Guadeloupe : pourquoi LKP a-t-il dérapé ?

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Pointe-à-Pitre. Mardi 12 juin 2012. CCN (Carib Creole News). La « grève générale illimitée » du 10 mai, décidée par l’état major LKP (Lyannaj kont pwofitasyon) a été non seulement un total « bide » sur le plan de la mobilisation et de l’impact, mais a failli créer un irréversible « chiraj » entre l’ UGTG et l’UPG, deux organisations syndicales issues de la même matrice. Il faudra sans doute de la patience, une bonne dose de lucidité et de patriotisme de part et d’autre pour recoller les morceaux. Comment est-on arrivé là ? Pourquoi LKP a-t-il ainsi « dérapé » ? LKP peut-il être une organisation politique de « type nouveau » ? LKP est-il déjà en fin de cycle ? Pour bien comprendre ce qui se passe, CCN a interrogé Patricia Braflan-Troblo, sociologue Cari Guadeloupéenne qui dès l’origine a suivi l’évolution jour après jour du « Collectif ». CCN ouvre le débat avec cet interview-vérité.

CCN. LKP a-t-il « marqué » la société Guadeloupéenne au plan social, politique, culturel, économique ?

Patricia Braflan Trobo. Il est incontestable qu’un phénomène social du type LKP marque la société dans laquelle il se déroule car ce ne sont pas des évènements courants qui reviennent tous les ans. Le LKP a marqué la société guadeloupéenne à plusieurs titres : c’est le premier mouvement social de type "nouveaux mouvements sociaux" qui voyait le jour en Guadeloupe. Le LKP constitue pour moi du point de vue du corps social une poussée de fièvre comme le corps humain en connait. Tout comme la température pour le corps humain, cette poussée de fièvre, violente, a été l’expression de nombre de maux comme le chômage, toutes les pwofitasyon, la discrimination et l’apartheid dans le monde du travail dont sont victimes les guadeloupéens "noirs"… qui minaient le corps social guadeloupéen depuis des années. C’est une poussée de fièvre qui était nécessaire pour une bonne régulation de ce corps social en construction. Sur le plan culturel, il me semble que la portée du LKP demeure assez mineure si ce n’est que certains guadeloupéens qui avaient encore du mal à se définir comme guadeloupéen de part l’appartenance de la Guadeloupe à l’ensemble français et européen ont pu franchir ce pas.
Du point de vue économique les bilans sont discutables en fonction de là où l’on se trouve même si on ne peut pas ignorer les petites entreprises qui ont connu des difficultés pendant et suite à cette période. Néanmoins, du point de vue du développement de la consommation de produits alimentaires guadeloupéens il me semble que c’est là une victoire du LKP. En effet la présence en son sein de l’UPG a impulsé une véritable politique quasi publique de consommation de produits agricoles guadeloupéens à travers les marchés qui se sont développés à cette époque et qui demeurent.

Pour ce qui est du plan politique, il me semble que l’impact du LKP n’est pas perceptible et les élections régionales de 2010 en ont été la traduction. C’est normal car les collectifs de type LKP ont du mal à influencer le débat politique pour y imposer un changement

CCN. Qu’est-ce qui explique l’échec du mouvement social à se transformer en mouvement politique capable d’impulser un changement du même ordre ?

Patricia Braflan Trobo. En connaissant le fonctionnement des collectifs du type LKP cela se comprend très facilement. Ces collectifs rentrent dans le registre des mobilisations appelées en sociologie "nouveaux mouvements sociaux". Ce sont des mouvements qui réunissent des organisations qui, occultant les appartenances politiques, se regroupent sur ce qu’on pourrait appeler "les plus petits dénominateurs communs" qui sont des revendications à porter. Ce sont des organisations comme par exemple "Les indignés, Greenpeace, le Réseau Sortir du nucléaire, les coordinations lycéennes, les mouvements féministes , les mouvements de prostituées , les mouvements de chômeurs", ou encore le collectif qui mène actuellement le mouvement social au Québec, etc…

Les caractéristiques principales de ce type de mouvement sont que les revendications sont nouvelles, la composition des mouvements est nouvelle (près de 50 organisations en Guadeloupe pour LKP), le rapport à l’organisation du mouvement est différent (le mouvement n’a pas de leader mais un ou des porte-paroles et les décisions sont prises de façon démocratique, toutes les organisations ayant le même poids), et pour finir le rapport à la politique est différent car vu la multiplicité des organisations et des obédiences qui constituent un collectif, notamment LKP pour ce qui nous concerne, il est impossible de l’inféoder à un quelconque parti ou ambition politique. En conclusion, LKP, j’ai envie de dire, en dépit de son écho fort en Guadeloupe ou même sur le plan mondial n’est qu’un collectif coordonnant un mouvement social.

Un mouvement social conforme à la société guadeloupéenne née de la violence dans laquelle il a pris naissance mais un mouvement social avec toutes les limites de ce type de mouvements sociaux. A savoir une impossibilité d’un parti ou d’une personne de profiter politiquement de la force de ce mouvement car celui-ci est constitué de trop courants politiques opposées qui ne peuvent souvent se rencontrer que dans ce type d’organisation souple et pour des actions ponctuelles et limitées dans le temps. Donc quand certains regrettent que le LKP ne se soit pas transformé en force politique, à mon avis il s’agit d’une méconnaissance du fonctionnement de ce type d’organisation et ce n’est en rien un échec. Le LKP a rempli sa fonction qui était de porter des revendications sociales et sociétales. Par contre le LKP ne pourra pas empêcher que les partis politiques jouent leur rôle et soient ceux qui portent les projets politiques de changement de société pour la Guadeloupe. On a eu l’illustration de cette démarche avec l’initiative prise en début d’année par des organisations politiques membres du LKP comme le CIPPA, UPLG, FKNG !, le PCG [1]... C’est à chacun de faire sa part de travail dans cette affaire. Le collectif LKP mène les mobilisations sociales et sociétales, les partis politiques jouent leur rôle de porteur d’une alternative politique. Le LKP ne dispensera pas les partis politiques de faire leur travail de partis politiques.

CCN. L’avenir du LKP ?

Patricia Braflan Trobo. A mon avis LKP de 2009 à vécu. On ne peut en aucun cas analyser la situation de 2009 sans prendre en compte un élément qui a été déterminant dans cette crise à savoir la grève des gérants de stations services qui s’opposaient au groupe Total. Ce conflit émouvait la Guadeloupe depuis déjà plusieurs mois quand il s’est transformé en janvier 2009 en blocage des stations services. Il plaçait la Guadeloupe dans une situation où un mouvement complémentaire pouvait trouver toute sa place car il s’agissait là aussi de pwofitasyon d’un grand groupe contre de petits entrepreneurs guadeloupéens. La pénurie d’essence du fait de la grève des gérants de stations a duré plus de 2 semaines. Mais autre élément capital à intégrer et que les analyses de la situation de 2009 occultent, quand les revendications des gérants de stations services ont été satisfaites, ils ont joué la solidarité avec LKP et ont maintenu les stations services fermées, ce qui a permis de soutenir le mouvement social et de lui permettre de garder son souffle sur une certaine durée. Nous avons là un contexte tout à fait singulier. On ne peut pas étudier la situation de 2009 en Guadeloupe sans prendre en compte ce premier élément fort, son influence sur l’attitude des guadeloupéens qui se sont mobilisés et le contexte qu’il avait généré en Guadeloupe. Je souligne bien que ce sont les gérants qui ont mené ce blocage, pas les salariés des stations service. L’impact d’un blocage de ce type mené par des patrons guadeloupéens contre un des symboles mondial de la pwofitasyon, Total, a nécessairement eu un impact désinhibant sur ceux qui en Guadeloupe pouvaient douter que personne n’était à l’abri de la pwofitasyon et a alimenté le LKP d’autant.

Depuis, il y a, nous le voyons, et il y aura donc d’autres formes d’organisation de ce LKP autour d’autres organisations (moins ou plus) ou d’autres problématiques certainement, mais il sera difficile de faire un remake de 2009. Le contexte n’est plus le même. Beaucoup de problèmes soulevés par le LKP comme les pwofitasyon, les discriminations à l’embauche des guadeloupéens dits noirs, les salaires trop bas face au coût de la vie, le chômage, demeurent.

Ce sont des revendications qui doivent faire l’objet d’un renouvellement permanent, de leurs modalités de prise en charge par exemple par d’autres formes d’organisations comme les mouvements de consommateurs, les associations de lutte contre le racisme et les discriminations, les syndicats de salariés… Le répertoire de l’action revendicative doit en permanence s’adapter à la situation, se renouveler, innover et cela semble être une difficulté pour le LKP.

D’autres types d’organisations verront le jour, car l’être humain s’oppose toujours aux situations qui font que "l’élastique est tendu" en sa défaveur. Pour ce qui est du champ politique à mon avis, ni LKP de 2009 ni aucun autre LKP ou collectif de ce type ne pourra porter le projet d’une évolution du statut politique de la Guadeloupe. C’est là le travail des partis politiques. LKP a permis de mettre en évidence beaucoup de maux de la société guadeloupéenne et d’y apporter au moins partiellement des réponses mais LKP n’est pas l’atoumo, il ne va pas guérir tous les maux dont souffre la Guadeloupe.

Carib Creole News

[1Ces organisations se sont regroupées depuis avril 2012 au sein des FPAC (Forces Patriotiques Anticolonialistes Anticapitalistes).

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