La révolution informationnelle ou l’illusion du bénévolat

, par  Xuan , popularité : 3%

On trouve résumée la thèse de la révolution informationnelle dans plusieurs textes de Boccara, Lojkine, Verroust.

Par exemple dans le cours 1994/1997 à Paris VIII de Gérard Verroust : Histoire, épistémologie de l’informatique et Révolution technologique, qui retrace un historique très détaillé et instructif du calcul automatisé et de ses applications.

Ou bien dans Economie et Politique 626-627 septembre-octobre 2006  :

Dans le cadre des journées d’étude des 19 et 20 mai 2006 sur ’Alternatives, émancipation, communisme’, un atelier a traité le thème, introduit par Paul Boccara : « révolution informationnelle, dépassement du capitalisme et enjeux de civilisation ».

Ou plus récemment dans Une autre façon de faire de la politique, de Jean Lojkine, dont communistes-unitaires fait en février de cette année un résumé sur Mediapart : La révolution informationnelle antichambre autogestionnaire du communisme 2.0 ?

Le sparadrap de Boccara

Avant d’aller au fond, cet extrait de l’introduction au thème « révolution informationnelle, dépassement du capitalisme et enjeux de civilisation » en dit long sur le « communisme » de Boccara.

Au milieu du jargon embarrassé sur les enjeux de civilisation nouvelle et les transformations démocratiques radicales se promène comme un petit papillon le sparadrap du capitaine Haddock, un sparadrap dont Boccara aimerait bien se débarrasser : le communisme.

« L’atelier sur la révolution informationnelle se situe dans le cadre du colloque « alternatives, émancipation et communisme ». Cependant, selon moi il n’y a pas un « a priori » de société communiste, de façon sectaire, mais des enjeux de civilisation nouvelle de nos jours pour toute la société. Et peut-être, alors, y a-t-il un « a posteriori » de l’analyse des potentiels de partage, de mise en commun jusqu’à chacun, et donc des caractéristiques d’un communisme de liberté pour chacun de cette civilisation qui deviendrait possible, face aux conditions nouvelles de l’humanité, vers laquelle on pourrait avancer avec des transformations démocratiques radicales ».

Pour résumer

Ces théoriciens développent la théorie d’une révolution informationnelle selon laquelle

« Le Capitalisme a changé de base, il n’est plus le capitalisme de la révolution industrielle mais un capitalisme informationnel aux prises avec les contradictions engendrées par les usages marchands, élitistes, du travail de l’information » (J.Lojkine).

Dans la même veine, l’information n’est pas une marchandise, c’est un bien collectif non-rival qui peut être partagé à l’infini. Mais elle est désormais devenue une « marchandise » de plus en plus déterminante alors que l’efficacité informationnelle s’oppose justement à cette logique marchande, d’où l’apparition de nouvelles contradictions au sein du capitalisme.

C’est le besoin de partage qui s’opposerait désormais au capitalisme et appellerait cette nouvelle révolution. « Mais une information, vous la donnez et vous la gardez encore. Elle peut être partagée indéfiniment, jusqu’à l’échelle de toute l’humanité. Ce serait une des bases d’une société future possible de partage, que l’on pourrait aussi appeler société communiste de liberté de chacun »(P.Boccara)

Dans la révolution informationnelle, il y a remplacement par des moyens matériels de certaines opérations du cerveau, d’opérations informationnelles, comme avec les ordinateurs. L’aliénation du savoir-faire des informaticiens crée une nouvelle classe révolutionnaire.

L’enseignement devient permanent, permis par les gains de productivité et/ou par les périodes d’inactivité (variante en temps de crise), ce qui justifie « des parcours professionnels, à l’opposé de la précarisation. » selon M . G. Buffet.

La disparition quasi-totale du travail aliéné deviendrait alors possible.

1 - Approximations et escroqueries conceptuelles

L’expression révolution informationnelle, partant de l’idée initialement généreuse du partage et d’une société libérée des rapports marchands, repose sur deux escroqueries conceptuelles, ou au minimum sur des approximations inacceptables venant d’un « agrégé d’histoire et maître de conférences honoraire en science économique », d’un « sociologue et directeur de recherche émérite au CNRS », et d’un « directeur de recherche honoraire au CNRS ».

La notion de révolution élude par son absence de définition sa nature technique ou sociale et passe allègrement de l’une à l’autre comme si elles pouvaient être indifférenciées.

La notion d’informationnel ne caractérise pas l’ensemble des propriétés de la révolution informatique, mais privilégie l’information au détriment du reste sans aucune justification.

Disparaissent dans les perspectives de nos théoriciens tout les aspects matériels de la révolution informatique, et avec eux sa fabrication industrielle, ses coûts, les rapports sociaux de sa production et de sa mise en œuvre. On ne parlera pas des suicides des ouvriers de Foxconn ou de France Télécom.

Concernant l’information elle-même, ces théories ne considèrent que son échange gratuit, c’est-à-dire sa valeur d’usage. La contradiction entre cette généreuse valeur d’usage et son opposé marchand deviendrait ainsi la principale contradiction du système capitaliste.

Il n’en est rien.

2 - L’information invendable

Sous le titre « L’information, produit stratégique et son statut », Verroust écrit :

« Afin de faire comprendre le type de problèmes auquel est confronté le système économique, nous allons examiner le statut de l’information comme marchandise.

Nous avons vu qu’aujourd’hui l’homme, au lieu de créer directement des objets avec des outils ou des machines qu’il conduit directement, incorpore des parties de son savoir de production/création dans des machines automatiques de type nouveau sous forme d’information ».

A moins de prendre les ouvriers pour des bêtes de somme, le travail productif a toujours incorporé dans la marchandise du travail manuel et du savoir de production /création. La particularité du travail dit manuel est qu’il incorpore les deux et pas seulement du savoir isolé de toute transformation matérielle.

« Si cette information qui constitue une partie de lui-même devient propriété de son employeur, celui-ci ne possède pas simplement un produit fabriqué par son salarié mais la force productive de ce salarié, une partie du travailleur lui-même. Il se constitue ainsi un rapport esclavagiste... Rappelons qu’en économie capitaliste sont inaliénables tant les œuvres de l’esprit que tout ou partie de la personne. Et l’introduction récente dans le droit de dispositions dépossédant les salariés de leur production informationnelle au profit de leur employeur, si elle a été motivée par le souci de défendre les intérêts des classes possédantes, pose des problèmes d’éthique graves et crée des contradictions inextricables. Remarquons que cette relation entre travail vivant et travail mort avait déjà été étudiée au XIXe siècle, mais elle ne concernait alors que quelques aspects marginaux de l’incorporation de tours de mains ouvriers dans quelques machines-outils. »

Remarquons plutôt que la relation entre le travail mort et le travail vivant est celle entre la matière première et les moyens de production achetés par le capitaliste d’un côté, et la plus-value créée par les ouvriers de l’autre, c’est la contradiction entre le Capital et le travail et non l’incorporation de tours de main (cf Denis Collin : le concept de travail mort).

Par contre il est notoire que les tours de main ouvriers n’ont rien de marginal au XIXe siècle. C’est aujourd’hui et dans la grande industrie qu’ils deviennent marginaux non seulement chez les ouvriers mais aussi chez les techniciens, par suite de la standardisation, de l’automatisation, de la généralisation des modes opératoires et des contrôles qualité. A présent les tours de main sont de plus en plus réservés à l’artisanat.

Notre distingué « agrégé d’histoire et maître de conférences honoraire en science économique » ne peut pas dissimuler son mépris d’intellectuel pour la classe ouvrière : s’il s’agit d’incorporer quelque réflexion dans une marchandise, c’est le cerveau du programmeur qui est dépouillé.

Pour les prolétaires c’est moins grave : juste un tour-de-main.

Mais à supposer qu’ils bougent leurs membres comme une grenouille décervelée, l’exploitation ne leur arrache les bras que lors d’un accident du travail et non dans le cours normal de la création de plus-value.

Et l’information n’est pas davantage une partie du salarié programmeur que l’effort physique n’est une partie du terrassier. En fait la question traduit surtout l’effroi de certains salariés jusque là privilégiés de tomber dans le prolétariat, au lieu de s’en détacher.

La thèse de l’accaparement de la force productive du programmeur suppose que l’information introduite dans une machine ou une marchandise devient une force productive, du travail vivant.

A ce titre n’importe quelle machine intégrant une invention, un brevet ou n’importe quelle création de l’esprit pourrait par elle-même créer de la plus-value.

En réalité sa valeur initiale est restituée sous forme de marchandise, jusqu’à ce qu’une « information » nouvelle plus pertinente ou plus efficace vienne la remplacer.

« Il faut en outre rappeler, qu’en droit et en économie politique l’information n’est pas une marchandise. En effet, une marchandise est une chose possédée qu’on n’a plus lorsque, lors d’une transaction, on l’échange contre de l’argent. Or dans le cas de vente d’information le vendeur reste propriétaire de cet objet qu’il peut continuer à vendre indéfiniment. On comprend les règles souvent étranges de fixation des prix par exemple de logiciels, et l’absurdité de certains chiffres donnés sur le coût du piratage, en fait rigoureusement impossible à chiffrer ». [id.]

Verroust joue sur la définition ambigüe de la notion d’information, qui recouvre à la fois les données, leur codage et leur traitement, soit :

  • Le BIOS, système d’opérations élémentaires d’une machine
  • Le système d’exploitation permettant l’utilisation d’une machine, comme Windows ou Linux
  • Les progiciels comme Microsoft Office
  • Les applications de ces progiciels, comme une base de données Access dédiée à un usage particulier (budget familial, gestion d’une collection de timbres, suivi de maintenance, gestion d’entreprise type SAP, ou gestion de chambre de compensation internationale).
  • Les données.
  • La transmission des données par liaison directe, réseau industriel, intranet, courrier électronique, internet, etc.

Au sens strict ce sont les données qui contiennent l’information, tandis que le logiciel constitue un moyen de stockage, de traitement ou de transmission des données.

Verroust maîtrise parfaitement la distinction entre tous ces éléments, qu’il confond volontairement dans le concept d’information.

A ce degré de confusion celle-ci peut être étendue à son support matériel :

Par exemple un logiciel est un ensemble d’instructions écrit dans un langage évolué de programmation. A l’aide d’un langage encore plus évolué, plus convivial et destiné à l’utilisateur, il permet de traiter les données, par exemple rédiger et mettre en forme un texte.

En sens inverse le logiciel n’est utilisable par l’ordinateur qu’à travers sa compilation en langage machine, c’est-à-dire une combinaison d’états électriques. A ce stade le logiciel est évidemment matérialisé. Mais du reste il l’est aussi tout au long de sa création sur une machine, à travers les divers codages et leur enregistrement. Où devient-il immatériel ? Dans le cerveau du programmeur ? Non plus.

Poursuivons le raisonnement de Verroust sur la vente fictive de l’information.

Chacune de ces créations de l’esprit peut être effectivement vendue tout en restant la propriété de son vendeur. Quel est le mystère de cette escroquerie ?

En fait ce n’est pas le logiciel qui est vendu mais le droit à son utilisation.

La preuve en est qu’à l’exception des logiciels libres le code-source n’est généralement pas rendu ouvertement disponible et modifiable par tous.

D’autre part la vente du même logiciel n’est pas infinie, à cause de la concurrence, de l’obsolescence de tous ces produits, et de la nécessité de vendre de nouvelles versions pour éviter de saturer le parc.

3 - Prédominance de l’information ou de l’industrie

Selon Boccara, « A la prédominance des activités industrielles succèderait celle des activités informationnelles, comme la recherche, la formation, l’accès aux données, etc. »

On appréciera à la fois l’absence de données chiffrées et le prudent conditionnel qui en résulte. Mais rien ne permet d’affirmer que les activités informationnelles vont prédominer sur les activités industrielles, à supposer qu’elles se développent séparément de ces dernières.

De quelle prédominance s’agit-il dans ces activités ?

Au fond il ne peut être question que de leur prédominance économique, c’est-à-dire de leur valeur ajoutée. Boccara ne le dit pas.

Passons sans insister sur la bulle internet dans la fin des années 90.

Matthieu Glachant, (Cours Intelligence Economique CERNA-Ecole des Mines de Paris

2001), dans le document « Economie de l’Information », englobe dans cette économie les biens informationnels numérisables et les technologies de l’information et de la communication (TIC).

Cela représentait alors 8 % du PNB américain et 5 % du PIB en France.

L’observatoire du numérique relevait que la part des TIC dans les principaux pays européens s’établissait entre 3,51 % et 6,31 % en 2009 :

http://www.observatoire-du-numerique.fr/wp-content/uploads/2012/03/PART-DU-SECTEUR-TIC-DANS-LE-PIB-DANS2.jpg

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Plus récemment en 2011, une étude du Medef sur L’impact de l’économie numérique indiquait : « Le secteur des TIC comprend les entreprises de l’industrie, des services et du commerce de gros exerçant leur activité dans les domaines de l’informatique, des télécommunications et de l’électronique. C’est un secteur totalisant en France près de 800 000 emplois, dégageant un chiffre d’affaires de 190 milliards d’euros en 2005 et réalisant 6,2 % de la valeur ajoutée marchande ».

La même étude regrettait le manque de données statistiques et relevait l’interpénétration entre les TIC et l’industrie classique.

Dans ces études, l’économie des TIC ne se limite pas à l’information au sens strict mais englobe leur support, leur traitement et leur transmission, qui sont bien des activités industrielles.

Quant à l’interpénétration avec l’industrie, que la quasi-totalité des entreprises utilisent les TIC ne change pas la nature de leur production.

Dans tous les cas la prédominance des activités informationnelles sur les activités industrielles ne correspond pas aux faits.

Sans développer l’ensemble du sujet, il faut noter que les pays impérialistes et leurs monopoles comme Microsoft sous-traitent pour des miettes des cartes électroniques en Asie et les réimportent pour les vendre cent fois plus cher.

Même en comptant que la valeur ajoutée de la R&D, l’ingénierie de la conception et de la mise en œuvre de ces cartes, soit très élevée, la prédominance de l’activité informationnelle sur l’activité industrielle relève ici des rapports de domination impérialistes, et s’apparente au transfert des profits de la sous-traitance au donneur d’ordre, ou bien aux marges arrières réalisées par la grande distribution et l’industrie agricole sur les producteurs.

4 – Passage au numérique dans un process industriel

Avant le numérique la forme binaire des commandes simples et des retours d’état existait déjà dans les automatismes industriels : commandes de marche/arrêt, avance/recul, montée/descente, ouverture/fermeture et les retours correspondants des fins de course et capteurs de présence ou de position appropriés aux matériaux ou aux mouvements à détecter.

Ces signaux logiques étaient depuis longtemps utilisés au fil des techniques. L’électronique sous forme de composants discrets puis de microprocesseurs a permis d’unifier et de standardiser leur format, et de traduire leur combinaison avec l’algèbre binaire de Boole, inventée en 1854, et dont l’application aux machines fut mise en lumière par Paul Shannon en 1936.

Les bases théoriques existaient donc bien avant l’introduction du numérique dans l’industrie.

De même l’exploitation des signaux analogiques existait déjà auparavant et utilisait la conversion des mesures physiques en signaux équivalents : mécaniques, pneumatiques, électriques, hydrauliques, destinés à agir en retour sur le procédé par un actionneur (accélération/décélération d’un moteur, ouverture/ fermeture d’un positionneur de vanne, commande d’un thyristor de chauffage, etc.).

Ces techniques de régulation mettaient en jeu une grande quantité et une grande variété de pièces en mouvement, sujettes à des contraintes physiques pouvant les user ou les détruire. Leur fabrication, leur exploitation et leur entretien faisaient appel à des métiers très divers, à de longues expériences et à des qualifications parfois pointues.

La conversion de tous les signaux analogiques en signaux électriques puis en en signaux numérisés a permis la traduction binaire de toutes les mesures physiques (vitesse ou fréquence, tension, intensité, déphasage, déplacement, température, humidité, pression, débit, viscosité, couple, niveau, distance, luminosité, couleur, etc.).

La précision est améliorée et certains calculs automatiques peuvent être réalisés qui ne l’étaient pas auparavant :

La régulation de la vitesse et du courant existaient déjà sous forme analogique dans les technologies antérieures, mais la numérisation permet des innovations fonctionnelles dans les variateurs de vitesse. Par exemple la commande vectorielle, c’est-à-dire les calculs matriciels sur les courants actif et réactif, permet de modéliser le moteur et de commander avec précision la tension et la fréquence qui lui seront délivrées, y compris à base vitesse.

(NB : le calcul matriciel remonte à 1850)

Autre exemple, un régulateur auto-adaptatif injecte un échelon dans la boucle de régulation, mesure le retard et la pente de la réponse, et peut ainsi calculer les actions proportionnelle, intégrale et dérivée de la régulation. Ceci supprime une part de l’activité du régleur.

La miniaturisation des cartes électroniques et leur fabrication industrielle en Asie abaisse les coûts. Le dépannage, que les procédés multicouches rendent impossible dans la plupart des cas, coûte plus cher que le remplacement. L’électronicien peut se recycler.

La standardisation numérique des signaux logiques et analogiques permet de les traiter simultanément dans un automate, qui concentre dans un volume réduit une grande quantité d’opérations tout ou rien, de boucles de régulation et de motorisation, et peut également communiquer avec un poste de conduite, voire avec l’ensemble du réseau de production de l’entreprise. Ceci supprime une très grande partie du relayage dans les armoires électriques.

Prenons le cas de la numérisation et de la refonte d’un ensemble motorisé dans une entreprise industrielle, les modifications apportées comprendront notamment :

  • Le remplacement des dynamos tachymétriques par des codeurs optiques
  • Le remplacement des composants électroniques discrets des variateurs de vitesse (composants passifs, diodes, transistors et ampli op) par des microcontrôleurs permettant la modélisation du moteur et sa commande par des calculs complexes.
  • Le remplacement des thyristors par des transistors de puissance.
  • Le remplacement des moteurs continus par des moteurs asynchrones
  • Le remplacement de la plupart des transmissions mécaniques (renvois d’angle, réducteurs, trains d’engrenages, etc.) par des moteurs séparés et synchronisées par fibre optique.
  • Le remplacement du relayage de commande par un automate et ses interfaces.
  • Le remplacement pour l’utilisateur des cadrans à aiguille, du pupitre à voyants et boutons par un clavier et un écran, et un réseau industriel de données process.

Comme dans la téléphonie, la bureautique et dans l’informatique grand public, la numérisation dans l’industrie n’existe pas sans support matériel. Elle implique et génère la création de nouveaux matériels et technologies, leur simplification et leur standardisation. L’informatisation fait donc partie intégrante de la production industrielle et ne se substitue pas à elle.

Un autre aspect qu’on devine aisément est le prix considérable de cet investissement en matériel, démontage, montage, câblage, programmation, mise au point et en formation des utilisateurs.

5 - Conséquences de l’automatisation

L’automatisation et l’informatisation vont du simple vers le complexe dans toutes leurs applications.

Il ne s’agit pas d’intelligence artificielle mais de l’application de scénarios prédéterminés à des variables de commande ou à des conditions environnantes, afin d’obtenir la réponse souhaitée. Ce sont fondamentalement des recettes paramétrables.

La somme et la combinaison de dizaines d’automatismes dans un process industriel, somme qui peut être multipliée par la mise en parallèle de plusieurs chaînes de production, confère à tout l’ensemble une grande complexité.

Cela aboutit à un changement qualitatif, au miracle apparent d’une immense machine obéissant au doigt et à l’œil, dans un laps de temps très réduit, avec précision et reproductibilité.

Mais en même temps la conduite du procédé suit le chemin inverse pour remplacer la grande variété de techniques et de matériels par une interface simple et standardisée, dont l’apprentissage est plus rapide.

Standardisation et simplification des matériel, gain d’espace, de mise en œuvre, diminution des pannes et du stock de pièces détachées.

La suppression de pièces en mouvement entraine la réduction drastique des effectifs mécanos. La maintenance est simplifiée moyennant une formation sommaire des électriciens aux automates programmables, la programmation étant réservée aux informaticiens industriels. Les qualifications des électroniciens ne sont plus utiles et dans une moindre mesures celles des régleurs.

Certaines compétences d’ingénierie restent indispensables notamment au moment de la conception et de la mise en œuvre, mais lorsque l’installation est rôdée elles ne sont plus nécessaires.

Les tâches des ouvriers sont allégées, c’est-à-dire qu’une même dépense d’énergie physique et intellectuelle produit davantage de valeur ajoutée, mais de surcroît leur nombre est réduit. Ce sont d’ailleurs leurs postes de travail – là où est créée la plus value – qui sont les plus réduits.

L’automatisation ne se traduit donc pas par un travail moins pénible mais par des licenciements, et la redistribution des tâches entre ceux qui restent, soit une augmentation de la productivité et une charge de travail individuelle plus élevée qu’avant :

conduite simultanée de plusieurs machines et ajout de tâches annexes (contrôle, prélèvement, compte-rendu, suivi d’incidents, Assurance Qualité, approvisionnement, entretien et nettoyage, dépannage de première intervention, etc.).

Une partie des savoir-faire spécifiques à l’entreprise et liés à l’utilisation d’une grande variété de matériels et de technologies devenus caducs disparaissent avec eux.

Les opérations les plus courantes peuvent être exprimées en modes opératoires, ce qui permet la sous-traitance d’une grande partie de la maintenance par du personnel au forfait (en fait en régie), et l’introduction d’un volant d’intérimaires en fabrication.

L’aliénation des connaissances de l’homme à la machine s’effectuant souvent dans le contexte de licenciements, ceux qui partent ne vont pas révolutionner l’entreprise. Pour ceux qui restent le principal problème est la charge de travail accrue à salaire constant.

L’introduction du numérique n’entre pas en conflit avec le capitalisme mais accentue la contradiction Capital Travail.

Incidence sur la composition organique du capital

Les « informations » transmises au sein du réseau de production et « l’intelligence artificielle » intégrée dans les « capteurs intelligents », les automates et les calculateurs ne sont pas plus gratuites qu’autrefois les mesures de signaux physiques, les relevés et les calculs réalisés manuellement (mis à part le fait qu’une partie d’entre elles étaient déjà automatisées et intégrées dans les matériels).

Auparavant elles nécessitaient du travail vivant, désormais ce travail vivant a été cristallisé dans les matériels et les logiciels et il s’oppose non pas au désir d’échange gratuit mais au travail vivant lui-même comme le Capital s’oppose au travail.

Ce qui les caractérise également est qu’elles ne produisent pas de plus-value mais que leur valeur est restituée dans la marchandise sous la forme d’amortissement.

Les nouvelles technologies permettent d’augmenter la productivité, cela passe par la diminution des postes de travail.

Les gains de productivité réalisés s’accompagnent de la diminution relative du travail vivant et de la plus-value qu’il produit, par rapport à l’investissement du capitaliste dans la refonte de son installation, et on a vu que cet investissement était considérable. Cet accroissement du capital constant relativement au capital variable, et que Marx définissait comme l’origine de la baisse tendancielle du taux de profit, réduit ces gains de productivité.

Certains économistes considèrent que l’accaparement des profits industriels par le capital financier est la cause principale de cette dégradation. Quoi qu’il en soit l’accaparement des profits industriels par le capital financier passe notamment par les investissements, et dans tous les cas les gains de productivité sont dilapidés.

Selon Patrick Castex dans Baisse des taux de profit et d’intérêt en France, les gains de productivité sont anéantis et il y a une baisse réelle des taux de profit industriels :

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6 - L’emploi et la formation

Le parcours de la suppression de poste passe généralement par la case Word-Excel, c’est une bonne occasion pour les entreprises formatrice de tondre la laine sur le dos des licenciés et pour ces derniers de perdre du temps.

Selon M. G. Buffet dans ses propositions pour l’emploi, mises en ligne le 22 janvier 2007, « Il est possible, en utilisant autrement les nouvelles technologies, d’aller vers la disparition du chômage et de la précarité en conciliant sécurité et mobilité. »

C’est-à-dire dans les « parcours professionnels, à l’opposé de la précarisation. » de combler les périodes de chômage par des périodes de formation à de nouveaux emplois. 

Lors des transformations technologiques liées à l’automatisation et à la conduite informatisée des installations, les capitalistes ont exigé un niveau d’instruction très supérieur pour l’embauche des ouvriers. Tandis qu’un ouvrier bachelier en 1970 était considéré comme un martien, il lui fallait un bac technique voire un BTS en 2000.

Mais suite à la dégradation des grilles de classification dans les années 90 et au blocage des salaires, l’ouvrier doté d’un bac ou d’un BTS n’a pas été payé plus cher que son aîné 20 ans plus tôt. 

Aujourd’hui il s’avère que les opérations réalisées par ces ouvriers diplômés ne sont pas plus compliquées qu’autrefois. Au contraire, l’aide à la conduite sur écran et la multiplication des modes opératoires aboutit à simplifier son apprentissage, rendant caduc tout le savoir pratique emmagasiné par les anciens.

Le surplus de formation n’aboutit donc qu’à garantir au capitaliste une polyvalence sur tous les postes de travail. Tandis que dans le passé les ouvriers pouvaient monnayer chaque changement de poste.

Il en résulte que si la formation scolaire ou extrascolaire peut sembler à chaque ouvrier pris isolément une porte de sortie vers une qualification ou une garantie d’emploi, en réalité le système capitaliste fait de cette formation un moyen de pression supplémentaire sur l’ensemble des salaires et des qualifications et lui assure une polyvalence quasi gratuite.

Concernant la formation des ouvriers dans le système capitaliste, Marx notait ceci : 
« …faire apprendre à chaque ouvrier le plus de branches de travail possibles de façon que s’il est évincé d’une branche par l’emploi d’une nouvelle machine ou par une modification dans la division du travail, il puisse se caser ailleurs le plus facilement possible. 
Supposons que ce soit possible :

La conséquence en serait que, lorsqu’il y aurait excédent de bras dans une branche de travail, cet excédent se produirait aussitôt dans toutes les autres branches de la production, et que la diminution du salaire dans une branche entraînerait encore plus fortement qu’auparavant une diminution générale immédiate. » [travail salarié et capital]

La formation des salariés ne constitue donc absolument pas un viatique pour « un meilleur emploi, avec une garantie de droits et de revenus relevés » comme le prétendait M.G.B.

[la question de l’emploi dans arracher la classe ouvrière au révisionnisme moderne] 

7 - Partage des informations bien ordonné …

Boccara écrit : « Au plan économique, ce qui est bouleversé avec le passage de la révolution industrielle fondée sur la machine-outil à la révolution informationnelle, c’est que la première est liée à l’échange, au marché, alors que l’autre implique des partages jusqu’à l’échelle de toute l’humanité.

Une machine-outil est ici ou elle est ailleurs, dans un unique endroit. Ce qui est l’une des bases de la propriété privée capitaliste. Mais une information, vous la donnez et vous la gardez encore. Elle peut être partagée indéfiniment, jusqu’à l’échelle de toute l’humanité. Ce serait une des bases d’une société future possible de partage, que l’on pourrait aussi appeler société communiste de liberté de chacun ».

Dans le cadre de l’entreprise, l’information ne sort pas de l’intranet et elle est maîtrisée par la direction de l’entreprise. En ce qui concerne le réseau spécifique au procès de production, il relève du secret de fabrication et ne risque pas d’être partagé gratuitement aux confins de la planète.

L’esprit de corporation chez certaines catégories intermédiaires de salariés fait aussi que les logiciels ne sont pas plus accessibles aux ouvriers que le magasin d’outillage.

Boccara ajoute :

« Déjà, on ne vend pas, on n’achète pas à l’intérieur d’une multinationale, mais on y partage, par exemple les coûts de recherche. »

Il est fréquent qu’une grande entreprise se subdivise en entités, leur vend une matière première et leur rachète le produit fini ou semi-fini, afin d’optimiser ses plus-values ou d’échapper à une fiscalité plus contraignante. S’il faut partager les coûts de recherche, la solution consiste à supprimer les services R&D pour n’en conserver qu’un seul.

« Avec la révolution informationnelle … C’est aussi la possibilité de traitement nouveau de tout ce qui est information, pas seulement des écrits, et notamment le fait que chacun peut, en principe, intervenir sur ces informations. Cela pourrait s’opposer à la scission entre lecteurs et auteurs, avec l’imprimerie qui a accompagné la révolution industrielle. » [id.]

Là encore, et à l’image du règlement intérieur, l’intranet des entreprises n’est pas destiné à remettre en cause le pouvoir dictatorial de la classe capitaliste.

Plus encore, la liberté d’expression sur les réseaux sociaux s’arrête aux rapports de domination de classe, les exemples de licenciement qui l’illustrent ne manquent pas.

A l’inverse les possibilités de communication et de réécriture ont largement été mises à profit par le secteur financier dans le cadre des chambres de compensation.

Les nouvelles technologies dans ce cas n’augmentent pas la productivité mais accélèrent le cycle de rotation du capital.

Denis Robert raconte avec force détails à propos de l’affaire Clearstream comment la révolution informationnelle a permis de transférer virtuellement les capitaux à grande vitesse (la compensation financière réelle étant réalisée a posteriori), comment la manipulation des bases de données permet d’occulter des opérations, des noms ou des destinations dans l’ensemble du trafic, d’en effacer les traces pour les enquêteurs, voire d’ajouter des opérations fictives, comme dans le cas des faux listings.

Sur les chambres de compensation, voir la série de vidéos l’affaire Clearstream racontée à un ouvrier de chez Daewo. Elles sont d’inspiration réformiste mais très instructives.

8 - La valeur du travail gratuit

« il y a conflit entre l’usage capitaliste et l’usage ’communiste’ des nouvelles technologies de l’information, comme l’a bien vu Bill Gates, adversaire implacable des ’logiciels libres’ ! Il y a conflit antagonique entre le ’traitement’ capitaliste de l’information selon la logique de la rentabilité, de l’évaluation marchande, et l’essor des services collectifs de formation de l’humain (éducation, recherche, culture, communication, urbanisme, santé, protection sociale), de développement des individus, de création, de coopération. »

[ interview deJean Lojkine sur Mediapart]

La gratuité des logiciels libres s’arrête malgré tout à l’estomac. Comme toute activité bénévole elle ne peut se développer que dans la mesure où les besoins indispensables sont déjà satisfaits.

Mais outre le fait qu’elle ne peut concerner qu’une fraction de la population, parmi les couches déjà nanties, son poids dans les rapports sociaux de production est nul.

D’autre part il est faux d’affirmer qu’à l’opposé de la gratuité les capitalistes veulent vendre l’information le plus cher possible, ceci dépend de leur position monopoliste ou concurrentielle à l’échelle mondiale, et de la saturation du marché.

Chacun des aspects vus précédemment, qu’il s’agisse du code-source, du progiciel, de son application, de la création d’un blog ou du renseignement des données dans un formulaire peut résulter d’un travail gratuit, réduit par conséquent à sa valeur d’usage.

Le travail réalisé possède alors la même valeur d’échange qu’une création tombée dans le domaine public, c’est-à-dire rien.

Que ce travail gratuit soit partagé ou non, qu’il soit répandu aux quatre coins de la terre ou qu’il dorme sur une cassette ou un CD ne change rien au fait qu’il ne participe pas davantage de la production et des rapports sociaux de production que la culture d’un potager ou la passion du philatéliste.

Il s’agit ici du travail individuel et improductif de l’amateur, et non de l’achat du PC, des semences ou des timbres, qui à l’inverse réalise la plus-value de ces différentes marchandises et la transforme en argent.

Mais l’achat et la vente, c’est-à-dire les rapports marchands ont précédé le capitalisme et ne prendront pas fin avec lui.

N’importe forme numérique peut être vendue et comporter une valeur d’échange.

Dans ce cas le partage ne concerne que l’aspect gratuit considéré, même s’il est « étendu à toute l’humanité ».

A supposer que la part commercialisée soit infinitésimale, dans le but de toucher la clientèle la plus large, considérer que ce mouvement tend vers la gratuité ignore que le gain dérisoire multiplié par des milliards de clients devient à terme une somme colossale.

Supposons qu’un logiciel libre soit utilisé gratuitement par un programmeur, rien ne l’empêche d’en commercialiser des applications spécifiques destinées à des particuliers ou à des industriels.

Dans ce cas il vendra à la manière d’un artisan le produit de son travail, additionné à l’usure de sa machine et à la péremption des systèmes d’exploitation qu’il a dû acheter par ailleurs.

Et par la même occasion prend fin l’aventure gratuite et la liberté du logiciel partagé, lesquels ne s’opposent pas davantage au capitalisme que le vol à l’étalage.

Conclusion

Les thèses de la révolution informationnelle privilégient artificiellement l’information dans l’ensemble des transformations récentes de la production. Il s’avère que la production « non matérielle » et la production matérielle se fondent l’une en l’autre, et que l’économie spécifique des TIC ne prédomine pas.

Dans l’industrie, comme dans les autres domaines, les transformations sont essentiellement d’ordre technologique, même si le virtuel et l’immatériel envahissent l’univers de la représentation.

Les principales transformations sociales dans le cadre du capitalisme sont l’accroissement de la productivité et les licenciements, la simplification des tâches et la prolétarisation des catégories intermédiaires, dont le statut privilégié est remis en cause.

Ce déclassement est à l’origine de nombreuses thèses sur l’émergence de nouvelles classes révolutionnaires qui prendraient la place d’avant-garde de la classe ouvrière. La théorie de la « révolution informationnelle » en fait partie.

En fait ces transformations dans les catégories intermédiaires peuvent les rapprocher et en faire des alliés de la classe ouvrière, mais elles ne modifient pas fondamentalement la contradiction principale entre le Capital et le Travail ni celle entre la bourgeoisie et la classe ouvrière.

Les gains de productivité, comme l’accélération du cycle de reproduction du Capital, n’opposent pas les nouvelles technologies au Capitalisme mais elles accentuent ses contradictions internes.

L’accroissement des profits par rapport aux salaires s’accompagne de l’augmentation de la composition organique du capital et de la baisse tendancielle du taux de profit industriel.

Si on tient compte d’autres aspects inséparables comme la surexploitation, la concurrence sur les salaires, l’accaparement des profits industriels par le capital financier, la propagation rapide des bulles financières et la guerre des monnaies, plusieurs causes sont réunies pour une crise mondiale prolongée.

La théorie de la « révolution informationnelle » déduit les changements de comportement sociaux, voire une révolution sociale des progrès techniques. Mais les progrès techniques servent aussi à faire la guerre tout comme l’enfer est pavé de bonnes intentions.

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