Transition vers la transition, ma contribution au débat par Franck Marsal

, par  Franck Marsal , popularité : 3%

La contribution de jean-claude "transition vers la transition" et le complément de franck avec cet article devraient être une contribution forte au prochain congrès du parti communiste. Le vieux débat entre "révolution" et "visée communiste" ou "processus" en prend un coup de vieux quand il est posé comme une question "théorique". Jean-Claude et Franck font oeuvre de marxisme vivant, ancrés dans l’analyse concrète du monde d’aujourd’hui, 30 ans après la défaite de l’URSS, avec le retour d’un militarisme occidental violent, l’effondrement du "compromis social" issu de l’après-guerre, le basculement du sud vers un monde multipolaire poursuivant le 20ème siècles des indépendances politiques par le 21ème siècle des souverainetés économiques...

Et le concept de transition est à la mode, tellement le capitalisme lui-même a besoin de penser ses adaptations à ce monde qui lui échappe... On nous sert à tout bout de champ de la "transition" écologique, énergétique, démographique, démocratique..." Si les communistes mettaient au premier plan au 39ème congrès la transition vers le socialisme, ce serait un évènement...

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Illustration : une manière de souligner la manière dont la Chine se voit en tant que société sous-développée proposant à la majorité de la planète une autre modernité que la voie occidentale.

Transition vers la transition, ma contribution au débat, un important apport de Franck, je me permets d’ajouter une ou deux remarques, puisque j’ai posé la question. Tout à fait d’accord sur le point 1-La transition du capitalisme au socialisme a déjà commencé puisqu’il y a eu l’URSS et le temps des Révolutions. Oui mais le problème est que depuis une trentaine d’années le processus est bloqué, même dans la coexistence des formations sociales. Je me demande alors si ce ne sont pas seulement les formations sociales qui coexistent mais les mouvements révolutionnaires qui peuvent être de nature différente, ce qui pose l’incontournable question de leur unité. Prenons l’exemple de la révolution française, il y a coexistence des révoltes paysannes, des Lumières avec les élites bourgeoises, le mouvement des artisans parisiens, les sans culotte, la dictature jacobine ; la Terreur les unifie mais la guerre est aussi là. La contrerévolution fait ressurgir une autre majorité plus importante puisqu’elle rassemble non seulement les contrerévolutionnaires organisés mais ceux qui n’ont pas la force de résister. Et à ce titre, on pourrait plus récemment peut-être voir ce qui se passe en Amérique latine, au Chili, en particulier avec le vote en faveur de la Constitution de Pinochet sur la relation entre élections et unité révolutionnaire. Si je résume mon propos, il tiendra en trois idées : 1) il faut complètement revoir l’articulation vote-mouvement social qui est issu du khrouchtchévisme, de l’eurocommunisme. 2) il faut reprendre l’analyse du rôle de la guerre impérialiste en l’actualisant, en insistant sur les formes actuelles de remise en cause de la propriété, de l’État au cœur de la montée des mécontentements. 3) la piste tracée par Jean-Claude et qui articule forces productives et impérialisme me parait plus heuristique que celle sur le néolibéralisme – qui est une utopie contrerévolutionnaire, non seulement l’État n’a pas été détruit mais il s’est renforcé à la fois dans des formes régionales antidémocratiques, mais également en devenant toujours plus (ne serait-ce qu’au travers des commandes militaires) un facteur d’accumulation essentiel sous une forme financiarisée. L’importante contribution de Franck Marsal témoigne de l’accélération d’une prise de conscience au sein du PCF et cette avancée va avec la lutte des classes en France, une grande référence marxiste. Mais il y a le poids de l’eurocommunisme, même celui de l’époque Georges Marchais, qui constitue à la fois une référence et une limite pour que les idées deviennent force matérielle. Pour le dire clairement, pour qu’il existe une avant-garde révolutionnaire sans laquelle “les masses” ne peuvent pas intervenir, il faut un facteur d’unité qui soit en phase sur le mouvement réel qui est celui du bellicisme impérialiste ou comment à l’intérieur de la guerre monte “la guerre civile” pour reprendre l’idée de Lénine, demain nous publierons une analyse de Jean Salem sur Lénine, la politique et la guerre. (note de Danielle Bleitrach pour histoireetsocieté).

J’ai lu avec beaucoup d’intérêt la contribution de Jean-Claude, très justement intitulée « transition vers la transition ou comment faire pour que le socialisme devienne une force matérielle ».

D’abord, je trouve ce titre très pertinent. Nous devrions logiquement être dans une société en transition, puisque le capitalisme a manifestement épuisé ses possibilités créatrices, et pourtant nous semblons vivre une stagnation, voire un recul. La seconde partie du titre complète et éclaire la question en faisant référence à la phrase de Marx qui explique que « les idées ne deviennent des forces matérielles que lorsqu’elles s’emparent des masses ».

Faire en sorte que les masses s’emparent à nouveau des idées socialistes, de l’idée du socialisme, de la socialisation du processus de production, afin de prendre ou de reprendre le chemin de la transition.

1. La transition du capitalisme au socialisme a déjà commencé

La transition du capitalisme au socialisme a été engagée, en Russie soviétique à partir de 1917 et a suivi un processus croissant tout au long de la plus grande partie du 20ème siècle. C’est ce que j’ai appelé dans un article précédent le stade du « socialisme dans plusieurs pays isolés ».

C’est-à-dire que depuis 1917, nous avons des pays socialistes dans l’économie mondiale, au début, ils ont joué un rôle marginal, mais rapidement, cela n’a plus été le cas. L’URSS devient à partir de la seconde guerre mondiale un acteur clé, sans être loin d’égaler la puissance industrielle américaine. Comme nous l’avons souvent abordé sur ce blog, le développement du socialisme, à partir de la Russie puis dans une série de pays importants mais isolés a eu un impact mondial et a transformé globalement l’histoire, l’économie et la sociologie de presque tous les pays.

Durant une première période, les formes économiques socialistes et les formes économiques capitalistes étaient cantonnées chacune dans des pays différents. Après la seconde guerre mondiale, cette situation s’est modifiée : des formes de socialisation avancées ont été mises en place dans des sociétés capitalistes (comme la sécurité sociale ou la nationalisation de l’électricité en France). Pour faire une parenthèse sur ce sujet, désigner ces formes de socialisation avancées par la formule creuse et contradictoire du « communisme-déjà-là » n’a aucun sens.

Le concept marxiste de formation économique nous aide à comprendre cette situation. Ce concept a été élaboré et développé pour analyser des sociétés pré-capitalistes. Il permet de comprendre que plusieurs modes de production peuvent coexister au sein d’une même société, car l’apparition d’un mode supérieur ne signifie pas la disparition complète des modes précédents. En revanche, lorsque plusieurs modes coexistent, un de ces modes est dominant et structure la place des autres. Ainsi, le capitalisme, dominant en France par exemple au 19ème siècle coïncide-t-il avec des formes d’économies comme l’esclavagisme dans les colonies, qui joue, dans l’accumulation du capital un rôle qui est loin d’être négligeable. Avoir des formes de socialisations avancées dans une économie capitaliste n’est donc pas du tout la même chose qu’avoir des formes d’économie de marché et de capitalisme dans une société à dominante socialiste. L’un domine, l’autre est dominé. Une eau gazeuse n’est pas du tout la même chose d’une atmosphère battue par une pluie intense.

De même, il est important de noter qu’un mode de production peut se développer en plusieurs stades successifs, ainsi le capitalisme n’apparaît pas en premier lieu sous le stade développé de la grande industrie, ainsi que l’expliquent Marx et Engels dans les premières pages du Manifeste Communiste :

L’ancien mode d’exploitation féodal ou corporatif de l’industrie ne suffisait plus aux besoins qui croissaient sans cesse à mesure que s’ouvraient de nouveaux marchés. La manufacture prit sa place. La moyenne bourgeoisie industrielle supplanta les maîtres de jurande ; la division du travail entre les différentes corporations céda la place à la division du travail au sein de l’atelier même.

Mais les marchés s’agrandissaient sans cesse : la demande croissait toujours. La manufacture, à son tour, devint insuffisante. Alors, la vapeur et la machine révolutionnèrent la production industrielle. La grande industrie moderne supplanta la manufacture ; la moyenne bourgeoisie industrielle céda la place aux millionnaires de l’industrie, aux chefs de véritables armées industrielles, aux bourgeois modernes.

Ainsi, la société française d’après guerre, à mon sens, développe des formes avancées de socialisation, sous la pression du mouvement ouvrier organisé par le Parti Communiste et la CGT. Mais ces formations sont dominées par la structure générale de l’état et de la société dominée par la bourgeoisie, par ses relations internationales, dominée par le protectorat américain. La structure sociale dominante du capitalisme français de l’après-guerre est clairement et sans conteste possible bourgeoise et capitaliste, mais des éléments précurseurs du socialisme, des formes avancées de socialisation, sont présentes dans certaines niches spécifiques.

La structure générale des modes de production au niveau mondial est donc la suivante au milieu de la 2nde moitié du 20ème siècle :

1) Plusieurs pays socialistes, URSS, Chine, Vietnam, Cuba et pays de l’Est, mais avec des forces productives encore très insuffisamment développées ;

2) Un pays capitaliste dominant, les USA, qui disposait après la 2nde guerre de plus de la moitié de la capacité industrielle mondiale et qui contrôle les principaux processus industriels et financiers mondiaux ;

3) Des anciennes puissances coloniales européennes et japonaises ravagées par la guerre, fragilisées au sens social, dans lesquelles la structure capitaliste est sécurisée par l’occupation militaire et la domination politique des USA, mais qui conservent un tissu industriel avancé. Dans une partie de ces sociétés, des formes de socialisation avancées sont présentes du fait du développement autonome des idées socialistes et de la lutte des classes en leur sein ;

4) Des anciennes colonies, pour l’essentiel économiquement très arriérées, et dont la première évolution sera d’obtenir une indépendance le plus souvent formelle lorsqu’elle est concédée, réelle, lorsqu’elle est conquise les armes à la main.

C’est dans ce cadre général que je souscris à l’analyse de Jean-Claude sur l’impérialisme mondialisé. Le stade du capitalisme mondialisé, tel qu’il surgit dans cette 2nde moitié du 20ème siècle n’est pas un développement autonome du capitalisme mais déjà une réaction à une première étape de développement socialiste après une 1ère étape de crise systémique du capital. Il est déjà en interaction, en lutte et en opposition avec lui. Après une phase de reconstruction, durant laquelle le capitalisme a été essentiellement sur la défensive face à un socialisme conquérant sur presque tous les continents, une nouvelle phase apparaît au tournant des années 70, durant laquelle ce rapport va s’inverser et le capitalisme mondialisé, dirigé par la bourgeoisie états-unienne, pressé à la fois par le terrain perdu et par la baisse tendancielle du taux de profit, va entreprendre une vaste contre-offensive.

Le néo-libéralisme et le néo-colonialisme : la contre-offensive capitaliste de la fin du 20ème siècle

Je ne vais pas analyser en détail cette phase car Jean-Claude l’a très bien fait, juste en tracer quelques traits caractéristiques complémentaires :

1. Le capitalisme a compris que le développement des forces productives joue contre lui. Les formes les plus avancées, les formes économiques socialisées, se développent plus vites que les formes arriérées liées à la propriété privée. D’autre part, le développement des anciennes colonies, qui aspirent à la liberté et à l’égalité, ne lui est pas favorable. Il va donc engager une lutte acharnée contre le développement économique lui-même, et en particulier contre le développement de toutes les formes économiques avancées, les états socialistes mais aussi contre le développement économique de ce qu’on appelle alors le “tiers monde” sous la forme du néo-colonialisme et contre son propre développement économique, sous la forme du néo-libéralisme. En même temps une lutte idéologique (et si nécessaire physique et militaire) constante et féroce est engagée contre les forces et les idées communistes.

C’est pourquoi je ne rejette pas le terme de « néo-libéralisme ». Pour moi, le néo-libéralisme est la politique économique de l’impérialisme mondialisé, nécessaire à sa survie. Freiner le développement économique pour conserver le contrôle du monde. C’est pour cela que le développement de la Chine socialiste pose problème : en se développant, elle réussit là où tous les autres pays ont échoué : développer massivement les forces productives contre les limites posées par le néo-libéralisme et le néo-colonialisme. Ce faisant, elle rend le néo-libéralisme inopérant : pour le capitalisme actuel, freiner son propre développement, ce n’est plus seulement prévenir l’émergence de formes socialistes, c’est alors se mettre en infériorité par rapport à la Chine, ce qui est évidemment inacceptable. Le développement de la Chine fait entrer le néo-libéralisme occidental en contradiction avec lui-même.

2. L’impérialisme mondialisé est en contradiction avec la structure nationale. La domination de l’empire etats-unien assure la stabilité de cette contradiction. Par ses leviers de pouvoirs, Washington et la bourgeoisie américaine, le centre financier de Wall Street, le complexe militaro-industriel états-unien assure la stabilité, attribue à chacun sa place et garantit à chaque bourgeoisie nationale sa sécurité dans les situations où la lutte des classes devient trop aiguë. En contrepartie, ces bourgeoisies acceptent de livrer les clés de leur pays au contrôle américain : pénétration culturelle, supervision de la formation et de la sélection des dirigeants (le cas échéant, élimination des dirigeants problématiques), ouverture aux marchandises et aux capitaux américains, contrôle de la technologie (le cas échéant, les projets trop avancés ou prometteurs sont freinés ou rachetés par des sociétés américaines). Cependant la solution apportée à la contradiction est fragile et transitoire. La contradiction demeure. Il faut constamment veiller, intervenir, contrer et, inévitablement, c’est de plus en plus visible et problématique.

3. Le néo-libéralisme et la concurrence capitaliste mondialisée induisent la dégradation sociale des pays occidentaux dominants, USA et Europe occidentale en particulier. C’est un peu comme si le Brésil des années 80 devenait en quelque sorte le modèle social vers lequel tendent les USA et l’Europe. Cela se traduit notamment par :

  • paupérisation généralisée des classes populaires, développement d’un lumpen-prolétariat massif, sans-abris, précarité énergétique …
  • corruption et dégradation morale des couches dirigeantes,
  • Abstentions et dépolitisation,
  • Effondrement de la démocratie et fascisation de la société,
  • Instabilité financière et budgétaire,

  • En freinant le développement des forces productives, le néo-libéralisme ramène les sociétés les plus développées en arrière vers des formes fascistes.

4. Durant cette phase, même si on observe une régression partielle des rapports socialistes dans l’économie mondiale, ceux-ci demeurent présents. Surtout, l’intégration de l’économie chinoise dans l’économie capitaliste, simultanément à l’introduction de l’économie de marché à l’intérieur de l’économie socialiste de la Chine va permettre un nouveau développement des forces productives, sous cette forme mixte : une économie socialiste de marché. Cette économie va connaître un taux de croissance de plus de 10 % par an pendant plusieurs décennies, sortant des centaines de millions de la grande pauvreté et parvenant à égaler, et dans de nombreux domaines à dépasser l’économie américaine.

Grâce au développement induit par les formes socialistes avancées combinées et articulés à des éléments d’économie capitaliste, de nouvelles bases sont posées pour les développements sociaux ultérieurs. Les conditions dans lesquelles l’histoire peut s’écrire sont désormais changées et c’est ce que nous observons déjà. Lorsque ce développement entre en contradiction avec la structure de l’impérialisme mondialisé, se produit un resserrement du pouvoir. Les apparence volent en éclat et on entend les grondements de la force brutale et de la guerre. Le pouvoir se rétrécit à son ossature.

J’ai envie de faire ici une analogie historique : lorsqu’il décrivait la prise de pouvoir par Napoléon 3 en 1851, Marx exprimait la dynamique générale en ces termes :

« Le pouvoir exécutif, contrairement au pouvoir législatif, exprime l’hétéronomie de la nation, en opposition à son autonomie. Ainsi, la France ne sembla avoir échappé au despotisme d’une classe que pour retomber sous le despotisme d’un individu, et encore sous l’autorité d’un individu sans autorité. La lutte parut apaisée en ce sens que toutes les classes s’agenouillèrent, également impuissantes et muettes, devant les crosses de fusils.

Mais la révolution va jusqu’au fond des choses. Elle ne traverse encore que le purgatoire. Elle mène son affaire avec méthode. Jusqu’au 2 décembre 1851, elle n’avait accompli que la moitié de ses préparatifs, et maintenant elle accomplit l’autre moitié. Elle perfectionne d’abord le pouvoir parlementaire, pour le renverser ensuite. Ce but une fois atteint, elle perfectionne le pouvoir exécutif, le réduit à sa plus simple expression, l’isole, dirige contre lui tous les reproches pour pouvoir concentrer sur lui toutes ses forces de destruction, et, quand elle aura accompli la seconde moitié de son travail de préparation, l’Europe sautera de sa place et jubilera : “Bien creusé, vieille taupe !“ »

Transposons ces phrases à la situation actuelle, en substituant au pouvoir exécutif de Napoléon 3 le pouvoir exécutif états-unien sur le monde, pouvoir qui s’exerce désormais sans limite puisque les USA transforment la perception communément admise de la réalité pour justifier à l’avance leur politique. Voici ce que cela pourrait donner :

« L‘impérialisme mondialisé exprime l’hétéronomie du monde, en opposition à son autonomie. Les vieilles nations en conflit pour le monde sont retombées sous le despotisme d’un seul pays, sous l’autorité d’un pays sans autorité. La lutte parût apaisée en ce sens que toutes ces vieilles nations s’agenouillèrent, également impuissantes et muettes, devant la crosse des fusils.

Mais la révolution va au fond des choses. Elle ne traverse encore que le purgatoire. Elle mène son affaire avec méthode. Jusqu’ici, elle n’a accompli que la moitié de ses préparatifs, et maintenant, elle va accomplir l’autre moitié : Elle perfectionne d’abord l’ONU, pour la renverser ensuite. Ce but atteint, elle perfectionne le pouvoir de l’OTAN et des USA ; le réduit à sa plus simple expression, l’isole, dirige contre lui tous les reproches pour pouvoir concentrer sur lui toutes ses forces de destruction, et, quand elle aura accompli l’autre moitié de son travail de préparation, le monde sautera de sa place et jubilera : « bien creusé, vieille taupe » !

L’ONU se voulait un lieu dans lequel chaque pays avait une voix égale. Fréquemment, on fait appel à l’ONU comme un parlement dans lequel on pourrait régler les conflits internationaux. Mais ce « parlement » a été depuis longtemps vidé de son contenu. Depuis de longues décennies, les USA ont pris le dessus sur l’ONU et imposent leur lecture des événements et des rapports internationaux. Un pays peut être détruit, bombardé, sa population peut être affamée, son économie réduite à néant, son gouvernement renversé, s’il ne suit pas la ligne dictée. Le vainqueur d’une élection peut être déclaré perdant et même fraudeur sans la moindre preuve. La « communauté internationale », c’est à dire « les leaders d’opinion bourgeois et les grands médias possédés par les multinationales » décident. Les uns sont les méchants, les autres sont les gentils. Aujourd’hui, l’impérialisme mondialisé ne s’embarrasse plus de formes. Il dicte sa vérité et impose à tous d’agir selon cette vérité. Il multiplie les guerres et se réarme pour imposer sa domination sans limites.

Quels pourraient-être, en France, en 2023, la forme et le contenu de la transition vers cette société transitoire que nous appelons le socialisme ?

Si les conditions internationales dans lesquelles l’histoire et le développement du socialisme sont désormais changées, qu’est-ce que cela change pour la France ?

Pour répondre à cette question, il nous faut revenir un peu en arrière. Dans le monde divisé en deux par la guerre froide, la France est dans le bloc capitaliste. Elle est partiellement libérée par les armées américaines et britanniques et partiellement par sa propre résistance, dans laquelle le Parti Communiste joue un rôle très important.

Dans l’assemblée constituante de 1945, le PCF obtient 159 députés sur 586, plus du quart. Dans celle de 1946, il en obtient 153. Il est le premier parti de France avec entre 500 000 et 800 000 adhérents. La CGT, dans laquelle les communistes jouent un rôle dirigeant, en compte plusieurs millions.

Le PCF peut donc jouer un rôle déterminant et imposer des changements sociaux structurants qui vont radicalement moderniser la structure sociale et politique de la France. Mais, le PCF ne peut pas se saisir du pouvoir, ni seul, ni à la tête d’un front populaire qui mettrait fin au capitalisme en France et établirait une société socialiste. Cela tient bien sûr à la présence des troupes américaines, encore nombreuses, mais pas seulement. La bourgeoisie n’a pas lâché le pouvoir.

La bourgeoisie est contrainte, durant environ deux ans seulement, de faire des concessions, mais elle ne lâche pas le pouvoir. L’état, l’armée, la police, les préfets, le pouvoir économique, une partie des médias restent aux mains de la bourgeoisie, sans conteste et malgré la collaboration éhontée dont elle a largement fait preuve avec les nazis.

Le PCF choisira de rendre les armes dont il disposait et de s’intégrer à la démocratie renaissante et tout autre choix eut été un aventurisme voué à un échec sanglant. Dès 1947, le pouvoir bourgeois, aidé par le Parti Socialiste et son ministre de l’intérieur Jules Moch dissout les compagnies de CRS réputées proches des communistes et fait intervenir massivement l’armée sur les carreaux des mines pour imposer aux mineurs grévistes la reprise du travail.

A partir de ce moment, dans le contexte de la guerre froide, le PCF est isolé et attaqué de toutes parts. S’engage alors une période essentiellement et nécessairement défensive. Malgré les évolutions de la situation, le PCF ne peut pas retrouver un rôle politique aussi important que celui que les circonstances particulières de la Libération ont données. Il est surveillé, limité, on n’hésite pas à emprisonner ses dirigeants. Il ne peut que défendre ce qui a été conquis, pied à pied, dans les luttes et soutenir les révolutions internationales par sa solidarité sans faille.

C’est dans ce contexte que François Mitterrand formule (dès le début des années 60) le projet politique qui le mènera au pouvoir et qu’il exprime en substance de la manière suivante : ni la bourgeoisie, ni les USA ne toléreront qu’un gouvernement de gauche dirigé par les communistes parvienne au pouvoir en France. En revanche, il est possible comme cela fonctionne dans les pays d’Europe du Nord, de construire un mouvement socialiste important et « de gauche », qui réduise l’influence du parti communiste de façon à ce que la « gauche réformiste » parvienne au pouvoir dans des conditions « acceptables » pour la bourgeoisie française et pour le gouvernement américain.

Un tel projet a évidemment placé le Parti Communiste dans une situation très difficile (c’était d’ailleurs un des objectifs). C’est un véritable piège : refuser l’alliance est impossible, l’accepter revient à accepter soi-même sa future marginalisation. On pourra débattre longtemps de cette situation et des choix qui ont été faits. De toutes façons, ce qui compte c’est ce qui a été fait, et non ce qui aurait pu être fait, sur lequel on ne peut que spéculer. A mon sens, ce qui a été fait, c’est rester sur la ligne de crête, difficile : ni rejeter en bloc, ni accepter naïvement, se battre autant que possible (résumé par la formule « L’union est un combat »), accompagner le mouvement, tenter de le réorienter, et tenir jusqu’à des conditions plus favorables. A mon sens encore, c’était le choix le plus courageux et celui qui était de nature à maintenir du mieux possible, l’existence et la solidité du parti dans des circonstances extrêmement hostiles. Le Parti Communiste s’est affaibli, à la fois quantitativement et qualitativement, il a même un peu plié, mais il a tenu et commence depuis 4 ans à se redresser.

La situation actuelle est nouvelle aussi sur le plan national :

1. Comme évoqué ci-dessus, l’hégémonie états-unienne se termine. Le frein mis au développement des forces productives n’a pas réussi à empêcher le développement de la Chine qui offre désormais à l’ensemble des pays du monde des alternatives nouvelles : l’accès à des financements autonomes, la possibilité de commercer sans contrainte politique, des partenariats technologiques et scientifiques ouverts et des produits sophistiqués à bon marché. Bien sûr, la perche est plus facile à saisir pour des pays émergents que pour un pays développé comme la France, qui plus est, situé au cœur de l’aire de domination états-unienne.

2. Le démantèlement des conquis sociaux de la Libération et l’offensive néo-libérale ont provoqué en retour une prolétarisation massive de la population française, en particulier, de sa jeunesse. Ce n’est pas un hasard si ce sont 168 jeunes communistes qui ont signé la contribution la plus marquante et la plus offensive dans la préparation du congrès. Car les jeunes générations vivent une expérience du capitalisme radicalement différente de celle de leurs parents.

3. Le développement mondial des forces productives et les crises de plus en plus dangereuses du capitalisme produisent, comme l’a souligné Jean-Claude une nouvelle période de guerres et de révolutions. De par son histoire et son expérience sociale, la France a toujours eu une position particulière dans l’arène de l’histoire. Elle est à nouveau en train de montrer, face à Macron son tempérament. Quel autre pays d’Europe a eu ses « gilets jaunes » ? Dans quel pays occidental, y a t-il une telle effervescence sociale pour défendre le droit à la retraite ? Le rejet et la mise en question des choix imposés par le « néo-libéralisme » est de plus en plus fort. La mémoire vivante des acquis de la période 45-46 présente en France des caractères uniques.

4. Dans les pays capitalistes développés, la France est un des rares pays (celui qui nous dépasse réellement, je pense, est le Parti Communiste Japonais) à avoir gardé un parti communiste de masse. Nous pouvons trouver notre parti affaibli et avoir la nostalgie du passé, mais nous avons entre nos mains un atout considérable. Surtout si le parti confirme sa capacité à se régénérer et à aller, dans cette nouvelle situation, de l’avant.

5. La France dispose, encore pour quelques années, de grands atouts scientifiques, techniques et industriels pour son développement, inexploités et même attaqués par la politique néo-libérale. Elle ne dispose pas de ressources minières et pétrolières importantes, mais elle peut être autonome sur le plan agricole et dispose d’une maîtrise clé de l’énergie nucléaire.

6. En revanche, la France a perdu irrémédiablement son ancien empire colonial et toute possibilité de se construire par l’exploitation d’autres nations. L’impérialisme mondialisé ne lui réserve plus non plus la place de choix qu’elle a pu conserver ces dernières décennies du fait de son histoire. Elle doit désormais se tenir par elle-même et se développer par ses propres moyens. Pour la France, comme pour la majorité des nations dans le monde, il est nécessaire de reposer correctement la dialectique de la souveraineté et de l’internationalisme. Pour cela, il faut d’abord admettre que, comme le disait Karl Liebknecht au moment de la 1ère guerre mondiale : « l’ennemi principal est dans notre propre pays. ». L’impérialisme mondialisé est puissant, mais il agit sur nous principalement parce qu’il est dans une collusion d’intérêt avec notre propre bourgeoisie. La bourgeoisie française ne s’est jamais opposée au cours libéral de l’Union Européenne. Au contraire, elle s’est appuyée sur les institutions européennes pour réaliser en France ce qu’elle ne parvenait pas à réaliser seule. S’appuyer sur l’étranger contre la souveraineté du peuple est une constante historique de la bourgeoisie française, qui remonte à la royauté et à la Cour. Si la haute bourgeoisie française (financière et monopoliste) n’avait pas jugé qu’investir dans l’UE était dans son intérêt de classe, l’UE n’existerait même pas. Sans le pouvoir bourgeois en France, ni l’UE ni l’OTAN ne peuvent continuer à exister. Une fois la nation constituée en république sociale, en pouvoir des classes populaires, la souveraineté ne s’oppose plus à l’internationalisme, elle y conduit directement. En revanche, faut-il le rappeler, le souverainisme sans pouvoir populaire est un mirage.

Tous ces éléments me font dire qu’il est à la fois possible et indispensable de retrouver le chemin de la transition vers le socialisme, vers le déploiement de nouvelles formes avancées de propriété et de rapports sociaux. C’est le moment, c’est maintenant. Nous avons devant nous les décennies décisives pour franchir une nouvelle étape socialiste dans le monde et en France également.

Par où commencer ?

D’abord, nous avons déjà commencé et nous devons poursuivre et approfondir : réaffirmer l’utilité, la nécessité, l’originalité du parti, du projet communiste et (cela est à développer, mais en réalité nous en avons les principaux ingrédients) de la voie socialiste. Nous devons confirmer et approfondir ce choix.

Il faut renouer les fils rompus de l’histoire, comprendre ce qui a été fait, pourquoi cela a été fait, admettre les circonstances qui ont été traversées et ne pas perdre de vue que, sur le plan mondial, la transition vers le socialisme est commencée, en discerner les étapes et le cheminement complexe. En France en particulier, nous avons des acquis très originaux, les formes sociales avancées développées en 45-46 par les communistes : la sécurité sociale entièrement gérée par les représentants des travailleurs, telle que l’avait bâtie Ambroise Croizat, le secteur électrique entièrement nationalisé et sorti de l’économie capitaliste de marché par Marcel Paul, pour être une administration technique au service du développement du pays sont les plus connus. Baptiser ce qu’il en reste aujourd’hui de la formule creuse de « déjà là du communisme » est presque une insulte. Nous devons nous réapproprier ces avancées sociales. La première étape est de revendiquer le retour aux principes d’alors, comme la nationalisation intégrale du secteur de l’électricité, ce que les partisans des « déjà là », vous l’aurez remarqué comme moi, ne font jamais.

C’est le plus connu, mais il n’y a pas que cela dans notre histoire. Pourquoi ne pas parler du statut des dockers et des ouvriers du livre, qui prévoyait que les organisations ouvrières (à l’époque la CGT) détenaient le pouvoir de contrôle sur le choix des salariés à embaucher et non plus le patron. Reconnaissons que cela poserait de manière complètement nouvelle et audacieuse le problème de la sécurité d’emploi et de formation. On formerait des commissions d’embauche avec des objectifs et des procédures transparentes pour en finir avec les discriminations de toutes sortes à l’entrée dans le monde du travail et on réglerait ainsi une foule de problèmes.

Il nous faut également formuler plus clairement l’objectif : Il nous faut bâtir une nouvelle société, une société plus avancée, s’appuyant indissociablement sur la science ET sur la mise en place de nouveaux rapports sociaux, à travers le développement de formes de propriétés avancées. Il nous faut un plan de développement économique et technologique, il nous faut aussi un plan de développement culturel et social. Permettre à chacun une place, sa place dans le travail collectif, dans la vie commune et donc dans la société, dans le respect de son individualité, de ses compétences et de ses capacités d’évolution. Refaire du travail un temps de coopération et de co-construction et non plus un temps de destruction et d’épuisement. Pour reprendre une ancienne formule « l’émancipation de chacun doit être la condition de l’émancipation de tous », Mais, à nouveau, évitons de brandir des formules en les vidant de leur véritable sens : cela ne peut se faire sans dépasser la propriété privée des moyens de production, sans prendre le pouvoir à la haute bourgeoisie.

Nous avons devant nous un énorme travail, qu’un article ou même un livre n’épuisera pas. Nous ne pourrons pas réaliser tout de suite ce dont nous rêvons, mais nous n’avons déjà plus assez de temps pour imaginer tout ce que nous aurons à réaliser demain. Nous devons nous intéresser à chaque rouage de la société, à chaque secteur de production et de service, à chaque problème et à chaque perspective. Écouter et dialoguer avec les classes populaires de ces problèmes et reformuler ensemble ce que les solutions pourraient être, dans une société où les barrières de la propriété et les barrières de classes sont levées. Alors, l’idée du socialisme deviendra une réalité concrète, une force sociale, non plus une idée mais un programme.

Moi-même, dans ces quelques lignes, je n’ai absolument rien inventé. Je n’ai fait que reprendre des éléments de notre histoire, des apports des camarades, de la dynamique de ce que nous avons engagé depuis quelques années et de tout ce qui remue dans la société en reformulant. Tout cela est déjà commencé.

Voir en ligne : lu sur le site histoireetsocieté de Danielle Bleitrach

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    Sur une musique de Hans Eisler, le requiem Lenin, écrit sur commande du PCUS pour le 20ème anniversaire de la mort de Illytch, mais jamais joué en URSS... avec un texte de Bertold Brecht, et des images d’hier et aujourd’hui de ces luttes de classes qui font l’histoire encore et toujours...

  • (2009) Déclaration de Malakoff

    Le 21 mars 2009, 155 militants, de 29 départements réunis à Malakoff signataires du texte alternatif du 34ème congrès « Faire vivre et renforcer le PCF, une exigence de notre temps ». lire la déclaration complète et les signataires

  • (2011) Communistes de cœur, de raison et de combat !

    La déclaration complète

    Les résultats de la consultation des 16, 17 et 18 juin sont maintenant connus. Les enjeux sont importants et il nous faut donc les examiner pour en tirer les enseignements qui nous seront utiles pour l’avenir.

    Un peu plus d’un tiers des adhérents a participé à cette consultation, soit une participation en hausse par rapport aux précédents votes, dans un contexte de baisse des cotisants.
    ... lire la suite

  • (2016) 37eme congrès du PCF

    Texte nr 3, Unir les communistes, le défi renouvelé du PCF et son résumé.

    Signé par 626 communistes de 66 départements, dont 15 départements avec plus de 10 signataires, présenté au 37eme congrès du PCF comme base de discussion. Il a obtenu 3.755 voix à la consultation interne pour le choix de la base commune (sur 24.376 exprimés).