Manifeste pour une poésie révolutionnaire et internationaliste Amiri Baraka et Ludo Martens

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En août 1993, Ludo Martens, président du PTB et auteur de plusieurs ouvrages, a rencontré Amiri Baraka (LeRoi Jones) lors d’un festival de poésie à Eindhoven. Discutant de l’art dans un monde en plein virage à droite, ils en sont venus à l’idée d’écrire un manifeste susceptible de rassembler dans un contre-courant les poètes révolutionnaires du monde entier. Voici ce manifeste.

La poésie a-t-elle encore un avenir dans un monde où volent des avions de combat invisibles, où tombent des bombes "intelligentes", où les valeurs humanitaires servent de drapeau aux agressions et aux carnages, où les embargos, d’une main de fer, étranglent des enfants et où les haines racistes et nationalistes provoquent des massacres en série ?

Peut-être. A condition qu’elle entre dans la clandestinité, qu’elle vive dans l’ombre, qu’elle prenne le maquis.

A condition que la poésie se rende invisible aux hommes des bombes "intelligentes" et qu’elle se fonde aux hommes véritables.

Nous ne parlons pas au nom de la poésie. Comme le maquisard ne peut pas parler au nom du fusil. Le fusil du guérillero est à l’antipode du fusil de Rambo. Notre poésie est à l’antipode des chants qui égayent les nuits d’un système criminel.

Plus les poètes en service commandé ouvrent le registre lyrique de la démocratie et de la liberté, plus les véritables poètes sont contraints de parler de terreur et de mort. A mesure que les bourgeois exaltent plus fort leurs valeurs universelles, la planète se fend davantage en deux mondes irrémédiablement hostiles.

Celui qui veut versifier au nom des opprimés a intérêt à se tenir sur ses gardes. Sa lucidité politique doit précéder son lyrisme et derrière ce couple vertueux, il se frayera le passage vers un avenir socialiste.

Il est poète révolutionnaire et internationaliste.

Il est poète et rien de ce qui est humain ne lui est étranger

Il vagabonde entre la naissance et la mort, entre l’amour et l’amertume, entre l’espoir et la défaite, entre la fraternité et la solitude.

Pourtant, il ne partage aucun sentiment, aucune sensation, aucune réflexion avec ces êtres humains qui font applaudir l’Opération Tempête du Désert, qui mettent en scène le débarquement en Somalie, qui ferment les frontières devant des réfugiés "économiques" en haillons et qui transforment le travail en calvaire.

Le pilote qui a bombardé Bagdad et s’extasie devant la beauté hallucinante des feux d’artifice au-dessus de la ville, est un poète. Mais il n’est pas des nôtres. Nous sommes de tout coeur avec le poète irakien qui, au même moment, traduit l’horreur en vers, mais dont la poésie restera longtemps encore soumise à l’embargo.

Il sait que les droits humains de l’esclave ne sont pas exactement ceux du maître à la cravache.

Il est poète et il soumet la langue à tous ses caprices

Il forme et déforme le langage, lui arrache des sons et lui impose des extravagances, trahit le sens des mots pour le réinventer ensuite. Mais dans un monde inhumain, il ne prêche pas l’absurdité et n’aspire pas au néant. Il a des choses à dire.

Il n’hésite pas à renouveller les formes de la poésie. Sa fantaisie pénêtre toutes les formes et toutes les technologies de pointe se plient à sa vision. Mais dans sa forme la plus excentrique, il parle au nom des pauvres dont il est l’orphélin.

Il est poète internationaliste et un monde de souffrances et d’espoirs habite son coeur

Sur une planète rétrécie à la dimension d’un village, les communications ont aboli les distances, les transports ont transformé tous les hommes en voisins. Le capitalisme épie désormais ses proies sur la mappemonde, prêt à plonger, en un instant, sur n’importe quelle région où il y a de la matière première à voler, de la main d’oeuvre bon marché à exploiter, des marchés à conquérir. Le capitalisme prêche le nouvel évangile du devoir d’ingérence humanitaire et il tient ses forces d’intervention rapide à six heures de distance du coin le plus perdu de la terre. Les multinationales, le F.M.I., la maffia et la CIA ont leurs quartiers généraux en Occident et leurs tentacules étendus sur les cinq continents. La corruption des despotes locaux en Asie, en Afrique et en Amérique latine est le pâle reflet de la corruption des tyrans occidentaux.

Le poète internationaliste, d’où qu’il vienne, parle le dialecte parisien et berlinois, londonien et new-yorkais comme celui de Tokyo selon qu’il s’adresse à l’enseignant licencié de Paris, à l’employée au salaire réduit de Berlin, au sans-logis de Londres, au chômeur malade de New York ou à l’ouvrier excédé de fatigue à Tokyo.

Et dans le dialecte universel, il décrit, à tous, le sort d’un milliard d’hommes chancelants au bord de la famine, il peint l’agonie de centaines de milliers d’enfants et de jeunes privés de médicaments, il décrit l’enfer de la misère, de l’analphabétisme, de l’obscurantisme, de la vie sans dignité et sans avenir qui est le sort de centaines de millions d’hommes en Afrique, en Asie et en Amérique latine. Le poète internationaliste enseigne à toutes et à tous que là-bas, dans ces démocraties de conquistadores et de pantins, on vend des organes humains, on prostitue des enfants, on exploite des esclaves.

Le poète internationaliste n’a aucune considération pour son frère-ennemi à la tête de Janus, ce poète cosmopolite voyageant en "business class" autour du monde, payé pour chanter la culture bourgeoise de tous les continents et de toutes les nationalités. Le poète de la cour est la bonne conscience de Clinton et de Ramos, de Mitterrand et de Mobutu, de Kohl et de Perez, de toute cette ligue internationaliste de sangsues.

Vu de près, le poète cosmopolite porte dans la nuque la tête de mort du chauvinisme. Si besoin en est, pour plaire à son souverain, dans chaque pays, dans chaque région, dans chaque province il vous enfoncera le visage dans le sable à coups de racisme, d’obscurantisme et d’anticommunisme.

Il est poète internationaliste et révolutionnaire. Sous sa plume se disloque une société immonde et se dessine un monde nouveau

Poète révolutionnaire, il sait ce qui rend l’art exécrable. Il connaît l’objet de sa rage destructrice.

Exécrable, elle l’est, cette culture dont l’addition se chiffre en milliards de dollars. Exécrables, ces séries policières et ces films débordants d’originalité dans un cadre bourgeois mesquin, comme ces chansons nulles que fabriquent les multinationales, l’oeil rivé sur les bénéfices. Mangeant dans des mains criminelles, léchant des bottes qui reviennent de la guerre, le poète-croupier crée ce qui rend les hommes bornés, abrutis et égoïstes.

Exécrable, il l’est, cet art pour l’art, élitaire et hermétique, qui apporte aux bourgeois un semblant de culture et les confirme dans leurs agissements infâmes. L’art pour l’art réussit à celui qui n’a jamais vécu dans le monde des humains. Pour les autres, cet art est fait d’irresponsabilité, de lâcheté et de complicité coupable.

Exécrable, elle l’est, cette poésie engagée aux côtés des riches.

Que n’ont-ils pas fulminé, ces nantis, contre notre art engagé, l’art utilisé à des fins politiques, l’art du réalisme socialiste !

Mais à peine avaient-ils arraché cette arme de nos mains, qu’ils la tournèrent contre nous. Ils nous ont combattu au nom de la liberté de l’artiste. Mais les riches, ayant libéré leurs poètes de tout idéal social, les ont engagés dans leur combat contre le peuple et le socialisme. Les bourgeois ont craché sur le réalisme socialiste pour mieux glorifier le réalisme anti-socialiste. Soljénitsyne, admirateur du tsarisme, sympathisant des nazis, collaborateur de la CIA, a lancé sur le marché son réalisme contre-révolutionnaire qui, sans délai, fut popularisé à coups de prix Nobel et de diplômes honoris causa. A Valladares, cet ignoble flic emprisonné à Cuba, la CIA donna l’ordre d’écrire des poèmes qui furent immédiatement diffusés sur la terre entière comme chefs d’oeuvres de l’art anti-totalitaire. Le poète Valladares est aujourd’hui haut fonctionnaire du State Department. Il ne fait plus semblant d’écrire de la poésie, il rédige sans détours ses réquisitoires prosaïques contre le socialisme.

Poète révolutionnaire il sait ce qui rend l’art humain. Il s’arme de mots forts qui explosent comme des grenades à la face des classes exploiteuses.

Il n’y a pas d’humanité en dehors de l’engagement aux côtés des opprimés et des exploités, en dehors de la liaison avec les ouvriers, les paysans, les travailleurs qui subissent un ordre injuste et insupportable, en dehors de l’unité de coeur avec les combattants et les militants qui affrontent l’impérialisme et le capitalisme. Impérialisme et capitalisme, retenez bien ces termes, chers frères-ennemis. Un poète a dû réinventer ces mots que vous aviez rayés du dictionnaire pour crime de langue de bois.

Il n’y a pas de révolution en dehors de la tradition révolutionnaire

Spartacus a connu la défaite contre l’empire romain, mais nous honorons aujourd’hui sa mémoire en luttant contre les empires du présent. L’Union soviétique a construit, pour la première fois en dix mille ans d’histoire humaine, une société où les classes opprimées ont imposé leurs idéaux, leurs intérêts, leur volonté aux exploiteurs. Le socialisme a fait surgir des complexes industriels de la steppe, a envoyé les fils et les filles d’analphabètes à l’université, a récité des poésies devant les hauts fourneaux et dans les champs collectifs, a saigné à mort la bête immonde, le fascisme allemand.

Depuis 1917, le vieux monde a battu le rappel de tous ses bourreaux et geôliers, de tous ses évêques et philosophes, de tous ses généraux et banquiers, de tous ses saltimbanques et poètes. Plus la construction socialiste prenait de l’ampleur et plus nettement la bourgeoisie mondiale voyait rôder la mort dans ses parages. La vieille société s’est débattue avec une rage farouche.

Pourtant, en Union soviétique, les fatigués de la guerre, chefs de parti, ingénieurs, gestionnaires, professeurs et poètes, tous métiers confondus, avaient déjà annoncé au monde leur victoire irréversible. Et dormant sur leurs lauriers, ils furent lentement drogués ou doucement étouffés. L’ennemi fut plus fort, plus perfide, plus cruel et barbare que les humains l’avaient imaginé.

Le poète révolutionnaire se charge de sauver des décombres les acquis littéraires et lyriques des anciennes sociétés socialistes. Il sauvera de la boue et de la défaite les meilleures poésies du monde socialiste et leur donnera une nouvelle vie pour un nouveau combat.

Parce que le socialisme est l’avenir de l’humanité

Qu’aujourd’hui seuls les loups aient droit à la parole ne change rien à cette vérité. Le vieil adage que l’homme est un loup pour l’homme ne marque pas la fin de l’histoire. Un jour, l’humanité souffrante mettra fin à la propriété privée des centres nerveux de la société. Cette propriété privée qui permet, en toute légalité, d’affamer et d’asphyxier, d’empoisonner et de mutiler, de pousser à la folie et à la mort. La propriété sociale des grands leviers de la société constituera le fondement des valeurs collectivistes et des principes de solidarité et de fraternité entre les travailleurs.

Le socialisme sera la victoire des humains contre les loups déguisés en démocrates. La parole aux sans voix ! Les dix prochaines générations, les loups porteront une muselière en fer.

Sur cette terre de moins en moins vivable, nous avons un monde à gagner.
Sur les décombres d’une civilisation barbare, nous avons un monde humain à construire.

Le poète révolutionnaire et internationaliste y apporte sa modeste pierre.

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