Front de Gauche : Est-il possible d’aller vers un Front Populaire ?

, par  pam , popularité : 3%

Le succès des meetings organisés par le Front de Gauche pour la campagne des présidentielles fait événement, mais pousse d’autant plus à s’interroger sur la suite, les conditions de mobilisation populaire après l’élection, le rapport de forces dans les luttes qui sont indispensables pour qu’une majorité de gauche engage une politique de rupture, mais qui sont encore plus indispensable si une telle politique de rupture était menée, compte tenu des résistances acharnées, de la guerre sociale, économique, idéologique, médiatique qui serait alors organisée par la bourgeoisie, le Medef et tous ceux qui sont les gagnants du capitalisme sans frein d’aujourd’hui.. et ils sont nombreux !

Dans ce contexte, les décisions que prendront les communistes, leurs députés à la prochaine assemblée, leurs dirigeants qui seraient sollicités pour un éventuel gouvernement de gauche, et tous ensemble à leur prochain congrès seront déterminantes. Comme depuis des années, la question de la nécessité ou non du parti communiste sera posée, ce que font déjà ceux qui proposent de transformer le Front de Gauche en parti politique.

C’est avec cette question cruciale en tête que, comme beaucoup de communistes, je poursuis la bataille pour faire vivre et renforcer le PCF, en décidant d’utiliser le vote Mélenchon comme porteur de l’exigence de virer Sarkozy, de faire reculer Le Pen et d’engager une vraie rupture politique, tout en mesurant les illusions, électorales, politiques, sociales qui s’expriment dans ce vote et la dureté des combats qui s’ouvriront après les élections, quelque soit son résultat, même extraordinaire.

Tentons de comprendre comment le vote des présidentielles et législatives va influencer sur ces rapports de forces.

Comment organiser les luttes pour le changement ?

Si le besoin de virer Sarkozy était et reste le fait dominant de cette période électorale, à la différence de 1981, le peuple n’attend pas de miracle de la gauche telle qu’on l’a connue, de la gauche que représente le candidat socialiste. Et chacun sait bien que la guerre menée contre les peuples, symbolisée par l’agression sauvage contre le peuple grec, cette guerre utilisant l’arme de destruction sociale massive que représente la « dette », cette guerre qui s’attaque contre le peuple espagnol ces derniers jours, cette guerre se déchaînera sur le peuple Français dès cet été. Le contrat de 6 mois proposé par Sarkozy pour « sauver » le site pétrolier près de Rouen est tout un symbole, la « trève » électorale [1] n’est bien que provisoire. Quel que soit le résultat des présidentielles et législatives, la France sera confrontée aux exigences de l’Union Européenne, des marchés, du patronat, du secteur bancaire, qui exigeront une réduction accélérée des dépenses publiques. Certains se souviennent des pressions politiques et économiques qui ont conduit Mitterrand au « tournant de la rigueur » en 1983. Mais en 2012 ce sera puissance 10, à la hauteur de cette crise systémique dont le capitalisme ne peut se sortir que par la guerre totale [2].

Le programme partagé porté par Mélenchon met en avant des revendications qui veulent ouvrir une perspective politique au mouvement social qui s’est exprimé sur le CEP, la recherche, les retraites, l’école, mais qui faisait face à la violence d’une droite décomplexée...

Mais il y aurait une illusion terrible, notamment pour les syndicalistes et militants associatifs de penser qu’une majorité de gauche, dynamisé par un Front de Gauche au plus haut, ferait disparaître par décision gouvernementale ce mur de l’argent contre lequel les grèves et manifestations se sont heurtées toutes ces dernières années !

Car, on sent déjà comment la droite, et avec elle, toutes les forces « gouvernementales », y compris des écologistes, toutes les forces « pro- européennes », utilisent la crise comme outil de division pour opposer les revendications sur les salaires aux inégalités, opposer salariés à contrat avec précaires et chômeurs, opposer les dépenses publiques aux dures conditions de travail du secteur productif... C’est ce que symbolise Sarkozy parlant du peuple, Bayrou parlant de l’industrie. Une telle bataille, décuplée après les élections, deviendrait une véritable guerre sociale tous azimut en cas de rupture politique, et poserait au mouvement social la même question qu’en 2009 : comment élargir toujours plus le rassemblement populaire jusqu’à le rendre irréversible ? Mesurons bien l’ampleur de ce qui est à faire. Passer des 3 millions de manifestants de 2009 à 5,10, 15 millions de manifestants ! Or, Jean-Luc Mélenchon aura mobilisé sans doute 500 000 personnes, ce qui est énorme pour les campagnes politiques depuis 30 ans, mais encore très insuffisant pour une véritable insurrection citoyenne. D’ailleurs en dehors des grands meetings fortement médiatisés, chacun peut constater que la campagne de terrain est très proche des précédentes, et dans mon expérience confrontée autant à l’abstention et au vote utile qu’à l’espoir du changement ! Le campus de la Doua, lieu symbolique du premier grand meeting de Mélenchon reste presqu’insensible à la campagne électorale, peu d’affiches, peu de tracts, et mobilisation difficile malgré l’urgence d’agir contre la casse de l’université...

La leçon des mouvements forts mais sectoriels sur la santé, l’école, la recherche, la retraite... c’est qu’une condition essentielle est d’inscrire chaque revendication sociale dans sa cohérence avec toutes les revendications, c’est à dire à l’isncrire dans l’intérêt général de tout le peuple. Or, il peut y avoir contradiction entre des revendications. Le cas de l’entreprise Brandt à Lyon, reprise par une coopérative ouvrière espagnole qui met en œuvre un plan de restructuration est illustratif, comme celui de cette bagarre devant le tribunal de commerce entre syndicalistes de deux sites industriels mis en concurrence. Mais le plus important est bien que la fracture sociale entre « inclus » et « exclus » pèse y compris sur le mouvement social. Au plus fort de la bagarre sur les retraites, chacun mesurait bien que la masse des précaires, chômeurs et des quartiers populaires ne faisaient pas de cette revendication leur propre bataille.

C’est le risque d’une lecture électoraliste du programme partagé, l’illusion qu’il suffira qu’un gouvernement l’applique pour que les problèmes se résolvent, comme si le cœur du rapport de forces n’était pas d’abord dans le peuple lui-même. L’appel à l’insurrection citoyenne tente d’agir contre ces illusions électoralistes, mais qui mesure réellement la capacité du peuple à ce mouvement dont il faut bien dire son nom, celui d’une révolution nécessaire ?

N’oublions pas la leçon chilienne. Si le coup d’état de Pinochet a finalement été décidé et organisé par la puissance US, il a été rendu possible par la situation sociale contradictoire marquée à la fois par les forces de soutien au changement, et par l’utilisation des contradictions sociales par la bourgeoisie pour diviser le peuple, ce que symbolisait la grève des transporteurs bloquant l’activité minière essentielle à l’économie chilienne. La leçon des mouvements sociaux récents est bien que nous ne sommes pas du tout prémunis contre de telles situations !

L’insurrection citoyenne, c’est s’engager dans une révolution !

- Oui, une des clés de l’augmentation massive des bas salaires, c’est la limitation des plus hauts salaires, mais c’est aussi un bouleversement dans la nature des activités économiques, des investissements massifs dans des secteurs industriels à reconstruire qui supposeront des réductions massives de dépenses dans d’autres secteurs, notamment liés aux choix de crise du capitalisme, de l’arme nucléaire au secteur publicitaire. Un tel bouleversement aura comme conséquence la création de milliers d’emplois, mais aussi la suppression de milliers d’autres. Si le bilan serait positif pour le peuple, il serait aussi la base sociale de la bataille que mènera la bourgeoisie, d’une ampleur dépassant largement celle du mouvement pour l’école privé en 1984.

- Le remboursement à 100% de tous les médicaments et soins utiles par la SECU, met en cause le fonctionnement actuel des mutuelles et leurs dizaines de milliers d’emplois, de leurs avantages acquis. Pour garantir le droit au médicament, il faut prendre la main sur leur production et distribution qui sont aujourd’hui guidé par le marché. Mais cela conduira à rationaliser le secteur pharmaceutique, cesser la production de « variantes » commerciales qui n’existent que pour créer un marché à forte marge, organiser la chaine logistique du médicament autour des centres de santé et sans doute des pharmacies, mettre en cause le packaging commercial... Ce sont là encore des dizaines de milliers d’emplois bouleversés...

- Devant le constat que la majorité des patrons sont aujourd’hui des rentiers, que ce capitalisme facteur historique de développement est aujourd’hui le capitalisme du désastre, le monde du travail est-il capable « d’entreprendre », de décider par lui-même où investir, comment, pour quel produit, dans quelles conditions de production, avec quelle efficacité économique, en assumant les enjeux de financement, d’équilibre de marché, de qualité des produits, dans un contexte mondial qui restera celui de la concurrence « libre et non faussée », de la guerre de tous contre tous ? Comment mettre en œuvre ce « droit de préemption » que met en avant avec raison le Front de Gauche dans un contexte ou la première revendication des salariés d’une usine restructurée est le niveau de leurs indemnités de licenciements ?

- Dans la crise de l’école où on mesure si souvent les tensions entre parents et enseignants, le poids d’une réelle fracture sociale qui se traduit par le phénomène massif de « l’évitement scolaire » d’un coté, et souvent le pré-étiquetage social des élèves par une école de plus en plus soumise aux critères quantitatifs de réussite individualisée, comment dépasser ces contradictions pour mobiliser autour de la transformation de l’école ?

Prenez le pouvoir ? Attention, il ne sera pas donné, et l’Union Européenne est son gardien !

Bref, le peuple doit prendre le pouvoir non pas pour revenir à ce qui se faisait dans les années 70, non pas pour défendre ses revendications locales ou sectorielles, mais pour jouer son rôle dirigeant dans une révolution politique, économique, industrielle, technologique...

Les mouvements sociaux des années 2000 ont tous buté sur la même difficulté, porter à partir des revendications sectorielles, un projet de société porteur de l’intérêt général de tout le monde du travail, du plus intégré dans le système au plus précaire. Cette fracture sociale qui rend la société Française de plus en plus violente est le principal défi pour aller vers un véritable Front Populaire. Ce ne seront pas la rencontre des manifestations socialistes et communistes qui en seront le fait marquant, mais la rencontre du mouvement social des entreprises, des fonctionnaires, des précaires et des quartiers populaires.

Ces contradictions seront exacerbées dans l’attitude face à l’Union Européenne. C’est de là que viendront des actions violentes contre toute mesure de rupture politique en France. Sanctions économiques, politiques, réglementaires qui pousseront tout gouvernement de gauche à la question de la « désobéissance européenne ». C’est une question qui divise à gauche, [3] entre ceux qui posent la question de la sortie des institutions européennes et ceux qui affirment qu’un changement politique à l’échelle de l’Europe est possible. Or, c’est aussi sur cet enjeu de la construction institutionnelle européenne que la fracture sociale et politique s’est cristallisée en France avec le NON de 2005 ! C’est un des ressorts utilisé par l’extrême droite, et même Sarkozy pour diviser le peuple.

Le rôle historique du parti communiste

Ouvrir la perspective d’un véritable Front Populaire, qui imposerait avec succès les revendications principales du programme partagé, suppose de prendre conscience de ces risques de divisions du peuple et donc des conditions de construction de son unité, de sa capacité à s’engager dans un processus révolutionnaire en résistant aux contre-attaques de toute sorte, en surmontant les contradictions entre revendications locales et globales, immédiates et de long terme, en assumant des choix prioritaires et donc des insatisfactions sociales. Cette unité suppose de renverser enfin la coupure avec la classe ouvrière, émiettée autant par la guerre économique menée par la patronat que par la désertion idéologique et militante du monde ouvrier, notamment par le parti communiste.

Car c’était son rôle historique, organiser le mouvement du peuple sur une base de classe dépassant les revendications sociales pour affirmer l’intérêt global du prolétariat, capable d’unir largement classe ouvrière et paysans avec les ingénieurs, cadres, enseignants, fonctionnaires, intellectuels et artistes, capable d’appeler au renforcement de la production comme en 1945, capable de mesurer avec réalisme les rapports de force et donc le niveau des objectifs politiques à mettre en avant comme en 1968. Personne ne peut confondre le Front Populaire et le parti communiste ! Mais personne ne peut croire que le Parti de Gauche peut jouer ce rôle historique d’outil du rôle dirigeant du prolétariat.

Les communistes ont donc une responsabilité historique à faire vivre et renforcer le PCF, et à poser cette question au cœur des mobilisations portées par le Front de Gauche, comme partout ou pèse encore le doute électoral et l’abstention.

[1trève toute relative quand on pense aux dizaines de sites industriels en cours de destruction dans le silence des médias

[2oui, le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée l’orage

[3y compris dans le Front de Gauche, Jean-Luc Mélenchon étant parfois plus radical dans la désobéissance européenne qu’une part de la direction du parti très européiste

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  • (2002) Lenin (requiem), texte de B. Brecht, musique de H. Eisler

    Un film
    Sur une musique de Hans Eisler, le requiem Lenin, écrit sur commande du PCUS pour le 20ème anniversaire de la mort de Illytch, mais jamais joué en URSS... avec un texte de Bertold Brecht, et des images d’hier et aujourd’hui de ces luttes de classes qui font l’histoire encore et toujours...

  • (2009) Déclaration de Malakoff

    Le 21 mars 2009, 155 militants, de 29 départements réunis à Malakoff signataires du texte alternatif du 34ème congrès « Faire vivre et renforcer le PCF, une exigence de notre temps ». lire la déclaration complète et les signataires

  • (2011) Communistes de cœur, de raison et de combat !

    La déclaration complète

    Les résultats de la consultation des 16, 17 et 18 juin sont maintenant connus. Les enjeux sont importants et il nous faut donc les examiner pour en tirer les enseignements qui nous seront utiles pour l’avenir.

    Un peu plus d’un tiers des adhérents a participé à cette consultation, soit une participation en hausse par rapport aux précédents votes, dans un contexte de baisse des cotisants.
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  • (2016) 37eme congrès du PCF

    Texte nr 3, Unir les communistes, le défi renouvelé du PCF et son résumé.

    Signé par 626 communistes de 66 départements, dont 15 départements avec plus de 10 signataires, présenté au 37eme congrès du PCF comme base de discussion. Il a obtenu 3.755 voix à la consultation interne pour le choix de la base commune (sur 24.376 exprimés).