Les "féministes de genre" en arroseuses arrosées

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Dans le charivari de l’élection présidentielle cela a presque passé inaperçu. Mais la décision du Conseil Constitutionnel du 4 mai 2012 relative au délit de harcèlement sexuel devrait sonner comme un coup de tonnerre. Un coup de tonnerre bienvenu par tous les citoyens rationnels préoccupés par la manière dont certains groupes agissants essayent de manipuler le droit pénal pour imposer leur vision fantasmatique des problèmes "de genre" à toute la société.

Il n’est pas question de contester l’existence du problème. Le harcèlement sexuel - entendu comme l’abus par un individu de sa position d’autorité de manière répétée et systématique pour obtenir d’une autre personne des faveurs sexuels - est une réalité présente dans certains contextes professionnels, et il est normal que le droit pénal se penche sur cette question. On peut penser - et c’est mon cas - que faire du harcèlement sexuel un cas particulier par rapport aux autres modes de harcèlement n’est pas justifié et que cette distinction traduit le néo-victorianisme des féministes "de genre" qui dominent le débat sur ces question. Mais bon, si certain-e-s insistent pour inscrire la chose dans la loi, pourquoi pas.

Encore faut-il faire les choses proprement. Si l’on veut punir le harcèlement sexuel, il faut définir précisément ce qu’on entend par là. Autrement, on ouvre la porte à toutes sortes d’incriminations fantaisistes. Lorsque Roméo chante sous le balcon de Juliette, est-ce du "harcèlement" ? Oui, répondront certaines "féministes de genre". Non, répondront la plupart des gens censés. Il faut donc que la loi soit précise, pour permettre aux Roméos qui s’aventureraient à chanter sous les balcons quelles sont les lignes rouges à ne pas franchir. Le principe fondamental du droit pénal est que celui-ci est d’interprétation stricte, c’est à dire qu’il appartient autant que faire se peut au législateur - et non au juge - de fixer précisément la qualification de l’infraction et sa portée : chacun doit pouvoir savoir, lorsqu’il entreprend une action, si celle-ci est punissable ou non. On ne peut pas laisser cela dans le vague avec l’idée que le juge tranchera à posteriori. On retrouve dans cette vision le principe général de non-rétroactivité de la loi pénale et de légalité des peines établi par l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789 : "nul ne peut être puni qu’en vertu d’une Loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée". Ce principe implique que la loi soit suffisamment précise pour qu’on puisse savoir quels sont les actes punissables avant de les commettre.

Il s’ensuit que les lois pénales doivent être bien écrites. Et qu’elles ne se prêtent pas au genre d’activisme législatif auquel les "féministes de genre" nous ont habitué [1]. Car dans le domaine pénal on joue avec la vie, la liberté et la réputation des gens. Et c’est pourquoi la Constitution garantit un certain nombre de libertés et de protections qui sont là justement pour poser des limites aux zélotes divers et variés. On ne peut donc pas écrire n’importe quoi, même avec les meilleures intentions du monde.

L’affaire qui nous occupe est un exemple éclatant de cette tentation totalitaire. Avant 2002, le code pénal dans son article 222-33 établissait le délit de harcèlement sexuel dans les termes suivants : "Le fait de harceler autrui en usant d’ordres, de menaces ou de contraintes, dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle, par une personne abusant de l’autorité que lui confèrent ses fonctions" . Une définition qui paraît finalement fort raisonnable, puisqu’elle exclut Roméo et son balcon, mais que les "féministes radicales" jugèrent encore trop restrictive. Un travail de lobbying efficace aboutit à ce que l’article 179 de la loi du 17 janvier 2002 dite "de modernisation sociale" modifie l’article du code pénal en question. Dans sa nouvelle rédaction, l’article 222-33 devient beaucoup plus vague, et donc beaucoup plus large. Est puni "Le fait de harceler autrui dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle" , quelque soit le contexte, les moyens, le rapport d’autorité. Le pauvre Roméo et autres amoureux transis n’ont plus qu’a numéroter leurs abattis.

A partir de là, la décision du Constitutionnel est limpide :

3. Considérant que le législateur tient de l’article 34 de la Constitution, ainsi que du principe de légalité des délits et des peines qui résulte de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, l’obligation de fixer lui-même le champ d’application de la loi pénale et de définir les crimes et délits en termes suffisamment clairs et précis ; (...)

5. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que l’article 222-33 du code pénal permet que le délit de harcèlement sexuel soit punissable sans que les éléments constitutifs de l’infraction soient suffisamment définis ; qu’ainsi, ces dispositions méconnaissent le principe de légalité des délits et des peines et doivent être déclarées contraires à la Constitution ;

Bien entendu, cette décision a provoqué une levée de boucliers chez les "féministes de genre" et autres fanatiques de la Cause. Avec le discours victimiste habituel "c’est irresponsable et un signe de mépris envers les femmes victimes de harcèlement" [2] [3]. On lui reproche non seulement le caractère "rétrograde" de la décision, mais surtout le fait que le Conseil annule la disposition avec effet immédiat, sans donner le temps de voter une nouvelle disposition remplaçant celle jugée inconstitutionnelle. Ce reproche met en évidence un curieux raisonnement : quid du "mépris" envers les hommes victimes d’accusations de harcèlement et qui risqueraient d’être jugés sur le fondement d’un texte qui ne respecte pas le principe de légalité des peines ? Est-ce que la défense des droits des femmes justifie qu’on prive les hommes des droits garantis par la Constitution ? On retrouve le raisonnement caractéristique des gauchistes lors de l’affaire de Bruay-en-Artois : tout homme est par définition coupable de par son sexe, comme le notaire de Bruay l’était parce qu’il était notaire. Inutile donc de perdre du temps avec des choses aussi secondaires que la présomption d’innocence, le droit à la défense où le principe de légalité de la loi pénale.

On peut certes regretter le vide juridique créé par la décision du Conseil. Mais ce vide était inévitable : on imagine mal que le Conseil, saisi par un justiciable à travers une question prioritaire de constitutionnalité, puisse constater l’inconstitutionnalité de l’article et le garder en vigueur au risque donc que ce justiciable soit condamné sur cette base. On ne répétera jamais assez qu’en matière pénale, le doute doit toujours profiter à l’accusé, et que ce principe n’est pas "rétrograde" ou "ringard" mais qu’au contraire c’est le fondement de nos libertés. Si quelqu’un est responsable de ce vide juridique, ce sont ceux qui ont rédigé et voté le texte que le Conseil vient de déclarer inconstitutionnel. Si les féministes veulent s’en prendre à quelqu’un, c’est à eux qu’il faut s’en prendre. Le problème, c’est que la rédaction issue de la loi du 17 janvier 2002 a été proposée par un gouvernement dont Marie-George Buffet était ministre, et qu’elle a été votée par une majorité de gauche à l’Assemblée après un lobbying intense de ces mêmes féministes. Si les "féministes de genre" qui protestent aujourd’hui avaient pris la peine hier de consulter quelques juristes ou même avaient fait preuve de bon sens au lieu de se laisser emporter par leurs penchants punitifs, on n’en serait pas là.

Dans un article précédent, j’avais décrit la "question prioritaire de constitutionnalité" comme une machine infernale qui,à terme, allait changer la manière dont la loi est faite. Avant, les lois faites et promulguées étaient inattaquables. Il suffisait donc sur des sujets comme celui-ci d’intimider suffisamment de députés et de sénateurs pour empêcher que la loi soit soumise au Conseil avant la promulgation, et le tour était joué. Et les minorités agissantes ont les moyens de cette intimidation : Quel député allait se risquer à défier publiquement les dragons du "féminisme de genre" au péril d’être cloué au pilori pour une banale question de constitutionnalité ? Maintenant, tout est différent : un justiciable peut à tout moment soulever l’inconstitutionnalité de la loi qu’on prétend lui appliquer, et provoquer son annulation par un tribunal dont les membres ne sont pas soumis à la pression électorale. Cela aura, à mon avis, des effets négatifs sur un certain nombre de questions. Mais aura au moins l’avantage de mettre fin à certains "monstres juridiques" conjuré par l’ignorance et le fanatisme ce certains groupes de pression.

Descartes

Voir en ligne : sur le blog de Descartes....

[1Pour un exemple éclatant, je vous recommande la lecture de la proposition de loi "sur les violences faites aux femmes" rédigée par plusieurs organisations féministes et déposée à l’Assemblée Nationale le 20 janvier 2007 par Marie-George Buffet. Ce monstre juridique de 116 articles est truffé d’aberrations, dont la plus terrifiante est la création d’un ensemble spécifique de juridictions particulières pour juger les "violences à l’encontre femmes" : un juge d’instruction spécial dit "juge de la violence à l’encontre des femmes", un "tribunal de la violence à l’encontre des femmes", une "cour d’assises de la violence à l’encontre des femmes" et une "chambre de la violence à l’encontre des femmes" dans chaque Cour d’Appel (pour des raisons mystérieuses, il n’est pas proposé de créer une chambre spéciale à la Cour de Cassation... un oubli, peut-être ?) dont la composition laisse peu de doutes sur le fait qu’il s’agit plus de lyncher les accusés que de rendre la justice. De telles dispositions - dont la constitutionnalité est fort douteuse, puisque l’article 2 interdit précisément les discriminations de sexe, et implique donc que hommes et femmes répondent des mêmes délits devant les mêmes juridictions - ré-introduit dans notre droit les "privilèges de juridiction" abolis depuis la Révolution sous une forme très curieuse : la juridiction compétente serait déterminée par le statut de la victime. Que l’ensemble des députés du groupe communiste ait signé pareille absurdité est une preuve du supplémentaire du pouvoir d’intimidation dont disposent ces groupes... à moins bien sur que ces députés ne prennent pas la peine de lire ce qu’ils signent.

[2Déclaration du Parti de Gauche du 4 mai 2012 (consultable ici) sous la signature de Delphine Beauvois et de Martine Billard. Laurence Cohen , responsable de la "commission droits des femmes/féminisme" du PCF signe un communiqué encore plus explicite : "Cette décision lourde de conséquences pour les femmes nous laisse entrevoir une fois de plus la banalisation du machisme et des violences qu’elles subissent". Pour ensuite demander que "dans l’immédiat, que le Conseil constitutionnel revienne sur sa décision et que la loi actuelle, même imparfaite, continue à être appliquée jusqu’au vote d’une nouvelle loi". L’idée qu’un homme puisse être condamné à une lourde peine sur le fondement d’une loi "même imparfaite" qui porte atteinte à ses droits constitutionnels ne semble pas poser à Laurence Cohen un quelconque problème de principe...

[3On remarquera que tous ces communiqués sont signés de personnes de genre - a-t-on le droit de dire sexe ? - féminin. C’est une particularité des "commissions femmes" des partis : alors qu’on admet parfaitement que la commission "handicap" contienne autre chose que des handicapés, que la commission "migrants" ait des membres qui ne sont pas immigrés, les commissions "femmes" sont inévitablement composées et présidées par des femmes. Ce n’est pas innocent : on conçoit aisément qu’un intellectuel puisse se battre pour les ouvriers, qu’un valide se batte pour les droits des handicapés. Il est inconcevable, dans la vision gynocentrique des "féministes de genre", que quiconque qui n’est pas une femme puisse se voir confier le combat pour les "droits des femmes".

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