Centrale de Fessenheim
Triste nuit

, par  Descartes , popularité : 2%

Comme disait la chanson de Reggiani, ce soir, je bois. Pas aux femmes qui ne m’ont pas aimé et aux enfants que je n’ai pas eu. Je bois pour rendre hommage à tous ces hommes grands et petits, connus et inconnus, décideurs et exécutants, intellectuels et manuels, qui se sont investis sans compter ont permis à la France de bénéficier de cet extraordinaire instrument qui est notre parc électronucléaire. Et je bois aussi pour leur demander pardon au nom de ma génération d’avoir si mal défendu leur héritage.

Cette nuit, on arrêtera définitivement le réacteur n°1 de la centrale nucléaire de Fessenheim, mettant ainsi fin à 42 années de bons et loyaux services. 42 années pendant lesquelles il a démenti toutes les vaticinations de ses adversaires. On affirmait qu’il serait rapidement inexploitable, on constate aujourd’hui qu’il aurait pu aller jusqu’à 60 ans et peut-être même à 80. On prédisait qu’il ne serait jamais rentable, il a été amorti en 25 ans seulement. On tonnait que sa technologie n’était pas fiable et qu’elle serait tout le temps en panne, elle a produit avec un taux de disponibilité qui a toujours dépassé les 70%. Et l’accident toujours « inéluctable » qui était le grand espoir des écologistes n’a jamais eu lieu. Fessenheim-1 prendra donc sa retraite avec 42 annuités de bons et loyaux services.

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Il y a quelque temps j’avais essayé dans un de mes papiers de répondre à la question de savoir pourquoi nous ne pouvions pas nous payer aujourd’hui ce que nous pouvions nous payer hier (des services publics de qualité, une recherche de premier niveau, un système éducatif qu’on nous enviait). Une des raisons, c’est la monstrueuse destruction de valeur, c’est-à-dire, la multiplication de dépenses parfaitement inutiles consenties pour satisfaire tel ou tel préjugé, tel ou tel intérêt particulier. Et bien, la fermeture de Fessenheim donne un exemple magnifique de ce gaspillage. Car fermer un réacteur trente ans trop tôt, c’est une perte de production de quelque 6,5 Md€ aux prix actuels de l’électricité. Même en tenant compte des frais d’exploitation et des investissements nécessaires, on jette tout de même par la fenêtre quelque 4 Md€.

Mais pourquoi, mon dieu, pourquoi ? Quelle est la rationalité de cette décision ? Quel est le lobby qui en bénéficie ? Le plus triste, c’est que la réponse est « personne ». Ici, ce n’est pas un intérêt particulier qui s’est imposé à l’intérêt général, c’est un préjugé irrationnel. L’arrêt de Fessenheim a toutes les caractéristiques du sacrifice antique, c’est-à-dire, de la destruction inutile de valeur avec pour but avoué de contenter les dieux, et pour but inavouable de montrer sa richesse et sa puissance.

Ce sacrifice, c’est François Hollande – ou pour être plus précis Martine Aubry, qui négocie avec les écologistes en leur nom – qui l’accorde pour pouvoir compter sur les voix des « verts ». Etant donné le faible poids électoral des écologistes en France, on peut s’interroger sur l’intérêt d’une telle concession. Ce serait oublier que si les écologistes commandent peu de voix, leur pouvoir de nuisance philosophique et surtout médiatique est considérable. Il faut dire que François Hollande n’a rien inventé. Lionel Jospin, en 1997, avait lui aussi sacrifié Superphénix sur l’autel écologiste. Et en 1997 comme en 2012, on se trouve devant une décision qui n’a d’autre rationalité que politique. Dans les deux cas, elle ne repose pas sur une quelconque analyse économique ou technique. Aucun parmi les différents ministres chargés de l’énergie qui se sont succédés depuis, n’a été capable d’articuler un discours qui ne soit une répétition de clichés du genre « 75% d’électricité nucléaire c’est trop » ou « le nucléaire empêche le développement des renouvelables » [1].

Mais pourquoi les successeurs de François Hollande, qui n’ont pas été élus avec les voix écologistes, s’efforcent de tenir ses promesses ? D’abord, parce qu’il faut du courage pour aller contre les idées reçues. Ensuite, parce que nos écologistes font une fixette sur le nucléaire. Et en fermant Fessenheim, le gouvernement achète la bienveillance des écologistes – et obtient ainsi des marges de manœuvre pour ne rien faire dans d’autres domaines. Et puis, cela ne coûte rien… du moins en apparence. Les conséquences ne se feront sentir que bien plus tard, quand l’équipe actuelle aura quitté le pouvoir.

En tout cas, cette affaire démontre une fois de plus combien qualifier nos gouvernements de « technocratiques » est mensonger. Un véritable gouvernement de « technocrates » n’aurait jamais arrêté la centrale de Fessenheim. Si elle s’arrête aujourd’hui, c’est précisément parce que contrairement à ce qu’on nous raconte tous les jours, ce n’est pas la rationalité technique qui commande les décisions. Non seulement le technicien ne gouverne pas – en réalité, il n’a jamais vraiment gouverné en France – mais il n’est même plus écouté par ceux qui gouvernent.

C’est Camus je crois qui écrivait « Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse ». Et pourtant, malgré nos efforts, notre monde se défait sous nos yeux, de la main de mouvements politiques qui tirent fierté non pas d’avoir construit quelque chose, mais de l’avoir arrêtée, démantelée, supprimée.

Descartes
Tiré de son blog

[1Elizabeth Borne, notre ministre chargé de l’énergie, a ajouté l’insulte à l’injure en affirmant en cette journée si particulière qu’« il n’y aura aucune perte d’emplois » à Fessenheim. Ce gouvernement n’a toujours pas réussi à comprendre que des gens puissent être affectés ou se battre pour des considérations qui dépassent leurs petits intérêts personnels. On l’a vu avec le débat sur le statut de la SNCF (« seuls les nouveaux embauchés seront touchés, vous n’avez rien à craindre »), avec les retraites (la fameuse « clause du grand père ») et maintenant avec Fessenheim…

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