, mais de la relégitimisation progressive des normes bourgeoises au sein d’un cadre formellement socialiste.

Lorsque la perestroïka a émergé dans les années 1980, elle n’a pas introduit d’éléments étrangers dans un système déjà florissant. Elle a accéléré des tendances déjà présentes , transformant des concessions partielles en un démantèlement complet de la planification, de la propriété sociale et du pouvoir politique de la classe ouvrière. La contre-révolution a triomphé non pas parce que le socialisme était irréalisable, mais parce qu’il avait été systématiquement miné de l’intérieur.

Tout aussi cruciale – et souvent passée sous silence – est la question de savoir pourquoi la classe ouvrière soviétique n’est pas intervenue de manière décisive pour enrayer ce processus. La réponse ne réside ni dans l’apathie, ni dans la passivité, ni dans la trahison des masses. Elle réside dans leur désarmement politique et idéologique progressif .

Pendant des décennies, le socialisme a été vécu par les travailleurs avant tout comme une réalité stable, et non comme une conquête nécessitant une défense active. L’emploi, le logement, les soins de santé et l’éducation étaient garantis, mais la participation directe aux véritables prises de décision s’est progressivement réduite . Les syndicats ont de plus en plus fonctionné comme des organes administratifs et sociaux, au détriment de leur rôle d’écoles de lutte des classes et d’instruments du pouvoir ouvrier. Le fossé entre la classe ouvrière et les centres du pouvoir politique s’est creusé.

Dans le même temps, l’érosion de l’éducation marxiste a affaibli la conscience de classe. Si l’exploitation était officiellement déclarée abolie une fois pour toutes, la possibilité de son rétablissement paraissait inconcevable. Lorsque les rapports capitalistes ont commencé à réapparaître ouvertement, ils étaient souvent présentés non comme une contre-révolution, mais comme des « réformes », drapées dans le langage de la démocratisation, de la modernisation et de l’efficacité.

Cette situation a laissé la classe ouvrière organisationnellement fragmentée, idéologiquement désorientée et politiquement démunie . Le référendum de mars 1991 – où une nette majorité a voté pour le maintien de l’Union soviétique – a révélé un profond attachement populaire au socialisme. Il a cependant mis en lumière la contradiction centrale du moment : le peuple voulait l’URSS, mais n’avait pas les moyens de la défendre .

Il ne s’agit pas d’une condamnation morale des travailleurs soviétiques, mais d’une leçon historique d’une importance capitale. Aucune société socialiste, quels que soient ses accomplissements, ne peut demeurer stable si la classe ouvrière cesse de fonctionner comme une classe dirigeante consciente et organisée.

Au lendemain de 1991, des idéologues triomphants proclamèrent la « fin de l’histoire ». Le capitalisme, nous disait-on, avait prouvé qu’il était la forme ultime et naturelle de la société humaine. Le socialisme appartenait au passé. La réalité a rendu cette affirmation absurde.

Depuis 1991, le capitalisme n’a pas engendré l’harmonie, mais une crise permanente : effondrements financiers, guerres sans fin, destruction de l’environnement, creusement des inégalités et normalisation de la précarité pour des milliards de personnes. Les contradictions mêmes que Marx analysait au XIXe siècle se manifestent désormais à l’échelle mondiale. Le travail est plus exploité que jamais, la richesse plus concentrée et la démocratie plus fragile que jamais.

Dans une perspective marxiste-léniniste, la chute de l’Union soviétique ne constituait pas un verdict historique contre le socialisme, mais une défaite temporaire dans une lutte de longue haleine . Le socialisme n’est pas un monument érigé une fois pour toutes ; c’est un mouvement, un processus, une forme de pouvoir de classe qui doit être exercée et défendue consciemment.

L’expérience de l’URSS – ses réussites comme ses échecs – demeure une source d’enseignements irremplaçable. Elle nous enseigne la nécessité de la planification, du pouvoir prolétarien, de la clarté idéologique et d’une vigilance constante face à la résurgence des rapports capitalistes. Ces leçons ne sont pas obsolètes. Elles sont plus que jamais d’actualité dans un monde qui, une fois de plus, recherche des alternatives.

L’histoire ne s’est pas arrêtée en 1991. Elle a rebondi, s’est réorganisée et est entrée dans une nouvelle phase. Tant que l’exploitation persistera, tant que le travail sera subordonné au profit, les conditions qui ont engendré la révolution socialiste continueront de se développer. Les nouvelles générations, façonnées non par les mythes de la Guerre froide mais par la réalité capitaliste vécue, remettent déjà en question le système dont elles ont hérité.

Le drapeau rouge est tombé non pas parce qu’il était obsolète, mais parce qu’il a été abandonné avant d’avoir pu être pleinement défendu . Et c’est précisément pourquoi sa signification perdure.

La contre-révolution a marqué la fin d’un chapitre, mais pas celle de l’histoire. La lutte pour le socialisme est loin d’être terminée. Et l’histoire, loin d’être achevée, est encore en marche.

* Nikos Mottas est le rédacteur en chef de In Defense of Communism. 

Voir en ligne : le site « in defense of communism »

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