Justice : abolir les lois ignominieuses Interview de Matthieu Bonduelle, secrétaire général du syndicat de la Magistrature

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Sarkozy a été le pire des présidents de la Vème République en matière de justice, selon Matthieu Bonduelle, secrétaire général du Syndicat de la Magistrature. Il nous livre son analyse et donne son avis sur les réformes à engager d’urgence pour avoir une justice indépendante et équitable.

Siné Mensuel : Quel est le bilan après cinq ans de Sarkozy ?

Matthieu Bonduelle : Catastrophique. Mais son bilan remonte à 2002, lorsqu’il est arrivé place Beauvau. Depuis, les gardes des sceaux n’ont été que des supplétifs de l’Intérieur. On parle toujours de Rachida Dati, effectivement lamentable, mais les autres n’ont pas été meilleurs ! Récemment, à Dijon, Nicolas Sarkozy s’est posé en champion de l’indépendance de la justice… C’était sans doute une blague. Même la droite de la magistrature, majoritaire, est anti-sarkozyste aujourd’hui. C’est le pire président que le monde judiciaire ait connu sous la Ve République.

Comment cela se manifeste concrètement ?

Il y a les discours, les textes et les pratiques. D’abord, il n’a cessé d’attaquer les juges dont les décisions ne lui plaisaient pas pour affaiblir l’autorité judiciaire à son profit. Il a toujours présenté les magistrats comme des laxistes, ce qui est une aberration sociologique, pour entretenir l’illusion de son « volontarisme » et de sa « fermeté ». Il a par ailleurs fait voter des textes pour soumettre les procureurs et transformer les juges en machines à enfermer. Je pense notamment à la loi sur les peines planchers [1]. Enfin, la pression administrative sur les magistrats s’est intensifiée : obsession des statistiques, demandes de rapports, interventions dans les dossiers, sanctions déguisées…

Combien de mesures répressives ont été mises en place depuis 2002 ?

Difficile de donner un chiffre précis. Avec la loi "Perben 1" en 2002, on facilite la comparution immédiate et la détention provisoire, on invente des pseudo-juges de proximité… En 2003, avec la loi "sécurité intérieure", on invente des infractions stupides. Des choses très difficiles à caractériser comme la "mendicité agressive" ou le "racolage passif", pour cibler des catégories déjà fragiles de la population. On préfère s’en prendre aux prostituées plutôt qu’aux proxénètes, aux pauvres plutôt qu’à ceux qui les exploitent ! En 2008, on crée la rétention de sûreté, une ignominie juridique et philosophique. Après l’exécution d’une peine, on peut garder quelqu’un enfermé à vie, non pas pour ce qu’il a fait, mais pour ce qu’il est supposé être, sur la base d’expertises divinatoires ! La récidive criminelle, c’est 1 %. Combien de personnes est-on prêt à priver de liberté pour en empêcher une de récidiver ? On a inversé le raisonnement hérité des Lumières selon lequel il vaut mieux un coupable en liberté qu’un innocent en prison.

Dans son programme, François Hollande propose notamment de supprimer la Cour de justice de la République (CJR). Qu’en pensez-vous ?

Ce serait une bonne chose, il est anormal que les politiques soient jugés par des politiques. Il y a d’autres mesures positives comme l’action de groupe dans les affaires de consommation, de santé… Les gens pourraient se réunir pour agir en justice. Cela faciliterait l’accès au juge.

Hollande propose également une loi pour protéger les journalistes. Il a raison. La récente loi sur la protection du secret des sources est une loi désarmée car il n’y a pas de sanction à la clef. Nous proposons de créer une infraction de violation du secret des sources par une personne dépositaire de l’autorité publique.

Quels sont les points sur lesquels vous êtes en désaccord avec le PS ?

Pour parler de ce qui fâche, Hollande souhaite doubler le nombre de centres éducatifs fermés (CEF). Ce n’est pas une bonne orientation. Les juges des enfants ont besoin de structures diverses et, ces dernières années, on a tout misé sur le fermé, si bien qu’on n’a plus assez de places dans des structures classiques. Les syndicats de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) sont d’accord avec nous : les CEF ne sont pas la panacée. C’est l’antichambre de la prison et la prison fabrique de la récidive. On a surtout besoin de plus d’éducateurs. Le budget de la PJJ a été le plus sacrifié du ministère.

Concernant la création de « zones de sécurité prioritaires », on a l’impression qu’on cible encore les quartiers populaires, que la solution est encore pensée en termes policiers alors que le problème est social, urbain. Tout est affaire de choix politiques.

Une chose dont je n’entends pas parler : l’été dernier, deux taxes ont été créées, une de 35 euros et l’autre de 150 euros en appel pour presque toutes les procédures civiles, sociales et administratives. Donc la justice est payante, même quand on ne prend pas d’avocat. La gauche devrait s’engager à abroger ces taxes scandaleuses. Par exemple, la personne qui veut obtenir sa fiche de paie parce que son patron la lui refuse doit payer, ce n’est pas acceptable. La justice prud’homale est trop lente, mais il ne faut pas la supprimer, plutôt lui donner les moyens d’être plus efficace. Elle associe les représentants des salariés et des employeurs, qui ont une connaissance concrète du monde du travail, c’est précieux.

Hollande propose aussi l’abolition des peines planchers, mais pas la rétention de sûreté. Tous ceux qui défendent les libertés attendent d’un pouvoir de gauche qu’il abolisse cette loi. Et il ne faut pas s’arrêter là, notre code pénal doit être nettoyé. Il faut aussi en finir avec la soumission du parquet au pouvoir politique.

Ça pose la question de la nomination des procureurs.

Il suffit de regarder la situation : à l’approche des élections, on observe une valse ahurissante des procureurs… Il faut faire du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) le seul maître des nominations et changer le mode de désignation des personnalités "extérieures" qui le composent, pour qu’elles soient nommées par le Parlement et non plus par les présidents de la République, du Sénat et de l’Assemblée nationale – qui sont presque toujours du même bord. Il faut simplement faire ce qui est prévu depuis deux siècles : la séparation des pouvoirs ! François Hollande veut rendre contraignant l’avis du CSM pour la nomination des procureurs, comme pour les juges. Ce serait une avancée, mais c’est insuffisant car tout se joue alors en amont, avant que le CSM ne rende son avis, pour qu’il rende celui que le pouvoir attend ! Bref, le CSM doit cesser d’être un organe consultatif.

Mais des affaires sensibles sortent quand même…

Une culture de la soumission existe dans la magistrature mais elle coexiste avec une culture d’indépendance. Cela dit, si ces affaires sortent, c’est grâce aux juges d’instruction, qui ne sont pas sous le contrôle de l’exécutif et que Sarkozy veut toujours supprimer. Il a mis la réforme dans un tiroir car elle était trop énorme pour être votée avant la fin de la législature, mais il n’a pas abandonné l’idée : s’il est réélu, on y aura droit.

Quelles sont les propositions du Syndicat de la Magistrature à propos de la prison ?

Nous proposons d’instaurer un numerus clausus pénitentiaire : un détenu, une place. C’est tout à fait faisable. Si l’on incarcère une personne, on en fait sortir une autre en aménageant sa peine. C’est une priorité, il faut en finir avec la surpopulation carcérale et développer les aménagements de peine (semi-liberté, liberté conditionnelle…) qui réduisent le risque de récidive. Dans une logique de décroissance carcérale, il ne s’agit pas d’un nombre à atteindre à tout prix, mais à ne pas dépasser.

Construire 25 000 places supplémentaires est donc inutile ?

Oui. Il n’y a jamais eu autant de surpopulation alors qu’on n’a jamais autant construit de places que ces dernières années. Un nouveau record vient d’être atteint. On est en gros à 65 000 détenus pour 53 000 places. Sarkozy dit qu’il y aura 80 000 détenus en 2017 et qu’il faut donc construire des prisons. C’est quand même étrange, pour celui qui s’est présenté comme le héros de la lutte contre la délinquance, de partir du principe qu’il y aura toujours plus de délinquance… Mais surtout, comment peut-on se fixer un tel objectif quand on sait que la prison désocialise et coûte extrêmement cher ? On estime à 3 milliards d’euros la seule construction de ces places, sans parler de l’entretien. Les travaux vont être confiés à Bouygues, encore un cadeau au privé !

D’autres propositions ?

Il faut en finir avec les contrôles d’identité au faciès. Nous avons deux idées simples. La première consiste à supprimer les contrôles "administratifs" qui servent à faire du chiffre et se font à la tête du client. Seuls les contrôles effectués dans le cadre d’enquêtes judiciaires seraient maintenus. Deuxième idée : faire délivrer des attestations de contrôle comportant son motif et le matricule du policier. Là encore, pas de quoi effrayer des candidats de gauche !

Que pensez-vous de l’évolution de la justice des mineurs ?

L’été dernier, un texte a instauré un "tribunal correctionnel des mineurs" pour les récidivistes de 16 à 18 ans. C’est la négation de la spécificité de la justice des mineurs : un tribunal qui ressemble à celui des adultes, avec un juge des enfants parmi les trois juges mais sans assesseurs spécialisés. Cette mesure répond à une idée débile qui voudrait que les mineurs d’aujourd’hui soient différents de ceux de 1945. Pourtant, les chercheurs le répètent, rien ne permet de dire que la délinquance des mineurs explose. Et puis, le fait de récidiver est-il vraiment un signe de maturité ?

Et les moyens dans tout ça ?

Selon la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (Cepej), la France est 37ème sur 43 pays pour le budget qu’elle consacre à sa justice. Le ministère rétorque que tous ces pays ne sont pas comparables. Qu’à cela ne tienne ! La Cepej a établi une liste des pays comparables : nous sommes 15e sur 16 ! Le pouvoir s’accommode d’une justice pauvre. Ça l’arrange car une justice faible est une justice sous contrôle. Notre justice va sans doute mieux qu’il y a cinquante ans, mais le chemin parcouru n’est pas si important sur la durée. Le nombre de magistrats reste à peu près le même alors que la population a augmenté, que l’activité pénale des tribunaux a explosé et que le recours à la justice s’est accru dans certains domaines. Sur les garanties institutionnelles, c’est la politique des petits pas.

En étant raisonnable, de combien faudrait-il augmenter le budget de la justice ?

C’est difficile à chiffrer. Si ce budget passait de 7 milliards à 9 ou 10 pour commencer, on grimperait déjà un peu dans le classement européen ! Dans nos 200 propositions, il y en a qui coûtent de l’argent, comme de mettre trois juges au lieu d’un pour la détention provisoire. Mais qui peut nier que ce serait un progrès ? Il y a des choses qui pourraient rapporter de l’argent. Ne pas construire ces 25 000 places de prison, par exemple, ou dépénaliser certaines infractions, comme l’usage de drogues et le séjour irrégulier. Il y en a d’autres qui ne coûtent rien : le rattachement des unités de police judiciaire aux tribunaux ou l’interdiction des décorations dans la magistrature et la réforme du CSM que j’ai déjà évoquée.

Que pensez-vous des jurys populaires dans les tribunaux ?

Nous étions favorables à "l’échevinage" : des citoyens formés, qui siègent régulièrement aux côtés des magistrats. Le pouvoir a préféré des jurés qui débarquent quelques jours, pour certaines affaires seulement, sans véritable formation, qui risquent de se sentir illégitimes. Surtout, l’introduction de "citoyens assesseurs" ralentit considérablement les audiences correctionnelles : ce n’est pas un mal en soi, ça peut même être un bien quand on voit la justice d’abattage rendue en comparution immédiate, mais alors il faut fortement augmenter le nombre de juges et de greffiers, sinon on aura une justice lente et de qualité d’un côté et une justice toujours plus expéditive de l’autre. Or, ces moyens n’ont pas été prévus…

Et la réforme de l’aide judiciaire ?

Il faudrait que davantage de personnes bénéficient de l’aide juridictionnelle, c’est-à-dire d’un avocat en tout ou partie gratuit. Si vous gagnez 1 200 euros, vous payez votre avocat plein pot. Pour ne pas le payer, il faut gagner moins de 900 euros. Pour les gardes à vue, on peut maintenant avoir un avocat mais seul un tiers des personnes en profite. Pour qu’il n’y ait plus une défense des riches et une des pauvres, il faut aussi faire en sorte que les avocats qui défendent les gens modestes soient mieux rémunérés. Ceux qui travaillent à l’aide juridictionnelle le font à perte. Je trouve incroyable que dans certains cas des gens soient aussi peu défendus. Le Syndicat des avocats de France dit qu’il faut 1 milliard pour l’aide juridictionnelle. Ça peut sembler ambitieux, mais il faut de l’ambition car l’accès au droit et au juge, c’est d’abord l’accès à l’avocat.

Qu’est-ce qu’un bon garde des sceaux ?

C’est d’abord quelqu’un qui ne se fait pas bouffer par le ministre de l’Intérieur. Ensuite, qui a une ambition pour la justice. Un bon ministre de la Justice travaille à améliorer l’indépendance des magistrats et à protéger les libertés des citoyens. Non pas que tout était parfait avant, loin s’en faut, mais on ne peut tout de même pas mettre sur le même plan Élisabeth Guigou et Dominique
Perben, Michel Mercier et Robert Badinter…

Guéant devrait-il être poursuivi pour ses propos sur l’inégalité des civilisations ?

S’il y avait un délit d’ineptie, oui.

Propos recueillis par la rédaction de "Siné Mensuel"

Lu sur le blog "Le cri du peuple, 1871"

[1En cas de récidive, une peine minimale est appliquée.

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