Recherche et lutte de classe

, par  Gilles Mercier , popularité : 1%

« On ne peut pas mélanger lutte de classe et recherche scientifique ! »

Ah la bonne blague ! La recherche scientifique publique (organismes de recherche et universités) c’est plus de 110.000 salariés et ces gens-là travailleraient dans un secteur non socialisé pour le seul plaisir de la connaissance sans lien avec l’organisation de classe de la société. La recherche serait en quelque sorte un hobbie… pour 110.000 salariés qui ne subiraient de ce fait aucune subordination hiérarchique. La science serait en dehors de la société, dépourvue de tout enjeu de classe.

La science, c’est l’ensemble des connaissances produites par la recherche qui est une activité sociale comme toutes les autres et donc soumises au rapport de classes J’avais mis un lien (https://www.economie-et-politique.org/wp-content/uploads/2021/01/4_Article-EP794-795Eco_Po_796_797_14_01_DD2.pdf) concernant l’objectif de la loi de programmation de la recherche. La rédaction d’Economie et Politique m’aurait laissé publier un article sur un hobbie sans lien avec les enjeux économiques. Diantre !!

Il faut reconnaître à ce gouvernement comme celui de N. Sarkozy une qualité, celle de la franchise. Tout est expliqué dans les textes d’accompagnement de la loi de programmation de la recherche. Loi qui est dans la continuité des lois de l’enseignement et la recherche qui s’amoncellent tous les deux ans en moyenne depuis le pacte pour la recherche de 2006.

Il y a un gars qui au 19ème siècle a écrit un ouvrage intitulé « le capital ». Il y décrit entre autres les mécanismes de l’accumulation. Il y en a un qu’il a appelé la plus-value extra. Il consiste pour un capitaliste à introduire de nouveaux procédés de fabrication et à créer des marchandises ayant une valeur d’usage supérieure à celles des concurrents pour transférer à son profit la plus-value des entreprises moins performantes. Ceci est la base de la compétition entre entreprises capitalistes. Cette compétition repose donc sur la recherche.

Mais la recherche qui est indispensable dans la constitution du profit est financée sur ce même profit. La recherche est par nature indécise, le capital déteste l’incertitude. Ce qui est déterminant dans une économie capitaliste est le rapport profit/capital investi. Or la recherche constitue un investissement immobilisé pour une durée non définie. Or le capital pour se rentabiliser doit tourner et tourner d’autant plus que les sommes investies sont importantes. Dans une économie mondialisée où la compétition est féroce, les besoins de financement du capital sont infinis. L’Etat se restructure de façon à se mettre au mieux au service de l’accumulation en réduisant son domaine d’intervention, en réduisant ses dépenses socialisées et en se débarrassant de tout ce qui entrave l’exploitation des salariés.

La recherche dans tout pays capitaliste développé est du domaine de l’Etat. Tout l’appareil de recherche et de l’enseignement supérieur doit se mettre au service de la compétitivité des entreprises. C’est explicitement écrit dans la LPR.

Pour les forces dominantes, il faut en finir avec la liberté de recherche. Il faut contraindre les scientifiques à travailler sur les thématiques décidées par l’Etat et le capital.

Depuis 2006 et la création de l’Agence Nationale de Recherche qui est une agence de financement, la recherche publique est entièrement financée par des contrats à court terme dont la plupart sont finalisés. Les instances d’évaluation des laboratoires des organismes nationaux de recherche ayant été mis sur la touche, leur évaluation est assurée par agence dont les critères sont essentiellement des critères quantitatifs notamment ceux concernant les brevets et les liens avec les entreprises.

La gestion de la force de travail est un instrument de la contrainte des scientifiques et de pilotage scientifique. Le travail précarisé a explosé avec la mise en place de l’ANR et ses financements sur contrats. 40% de la force de travail à l’Inserm est constituée par des CDD. Mais pour aller encore plus loin dans la flexibilité le gouvernement a créé les CDI de projets. La durée du contrat est uniquement liée à l’avancée du projet et peut être interrompue au bon vouloir du chef du projet. Pour accroitre la subordination des salariés (fonctionnaires comme contractuels), le pouvoir a introduit la mise à pied (donc sans rémunération) pour un maximum de trois jours sans que la Commission administrative paritaire ait à se prononcer sur le bien-fondé de la décision.

La vassalisation des scientifiques passe par la disparition des organismes nationaux de recherche et l’absorption de leurs laboratoires (comme vient de le demander la Cour des Comptes) dans une douzaine de regroupements territoriaux constitués par la fusion d’universités et d’écoles d’ingénieurs qui à partir de 2022 pourront demander le statut de grands établissements leur permettant de déroger au statut de la Fonction publique et de recruter et gérer leur personnel comme ils l’entendent. La Cour des comptes dans sa note d’octobre 2021 demande la disparition du statut de chercheur à temps plein pour en faire des enseignants chercheurs afin de pallier le manque d’encadrement des étudiants !

Le but est de passer d’une recherche gérée nationalement car structurée essentiellement par les organismes nationaux de recherche qui par leur statut confèrent à la communauté scientifique une place jugée trop importante par le pouvoir politique, à une recherche territorialisée autour d’établissements universitaires financés par les entreprises et les collectivités régionales dont la conception de la recherche est uniquement finalisée.

La contractualisation entre l’Etat et les administrations est devenue la norme dans la Fonction publique. La Contractualisation est spécifique du privé. Le contrat passé entre deux personnes, l’employeur et le salarié définit les droits et devoirs de ce dernier pour travailler dans un intérêt particulier, celui du premier. Dans la Fonction publique il n’y a pas de contrat, puisque le salarié travaille pour l’intérêt général et non pour un intérêt particulier. C’est le statut général qui définit les droits et devoir du salarié. L’établissement de contrats instille dans la Fonction publique la logique du privé.

L’Etat a passé des contrats d’objectifs avec chacun des organismes nationaux de recherche. La mise en œuvre de ces contrats est suivie par des indicateurs qui sont ceux du privé. Le bon chercheur, le bon laboratoire n’est pas celui qui a une démarche scientifique, mais celui qui sait décrocher des contrats !

L’objectif n’est plus le développement des connaissances, mais la vassalisation des organismes et de leurs personnels au capital.

Les conséquences.

- Pour les personnels, c’est un malaise permanent, une tension entretenue par une compétition infernale à la recherche de financements. Les Directeurs de laboratoire et les directeurs d’équipe sont transformés de scientifiques en « managers » (prononcé à l’anglo-saxonne) gérant des contrats et des CDD. La pression est telle que comme chez Renault et à la Poste, certains ont mis fin à leurs jours ! Pour éviter la multiplication de ces suicides, des cellules de médiation ont été mises en place qui consistent non pas à régler le problème à la base (surtout pas !) mais à exfiltrer les agents en souffrance pour qu’ils ne commettent pas l’irréparable.

- Pour l’avancée des connaissances, l’infectiologie a toujours été le parent pauvre de la recherche en biologie en particulier concernant les zoonoses. L’industrie pharmaceutique a peu investi dans ce domaine car il ne constituait pas un marché suffisamment rentable. La plupart des pathologies induites par les virus et bactéries n’affectaient pas les pays développés, ne frappant que les populations à très faible pouvoir d’achat des pays en voie de développement. En conséquence, les gouvernements n’ont jamais encouragé la recherche publique à aborder ces champs de recherche.

La situation a changé dans les années 1980 avec le Sida. Mais après la validation des tri-thérapies, l’intérêt pour la virologie est retombé. Il en fut de même avec l’épidémie du virus H5N1. 
Le cas du Covid-19 est exemplaire.

Il y a encore 20 ans, seulement quatre virus de la famille des coronavirus étaient connus comme transmissibles aux humains. Parce que ces virus étaient peu pathogènes, cette famille de virus suscita peu d’intérêt pour les pouvoirs publics. Mais tout a changé aux débuts des années 2000, avec l’émergence d’un cinquième membre de la famille : le syndrome respiratoire aigu sévère (Sras) suivi par le syndrome respiratoire du Moyen-Orient (Mers).

Des recherches ont alors été lancées, pour mettre au point traitements et vaccins. Mais l’épidémie passée, les retours sur investissement ont été jugés insuffisants pour poursuivre l’effort de recherche. La majorité des projets sur le coronavirus ont été mis en veille faute de renouvellement des contrats et donc de financements. Résultat, des stratégies prometteuses de recherche ont été mises de côté alors que ce travail auraient pu être précieux pour accélérer la réponse à de futures épidémies. Donc quand un virus émerge, on demande aux équipes de se mobiliser en urgence et de trouver une solution pour le lendemain. Le temps perdu en recherche ne se rattrape pas. Cette pandémie a révélé le déclin de la recherche biomédicale française. La France paye la politique menée depuis des années par les différents gouvernements de contraindre les scientifiques à contribuer à faire du business au détriment de la démarche scientifique.

La désindustrialisation de notre pays n’est pas sans conséquence sur la recherche. La relation recherche/production est dialectique. Si la production se développe grâce à la recherche, elle contribue aussi à développer les champs de recherche. Or, l’abandon massif de productions a pour conséquence de réduire les champs de recherche et donc… les éventuelles applications.

Et ceci est d’autant plus vrai en France que le capitalisme français a pour caractéristique d’être à dominante financière. Les banques sont très frileuses pour financer le passage des start-up à la phase de concept, à la différence de leurs concurrentes allemandes. Ce qui souvent aboutit à ce que la start-up soit rachetée par une entreprise étrangère.

Je rappelle que le "Crédit d’impôt-recherche" qui dépasse maintenant allégrement les 6 milliard d’euros est censé encourager les entreprises à investir dans la recherche. C’est tout simplement un outil de défiscalisation qui a pour but d’attirer le capital en diminuant sa part de financement. Ce qui n’a pas empêché Sanofi qui en bénéficie de se débarrasser de la moitié de son personnel en France et d’investir massivement à Boston.

Les besoins de recherche les besoins de développement sont considérables, en asservissant la recherche aux seuls besoins du capital au détriment de la connaissance, la bourgeoisie a engagé la France dans la voie du déclin.

Oui la recherche est bien un enjeu de classe !

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    Le 21 mars 2009, 155 militants, de 29 départements réunis à Malakoff signataires du texte alternatif du 34ème congrès « Faire vivre et renforcer le PCF, une exigence de notre temps ». lire la déclaration complète et les signataires

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