Manifestation, rapport de forces, 6ème république et changement de société Quelle réponse à la crise politique et sociale ?

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L’appel à la manifestation le 5 Mai, initié par Jean-Luc Mélenchon et ses déclarations médiatiques, est repris par le PCF sous le titre "contre l’austérité et la finance, pour la 6eme république".

On ne peut que se réjouir si cet appel à la mobilisation permet au monde du travail, aux quartiers populaires, de reprendre la parole dans cette société du spectacle qui nous balade de guerres en affaires, de péripéties politiciennes en drames terroristes super-médiatisés.

Mais pour réussir cette mobilisation, il faut répondre aux questions sur lesquelles le mouvement populaire butte depuis des années avec un sentiment d’échec, d’inefficacité, qui pèse justement sur la mobilisation.

- Pourquoi les grandes manifestations de 2009 n’ont-elles pas permis de faire reculer le pouvoir ? simplement parce que c’était Sarkozy ? Le fait de l’avoir viré change-t-il quelque chose de ce point de vue ?
- Pourquoi le vote populaire de 2005 contre le traité constitutionnel a-t-il pu être si facilement violé par les pouvoirs de droite et de gauche ?
- Pourquoi les grands meetings de la campagne de Mélenchon ne se sont pas transformés en puissantes manifestations contre l’ANI le 5 Mars et le 9 Avril ?
- Pourquoi les forces organisées de résistance, autant au plan syndical que politique, continuent à s’affaiblir chez les ouvriers, les employés, le monde du travail en général ?

Ces questions ne sont pas nouvelles. Elles ont été plus ou moins discutées dans le mouvement social, dans les syndicats avec le dernier congrès de la CGT, et aussi entre communistes dans leurs derniers congrès. Mais qui peut dire que les réponses à ces questions fondamentales sont claires, partagées, et que le peuple est en ordre de bataille pour repartir à l’attaque des bastilles de l’argent ?

De fait, les congrès du parti communiste n’ont jamais clairement fait l’analyse des rapports de forces. Ils ont toujours été tendus vers la prochaine élection, les comités anti-libéraux en 2007, les suites du Front de Gauche en 2012 et la recherche des conditions pour "peser à gauche", "faire réussir la gauche", "rassembler toute la gauche"...

Or les leçons des dernières années sont dures pour les militants :

- tous ceux de l’université qui s’étaient mobilisés contre la LRU, ceux des communes qui s’étaient mobilisés contre la réforme Balladur, tous les syndicalistes qui s’étaient mobilisés contre la casse des retraites, du droit du travail, des prudhommes, tous les enseignants du primaire qui refusaient les fermetures de classes... Tous voient avec effarement un gouvernement de gauche tenir une politique de continuité avec le précédent gouvernement que certains qualifiaient de pré-fasciste...

- tous les militants enthousiasmés par les grands meetings du Front de Gauche qui pensaient qu’avec plus de 10% des voix au premier tour des présidentielles, le Front de Gauche allait peser sur le gouvernement, qui donc soutenaient avec énergie l’action des sénateurs bloquant des lois pour la première fois de l’histoire de la gauche, qui pensaient qu’au moins cette grande campagne avait fait émerger un renouveau militant, que pour la première fois, la gauche socialiste allait être confrontée à un vrai mouvement social... tous constatent le 5 mars et le 9 avril une mobilisation faible. A Lyon, deux à trois fois moins de monde le 9 Avril que pour le meeting de Mélenchon à Villeurbanne au début de sa campagne !

Ce n’est pas le fait d’avoir perdu une bataille qui est un problème en soi, ce n’est bien sûr jamais une bonne chose, et toutes les victoires sont bien sûr des expériences irremplaçables pour faire grandir les mobilisations, mais le pire, c’est de ne pas comprendre les raisons de l’échec ! C’est que la mobilisation ne conduise pas à un renforcement des organisations, de la capacité collective à "comprendre le monde pour le transformer".

Tentons donc d’apporter des éléments de réponses à ces questions essentielles pour faire grandir la mobilisation populaire. Ce débat est urgent et indispensable.

Pourquoi les grandes manifestations de 2009 n’ont-elles pas permis de faire reculer le pouvoir ? simplement parce que c’était Sarkozy ? Le fait de l’avoir viré change-t-il quelque-chose de ce point de vue ?

Sans doute que la première réponse est toute simple. Peu importe ce que disent les médias, peu importe tel ou tel évènement particulier, à la fin, ce qui compte c’est le rapport des forces qui n’est favorable que "quand ceux qui sont dirigés ne veulent plus être dirigés et quand ceux qui dirigent ne peuvent plus diriger". Toute l’histoire nous montre que le capitalisme sait parfaitement "gérer" des révoltes massives et même violentes. L’expérience récente de la Tunisie montre même qu’il peut se sortir d’une révolution qui bouleverse pourtant les institutions politiques. A l’inverse, les révolutions qui ont conduit à une transformation de société, celles du XXème siècle comme celles plus récentes de l’Amérique Latine, montrent que le rapport des forces se juge au final par la capacité du peuple à résister à des coups d’états, à des tentatives de division, à des manipulations extrémistes. Allende a pu être assassiné par les avions US car la droite avait pu mobiliser contre lui de larges couches sociales. Chavez a pu tenir parce que le peuple est massivement sorti dans les rues et aussi que l’armée lui est restée fidèle.

A l’échelle d’une entreprise, l’expérience du mouvement ouvrier souligne l’importance de la grève, non seulement pour exprimer sa colère, mais pour faire mal au patron sur le nerf de la guerre, l’extraction de la plus-value, le cycle de reproduction du capital. Or, les manifestations de 2008-2009 ont été organisées comme moyen de faire monter la pression politique en prévision des élections suivantes. Il ne s’agissait pas de construire patiemment un blocage du pays pour rendre "impossible" au pouvoir de gouverner, mais de construire par étape une majorité capable de "changer de gouvernement". Quand une manifestation devient politique en exigeant la démission du premier ministre, ce doit être dans l’objectif de le faire tomber, tout de suite, ou le plus vite possible, de créer une situation telle qu’il soit contraint de reculer ou d’abdiquer !

De fait, la vérité des mouvements sociaux des trente dernières années, à l’exception de 1995 qui avait bloqué le pays pendant 3 semaines, c’est qu’ils sont restés minoritaires dans la masse du peuple et qu’ils n’ont jamais mis en difficulté le pouvoir pour gouverner. 3 Millions de manifestants, ce n’est pas une majorité ! Ce sont des catégories sociales entières qui étaient peu mobilisées, pour l’essentiel, les quartiers populaires et les dix millions de précaires, pauvres, et exclus, mais aussi la masse des ouvriers qui sont encore plus de 2 millions au sens de l’INSEE et qui restaient minoritaires dans le mouvement.

Enfin, si dans quelques endroits, certains ont tenté d’installer le mouvement dans la durée, recherchant les conditions d’un blocage du pays, pour l’essentiel, les manifestants, suivant en cela les consignes des directions syndicales, se sont contentés de ces grandes journées de manifestations périodiques sans participer sur le terrain à l’organisation concrète de la solidarité, de l’appropriation collective du mouvement, de la capacité de blocage, de l’élargissement du mouvement...

Concentrer la bataille médiatique contre la personne de Sarkozy était un piège, poussant une large part des forces nécessaires à "attendre" la prochaine présidentielle pour virer ce petit nain qui semblait être le seul responsable, et voter pour celui qui paraitrait le plus capable de le renverser, comme si le contenu de la rupture politique était secondaire...

Il y a un lien étroit entre la réalité du mouvement qu’on construit au quotidien et la capacité à peser sur les grands moments de la vie politique. Les médias, les élections, les grandes manifestations sont utiles s’ils concourent à renforcer l’organisation de terrain, la capacité d’action collective, la réflexion collective dans l’usine ou le quartier. Ils peuvent provoquer l’inverse s’ils en sont déconnectés. C’est la leçon que les communistes, le mouvement syndical devraient tirer de l’expérience, et qui devrait guider les décisions pour la mobilisation.

Pourquoi le vote populaire de 2005 contre le traité constitutionnel a pu être si facilement violé par les pouvoirs de droite et de gauche ?

Cette question est tout aussi essentielle. Elle est très actuelle avec le référendum en Alsace qui a conduit immédiatement la direction du parti socialiste a envisager que la loi fasse malgré tout ce que le référendum avait rejeté... comme avec le traité constitutionnel ! Mais si la démocratie peut-être aussi facilement bafouée par le pouvoir, à quoi sert le vote ?

Certains diront que c’est le piège d’un référendum qui ne remet pas en cause le pouvoir existant. Mais on vient de changer le président de la république. La gauche est majoritaire partout, au Sénat, à l’Assemblée, dans les régions, les départements et presque toutes les grandes villes...

Qu’est-ce qui fait que le pouvoir peut faire totalement le contraire de ce que demandent ceux qui ont voté ? Même si on tient compte de la confusion dans les consciences sur de nombreux sujets, il en est certain qui sont clairs. Dans sa grande majorité, le peuple a dit avec force qu’il ne voulait plus payer pour la finance, les banques, les paradis fiscaux, les spéculateurs... Bien sûr, rien n’est simple, mais le sens politique du vote est sans ambiguïté. Hollande a été élu sur son message fort "mon ennemi, c’est la finance".

Quelle leçon en tirent ceux qui ne votaient plus, et ceux qui ont encore voté pour rejeter Sarkozy ? Je crains que sans autre explication sur le sens que nous donnons à l’élection, la grande majorité du peuple ne considère que l’élection est un piège à con, que rien ne peut venir de bon du vote. L’abstention peut battre en 2014 tous les records, pour les municipales, malgré l’attachement des gens à leur ville et leur maire, et peut devenir un choc majeur pour les européennes qui suivront.

Les communistes grecs ont fait un choix radical et très critiqué, mais qui a un grand mérite, dire sans mentir la vérité de ce qu’est la démocratie dans le capitalisme. La forme politique de la domination de la bourgeoisie inventé dans la révolution française contre la noblesse, pour une société ouverte ou les initiatives privées peuvent se développer, mais ou cette même bourgeoisie garde tous les vrais leviers du pouvoir, les banques, la haute administration, les services, la police... et peut à tout moment mettre en cause même cette démocratie apparente. Il n’y a donc aucune victoire électorale qui ne soit pas une victoire sociale de classe, c’est à dire une victoire qui s’organise en même temps dans les entreprises et dans les bureaux de vote.

Pourquoi le vote de 2005 a pu être violé ? pourquoi le vote Hollande "de gauche" peut-il être retourné si facilement ? Parce que le vote n’est rien sans la lutte organisée pour prendre le pouvoir partout où la bourgeoisie le détient !

Pourquoi les grands meetings de la campagne de Mélenchon ne se sont pas transformés en puissantes manifestations contre l’ANI le 5 Mars et le 9 Avril ?

Les deux premières réponses entrainent bien sûr la suivante. Les grands meetings de Mélenchon ont été construits comme des évènements médiatiques, les seules organisations de terrain actives pour y contribuer étaient les structures du PCF et pour une part des syndicalistes de grandes entreprises, des Unions Locales ou Départementales, mais tout était tiré par l’équipe de choc piloté par JLM nationalement, et tous les efforts étaient faits pour produire de l’évènement, faire foule, valoriser les discours, les prolonger par du buzz internet, mais sans faire grandir un mouvement "en bas", sur le terrain. J’ai déjà témoigné que le grand meeting de Villeurbanne, le premier de la série, qui m’avait surpris par son ampleur, a laissé le plus grand campus de la région Rhône-Alpes sans rien pendant les mois qui ont suivi. Pratiquement pas de tracts, aucune autres rencontres locales, presque pas de collage...

Bien sûr, si la révolution citoyenne consiste à porter au pouvoir un leader, ou même un parti, pour qu’il transforme la société par des lois, fussent-elles constitutionnelles, alors il faut tout miser sur l’espoir d’un "Chavez" qui va enfin mettre en œuvre une vraie politique de gauche.

Mais imaginons une telle rupture et la décision d’engager un processus constitutionnel, l’organisation d’une assemblée constituante. Comment fait-on et quelles sont les questions concrètes qu’il faudrait résoudre. Car ce serait une véritable guerre contre toutes les forces sociales qui sont aujourd’hui bénéficiaires du système, même petitement. Pour prendre un exemple simple, pourquoi les salariés qui ont perdu la défiscalisation des heures supplémentaires sont-ils mécontents ? Or, toutes les élites médiatiques, institutionnelles, économiques, culturelles sont massivement dépendantes du système actuel ! Comme au Venezuela, elles feront tout pour défendre leurs privilèges, et beaucoup sont "de gauche" !

- Ce que nous disent les participants des meetings de Mélenchon qui n’ont pas manifesté le 9 avril, c’est que pour eux, la révolution citoyenne n’est pas une urgence personnelle. Ils viendront peut-être le 5 Mai, et ensuite ils attendront la prochaine grande date...
- Ce que nous disent les travailleurs qui ne sont pas sortis le 9 Avril, c’est qu’ils ne croient pas que l’heure de la "prise de la Bastille" est venue, qu’ils ne voient pas comment on peut s’affronter à ce capitalisme débridé et arrogant.

De fait, en se concentrant sur les grands évènements, les médias et les élections, le Front de Gauche n’a pas donné aux travailleurs de solutions pour penser la rupture politique, le changement de société.

Pourquoi les forces organisées de résistance, autant au plan syndical que politique, continuent à s’affaiblir chez les ouvriers, les employés, le monde du travail en général ?

C’est la question la plus importante. Il y a eu des milliers d’adhésions au PG, au PCF pendant la campagne électorale, et chacun peut constater l’impact sur les initiatives locales...
- face aux grandes réformes encours à l’université, dans les collectivités, dans le droit du travail... les militants se retrouvent bien isolés,
- les organisations de base restent fragiles et les adhésions de 2012 ont pour l’essentiel disparues...
- Le vote pour la représentativité syndicale a permis à la CFDT de se placer au niveau de la CGT et au total, les syndicats de soumission au système sont, de peu, majoritaires...
- dans les entreprises en lutte contre les licenciements, le Front de Gauche apparait comme extérieur, il vient soutenir, mais il n’est pas au cœur du mouvement.

Pour Mélenchon, ce n’est pas grave, de toute façon, c’est tout bénef, il a pu installer son parti qui malgré, les divisions et les conflits internes, s’est installé comme une force bénéficiant complètement de la confusion Front de Gauche, Parti de Gauche. Il n’a pas d’élus à perdre, il fait payer les batailles électorales par le PCF, il bénéficie du soutien d’une Humanité qui est devenue tout autant le journal du PG que du PCF, il est dans les médias LE représentant du Front de Gauche, et sans aucun parlementaire depuis le départ de Marc Dolez, tout se passe comme si les groupes Front de Gauche de l’assemblée et du Sénat étaient les siens pour les médias !

Pour le PCF, c’est l’affaiblissement qui continue. Le dernier congrès a ainsi révélé une nouvelle perte en adhérents, en cotisants et en votants, malgré l’effet 2012...

Il faut surtout rappeler que les analyses sociologiques du vote Mélenchon montrent qu’il représente une mutation par rapport au vote communiste historique que portait encore Robert Hue en 1995. Il progresse très fortement dans les centre villes, le Sud-ouest, et poursuit l’affaiblissement communiste dans le monde ouvrier, notamment du Nord de la France.

Croire que ces constats ne sont pas connus par la masse des gens, qu’il suffirait d’une bonne communication, d’un tract percutant, d’un appel national médiatique, d’un bon mot d’un dirigeant qui passe, enfin, au 20h... c’est se bercer d’illusions, en rester a ce qui n’a pas permis au mouvement populaire de redresser la tête depuis 20 ans de reculs et de défaites.

Ce qui peut donner confiance et envie de mobilisation, c’est la vérité d’un chemin de résistance et de rupture qui soit clair et réponde à ces questions qui sont dans toutes les têtes, de manière consciente ou non.

Dans la nuit de l’occupation, ni la défaite militaire, ni l’horreur du fascisme n’ont interdit la mobilisation. Au début, certains ont affirmé que la défaite du Reich était possible comme un choix politique fondamental, un choix national et souvent un choix de société lié à leur engagement communiste, et chaque action de résistance démontrait que ce chemin était possible, jusqu’à que ce que Stalingrad dise à tous qu’il était désormais réaliste et proche.

Le PCF doit faire partager des réponses claires à ces questions issues de l’expérience pour que le chemin de révolution qu’il propose soit crédible, même s’il n’en est qu’à son commencement.

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