Mélenchon, génie politique et avenir de résistance ? Réponse à un article de Claude Mazauric, "en attendant sinon Godot..."

, par  Caroline Andréani , popularité : 2%

Depuis la conférence nationale du 5 novembre, qui a mis en minorité un secrétaire national à bout de souffle, les partisans de la candidature Mélenchon ne cessent de convoquer des avis éclairés pour convaincre les récalcitrants de voter comme il faut.

C’est ainsi que resurgit la contribution de Claude Mazauric, déjà vieille de plusieurs semaines, où il affirme son engagement en faveur de Mélenchon.

Que dit-il exactement ?

1- Que les partisans d’une candidature communiste font un choix moral et affectif, qui s’inscrit dans « un champ idéologique traditionnel par son référentiel », et dans « une perspective mythique et même eschatologique ». Lequel choix conduirait à « la presque fin pratique » du PCF.

Décryptage : les partisans de la candidature communiste sont des nostalgiques, qui n’ont pas compris que leur choix conduirait à l’extinction de leur parti.

Voilà une affirmation pour le moins lapidaire qui demanderait à être étayée.

2- Claude Mazauric soutient Mélenchon, convaincu qu’il a été par « le rapport argumenté de Pierre Dharéville ».

C’est curieux comme la perception des situations peut varier d’un individu à un autre. En entendant Pierre Dharéville, j’ai plutôt eu la sensation qu’il naviguait à vue, et que la ligne qu’il défendait était celle du report de la décision.

Claude Mazauric salue le « coup de génie politique » de Mélenchon qui en déclarant sa candidature fin 2015, aurait porté « un coup majeur » à la « crédibilité du Parti socialiste ».

On peut toujours trouver des justifications à ses choix politiques. Encore faudrait-il ne pas trop forcer le trait.

Quand Jean-Luc Mélenchon a déclaré sa candidature, il a surtout torpillé la primaire de la petite gauche voulue par Pierre Laurent. Les « Lundis de la gauche », qui donnaient la parole au ban et à l’arrière-ban des intellectuels non communistes, étaient un ballon d’essai à la recherche d’une candidature commune face à... Mélenchon ! Avec le flair politique qui le caractérise, Pierre Laurent a sollicité Caroline de Haas et Thomas Piketty... Et par un heureux hasard du calendrier, Emmanuelle Cosse a torpillé plus encore la perspective d’une candidature commune en trahissant les siens par son entrée surprise au gouvernement.

Quant à la crédibilité du Parti socialiste, quatre années de mesures en faveur du patronat, d’alignement sur les politiques européennes les plus régressives et de guerres coloniales tous azimuts l’ont certainement bien plus entamée que la candidature d’un électron libre issu de ses rangs.

Car enfin, on peut crier au génie politique. Mais il a tout de même fallu trente ans à Jean-Luc Mélenchon pour se rendre compte que le Parti socialiste s’était converti à « l’ordolibéralisme européiste », pour reprendre les termes de Claude Mazauric. C’est faire preuve d’une lucidité tardive.

Ensuite, l’appel à voter François Hollande sans poser de conditions – ce qui n’avait rien à voir avec une participation gouvernementale – ressemble sacrément à une erreur de stratégie plus qu’à une décision politique mûrement réfléchie. Cela aurait pu permettre de créer un rapport de forces, comme l’ont fait les communistes français en 1936 lorsqu’ils soutenaient le Front populaire tout en se refusant à participer à un gouvernement d’union avec les socialistes et les radicaux.

La position de Claude Mazauric, si respectable soit-elle, repose sur une analyse très partielle de la situation. La candidature de Jean-Luc Mélenchon peut-elle servir d’outil pour recomposer le paysage politique à gauche ? Rien n’est moins sûr. À Hénin-Beaumont, les classes populaires ne se sont pas reconnues dans le candidat de L’humain d’abord.

Le système médiatique fait la part belle à des personnalités comme Jean-Luc Mélenchon, qui ont l’habitude des plateaux de télévision et la répartie (un peu trop) facile. Mais il reste un objet médiatique, comme Besancenot avant lui, favorisé par l’absence d’autres candidatures porteuses. Jean-Luc Mélenchon est certes brillant, mais il n’a pas su créer, depuis sa candidature en 2012, autre chose qu’un mouvement-croupion regroupant des affidés.

Sa candidature est-elle un « avenir de résistance », un « avenir non mythique », comme l’affirme Claude Mazauric ?

Personnellement, j’ai du mal à y croire, et j’ai même du mal à comprendre comment un historien comme Claude Mazauric peut partager cette conviction, qui pour le coup ressort du mythe. Je ne saurais dire si une candidature communiste empêchera la disparition du PCF. Mais il y a une chose dont je ne doute pas, c’est que le soutien à la candidature Mélenchon se soldera par sa disparition.

Article de Claude Mazauric

En attendant, sinon Godot, du moins le vote définitif !

Il convient de ne jamais l’oublier : la Conférence nationale du PCF qui s’est tenue le 5 novembre 2016 relève de cette chose que l’on appelle la "représentation politique" de l’organe souverain. Peuple, nation, groupement organisé, association, parti, c’est bien en effet de l’organe souverain que la représentation tire sa légitimité fondatrice. Mais l’expression de celle-ci est dominée par le cadre constitutionnel, institutionnel ou statutaire, qui détermine son expression. De ce fait et en raison des implications statutaires antérieures, le vote émis par la conférence nationale du PCF le 5 novembre est une décision transitoirement absolue que seul un vote correctif de l’organisme souverain peut modifier, infléchir, corriger ou confirmer : le moment décisif sera donc celui qui résultera de la consultation des adhérents du PCF, à jour, par la cotisation qu’ils versent, de leur engagement partisan. Donc, si rien n’est véritablement joué, tout est en suspens jusqu’au 26 novembre.

Reste que rien n’interdit d’imaginer ce qui pourrait découler d’un vote confirmant celui de la majorité des mandatés présents à la Conférence nationale. Anticipons donc le résultat de la votation à venir en supposant que le choix de la Conférence nationale soit confirmé par une majorité des adhérents-votants.

« Dans la foulée » (expression forte du porte-parole du PCF, le soir du 5 novembre), le PCF sera appelé à désigner un candidat à l’élection présidentielle de 2017. Ce qui portera probablement à cinq au minimum le nombre prévisible de candidats se réclamant plus ou moins de (ou étant généralement tenus pour appartenir à) la "gauche politique" française : soit, à la condition que tous obtiennent le parrainage imposé, le (ou la candidate) de Lutte ouvrière, celui du Nouveau parti anticapitaliste, celui du mouvement des cent cinquante mille "Insoumis" rassemblés autour de Jean-Luc Mélenchon, celui ou celle du PCF, et sans doute, depuis hier 7 novembre, Yannick Jadot, le candidat d’Europe-écologie–Les verts. S’y ajoutera à la fin de janvier 2017, le (ou la candidate) qui sortira adoubé de la "primaire" du Parti socialiste, cela, à la condition cependant, qu’il n’y en ait qu’un(e) seul(e), ce qui, au vu des débats et contraintes actuellement connues ou imaginées, ne va pas de soi !

Dans ces conditions, il n’y aura donc aucune chance (cela va sans dire) pour que la "gauche (quid ?)" soit présente au second tour de l’élection présidentielle, compromettant du même coup sa présence effective dans la compétition qui suivra, conduisant à l’élection des députés. En conséquence, chacun(e) constatera alors que nous, le PCF, aurons plaidé totalement en vain pendant presque deux ans pour une candidature commune, en réclamant par une sorte de rhétorique se révélant creuse in fine, la mise en place d’un processus de désignation d’une candidature unique de la gauche dont personne ne voulait en réalité. Au lieu de prendre toutes les mesures nécessaires pour construire le plus tôt possible une candidature sans équivoque de rassemblement réellement à gauche, nous aurons perdu beaucoup de temps et sans doute de crédit, sinon moral, du moins politique. Le plus cocasse étant d’ailleurs que le PCF finisse par paraître avoir amusé la galerie en finissant comme tous les autres par désigner un candidat ou une candidate relevant de ses rangs !

Pourquoi en sera-t-on arrivé à ce point ? Tout simplement parce que la proposition implicite d’abord, explicite ensuite, du PS de renouveler le bail présidentiel accordé à François Hollande (ou à défaut, à l’un de ses homologues) depuis le second tour de 2012, n’a pas été radicalement récusée dès 2013, comme il l’aurait fallu. Pourtant de trahison en trahison, de renoncement en renoncement, chacun voyait bien que l’issue inévitable du quinquennat en cours serait le discrédit total de l’homme-président. Et bien entendu, de tout son parti. Lequel parti, majoritairement aligné sur sa politique malgré la distance prise et l’esprit de "fronde" qui parut tardivement agiter quelques-un(e)s de ses soutiens antérieurs, ne l’a jamais véritablement lâché. Reste que la déconfiture totale qui marque la fin du quinquennat de Hollande était prévisible dès l’été de 2012. En ce qui me concerne, dès ce moment-là et bien modestement, j’en avais énoncé dans mes lettres périodiques, l’issue inexorable et j’ai écrit en 2015 un livre entier, paru en avril 2016, pour le rappeler. Aujourd’hui, le constat est partagé par tout le monde (ou presque). Mais pourquoi avoir transigé si longtemps avec la reconnaissance de la vérité des faits en laissant entrouverte l’hypothèse d’un infléchissement politique, d’une possibilité d’évolution positive ou de contournement parfaitement illusoire du hollando-vallsisme ? Se montrer "unitaire pour deux" et "ouvert" à tous les possibles, n’a jamais voulu dire qu’il fallait renoncer à regarder les choses en face…

L’une des raisons de la myopie qui a frappé nombre de dirigeants du PCF et qui vient encore de s’exprimer, vient de leur rejet avoué de la personne de Jean-Luc Mélenchon, un leader dont ils avaient déjà accepté très difficilement de soutenir l’inévitable candidature à la présidentielle de 2012. Derrière les justifications diverses plus ou moins biaisées de cette méfiance à l’encontre de JLM, en soi assez banale compte tenu de son passé militant et de sa position de sénateur puis d’ancien ministre, une seule fut commune à la plupart des récriminants ou des plus hostiles : la crainte de voir s’imposer, avec la nouvelle autorité que lui apportait sa campagne réussie de 2012, le vaste projet qu’on lui prête de vouloir "recomposer" l’ensemble des dispositifs politiques qui caractérisaient la "gauche française", parti communiste compris, depuis trois quarts de siècle. Et, plutôt que de prendre sa part dans l’inévitable reconstruction organique qu’imposait le nouvel ordre du monde en pleine mutation (en Europe singulièrement) et donc de prendre réellement en considération les nouvelles formes de structuration et d’expression (ou de re-configuration) des sensibilités populaires à la suite de l’auto-liquidation du "modèle soviétique" de définition du socialisme, le PCF s’est surtout attaché à renforcer son unicité partisane et à consolider autant que faire se pouvait les cadres habituels où, naguère, il avait pu imposer sa présence dans un espace politique national qui perdait pourtant une bonne partie de sa prégnance. La liquidation implicite, quelquefois articulée à des échéances électorales intermédiaires, de ce qui accompagna initialement l’esquisse de reconstitution de l’espace politique que le Front de gauche avait incarnée, n’a cessé de s’approfondir au sein du PCF depuis 2013… En sorte qu’en 2016, la candidature de Jean-Luc Mélenchon, pourtant légitimement inscrite dans la trajectoire négociée en 2011 sur la base de l’accord de 2008, a pu paraître aux yeux d’une majorité de communistes comme un coup de force insupportable, une sorte d’insolite pronunciamento !

Je l’énonce sans hésitation : je ne suis pas surpris de cette situation que je voyais venir depuis 2013. J’en apporte la preuve. Le 8 novembre de cette année-là, alors qu’en vue des élections municipales, se nouaient, à la demande même de la direction du PCF, des accords "à la carte" selon les villes ou les territoires, en vue de la constitution de listes de rassemblement "à gauche" ouvertes le cas échéant aux hollandistes, avoués ou honteux, j’avais envoyé un courriel à divers destinataires hautement responsables pour les mettre en garde contre les conséquences "funestes (sic)" à venir (selon moi) de cette première forme camouflée de rejet de la stratégie nationale de rassemblement unitaire impliquée par l’existence du Front de gauche. L’Humanité publia un écho de cette correspondance dont je reproduis ici la version téléchargée à l’intention du destinataire "filrouge@humanite.fr" et de quelques autres responsables :

Document :

« Je tiens à écrire mon désaccord profond avec le contenu de la réponse à Gérard Mordillat, de Henri Malberg (dont je soutiens par ailleurs activement les initiatives prises en faveur de notre journal quotidien), réponse parue dans L’Humanité de ce jour 8 novembre, page 20. Non que je ne mesure pas la qualité et l’importance de ses arguments l’un après l’autre, mais, pour le dire d’un mot, je n’approuve pas le sens général de son texte en raison de la rupture stratégique que la position indiquée implique finalement et dynamiquement, sur le fond des questions évoquées et, quoi qu’il en dise, avec ce que nous nous évertuons à construire, nous étant le PCF, depuis 2008. Au-delà des différences d’appréciation sur le détail de ce qu’écrit Henri à propos du PS, son texte paraît carrément ignorer la dénaturation plus ou moins récente de ce parti, incarnation de cette social-démocratie à la française dont chacun, peut-être abusivement, se plaisait à montrer naguère l’originalité. En tant que formation politique nationale installée au pouvoir, le PS n’est pas simplement "l’équipe de Hollande" (comment peut-on écrire cela ?), il est devenu, en tant que tel et avec le soutien de tout son appareil de direction et l’immense majorité de ses élus, l’un des premiers appendices français du néo-libéralisme dominant en Europe. Il en accepte sans barguigner les moindres indications politiques institutionnelles, quasiment toutes les stipulations économiques et même les canons culturels, ce qui est nouveau. Faut-il taire la vérité en attendant une éventuelle reconversion dans le bon sens ? Pendant combien de temps encore ? Faut-il passer, une fois de plus, sous les habituelles fourches caudines quand d’hypocrites diktats nous sont imposés, accompagnés du sourire de charmants visages et qu’on nous offre simultanément des bouquets de roses, le plus souvent empoisonnées, comme avant 2002 et encore depuis 2005 ? A cela qui est primordial, s’ajoute le fait dans le texte de Malberg, de juger d’une décision prise par une courte majorité d’adhérents parisiens avec le soutien actif de la direction du PCF, d’une décision politique relative à Paris qui est la capitale historique de ce pays, la France, qu’elle incarne symboliquement, comme s’il ne s’agissait que d’une simple décision à caractère "municipal (sic)" qui ne concernerait qu’une banale cité française du plat pays...

Je crains que la décision du PCF parisien et le discours qui l’accompagne, n’aient finalement que des suites funestes, des suites dont on mesure encore mal les effets mais qui contribueront, je le crains sans le souhaiter et tout en le combattant, à ne plus nous différencier de ces pays d’Europe où ce que nous incarnons d’essentiel s’est en quelque sorte auto-détruit, sous la pression de la conjoncture, certes, mais plus encore de l’opportunisme pragmatique. »

Je n’ai rien à ajouter à ce qui pourrait passer aujourd’hui pour une anticipation divinatoire. Sinon ceci : quel que sera le vote des "cinquante mille adhérents" du PCF les 24, 25 et 26 du mois de novembre 2016, il ne faudra pas se bercer d’illusions sur les effets plus ou moins "positifs" de la décision qui en sortira. "Option 1" choisie à l’encontre du choix de la Conférence nationale ou "option 2" confirmée, les retards cumulés à prendre l’éventuelle "bonne" direction et les palinodies qui en auront accompagné l’adoption, pèseront lourdement sur notre avenir politique, proche et plus lointain.

Et cela me déchire le cœur.

Nîmes, le 8 novembre 2016.

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